Key art Pepper Grinder

Pepper Grinder : Un peu trop de poivre dans le mixeur.

Pepper Grinder est annoncé pendant l’Indie World Showcase de Nintendo en novembre 2022. Le projet du studio Ahr Ech mené en solo par le développeur Riv Hester nous est présenté comme un action-platformer 2D nerveux et coloré. Inspiré d’autres jeux comme Drill Doser sur Gameboy Advance, Dig Dug sur bornes d’arcade, les Sonic ou encore Donkey Kong Country, Pepper Grinder nous fait la promesse d’un jeu avec un flow extrêmement satisfaisant et des enchaînements de plateforme grisants. Le fait qu’il soit édité par le célèbre label indépendant Devolver a encore ajouté de la lumière sur le projet et un attrait personnel supplémentaire pour le jeu. Après une démo jouable prometteuse, qu’en est-il du jeu final ? 

NDLR : Une clef du jeu nous a été envoyée par l’éditeur. Il a été fait sur PC et je l’ai terminé en 4h30 sans avoir trouvé tous les collectables. Le jeu est traduit en français et il est pour le moment disponible sur PC et Switch. 

Pepper échouée sur la plage au tout début du jeu
Pepper échouée sur la plage au tout début du jeu

Pepper et Grinder : 

Pepper est une jeune pirate à la belle chevelure cyan en quête de trésor et de renommée. Plutôt que de voler comme les autres pirates, Pepper préfère la prospection et la découverte. Après avoir mis la main sur un joli paquet de pierres précieuses, elle fait naufrage sur une île inconnue. La voilà maintenant échouée sur la plage, seule sur le sable, les yeux dans… Eh bien dans le sable aussi ; entourée des débris de son embarcation ainsi que de son précieux butin. Rapidement les créatures peuplant l’île, de petits animaux bleus cornus semblables à des narvals terrestres, rappliquent. Ils sont menés par un mystérieux personnage masqué aux cheveux roses qui leur intime de s’emparer de votre précieux butin. Pepper se lance alors à leur poursuite, mais termine rapidement sa course au fond d’un précipice. Et c’est là, dans ce qui aurait dû être son tombeau, que Pepper trouve ce qui sera son salut, Grinder, une foreuse abandonnée qui n’attendait qu’elle. Très vite, elle décide de reprendre sa poursuite et de se venger de ceux qui l’ont dépossédée et qui ont tenté de la tuer.  

Pepper et son fidèle Grinder
Pepper et son fidèle Grinder

Un jeu aux nombreuses influences :

Comme vous l’avez lu en introduction, Pepper Grinder est un action-platformer en 2D mêlant de nombreuses influences. Il s’inspire autant des ténors du genre que d’autres jeux bien différents. Certaines de ses inspirations donnent lieu à des clins d’œil bien sentis, il n’y a qu’à voir la manière dont Pepper hisse son drapeau pirate en fin de niveau, nous rappelant un certain plombier moustachu. Les différents canons présents dans de nombreux niveaux sont un hommage direct aux iconiques canons de Donkey Kong Country, ils dynamisent l’action à l’écran et permettent de jouer avec le hors champ des niveaux, mais aussi de varier les timings. Tous les fans de plateforme seront ici en terrain connu, les standards sont respectés, les poncifs du genre sont là.

Pepper qui hisse son drapeau à la Mario
Pepper qui hisse son drapeau à la Mario

Riv Hesner parle de Pepper Grinder comme le mélange entre Dig Dug et Ecco The Dolphin. Dig Dug lui aura donné cette envie d’une plateforme libre, multidirectionnelle, où le joueur creuse comme il souhaite et dans la direction qu’il désire afin de parcourir les niveaux. Si la filiation avec Ecco The Dolphin est moins évidente, elle sera à l’origine des sauts de dauphin imprécis que fait Pepper en sortant de la matière avant d’y replonger, mais aussi dans l’idée être obligé d’avancer sans s’arrêter pendant les phases de forage. L’influence du jeu de la Sega Megadrive se ressentira ensuite sur la narration. En effet, Ecco The Dolphin avait la particularité de proposer une narration en deux parties. Si le jeu se présentait d’abord sous la forme d’une aventure d’exploration marine, il sombrait rapidement dans une histoire d’horreur frôlant avec le surnaturel. Il en sera donc, dans une moindre mesure, de même pour Pepper Grinder. Il commence comme un jeu de plateforme ultra satisfaisant et à l’ambiance légère et détendue, pour avancer progressivement vers une atmosphère beaucoup plus sombre et violente dans sa seconde partie.

