Sekamelica, créatrice de Insurrection
J’ai découvert Sekamelica via sa page Twitter et sa bio m’a tout de suite intrigué :
« French indie gamedev working on a metroidvania about insurrection 🪓 ⚒️ »
Je l’ai donc contacté assez rapidement pour en découvrir plus sur son parcours, ses premiers jeux en game jam et le développement de Insurrection. À l’image de Lifelong de Rem, Sekamelica est en plein développement du jeu, aussi cela nous permet d’aborder la création sous un autre angle.
PnT : Bonjour Sekamelica et merci de prendre du temps avec moi aujourd’hui pour cet entretien. Peux-tu me parler de tes premiers projets et de ton parcours ?
Sekamelica : Mes premiers projets remontent à mes 11 ou 12 ans je pense. J’utilisais RPG Maker à l’époque. J’étais très influencée par la Game Boy Advance, en particulier par des jeux comme Castlevania et le premier Final Fantasy. Quand j’ai découvert RPG Maker, je me suis dit que je pourrais créer mon propre Final Fantasy. J’ai passé énormément de temps sur RPG Maker jusqu’à mes 17 ans, mais je n’ai jamais vraiment sorti de gros jeux. Il y avait quelques petites œuvres, mais rien de majeur. Mon premier grand projet a duré un an avant de ne pas se terminer. J’ai appris beaucoup durant cette période, notamment sur l’écriture, bien que, étant adolescente, mes premiers essais étaient assez maladroits.
Au lycée, j’ai commencé à apprendre le C#. Inspiré par Hearthstone, j’ai essayé de créer un jeu de cartes en utilisant les Windows Forms en C-#. Cependant, c’était difficile de réaliser de belles animations avec cet outil, mais cela m’a permis d’apprendre à coder.
PnT : Et après le lycée ?
Sekamelica : Après le bac, je suis entrée dans une école d’ingénieurs en informatique pour trois ans. Là, j’ai énormément renforcé mes compétences en programmation. J’ai rejoint une association de création de jeux où j’ai appris Unity et le développement web. J’ai commencé à créer de petits jeux web et des projets sur Unity. Cependant, je me suis rendu compte que cette école ne m’orientait pas vers ce que je voulais vraiment faire. Lors des recherches de stages, je me suis concentré uniquement sur les studios de jeux vidéo, mais je n’ai reçu aucune réponse. J’avais l’impression de ne pas faire les choses correctement malgré de bons résultats académiques. Je ne trouvais pas de satisfaction dans les stages en informatique généraliste, car ils manquaient de créativité.
PnT : C’est à ce moment-là que tu as rejoint l’ENJMIN ?
Sekamelica : Oui, en 2017, j’ai rejoint l’ENJMIN, la seule école publique et gratuite de France spécialisée dans le jeu vidéo. J’y ai fait un master en deux ans. À l’ENJMIN, j’ai rencontré des gens avec diverses spécialités comme le son, le graphisme, et la gestion de projet, ce qui m’a permis de m’immerger dans le domaine du jeu vidéo. Pendant cette période, j’ai continué à travailler sur des projets personnels. Avant de rejoindre l’ENJMIN, j’avais commencé deux grands projets sur Unity : un Metroidvania et un platformer en vue à la première personne appelé Fragments. Ces projets étaient très ambitieux et ont duré chacun un an sans être terminés, car j’étais encore en phase d’apprentissage.
PnT : Parle-moi de Fragments. Le jeu semblait très ambitieux d’après ce que j’ai vu sur ton site. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Sekamelica : Je voulais faire beaucoup trop de choses. Le jeu nécessitait de nombreux environnements en 3D, ce qui était difficile pour moi à l’époque. De plus, l’écriture du jeu posait problème. J’essayais de créer une expérience très intime avec des thèmes psychologiques et autobiographiques, mais cela s’est avéré très complexe et risqué. Parler de soi sur des sujets non résolus tout en apprenant à développer un jeu ambitieux était un défi immense et déroutant.
PnT : J’ai également vu que tu as participé à plusieurs game jams. Cela faisait partie de ton cursus à l’ENJMIN ?
Sekamelica : Oui, c’était encouragé à l’ENJMIN. Par exemple, il y avait une game jam pour l’intégration des nouveaux étudiants, ce qui permettait de rencontrer les autres et de s’immerger dans l’ambiance de l’école. J’avais déjà fait plusieurs game jams avant l’ENJMIN, car j’aimais travailler sur de petits projets pour apprendre et enrichir mon portfolio.
Les game jams sont géniales pour sortir des jeux que les gens peuvent essayer, mais elles sont aussi très éprouvantes et les jeux créés sont souvent un peu buggés. J’aimerais bien me concentrer sur un projet plus gros, mieux focalisé, que je pourrais terminer, car j’en ai marre que mon ordinateur soit un cimetière de projets inachevés.
