GFX47, créateur de No Plan B
No Plan B fait parti des très bonnes surprises de ce début d’année d’un point de vue personnel. Un jeu de stratégie précis, exigeant mais gratifiant une fois qu’on le maitrise un tant soit peu. Avec GFX47, le créateur du jeu, nous revenons ainsi sur son premier jeu Gladiabots ainsi que sur la phase d’early access de No Plan B.
Point’n Think : Pour commencer, peux-tu nous parler de ta transition vers le développement de jeux vidéo professionnel avec Gladiabots et comment tu as évolué jusqu’à No Plan B ?
GFX47 : Alors, comment je suis tombé dans le développement de jeux vidéo professionnels… En fait, j’ai toujours voulu faire ça, mais je n’ai pas eu les opportunités tout de suite. Après mes études en 2002, j’ai travaillé dans des sociétés de services en informatique pendant quelques années. Puis, par un coup de chance, j’ai intégré Ubisoft car ils cherchaient des développeurs web, ce que je faisais déjà. C’était un alignement des planètes parfait, puisque j’avais juste remis mon CV sur le marché à ce moment-là. J’ai commencé en 2006 chez Ubisoft, travaillant d’abord sur un jeu web basé sur la licence Might & Magic. J’ai ensuite participé à d’autres projets qui n’ont malheureusement jamais vu le jour. Je n’ai jamais fait partie de grosses équipes travaillant sur des jeux AAA, ce qui me convenait car j’étais attiré par les petites équipes où l’on a plus de contrôle et d’impact sur le projet.
PnT : Qu’est-ce qui t’a poussé vers le développement indépendant ?
GFX47 : J’étais de plus en plus attiré par l’indépendance, surtout avec la montée des premiers jeux indés. J’ai rejoint Amplitude Studios, travaillant sur Dungeon of the Endless avec une équipe très réduite, ce que j’ai adoré. On était seulement quatre personnes au cœur du projet au début. Cela permettait une itération rapide et une dynamique de travail très stimulante. Mais j’avais toujours des projets personnels en parallèle, comme Gladiabots, que je développais depuis un moment et qui commençait à attirer l’attention.
PnT : Comment as-tu décidé de te lancer en solo avec Gladiabots ?
GFX47 : Gladiabots était déjà en prototype sur Itch et Android et recevait des retours positifs. J’ai participé à des événements, gagné des concours, ce qui m’a convaincu qu’il avait du potentiel. En 2019, j’ai sorti la version définitive après environ cinq ans de développement. Cela a suffisamment bien marché pour que je puisse envisager de continuer sur un nouveau projet. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler sur No Plan B.
PnT : Pourquoi as-tu choisi de lancer No Plan B en Early Access ?
GFX47 : L’Early Access permet d’obtenir des retours précieux des joueurs. En tant que développeur solo, on peut facilement se retrouver trop concentré sur sa propre vision sans réaliser que certaines choses ne fonctionnent pas bien pour les joueurs. J’ai donc lancé No Plan B en Early Access en décembre 2021, pour voir comment les joueurs réagissaient et ajuster le jeu en conséquence. Cela m’a permis de peaufiner le jeu avant de sortir la version définitive, il y a un peu plus d’un mois.
PnT : Parlons maintenant de No Plan B. Comment t’est venue l’idée de ce jeu, qui se concentre sur la préparation des missions ?
GFX47 : Les grandes influences pour No Plan B viennent de Door Kickers. Je suis un grand fan de ce jeu. Avec No Plan B, je voulais répondre à une frustration personnelle : la difficulté de synchroniser les personnages dans Door Kickers lorsque l’on planifie toute la mission d’un coup. Je voulais garder ce concept, mais avec un vrai système de synchronisation pour améliorer l’expérience de jeu.
PnT: Comment as-tu mis en place le mécanisme avec toute la chronologie d’avant-mission, sur les choix qu’on peut faire, les déplacements qu’on peut mettre ?
GFX47 : Dès le départ, la contrainte technique était de rendre tout le jeu non seulement “posable”, comme dans Door Kickers, mais aussi “rembobinable”. C’est-à-dire que tu peux revenir dans le temps, revoir ce qui s’est passé, ralentir, changer la vitesse, etc. Revenir à un moment où tu veux que ce soit synchro, mettre le truc en pause et redessiner ton plan, ou re-synchroniser tes persos, etc. En fait, plus j’avançais sur le concept, plus ça ressemblait à l’édition de vidéo. Tu vois les timelines de tes différentes pistes, de ton son, de ta vidéo, et tu les fais glisser l’une par rapport à l’autre pour les synchroniser. Là, c’est un peu ça qui a introduit le système de timeline, même si c’est quelque chose que j’avais en tête dès le départ, parce que c’était aussi dans Gladiabots. Au début, je pensais vraiment avoir un système qui était très focus sur la timeline. Mais au fur et à mesure de mes tests et de mes itérations, je me suis rendu compte que c’était plus pratique d’utiliser l’espace de jeu comme moyen de synchronisation. C’est-à-dire qu’au lieu de cliquer sur un timestamp précis, c’était plus facile de cliquer là où devait être le perso sur un chemin, par exemple, pour me placer au moment où il arrive à cet endroit-là. En fait, c’est ce qui a fait la liaison entre le temps et l’espace dans le jeu. Et c’est à partir de là que je me suis dit qu’il fallait absolument que quand on clique sur le chemin emprunté par d’un personnage, ça place la timeline au moment où il atteint cette position, pour permettre au joueur de facilement synchroniser mses personnages.