Docteur Pepper et Mister Grinder :

Dans ses présentations et sa première moitié de jeu, Pepper Grinder est un jeu de plateforme satisfaisant nous proposant que très peu de narration en dehors de la petite cinématique d’introduction que je vous ai résumée deux paragraphes plus haut. Il se concentre à nous offrir un flow agréable, une expérience chill qui n’a pas pour vocation d’aller plus loin. On se plaît à creuser, excaver des gemmes, dans la joie et la bonne humeur. Dans cette partie, gameplay et flow sont l’essentiel de ce que le jeu a à nous proposer. Je dois dire que c’était une petite déception personnelle qu’il n’ait, en apparence, pas plus à me raconter. 

Pepper et ses célèbres sauts de dauphin
Pepper et ses célèbres sauts de dauphin

Mais ça, c’était avant d’arriver dans la seconde partie. Rapidement, l’ambiance et les décors se transforment, on passe de biomes dépeignant la nature à quelque chose qui devient plus urbain, plus sérieux, moins bucolique. Le défi change, lui aussi, d’un jeu de plateforme, il se transforme petit à petit en un jeu de shoot, car les ennemis vont être de plus en plus nombreux et de plus en plus agressifs. Ce changement est aussi matérialisé par les outils à notre disposition. Grinder permet à la fois de creuser, mais aussi d’activer toute une panoplie d’outils présents dans les niveaux. Si, dans la première partie, ils seront uniquement des aides à la plateforme : ascenseurs, canons, grappin ; ils mutent vers des solutions dédiées à l’offensive. Mitraillettes, lance-missiles, et même méchas font maintenant partie intégrante de l’arsenal de Pepper. Les affrontements deviennent omniprésents, les morts nombreuses, les dégâts massifs. Petit à petit, cette simple vindicte personnelle va alors se transformer en un quasi-génocide en règle, Pepper ayant manifestement lu le guide de la parfaite colonialiste.  

Notre si gentille Pepper en apparence, ne se serait-elle pas transformée en monstre sanguinaire, guidée par son profond désir de vengeance ? Celle qui était une victime est en train de se transformer en véritable fléau, ravageant tout sur son passage. Ses motivations sont questionnables, car si au départ, elle souhaitait seulement récupérer son trésor, elle semble maintenant prendre un plaisir particulier dans la destruction. En effet, lors de notre traversée de l’île, Pepper va accumuler un nombre assez colossal de richesses, en apparence bien plus que ce que contenait son coffre qui lui a été dérobé, mais ça ne l’empêchera pas de poursuivre sa vindicte. Pepper est-elle réellement cette petite prospectrice vulnérable ? Serait-ce l’effet néfaste de la toute-puissance de Grinder dans ses bras qui lui fait perdre toute rationalité ? 

Pepper qui vient troubler la fête
Pepper qui vient troubler la fête

D’ailleurs, Grinder, parlons-en. N’est-il pas presque trop beau qu’il attende sagement Pepper à l’instant où elle aurait dû trouver la mort ?

D’où vient-il, que faisait-il ici, à qui appartenait-il à l’origine ? La réponse se trouve peut-être auprès de Mint, cette autre humaine masquée aux cheveux roses aperçue au début et qui a ordonné aux monstres de s’emparer de nos possessions. Ce qui est sûr, c’est que Pepper retrouve instantanément toute sa vigueur après l’avoir découvert, comme s’il agissait directement sur elle. Il suggère une sorte de machine ayant sa propre conscience, possédant toute personne qui l’utilise. Imaginons même que ce soit finalement Grinder qui cherche à se venger, de Mint par exemple, qui l’aurait abandonné ou égaré après son arrivée sur l’île. Nous comprendrions mieux le jusqu’au-boutisme de Pepper qui deviendrait ici ironiquement le bras armé de Grinder. Cocasse non ?

