The Pixel Hunt #2 | Direction Artistique
Dans ce deuxième article des Tales From the Devs en compagnie de The Pixel Hunt, nous serons accompagnés une nouvelle fois de Florent Maurin, fondateur du studio, et également d’Alexandre Grilletta, directeur artistique sur The Wreck et le Projet Gaia. Ensemble, nous revenons sur leur rencontre, leur processus créatif ainsi que les inspirations artistiques derrière leur nouveau jeu. Si vous n’avez pas vu notre premier article avec Florent, vous pourrez le trouver ici pour avoir toutes les clés sur la genèse du projet.
NDLR : le nom du jeu étant encore secret, nous avons décidé d’un commun d’accord avec The Pixel Hunt de l’appeler Projet Gaia.
Point’n Think : Il est fascinant de voir comment les partenariats créatifs découlent souvent de rencontres inattendues. Pourriez-vous partager comment votre collaboration s’est initialement formée, en particulier compte tenu de votre travail ensemble sur The Wreck ?
Florent Maurin : C’est une histoire intéressante, car lorsque j’ai commencé à m’investir dans le monde du jeu vidéo, en créant The Pixel Hunt, j’ai débuté par la création d’un blog. Je discutais des nombreux jeux qui attiraient mon attention à l’époque, notamment ceux en flash. Parmi eux, il y avait quelques titres qui correspondaient à mes centres d’intérêt, traitant de l’actualité et des événements en cours. Un jour, j’ai découvert un jeu nommé Kill Mittal. Il a attiré mon attention en raison de son regard satirique sur l’actualité, notamment l’acquisition de Mittal par Arcelor et le chaos qui a suivi, tel que représenté dans le jeu. Cette expérience m’a beaucoup amusé, surtout étant donné la qualité de production élevée pour un jeu entièrement gratuit à l’époque, avec des graphismes en 3D impressionnants. Je me suis demandé qui était derrière ce projet, alors j’ai contacté la personne responsable pour lui demander une interview sur mon blog, car je trouvais cela incroyable. Cette personne était Alexandre, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance au départ.
Alexandre Grilletta : Florent et moi, nous sommes connectés à travers notre intérêt commun pour les jeux non conventionnels, en rapport avec l’actualité et souvent politique. À l’époque, j’explorais l’intersection entre les jeux vidéo et les commentaires politiques, ce qui m’a amené à assister à des conférences où le travail de Florent était présenté. Nos chemins se sont naturellement croisés et j’ai d’abord commencé par faire de la prestation pour The Pixel Hunt jusqu’à vraiment participer à la conception de The Wreck.
Kill Mittal est un jeu vidéo français en flash où les joueurs incarnent des employés virtuels du fabricant d’acier ArcelorMittal, luttant pour maintenir une usine ouverte. Inspiré de manière assez libre par des événements réels, notamment la lutte des travailleurs français contre la décision du propriétaire Lakshmi Mittal de fermer deux hauts-fourneaux dans la ville de Florange, le jeu dépeint un scénario où les joueurs se rebellent contre les forces de sécurité virtuelles et affrontent même une version robot géant de Mittal. Créé par Alexandre, le jeu vise à représenter l’histoire des travailleurs luttant pour leur emploi, sans nécessairement critiquer le gouvernement français. Le récit du jeu tourne autour de l’année 2030, où Mittal aurait fermé de nombreuses usines sidérurgiques dans le monde entier, incitant les ouvriers de l’acier à prendre des mesures drastiques contre lui. Il illustre les frustrations et les désillusions des travailleurs confrontés à la réalité économique de la mondialisation, tout en offrant une expérience interactive et réflexive sur les enjeux sociaux contemporains.
PnT : Passons à The Wreck. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos rôles et le processus collaboratif derrière le développement du jeu ?