PnT : Peux-tu nous parler de ta meilleure expérience en game jam ?
Sekamelica : Ma meilleure expérience n’était même pas une vraie game jam. C’était juste un week-end où j’étais inspirée et j’ai passé trois jours à créer un jeu. Il n’y avait aucun cadre de game jam, pas de compétition ou de contrainte. Pendant ces trois jours, j’ai décidé de créer un jeu de manière assez détendue. En plus, je n’ai pas passé de nuits blanches, j’étais plutôt bien organisée. Je n’ai même pas codé parce que j’ai utilisé Bitsy. Bitsy est un outil pour créer de petits jeux sur navigateur où l’on peut simplement se déplacer sur des grilles en pixels et interagir avec des personnages. J’ai dessiné des éléments en pixel art, ajouté des personnages, fait des transitions entre les cartes, et j’ai créé un petit jeu appelé Slug Life. C’était l’une de mes meilleures expériences de création. C’est peut-être le projet le plus simple que j’ai réalisé en termes de complexité, mais j’en suis sortie non fatiguée, contente d’avoir terminé un projet. J’ai reçu de nombreuses réactions positives, ce qui était vraiment gratifiant. Par exemple, des étudiants de l’EESI Poitiers avaient organisé une exposition intitulée Ceci n’est pas un jeu, et ils ont exposé mon jeu sans que je le sache. Je l’ai découvert en participant à une game jam qui se déroulait après cette exposition, et j’étais vraiment ravie. Cela m’a fait tellement plaisir, même si c’était probablement mon projet le moins compliqué.
PnT : Cela nous amène doucement à Insurrection. Comment en es-tu arrivée à décider de créer un jeu plus ambitieux, un jeu que tu veux vendre, probablement sur Steam et même sur Switch ?
Sekamelica : Après l’ENJMIN, j’ai travaillé et j’ai arrêté de participer aux game jams parce que c’était épuisant en plus du travail. Le format ne me plaisait plus tellement. On peut débattre si les game jams contribuent à la culture du crunch d’ailleurs. Cela peut être pris sous des angles plus sains, mais j’avais du mal. Donc, j’ai fait une pause. J’avais toujours des projets plus longs, mais les combiner avec le travail n’était pas évident. J’avais toujours cette idée de vouloir faire un jeu ambitieux, de le terminer, d’en être fière, et de le sortir pour de vrai. Je voulais aussi devenir une développeuse indépendante et en vivre. Cela fait maintenant un an et demi que j’ai quitté mon travail salarié pour être indépendante. Je vis entre des missions freelance et le développement de Insurrection, que j’ai commencé quelques mois avant de quitter mon travail. Voyant que le projet était prometteur, je me suis lancée.
Pnt : Parles nous de l’histoire du jeu et son contexte.
Sekamelica : Insurrection est un jeu qui se déroule dans une cité souterraine tandis que la surface est désolée à la suite d’une catastrophe. On incarne Vindica, une bûcheronne régulièrement envoyée vers la surface pour son travail et qui finit par en tomber malade. En cherchant à être soignée, elle va se rendre compte qu’on ne la soigne pas vraiment et qu’il y a un mystère autour du sang dans cet univers. Petit à petit, elle découvre que le sang de toute la population de la ville souterraine est exploité comme une ressource en raison de ses propriétés particulières. Au fur et à mesure de l’histoire, elle trouvera des alliés opposés à cette exploitation. Elle découvre également qu’elle est capable d’utiliser les pouvoirs liés à son sang, et d’autres personnes aussi. Petit à petit, elle essaie de saboter tout ce système, d’où le nom Insurrection, et donc de saboter tous les organes de ce système qui vole littéralement la vie des gens. Elle découvre aussi les mystères de ce monde : pourquoi sommes-nous arrivés là, dans une cité souterraine, pourquoi cette gouvernance a été mise en place et ce qu’on peut faire de mieux.
PnT : Le jeu est un Metroidvania. Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi ce genre, surtout en lien avec le message politique du jeu ?
Sekamelica : Le Metroidvania est un genre qui m’a toujours beaucoup plu et que j’ai toujours voulu explorer. Mon premier projet Unity était un Metroidvania d’ailleurs. Le premier n’était pas terrible car j’apprenais, mais maintenant, après plus de sept ans d’utilisation de Unity, je me sens capable de le faire. Une de mes premières idées était de créer un Metroidvania avec des mécaniques de platforming vraiment travaillées, un peu comme dans Celeste. Je voulais éviter les mécaniques « clé-porte » et avoir des mouvements expressifs. Ensuite, j’avais beaucoup de sujets sur lesquels je voulais parler. En travaillant sur les premières mécaniques du jeu et l’écriture, tout s’est mis en place.