Des p’tits trous, des p’tits trous, mais pas toujours des p’tits trous :

Pepper Grinder prend un angle particulier pour un jeu de plateforme, celui d’une héroïne qui ne sait faire que de tout petits sauts, ridicules même, c’est tout juste si elle décolle les deux pieds du sol. Or, dans Pepper Grinder, nous allons creuser des trous, beaucoup de trous ; tel un nain frénétique en recherche du cœur de la montagne. Nous allons creuser des trous, mais pas n’importe comment, attention Pepper est une professionnelle. Nous allons les creuser avec style, grâce et agilité. Je dois dire que tout le travail réalisé sur le forage et les sensations qu’il procure manette en main est excellent. Par le son et les vibrations, Grinder donne une impression de puissance. Découper la roche à la recherche de gemmes procure déjà de belles sensations mais nager avec tant de facilité dans la matière est tout bonnement grisant. Pepper y est dans son environnement, de lente et lourde sur terre, elle devient rapide et légère en dessous, elle vole même. Certains enchaînements de plateformes vont alors devenir de véritables petits défis de mémorisation tant la vitesse est élevée et la fenêtre d’action réduite. Il peut, en ce sens, rappeler les jeux Sonic qui poussaient à connaître les niveaux sur le bout des doigts. Ces phases de plateforme rapides sont les plus agréables du jeu, elles nous embarquent dans leur flow et on se laisse simplement glisser le sourire aux lèvres. 

Une des phases de plateforme très satisfaisante
Une des phases de plateforme très satisfaisante

Le level design n’est pas en reste dans le plaisir ressenti, certaines successions de plateformes sont très bien pensées. Ils demandent de combiner vitesse et précision dans de véritables ballets aériens. Le petit sel supplémentaire vient du contrôle de Pepper pendant le forage, si nager dans la roche est un bonheur, les sauts de dauphin en sortie ne sont pas vraiment précis, ils nous donnent la réjouissante sensation de toujours passer sur le fil. Tout ceci est permis grâce à l’intelligence dans la construction des niveaux qui sont proportionnellement adaptés à la marge d’erreur présente dans les sauts. La petite ombre au tableau provient des zones de collisions qui, parfois, sont prises en défaut. En effet, les sprites semblent parfois dépasser de quelques pixels par rapport à la zone de collision qu’ils représentent. Ils entraînent quelques glorieux ratages qui peuvent, à force de répétition, devenir frustrants.  

Les niveaux, comme dans tout jeu de plateforme qui se respecte, proposent bon nombre de secrets et cachettes, certains seront balisés par de petites failles perceptibles dans la roche, tandis que d’autres sont simplement hors champ. Ces secrets seront l’occasion de dénicher les cinq pièces d’or ornées d’un crâne par niveau. Elles permettent tout d’abord d’acheter des pages de carnet d’autocollants, représentant un des collectables du jeu, lui-même directement inspiré de l’interactivité des trophées de Smash Bros Melee et Brawl ; mais surtout d’accéder aux niveaux bloqués de chaque biome. En effet, le jeu se découpe en quatre grands biomes essayant chacun d’apporter son gimmick de gameplay via les outils ou les différentes surfaces à forer. Ils contiennent chacun cinq niveaux, dont un verrouillé, et une salle de boss. Vous trouverez aussi une boutique par monde, vendant quelques améliorations, des cosmétiques pour Pepper et des autocollants. 

Puisque j’ai mentionné les boss, parlons-en brièvement. A part le tout dernier qui est vraiment réussi et propose une sorte de synthèse du jeu en plus d’apporter des éléments narratifs intéressants dans le design de son arène, les trois autres sont, à mon sens, assez classiques et similaires dans leur approche. Ils n’imposent pas de réelle difficulté ni de manière radicale de les aborder. La bonne idée est d’avoir basé ces affrontements sur le forage et non sur les différents outils de la foreuse, ce qui les rend dynamiques, et pour certains, assez corsés. 

Combat avec Big Bug, le premier boss du jeu
Combat avec Big Bug, le premier boss du jeu


Malheureusement, les instants de plateforme tout en fluidité et en légèreté vont être interrompus par d’autres phases qui n’atteignent pas vraiment le plaisir ressenti en forant. Si les outils et accessoires apportent de la variété dans le gameplay, ils cassent trop souvent le rythme du jeu. Pepper Grinder est avant tout un flow et un mouvement qui sont totalement rompus par les outils et certains éléments interactifs. Les ascenseurs qui fonctionnent avec la foreuse sont un temps mort qui n’apportent pas de véritables intérêts ludiques. Des passages en motoneige, requérant elle aussi l’activation de la foreuse pour avancer, ne sont finalement que des tout droit sans plus d’enjeu ou de nuance. Les choses ne vont pas en s’arrangeant dans la seconde partie du jeu. Avec le changement de ton et les changements d’outils disponibles, les phases de plateformes intéressantes vont se raréfier au profit de combats qui deviennent vite répétitifs et cassent toute la dynamique. Que ce soit la mitraillette ou le lance-missiles, ils semblent trop puissants, à part pour un court passage dans un des niveaux du quatrième monde, ces phases ne m’ont pas vraiment proposé de défi. Les seuls autres moments qui m’ont convaincu sont les courtes sessions à bord du mécha. En plus de proposer une impression de puissance assez jouissive, passer au travers d’un immeuble n’a jamais été aussi simple, les ennemis et les débris volent dans tous les sens ; il donne aux scènes ce sentiment de fin du monde un peu surréaliste que l’on peut retrouver dans les films de Kaijū par exemple. Une sorte d’apothéose de la soif vengeresse de Pepper.