Florent : The Wreck était un projet unique pour nous, représentant notre première production en self-publishing avec The Pixel Hunt. Avec une petite équipe et une vision partagée, Alex et moi avons assumé des rôles multifacettes, brouillant les frontières entre la direction artistique et la direction créative. Notre collaboration était caractérisée par des sessions de brainstorming approfondies et un échange fluide d’idées.
Alexandre : Notre processus de travail sur ce projet était hautement collaboratif et créatif. En raison de la taille réduite de notre équipe, nous avons partagé la direction créative, ce qui nous a permis d’explorer librement nos idées et de les enrichir mutuellement. Nous avons eu de nombreuses sessions de brainstorming où nous avons échangé nos visions et nos concepts, en cherchant à créer une expérience de jeu immersive et engageante. Mon rôle en tant que directeur artistique ne se limitait pas seulement à la conception visuelle du jeu, mais aussi à contribuer aux aspects narratifs et interactifs. Nous avons adopté une approche ascendante, en partant de nos idées individuelles pour construire une vision collective du jeu. Notre collaboration a été marquée par une bonne complicité et une confiance mutuelle, ce qui nous a permis de nous exprimer librement et d’échanger des idées sans crainte. Nous avons tous deux apporté nos compétences et nos perspectives uniques, ce qui a enrichi le processus créatif.
Florent : Je trouve que c’était une expérience incroyable. Alex apportait des idées novatrices, notamment en termes de direction artistique et de conception interactive. Par exemple, Alex « voyait » une scène récursive, avec une maison dans une maison dans une maison. De cette vision formelle est née une contrainte intéressante d’écriture. Cependant, cette idée a rapidement évolué pour devenir une composante essentielle de notre récit. Le processus de création était très collaboratif, et nous avons passé de nombreuses heures à discuter et à échanger nos idées, souvent dans des contextes informels comme des après-midi dans des AirBnB. Chaque fois qu’Alex proposait une nouvelle version visuelle d’un personnage ou d’un élément de l’histoire, cela inspirait de nouvelles perspectives et enrichissait notre vision collective du jeu. Cette approche collaborative et ouverte nous a permis de créer un univers riche et cohérent pour The Wreck. En ce qui concerne nos retours mutuels, nous avons toujours privilégié une communication constructive, basée sur la confiance et le respect mutuel. Nous sommes conscients que notre objectif principal est de faire progresser le projet ensemble, et non de satisfaire nos egos personnels. De plus, notre expérience nous a appris que l’incongruité dans l’écriture peut parfois conduire à des idées brillantes et inattendues. C’est pourquoi nous avons accueilli avec enthousiasme les suggestions de tous les membres de l’équipe avec Peggy et Horace par exemple.
PnT : Il est fascinant d’entendre parler de votre approche synergique du développement de jeux. Pourriez-vous donner un exemple de la manière dont votre processus collaboratif a influencé la direction créative de The Wreck ?
Florent : Je pense au background de Marie, la mère de Junon. C’était entièrement l’idée d’Alex au départ. Il a suggéré l’idée d’une personne très religieuse, ce qui m’a initialement surpris – je n’avais pas du tout prévu ça pour elle initialement – mais au final plusieurs personnes ont souligné à quel point ce personnage était marquant. J’ai réalisé que cela offrait une occasion intéressante d’explorer le rôle de la religion dans la vie de ce personnage complexe, une mère abusive, mais également un génie créatif, qui a clairement manqué d’affection dans son propre passé. Ainsi, lorsque Alex a proposé cette idée, j’ai immédiatement pensé à une scène où le personnage de Marie insulte Jésus sur la croix, exprimant son ressentiment.
Alexandre : Cela nous a effectivement imposé des contraintes, mais dans le sens positif du terme. C’est quelque chose que l’on voit souvent, mais ces contraintes nous ont poussés à développer des idées novatrices. La maison de poupée, par exemple, a ajouté une dimension narrative et de gameplay vraiment intéressante. C’est comme une expérience cinématographique, mais adaptée au médium du jeu vidéo, avec des zooms et des séquences dynamiques qui fonctionnent parfaitement dans cet environnement interactif.