L’idée directrice était de montrer comment sortir du désespoir en prenant conscience de son pouvoir d’agir, que ce soit à travers la vie personnelle de l’héroïne, Vindica, ou le début d’une insurrection. Un autre aspect important pour moi était d’apporter une perspective queer dans un genre autre que les visual novels, qui sont souvent les seuls jeux LGBT accessibles aux créateurs indépendants. Vindica a une copine et doit jongler entre son engagement dans l’insurrection et sa vie de couple, ce qui crée une tension intéressante.
Je mise aussi un peu sur la rejouabilité grâce à cet aspect Metroidvania. Je pense beaucoup aussi en termes de profondeur des mécaniques de jeu. Il y a des choses qui peuvent rappeler Celeste dans le sens où, quand on maîtrise bien le jeu, on ne le voit pas du tout de la même manière qu’une personne qui débute. Donc, dans Insurrection, c’est un peu l’idée aussi. Comme dans un Metroid, on peut faire les zones dans un ordre différent. Ce qui est ambitieux, c’est que le fait de faire les zones dans un ordre différent change aussi la narration et les dialogues avec les protagonistes.
PnT : Peux-tu nous parler du choix graphique du pixel art ?
Sekamelica : J’avais déjà fait un peu de pixel art avant, ainsi que des dessins sur papier et du digital painting, même si je n’étais pas très douée en digital painting. Le pixel art me convenait mieux, surtout pour un projet où je fais tout moi-même. En plus, le pixel art résonne bien avec les thèmes du jeu, qui se déroule dans une cité souterraine suite à une catastrophe. Vindica, une bûcheronne, découvre que le sang des habitants est exploité comme une ressource et elle va chercher à saboter ce système. Le choix du pixel art permet de bien illustrer ce monde et ses mystères.
PnT : Quels outils utilises-tu pour développer Insurrection, notamment pour gérer la narration et les différents embranchements possibles ?
Sekamelica : J’utilise beaucoup Notion pour l’organisation générale du projet. J’y note toutes mes tâches, idées d’écriture, références visuelles, etc. Pour la narration dans le moteur, j’ai mes propres outils de dialogue, mais je n’ai pas encore de système dédié aux embranchements complexes. J’ai entendu parler d’outils comme Ink, mais je ne les utilise pas encore. Pour l’instant, Notion me permet de garder une trace de tout de manière structurée. J’ai commencé par créer des catégories sur une page vide, puis des sous-pages, des sous-sous-pages, des listes, des tableaux, des tags, des couleurs, des émojis, etc. C’est devenu un système assez sympa et adapté à mes besoins.
PnT : Insurrection sortira d’abord sur Steam, puis sur Switch. Pourquoi ce choix et quels sont les défis associés à un portage sur Switch ?
Sekamelica : J’avais tenté de soumettre un projet à Nintendo pour obtenir leur SDK (ndlr : software development kit), mais il faut déjà avoir une page Steam avec un trailer pour être pris au sérieux. Nintendo demande souvent des preuves de succès commercial avant d’accepter un projet. Je vais donc d’abord sortir le jeu sur Steam et, si possible, une démo. Ensuite, je ferai le portage sur Switch, ce qui prendra du temps car je n’ai pas encore d’expérience en portage sur cette console.
PnT : Et en termes de contrat avec Nintendo, si tu soumets le dossier, je suppose qu’ils prennent un pourcentage sur les ventes, comme Steam ?
Sekamelica : Oui, c’est en plusieurs étapes. On soumet un projet de jeu pour devenir développeur chez Nintendo. Ils prennent un pourcentage sur les ventes, comme Steam. Ensuite, il y a le devkit switch, une console switch modifiée pour développer le projet soumis à Nintendo et le débugger. Pas d’engagement particulier, mais une consigne stricte de confidentialité. On fait notre développement, on passe les TRC (ndlr : technical requirements checklist), une liste de prérequis pour que le jeu ait le droit d’être sur l’eShop Nintendo, pour assurer un minimum de qualité et éviter d’endommager les consoles des utilisateurs.
Pnt : As-tu déjà fait un prototype ? Vas-tu chercher un éditeur ou veux-tu auto-éditer ?
Sekamelica : J’ai envie d’auto-éditer le jeu. Je prévois tout en fonction de ça. Je me sens capable de le faire et j’ai envie de maîtriser de A à Z toute la ligne de création du projet. Après, je ne fais jamais tout seul, j’ai toujours besoin de ressources et d’aide. Mais j’ai envie de gérer l’idée de la conception jusqu’à la sortie.
PnT : J’imagine que les playtests et les retours des joueurs seront importants pour toi. Comment abordes-tu cet aspect, surtout avec des outils comme Discord pour des retours rapides et trouver des playtesteurs ?
