Game’n Breakfast : Séverin – Minishoot’ Adventures
C’est la rentrée pour Game’n Breakfast ! Après cette “pause” estivale qui m’a permis de vous proposer le dossier : Handicap, Neuroatypie, Phobie, … : Le jeu vidéo au-delà du divertissement, me voici de retour, non pas pour vous jouer un mauvais tour, mais pour reprendre le rythme mensuel des GnB. On s’était quittés en juin avec le numéro consacré à Ostrealava02, le romhacker. Aujourd’hui, je pars à la rencontre de Argl, Séverin de son prénom qui est un des deux membres de soulgame à qui l’on doit Minishoot’ Adventures, un jeu à cheval entre le shoot them up et l’aventure. Autour de ce jeu, nous avons abordé sa vision du game design ainsi que les erreurs qu’il pense avoir commises et bien d’autres choses que je vous laisse découvrir. Pour un peu de contexte, notre échange remonte au mois d’avril quelques semaines après la sortie. Je prends un peu d’avance sur mes interviews pour être certain de tenir le rythme (et pouvoir teaser un peu). Trêve de galéjade ! En route pour une nouvelle pause café avec un professionnel du monde du JV.
Une enfance atypique
Argl, comme un certain nombre d’indépendants, est autodidacte. Son originalité, si je peux la nommer ainsi, est que la majeure partie de sa scolarité s’est faite à la maison. Il a grandi sans mettre un pied à l’école, il n’a jamais eu à aller en cours, du moins avant la troisième. Pendant cette période, une heure d’école par semaine durant laquelle sa mère lui faisait passer les contrôles, validation des acquis obligatoire pour l’éducation nationale. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeux vidéo étaient interdits à la maison, donc il passait son temps à fabriquer des trucs en cartons.
À 12 ans, Séverin met la main sur Macromedia Flash, qui deviendra Adobe Flash, aujourd’hui disparu. Pour ceux qui ne le savent pas, Flash était une technologie très présente sur Internet avec laquelle on pouvait, entre autres, faire des jeux sur navigateur. Il commence donc à créer des animation de combat Pokémon puis très vite des jeux, tout pourris comme il le décrit lui-même. Ses créations se sont vite démultipliées. En plus de ça, il travaille la musique, le piano, la guitare, surtout la batterie car il voulait être musicien. Pour lui, ce sont ces deux domaines qui ont été les véritables apprentissages de son enfance. Le premier jeu flash, donc gratuit (c’était une autre époque) qu’il sort, rencontre un succès instantané cent mille vues en peu de temps, puis deux cent mille jusqu’à atteindre le million, des chiffres titanesques une fois replacés dans leur époque. La chance du débutant direz-vous, il n’en est rien, car si c’est le premier jeu qu’il sort, il en avait déjà produit plus de deux cents qui ne sont jamais arrivés jusqu’aux joueurs.
A cette histoire, il faut ajouter son cousin, Adrien alias Kuho, chez qui il allait régulièrement et avec qui il jouait au jeu vidéo. Pendant les vacances, le duo élaborait toujours des concepts de jeu, une semaine sur Final Fantasy 7, la suivante à plancher sur une idée. Des années à travailler sur des RPG et d’autres jeux jouables, mais jamais aboutis. Côté scolarité, il fait ses trois ans de lycée, qui sont difficiles, être assis en classe toute la journée alors qu’il avait une heure de classe par semaine auparavant, le contraste est trop fort. Ce qui pour lui avait des airs de bagne apportait quand même l’avantage de pouvoir rencontrer d’autres personnes. Il enchaîne avec un DUT informatique, pour décrocher un diplôme, qu’il abandonne au bout de six mois parce que c’est clairement de la création de jeu qu’il veut faire, ce qu’il n’a jamais arrêté de faire.
On fait un bond en avant, Séverin, vingt-deux ans, donne des cours de piano, mais cette activité l’ennuie. Le jeu vidéo est toujours présent dans son quotidien, alors il décide de mettre sur pied un projet et de le finir. En trois jours, il crée un jeu de voiture qui lui donne envie de recommencer l’expérience en la poussant plus loin. Au bout de neuf mois, il sort son Driver, cent mille joueurs directement. Son titre suscite l’intérêt sur le site Armor Game, référence en matière de jeu flash, qui lui propose un sponsoring de trois mille dollars. Ça ne paye pas les neuf mois de travail, mais c’est le premier revenu lié à un jeu. C’est à partir de ce moment qu’il se dit qu’il peut vivre de ses créations Flash. Il se met au chômage et, pendant cinq ans, il se consacre au développement.