PnT : Vos échanges reflètent une symbiose créative remarquable. Pouvez-vous nous parler davantage de la manière dont vous intégrez vos visions artistiques et narratives pour donner vie à vos projets ?
Florent : L’une des beautés de notre collaboration réside dans la façon dont nos idées se tissent les unes avec les autres pour enrichir la narration dans nos jeux. Par exemple, lorsque nous avons commencé à travailler sur The Wreck, j’avais une vision narrative claire, mais l’apport d’Alexandre est intervenu comme une révélation esthétique. Son expertise en direction artistique et en conception interactive a ajouté des couches de profondeur et de subtilité à notre histoire, rendant chaque aspect de notre jeu plus cohérent et engageant.
Alexandre : Tout à fait. Lorsque Florent partageait ses idées et ses thématiques, cela fournissait une base solide pour notre collaboration. Mon rôle était alors de traduire ces concepts en éléments visuels tangibles et en mécaniques de jeu immersives. Par exemple, l’introduction de la maison de poupées dans l’histoire de The Wreck est devenue une métaphore visuelle puissante qui a enrichi à la fois le récit et l’expérience de jeu.
Florent : C’est quelque chose qui était présent dès le début de notre réflexion, cette idée de revisiter les souvenirs. Nous nous demandions si cela se ferait de manière linéaire, à travers des carrousels ou autre. Ce processus de revisite des souvenirs, de récupération d’informations qui modifient notre perception du passé, c’est vraiment au cœur de la direction créative. Les discussions que j’ai eues avec Alex ont permis de clarifier cette vision. Par exemple, la scène de la salle de bain nous a donné du fil à retordre. Au départ, nous avions imaginé une scène où, d’un côté du mur, il y avait Junon dans sa salle de bain, et de l’autre côté, Alex. Mais lorsque nous avons tenté de concrétiser cette idée en la prototypant, elle ne fonctionnait pas aussi bien que prévu. Lors d’une réunion avec Peggy, notre animatrice, et Horace, notre développeur, nous avons dû revoir certains éléments. C’est à ce moment-là que l’idée d’utiliser un timelapse est apparue, suggérée par l’un des membres de l’équipe. Cette approche itérative du design a permis à chacun de contribuer à l’amélioration de la scène, même ceux qui n’étaient pas directement impliqués dans sa conception initiale. Ce processus a transformé une scène qui n’était même pas censée figurer dans le jeu en l’une des plus marquantes, selon certains retours que nous avons reçus. Cela montre que, même si Alex et moi pouvons revendiquer un rôle d’auteur, le jeu vidéo est avant tout un travail de création collective où chaque membre de l’équipe peut apporter sa contribution, à condition que l’ambiance soit propice à la collaboration.
PnT : Votre capacité à communiquer et à vous donner des retours de manière constructive semble être un élément essentiel de votre collaboration. Pourriez-vous partager des insights sur la façon dont vous gérez les retours et les ajustements au sein de votre équipe ?
Florent : Notre approche repose sur un dialogue ouvert et respectueux, où chaque retour est considéré comme une opportunité d’amélioration plutôt que comme une critique personnelle. Cette dynamique de collaboration honnête et bienveillante nous permet de progresser ensemble vers notre vision commune.
Alexandre : Notre expérience et notre maturité professionnelles nous ont permis de dépasser les egos et de nous concentrer sur ce qui compte vraiment : la création d’expériences exceptionnelles pour nos joueurs. Chaque ajustement, chaque itération sont abordés avec un esprit d’équipe et un désir collectif d’atteindre l’excellence.
PnT : Votre processus de brainstorming semble avoir été riche en idées et en discussions approfondies sur les thèmes que vous souhaitez explorer dans votre prochain jeu. Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse du Projet Gaia et sur la manière dont vous avez abordé ces discussions initiales ?