S’il y a des fans de scoring et de performances en tout genre ou même de speedrun parmi vous, le jeu à la bonne idée de proposer un mode chronométré dès le départ.

Direction Artistique et Bande originale :

Pepper Grinder fait le choix, comme grand nombre de jeux indépendants, du pixel art. Je dois dire que sur l’aspect visuel, c’est très réussi, que ce soit sur PC ou Switch Oled, les couleurs vibrantes sont un plaisir pour les yeux. Certains effets de lumière sont aussi des plus réussis. Les décors fourmillent de détails, de petits éléments destructibles qui rendent chaque image vivante. Les effets de destruction liés au forage sont aussi très réussis, avec bon nombre de particules qui volent dans tous les sens. Les animations sont aussi très fluides, elles renforcent cette légèreté ressentie manette en main.  

Un exemple des très beaux décors et des effets de lumière.
Un exemple des très beaux décors et des effets de lumière.

En ce qui concerne le design de Pepper, Riv Hesner dit s’inspirer de l’artiste Japonais Yoshitomo Nara. Là aussi, nous pouvons observer une parfaite cohérence entre le personnage de Pepper et l’œuvre de l’artiste. Yoshitomo Nara fait partie de la mouvance Pop Art japonaise des années 90. Son travail, qui se concentre sur l’isolement et la rébellion, prend la forme de portraits aussi doux qu’inquiétants. Un joli parallèle avec l’impression finale que laisse Pepper, si mignonne et pourtant capable du pire. 

Pour la bande originale, Riv Hesner a fait le choix de la confier à Xeecee, artiste multimédia autant illustrateur, scénariste que compositeur. La bande originale alterne les morceaux presque épileptiques, à l’image de la musique du menu, et d’autres musiques plus planantes, faites au synthé, qui accompagnent les phases de glisse plus satisfaisantes.  

Les OST les plus rythmées empruntent des sonorités au rock, voire au ska dans l’utilisation des cuivres, et viendront accompagner les instants les plus intenses de plateforme où les combats de boss en amplifiant cette impression d’urgence que le gameplay nous fait ressentir.

Exemple Bug Boss Xeecee

Bug Boss – Xeecee

D’autres morceaux plus électroniques, plus flottants, viennent à merveille accompagner ces phases de forages du titre.  

Exemple Dulcimer Drama Xeecee

Dulcimer Drama – Xeecee

Conclusion :

En définitive, Pepper Grinder est un bon jeu de plateforme avec un gameplay qui, par instant, compte comme ce qu’il y a de plus exaltant pour le genre. Une expérience assez classique qui a su digérer ses influences pour les adapter à son gimmick de forage. Un jeu de flow qui casse trop souvent son rythme avec divers outils qui ne sont pas vraiment au niveau ou pas toujours cohérents avec la philosophie du jeu. En fait-il peut-être trop ? Aussi, il ne craint pas d’essayer des choses sur le plan narratif, c’est à saluer, même s’il ne sera jamais aussi marquant ou touchant qu’un Celeste par exemple. Chaque moment est sublimé par le superbe travail artistique effectué sur le jeu. Si vous êtes fan de plateforme, de jeux de flow, de scoring ou même de speedrun grâce au mode chronométré, je ne peux que vous conseiller de vous lancer dans l’aventure de Pepper et Grinder.

Pepper, Grinder et un des habitant géant de l'île échangent un regard.
Pepper, Grinder et un des habitant géant de l’île échangent un regard.

Interviews développeur :

Kryzts Bates – Gamingdeputy.com
Lien interview

Gemma Johnson – Gamerant/msn.com
lien interview

Sources :

Fiche Yoshitomo Nara – Artnet 
https://www.artnet.fr/artistes/yoshitomo-nara

Faites part de vos réflexions