Sekamelica : Oui et non, pas vraiment de vrais playtests encore. J’ai un prototype ou un proof of concept pour les mécaniques de platforming, mais il n’y a qu’une seule zone et pas encore vraiment de scénario. Je travaille encore sur l’écriture et l’évaluation du scope. L’objectif était d’avoir une démo pour le milieu de l’année prochaine, avec une page Steam. En attendant, j’ai une page Steam secrète pour envoyer des builds du jeu sur le Steam Deck. Je montre le jeu dans des events sans stand, en le faisant tester aux gens pour glaner des premiers retours. Sinon, ce sont mes amis qui testent. Je veux une démo plus fournie avant de faire de vrais playtests. Les mécaniques sont déjà assez sûres, selon les retours des testeurs. Je veux plus de contenu visuel, d’écriture et de combat avant de faire des playtests plus complets.
En général, pour un playtest, on a toujours quelques suppositions et des trucs à tester en particulier. Dans les événements, je cherche des retours globaux et pose des questions spécifiques. Mes deux premières interrogations sont : est-ce que les gens comprennent bien les mécaniques et est-ce que la prise en main est simple. Cela dépendra aussi des tutoriels du jeu. Et je veux tester si la narration est claire, car on peut faire différents trucs dans un ordre différent. Mais globalement, je veux tester si le jeu se joue bien et si les informations sont bien transmises.
PnT : La musique et le sound design, comment tu approches ça ? C’est quelque chose sur lequel tu te formes ?
Sekamelica : Je me forme actuellement au domaine de la musique et du sound design, bien que ce soit quelque chose que j’ai peu pratiqué jusqu’ici. Initialement, j’avais très peu d’expérience dans ces domaines, surtout comparé au pixel art que j’avais déjà un peu exploré. Pour combler ce manque, j’ai dû m’investir énormément pour acquérir des compétences. J’ai commencé par apprendre FL Studio avec l’aide précieuse de deux amis, Ezuode et Scorch. Ensuite, j’ai également appris Ableton, qui m’a davantage parlé pour la composition musicale. Bien que j’aie initialement réalisé tout le sound design de mon jeu sur FL Studio, j’ai finalement opté pour Ableton car il correspond mieux à mes besoins musicaux. Récemment, j’ai même publié mon premier morceau électro sur Soundcloud.
Cependant, composer pour un jeu vidéo est complexe car il faut tenir compte de nombreuses contraintes. Il est crucial d’éviter les discordances avec l’action à l’écran ; sinon, il faut créer une musique interactive. Cela implique de trouver le bon équilibre sonore sur la durée, afin que la musique soit adaptée à la situation sans être trop envahissante ou trop générique. En parallèle, je me suis formée sur un troisième logiciel, Fmod, pour mon jeu. Cela m’a permis de développer plusieurs systèmes audio afin de gérer les effets sonores de manière dynamique, avec des éléments interactifs comme le bruit des pas qui changent selon le terrain. Fmod comprend à la fois un logiciel et un moteur audio intégré dans le jeu, ce qui facilite la gestion des effets sonores complexes et des musiques dynamiques avec de multiples effets.
PnT : Tu fais également partie de l’équipe Game Dolls Advance. Comment ce projet a-t-il commencé, et pourquoi avez-vous choisi le podcast comme médium ?
Sekamelica : En fait, tout a commencé comme une plaisanterie avec Lenophie. Pendant l’un de ses streams sur sa chaîne, elle réagissait à une émission Jour de Play sur Arte, portant sur la représentation du sexe dans les jeux vidéo, un sujet assez ambigu sur la quantité de contenu sexuel dans les jeux vidéo. Je me souviens que ça avait un peu contrarié Lenophie et qu’elle n’était pas d’accord avec certains aspects. C’est de là que l’idée d’une émission réactive est née, pour présenter d’autres perspectives. Au début, c’était juste une blague pendant le stream, mais finalement, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas faire une émission sur les jeux vidéo ? Petit à petit, l’idée a pris forme. Maintenant, nous sommes six membres dans l’équipe.
PnT : Quelles sont les prochaines étapes pour toi et Insurrection ?
Sekamelica : Je travaille sur l’amélioration du rendu graphique du jeu et j’ai refait une passe sur le logo. Je ne vais pas le révéler pour l’instant, mais le jeu a changé de nom. Ce n’est plus un sur-exemple, mais je le révélerai plus tard, peut-être quand j’aurai une page Steam. Pour l’instant, il n’y a que deux personnes qui connaissent le nouveau nom. Donc un nouveau logo est en cours, et je travaille sur pas mal d’aspects visuels pour améliorer la qualité du jeu.