Florent : La genèse de notre Projet Gaia a été le résultat d’une profonde réflexion sur les défis contemporains auxquels nous sommes confrontés. Pour ma part, cette idée a émergé de ma prise de conscience personnelle de l’urgence climatique et de mon désir d’apporter une contribution significative à travers mon travail. Lorsque j’ai partagé cette vision avec Alexandre, il a non seulement embrassé cette perspective, mais il a également élargi le champ des thématiques que nous pourrions explorer. En effet, il a soulevé l’idée passionnante d’aborder d’autres sujets comme l’impact du travail et des relations à l’ère des réseaux sociaux. Il y avait aussi la volonté de partir sur quelque chose avec plus de gameplay aussi et d’avoir ce principe de replay value, de vrai gameplay de RPG narratif.
Alexandre : Nos échanges initiaux ont marqué le début d’un processus de brainstorming intense, au cours duquel nous avons exploré diverses sous-thématiques potentielles et leur pertinence pour notre jeu. Nous avons plongé dans des discussions approfondies sur des sujets tels que l’économie de l’attention et les relations parasociales en ligne, qui sont autant de facettes essentielles venant enrichir notre récit principal sur la résistance climatique. Ce processus nous a permis de cerner les différents angles à partir desquels nous pourrions aborder ces problématiques complexes, tout en garantissant la cohérence et la profondeur de notre expérience narrative. Mais l’idée, c’était aussi de rappeler que ce n’est pas parce qu’on allait dans quelque chose de plus gameplay qu’il fallait lâcher ce côté jeu du réel presque un peu revendicatif. Ces questions-là m’intéressent d’un point de vue personnel. Autant l’écologie, mais aussi l’économie de l’attention sur les réseaux sociaux, comment les algorithmes peuvent transformer nos vies.
Florent : Par exemple, pour être dans le concret, cette thématique de l’économie de l’attention, quand Alex m’en a parlé, j’ai tout de suite trouvé ça intéressant. Et comme c’est un jeu qui parle de notre époque, parler de la crise environnementale, c’est parler de l’éléphant dans la pièce en quelque sorte. Autant sur ces questions environnementales, on a besoin de fiction dans un futur solarpunk où tout a été détruit, mais où on reconstruit sur des bases saines. Mais ce n’est pas trop ce que je voulais faire. Je pense qu’on a également besoin de fiction du présent qui parle de nos luttes dans l’instant T. Par exemple, quand Alex m’a parlé de l’économie de l’attention, j’ai immédiatement pensé à un personnage qui utilise les questions environnementales pour la fame, pour en faire quelque chose de narcissique. Et c’est devenu le petit ami du personnage principal du jeu.
Cette question de l’économie de l’attention est de plus en plus présente, notamment lorsqu’on parle des modèles économiques de certains GAFAM (coucou Netflix). Dans leur ouvrage La Guerre de l’attention, Yves Marry et Florent Souillot explorent le concept émergent du « capitalisme attentionnel ». Au cœur de leur analyse, se trouve la métaphore selon laquelle nos cerveaux sont devenus le nouvel or noir, une ressource convoitée par les grandes entreprises technologiques pour leur quête incessante de rentabilité. Les auteurs décrivent l’émergence de ce phénomène, soulignant le rôle central des géants de la technologie, tels que les GAFAM, dans la captation de notre attention. Ces entreprises déploient des stratégies pour s’approprier notre temps de cerveau disponible, transformant nos vies en une série ininterrompue de moments accaparés par nos écrans.
Le livre peint un tableau saisissant de cette lutte pour capter notre attention, dépeignant une véritable guerre quotidienne, sans uniforme ni territoire défini. Les auteurs utilisent le terme de « guerre » de manière délibérée, mettant en lumière les enjeux colossaux de cette bataille invisible qui se joue dans le cyberespace. De plus en plus de personnes prennent conscience de leur aliénation numérique, ouvrant la voie à une réflexion sur la nécessité de se déconnecter et de rétablir un équilibre entre la technologie et l’humain. Ce débat entre une société toujours plus connectée et une approche plus modérée soulève des questions cruciales sur notre rapport à la technologie et à notre propre bien-être. Le Projet Gaia s’inscrit dans ses projets et compte parmi les futures œuvres qui vont aborder ce thème.