PnT : On sent vraiment le nœud du gameplay qui s’est joué là.
GFX47 : Je me suis rendu compte aussi que techniquement, c’était un gros challenge, parce que je pense que ce système-là a mis 3-6 mois à être vraiment opérationnel. Pendant un moment, je me demandais pourquoi personne ne l’avait fait avant. Et en le faisant, je me suis dit… Ah, ok, c’est pour ça (rire). C’est très compliqué à gérer.
PnT : D’ailleurs comment t’y es-tu pris pour créer le tutoriel du jeu ?
GFX47 : C’est une étape que j’ai faite assez tôt. J’ai appris, dans la douleur avec Gladiabots, que c’était quelque chose de très difficile à intégrer si ce n’était pas pensé dès le départ. Je crois que les tutos sont arrivés pour la beta, pour l’Early Access. Je savais aussi que ça introduisait des concepts qui étaient assez novateurs, originaux, auxquels peu de joueurs avaient déjà été exposé. Donc c’était important d’introduire au moins les concepts de base qui étaient la synchronisation, le fait que la timeline bouge en même temps que les persos, etc. Après, il y a toujours eu de l’itératif. C’est-à-dire que quasiment à chaque version, je refaisais une partie des tutos. J’essayais d’avoir un petit peu de données aussi sur les missions, pour savoir sur lesquelles les joueurs bloquaient.
Si je faisais un jeu simple, ça serait facile. Ça ferait appuyer sur A pour tirer, les flèches pour bouger, etc. Mais je ne peux pas m’empêcher de faire des trucs compliqués. Du coup, je suis obligé d’expliquer aussi clairement que possible tous ces différents. Je suis même en train de travailler sur des tutos avancés où ça ne te parle plus uniquement des mécaniques simples du jeu. Mais ça introduit les concepts de toutes les théories du CQB (ndlr : Close Quarters Battle). Le CQB, c’est l’art des assauts en bâtiment, en intérieur. C’est quelque chose sur lequel je me suis beaucoup documenté pour ce jeu, même si je m’y intéressais déjà pas mal avant. Je voudrais bien faire quelques tutos qui répondent à beaucoup de questions que je vois apparaître sur le Discord ou sur les forums de Steam, qui sont comment je peux être sûr d’ouvrir une porte sans me faire tirer dessus s’il y a un mec en face, etc. Ce sont des choses qui, pour les joueurs, ne sont pas forcément évidentes, parce que ce ne sont pas des choses qu’on voit beaucoup dans les autres jeux.
PnT : Tu as mentionné les différentes factions dans le jeu. Comment as-tu fait tes recherches, notamment au niveau des armes et des forces d’intervention, ainsi que leur manière de faire ? As-tu regardé des documentaires, des films, ou lu des livres pour t’inspirer ?
GFX47 : La faction principale du jeu, c’est clairement le SWAT, des soldats tactiques super entraînés. Pour cela, je me suis beaucoup appuyé sur des forums, sous-forums Reddit et des chaînes spécialisées. J’ai aussi consulté pas mal de guides sur Steam, souvent créés par des joueurs passionnés qui faisaient le lien entre le gaming et le monde réel. Ces créateurs de contenu expliquent souvent ces concepts sur des tableaux ou avec des schémas.
Pour les factions des bad guys, je me suis plutôt tourné vers des références cinématographiques comme Heat et tous les films de braquage. J’ai essayé de faire une liste de trucs à la fois réalistes et cools à regarder, même si c’est compliqué d’avoir les deux, le cinéma restant du cinéma. C’est ce qui m’a poussé à faire des replays de manière dynamique et cinématographique, permettant de contrôler la caméra pendant l’exécution pour créer de petits films sympas à partager sur les réseaux sociaux. Ça marche bien sur Twitter et YouTube, même si c’est compliqué d’exporter en GIF à cause de la longueur des séquences.
J’ai aussi créé une playlist sur YouTube regroupant toutes les vidéos de joueurs, certains font des montages incroyables, ajoutant des effets, créant des histoires autour des vidéos et se donnent vraiment à fond. C’est exactement ce que j’espérais voir. Voir des joueurs de différents pays, notamment du Japon et de Chine, créer des vidéos didactiques décortiquant le jeu et ses mécaniques est vraiment intéressant.