PnT : Pouvez-vous nous parler davantage du processus itératif que vous avez suivi pour développer le jeu jusqu’à présent ?
Florent : Pour moi, écrire le Projet Gaia a été un processus itératif continu, où j’ai commencé par poser les bases de l’histoire et des personnages, puis j’ai intégré les retours et les idées d’Alex pour enrichir et approfondir le récit. Nous avons également eu des discussions sur les mécanismes de jeu et sur la manière dont ils pourraient servir nos thèmes narratifs, même si je ne suis pas un expert en gameplay.
Alexandre : Effectivement, notre processus de création repose sur un échange constant d’idées et de feedback, où chaque élément est examiné à la lumière de notre vision artistique et narrative. L’une des clés de notre collaboration réussie est notre capacité à écouter et à intégrer les idées de l’autre, même si elles ne sont pas toujours dans notre domaine d’expertise.
PnT : Vous avez souligné l’importance de maintenir une identité visuelle reconnaissable pour le jeu. Comment avez-vous abordé cette question dans le développement du jeu ?
Alexandre : Dans le domaine du jeu vidéo, l’idée de l’art est souvent associée à la technique, au workflow et aux shaders utilisés pour créer le rendu final. Cette notion s’applique à de nombreuses disciplines, comme la peinture, où le choix des matériaux et des techniques influence considérablement le résultat final. En jeu vidéo, le pipeline PBR (Physically Based Rendering) est couramment utilisé pour obtenir des rendus réalistes. Ce pipeline implique l’utilisation de textures Normal Map, Height Map et Ambient Occlusion. Cependant, cette approche peut s’avérer coûteuse et restrictive, limitant la créativité globale. Les jeux les plus marquants sont souvent ceux qui se sont affranchis des workflows traditionnels et académiques. En s’émancipant de ces contraintes, les artistes peuvent explorer de nouvelles techniques et créer des directions artistiques uniques. Des exemples notables incluent Monument Valley, Hyper Light Drifter, Sable et Dordogne. Ces jeux illustrent comment l’utilisation de techniques non conventionnelles peut mener à des résultats visuellement saisissants.
Bien qu’il soit important de s’affranchir des workflows traditionnels, il est également crucial de prendre en compte les contraintes techniques, telles que la performance et la compatibilité avec différentes machines. L’objectif est de trouver un équilibre entre liberté artistique et contraintes techniques pour créer une expérience visuelle convaincante. Avec le Projet Gaia, on utilise une approche minimaliste et géométrique pour créer un univers visuel. Ce choix s’inspire de la sobriété demandée aux individus dans le contexte du transport durable. La création de l’environnement s’appuie sur des textures simples et des formes géométriques, permettant une optimisation des performances et une exploration de l’imaginaire du joueur.
Un aspect important du jeu était de bien rendre les phases de conduite en voiture, symbolisant la recherche de sens et d’objectif dans la vie. L’image esthétique évoquée était celle de rouler sur l’autoroute tard dans la nuit, seul au monde et perdu dans ses pensées. Cette métaphore illustre l’absurdité de la vitesse de la voiture, bien supérieure aux capacités physiques humaines. L’idée d’une voiture transparente soulevait des questions sur notre relation à la technologie et à l’environnement. Le jeu questionne également le fait de déplacer une tonne de métal pour transporter 80 kg de viande.
Malgré les thématiques écologiques, l’utilisation d’une voiture est un choix délibéré pour souligner l’abstraction du voyage et l’évasion mentale qu’il permet. Je me souviens de mon enfance, regardant par la fenêtre de la voiture et imaginant des aventures fantastiques. Ce sentiment d’évasion et de retour à des choses plus primaires est rendu possible par la solitude et l’isolement dans la voiture. La nuit, les lumières se transforment en formes géométriques, les phares des voitures en traits et les paysages en mers de formes en mouvement. L’objectif était de reproduire cette sensation d’hypnose propice à la réflexion dans le jeu. La direction artistique utilisant des formes géométriques simples et des jeux de lumière permet de redéfinir complètement les paysages, créant des compositions qui rappellent des illustrations réalisées par un être humain. Cette approche permet de réaffirmer la subjectivité, les émotions et l’esthétique dans un objet hyper technologique comme le jeu vidéo et la voiture. On voit dans cette utilisation du procédural une manière de créer des paysages qui semblent faits à la main, tout en respectant des règles précises définies en amont de la production.
Le rendu physique réaliste (PBR) en infographie 3D vise à reproduire avec précision le comportement de la lumière dans le monde réel. Cette technique repose sur trois principes fondamentaux : la modélisation des surfaces à l’aide de microfacettes, le respect du principe de conservation de l’énergie lumineuse, et l’utilisation de fonctions de réflectivité bidirectionnelle. En simplifiant le processus de création visuelle, le PBR offre aux infographistes des paramètres peu interdépendants, ce qui réduit la nécessité d’itérations lors du réglage des matériaux et de l’éclairage. Cette approche permet ainsi d’obtenir des rendus plus réalistes et cohérents tout en améliorant l’efficacité du flux de travail.
L’intégration du PBR dans les moteurs de rendu utilisés dans les films d’animation et les jeux vidéo a permis une généralisation de cette technique, offrant des résultats visuels de haute qualité dans des environnements temps réel. En éliminant la nécessité de recourir à des astuces d’éclairage et en garantissant la cohérence lumineuse des objets virtuels, le PBR simplifie le processus de création pour les artistes numériques. Cette approche contribue à la production d’œuvres graphiques plus réalistes et est devenue une norme dans l’industrie de l’infographie 3D.
PnT : Merci pour cette explication détaillée de votre approche. C’est fascinant de voir comment vous combinez une esthétique abstraite avec une réflexion approfondie sur les thèmes et les messages que vous souhaitez transmettre à travers votre jeu. Maintenant, j’aimerais en savoir plus sur votre processus créatif, Alexandre. Comment avez-vous commencé à réfléchir à la direction artistique du projet Gaia et comment cela a-t-il évolué au fil du temps ?
Alexandre : Pour moi, le processus créatif a été assez intuitif et organique. Plutôt que de commencer par des éléments très précis, j’ai d’abord cherché à capturer l’essence des thèmes et des émotions que nous voulions transmettre à travers le jeu. Cela signifiait explorer des idées abstraites et des concepts symboliques qui pourraient évoquer une réponse émotionnelle chez les joueurs. L’idée était de simplifier les formes, comme utiliser des demi-cercles pour représenter des nuages. Cette approche a également été influencée par des rêves et des références à d’autres artistes, comme James Gilleard.
J’ai fait un moodboard qui résume bien l’esthétique recherchée : un road trip avec des visuels forts et des formes géométriques épurées. L’agencement du moodboard permet de suivre la progression du voyage, avec des tons bleus au début et des couleurs plus chaudes par la suite. L’utilisation de formes simples et épurées est maîtrisée, permettant de transmettre des idées claires malgré leur simplicité. Cette approche est basée sur une formule qui a déjà fait ses preuves dans d’autres productions.
L’esthétique abstraite et géométrique que nous avons développée pour le jeu contribue à créer une expérience visuelle immersive pour les joueurs. Les paysages et les environnements du jeu sont conçus pour être à la fois familiers et étranges, ce qui invite les joueurs à réfléchir sur la signification symbolique des formes et des compositions qu’ils rencontrent. Plutôt que de fournir des réponses claires et définitives, nous voulions encourager les joueurs à réfléchir et à explorer les thèmes et les messages du jeu de manière plus profonde et plus personnelle.