PnT : Parle-nous de la localisation du jeu. C’est souvent un challenge pour une petite équipe ou un développeur solo.
GFX47 : Oui, c’est forcément un challenge, surtout pour des langues comme le chinois pour lesquelles j’ai dû faire appel à des pros pour les traductions initiales, mais ça n’a pas toujours donné les résultats escomptés. Ils ne saisissaient pas toujours les subtilités des mécaniques du jeu et ont parfois introduit des contresens. J’ai eu beaucoup de retours des joueurs pour améliorer ces traductions. C’était super intéressant.
J’ai eu aussi le cas d’un traducteur pro qui a utilisé une référence à un événement macabre assez méconnu en Europe entre la Chine et le Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale. Heureusement, un joueur m’a alerté à temps pour éviter que le jeu ne sorte avec cette référence. Le jeu supporte aujourd’hui une vingtaine de langues, grâce à la communauté.
Au départ, j’utilisais mon propre système de traduction, mais il manquait de fonctionnalités. J’ai découvert un système appelé Localizor, développé par une boîte de développeurs. Il supporte une trentaine de langues et est facile à utiliser, que ce soit pour importer des choses ou pour les joueurs de modifier des traductions et voter pour des suggestions.
PnT : En parlant de la communauté, comment échanges-tu avec elle pour recueillir des commentaires et des suggestions ?
GFX47 : Principalement via Discord, c’est là où je suis le plus présent et où il y a le plus d’interactions. Les forums Steam sont aussi actifs, surtout dès que le jeu est sorti. J’encourage souvent les joueurs à venir sur Discord pour échanger plus facilement et obtenir l’avis d’autres joueurs.
PnT : Pour gérer tous ces aspects en étant seul et même pour travailler avec une personne qui faisait la musique, comment t’es-tu organisé ? Est-ce que tu avais des outils en particulier pour faire ça ?
GFX47 : Ça dépend de la phase du projet. Au départ, quand c’est encore au stade d’idée, j’utilise plutôt des choses comme Trello, histoire de lister facilement, quel que soit le moment de la journée ou l’endroit où je suis. J’ai l’appli Trello sur le portable et je peux le faire aussi sur le bureau. C’est partagé, mais assez rapidement, je vais délaisser cet outil parce que c’est juste une façon de construire la vision du jeu. Après, je n’arrive pas à me contraindre à utiliser seulement ça. Je vais souvent partir d’une idée présente dans Trello, mais ça va me faire dériver sur d’autres choses. Si je reste sur Trello, ça m’oblige à tout mettre dans l’ordre, à faire du scrum selon des méthodes qui ne me conviennent pas. J’ai essayé de m’y contraindre au début, mais le côté créatif fait que c’est trop contraignant. Du coup, j’ai un tableau dans mon bureau, qui est en bordel d’ailleurs, avec cinq listes correspondant soit à la post-release, soit à des trucs à venir, soit à des trucs personnels, et au milieu, des dessins, des schémas du prochain jeu. Je travaille beaucoup de manière visuelle avec des priorités qui changent facilement. J’ai une idée principale, par exemple la customisation des persos, mais si une idée de gameplay super intéressante me vient, elle peut prendre le dessus. Donc, je préfère un système proche du post-it, des choses volantes qui peuvent changer de priorité.
Pour No Plan B, j’ai utilisé un outil avec la communauté appelé FeedBear. C’est un système de suggestion où les joueurs peuvent poster des idées sans créer de compte, et les autres peuvent voter dessus. Ça me permet d’avoir une idée claire et visuelle de ce que la communauté veut, même si certaines suggestions très votées ne peuvent pas toujours être intégrées dans le jeu.
PnT : Enfin, la question qui peut fâcher : as-tu envisagé de chercher un éditeur pour No Plan B ? Est-ce que c’était dans tes plans à un moment ou voulais-tu rester indépendant pour préserver ta vision et éviter de perdre du temps et de l’énergie avec un éditeur ?
GFX47 : Non, c’est quelque chose qui me fait un peu peur et dont je n’ai pas vraiment envie ou besoin pour l’instant, car j’arrive à m’auto-financer avec mes projets. Ça pourrait changer si un futur projet échoue complètement, mais tant que je peux rester indépendant, je préfère le faire. J’ai entendu beaucoup d’histoires de développeurs avec des éditeurs, même ceux ayant une bonne réputation, où les choses peuvent mal tourner. Les équipes peuvent changer, le marketing peut ne pas être à la hauteur, et il y a souvent des contraintes et des négociations touchy. Les éditeurs sont en position de pouvoir et c’est rarement toi qui maîtrises la situation, ce qui ne m’attire pas du tout.