James Gilleard est un illustrateur et un animateur indépendant originaire de Londres, mais il réside actuellement au Japon. Il a travaillé sur un certain nombre de petits et grands projets, perfectionnant son style minimaliste, que certains experts définissent comme du surréalisme moderne. Il s’agit d’une sorte de pixel art et d’art numérique avec une pincée d’influences du Bauhaus. Il s’inspire de la mode, de l’architecture, de la musique et de l’art des années 1950, 1960 et 1970, ce qui confère à ses œuvres un air de nostalgie et les distingue des autres. D’autres aspects uniques de son travail sont sa belle utilisation des couleurs et sa capacité à doter même le personnage le plus simple d’une grande personnalité.
PnT : C’est fascinant de voir comment vous utilisez des moodboards et des scènes de référence pour guider le développement artistique du jeu. Maintenant, j’aimerais en savoir plus sur les défis que vous avez rencontrés en créant l’esthétique visuelle du jeu, en particulier en ce qui concerne les contraintes spécifiques du jeu vidéo.
Alexandre : Créer un jeu vidéo ne se résume pas à reproduire les techniques cinématographiques. La perspective du joueur, enfermé dans l’habitacle de la voiture, nous impose une contrainte intéressante. La fenêtre agit comme un cadre naturel, limitant la liberté de mouvement et concentrant l’attention sur ce qui se trouve devant et sur les côtés. Cette contrainte devient une opportunité pour nous au final : nous devons composer des paysages illustratifs multicouches, où les éléments les plus éloignés peuvent être simplifiés sans nuire à l’expérience visuelle. Ainsi, les assets du jeu sont conçus à plusieurs niveaux de détail, certains devant être impeccables à courte distance et d’autres pouvant se permettre une certaine abstraction lorsqu’ils se situent en arrière-plan.
Un moodboard est un outil parfait pour explorer le style visuel d’un projet de conception de jeu. Il sert également de référence pour toute l’équipe, permettant à chacun de visualiser le résultat final. Les moodboards en ligne peuvent inclure des vidéos, des images, des liens et des couleurs, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités créatives. Pour créer un moodboard, il est essentiel de décider de son objectif, de rassembler du matériel existant, d’ajouter des images inspirantes, des exemples de mouvement et de son, ainsi que des exemples de couleurs et de polices. Une fois toutes les inspirations rassemblées, il est important d’organiser le moodboard pour créer une composition intéressante, en gardant l’esprit ouvert à l’inspiration et en expliquant le raisonnement derrière chaque choix. En collaborant et en construisant sur les idées, l’équipe de développement peut tirer parti du moodboard pour maintenir une cohérence visuelle tout au long du processus de conception.
PnT : Merci beaucoup pour ces précieuses informations sur les prochaines étapes du développement du jeu. Comment comptez-vous aborder les prochains défis avant le lancement du jeu ?
Alexandre : L’idée c’est vraiment de respecter l’intention artistique initiale du jeu, tout en restant attentif aux retours des prochains tests et des joueurs. La direction artistique sera évaluée en fonction de sa clarté et de son impact émotionnel. L’intégration des assets dans le moteur du jeu sera scrutée pour garantir une cohérence visuelle avec les scènes de référence. Les retours des joueurs seront essentiels pour affiner l’identité visuelle du jeu et s’assurer qu’elle se démarque des autres titres, notamment si nous trouvons un éditeur. On veut vraiment continuer sur cette esthétique qui procure une sensation d’immersion et d’hypnose, en s’inspirant des concepts initialement envisagés tels que les traînées de lumière, les phares, la pluie et les effets kaléidoscopiques. Mais en tout cas, on va faire de notre mieux pour rester fidèles aux idées qu’on avait à la base.
On espère que vous aurez apprécié ce nouveau numéro du Tales From The Devs en compagnie de The Pixel Hunt. On se retrouve bientôt pour un 3e épisode !