De Flash à Unity
À partir de ce moment, il tient le rythme d’un jeu par an. Chronologiquement Rogue Soul, Gentleman, Rogue Soul 2 puis Swords Soul, qui rencontrent un succès croissant. Pour les curieux, je vous invite à vous rendre sur le site du studio pour découvrir ces pépites : soulgamestudio.com. Cette success story a eu un petit accident, Gentleman est un peu une erreur de parcours, le succès n’a pas été au rendez-vous. Même si c’est lui qui initie et qui porte les projets, les habitudes de l’enfance sont toujours là, il finit inévitablement par aller voir Adrien, qui se charge de la direction artistique dont la patte reconnaissable est présente dans chacun des jeux. Ce coup de crayon qu’il exerce depuis tout petit, lui permet de transposer les idées de Séverin au-delà des attentes. Ces années à jouer ensemble ont été la base d’une relation solide et d’une compréhension mutuelle proche de la perfection.
Après ces cinq jeux flash, le duo passe un cap avec Swords and Souls qui cartonne vraiment au point qu’il se retrouve en tête de classement sur de nombreux sites, il est d’ailleurs toujours sur kongregate.com, le portail sur lequel Séverin jouait pendant ses études et où il rêvait de voir un de ses projets. Ce sera donc chose faite en 2015, actuellement il dépasse les treize millions de joueurs rien que sur Kongregate, il estime atteindre soixante millions au global. À cette époque, c’était la fête aux microtransactions dans les jeux, ce qu’ils ont toujours refusé de faire, il a donc perçu seulement neuf mille dollars de sponsoring. La technologie Flash étant en train de mourir, Armor Game leur propose de développer une suite pour Steam. Changement majeur dans la manière de procéder car cette fois-ci, il faut passer par un moteur qui sera Unity. Autre changement radical, Séverin, habitué à travailler quelques mois sur un projet, passe quatre ans sur ce second épisode, aidé par Adrien à temps complet sur la fin de la production. Le développement a été hyper chaud, selon ses mots, mais ils sont très satisfaits du résultat. La transition n’a pas été magique, les millions de joueurs (du jeu gratuit) ne se sont pas rué sur l’achat de la suite, mais ils finissent par atteindre les deux cent mille unités vendues, de quoi être fier du travail accompli.
Suite à la grosse charge mentale qu’a représenté ce changement de cap et les années de développement ainsi que les quelques semaines avant lancement (proche du crunch), les cousins se disent qu’ils vont revenir aux petits jeux. Ils se lancent donc sur un petit shooter metroid-like faisable en trois semaines. Nous connaîtrons ce jeu, quatre ans plus tard, sous le nom de Minishoot’ Adventures. Severin concède que se restreindre à un petit scope n’est pas facile et que le fait que ce projet ait pris autant d’envergure est une preuve d’immaturité sur le design. L’avancée sur le jeu s’est un peu faite à l’aveugle sans vraiment définir ce qu’ils voulaient avant de se lancer. Il est très difficile d’être convaincant avec peu de matière, le minimalisme ne laisse que peu de place à l’erreur.
Minishoot’ Adventures
Le petit jeu a rapidement pris de l’ampleur à force d’ajouter différents éléments pour légitimer la proposition. Minishoot’ Adventures, c’est une petite histoire, un monde à explorer, quatre-vingt-dix ennemis, quatre boss, des modules, des PNJ, des upgrades, plein de secrets et du polish dans tous les sens. C’est tout ce dont Séverin et Adrien ont eu besoin pour que le jeu, de leur point de vue, tienne la route.
Revenons à la genèse du projet, Séverin adore les shooters minimalistes, d’abord en Flash, il en est à sauter sur le moindre représentant du genre sur Steam, toujours décevant. L’exécution, la boucle de gameplay, ne sont jamais à son goût, pour preuve le seul qu’il dit vraiment aimer est Aster. Dans celui-ci, il retrouve ce qu’il aime, le côté “piou-piou, Boom !”. C’est cette sensation qu’il a voulu reproduire en y ajoutant de l’exploration et un soupçon de Metroid avec des arènes et pour finir quelques boss. Pour le gameplay, on retrouve une forte inspiration de Zolg, un petit shooter arcade qui se résume à tirer et esquiver en se baladant. Le principe nous ramène assez facilement à nos jeux d’enfance (dans la vie réelle !) où l’on marchait en simulant une arme, cow-boy ou autre, sur des ennemis imaginaires. Ce qu’ils cherchaient, avant un jeu minimaliste, c’est avant tout un gameplay primitif et efficace, très peu de choses à gérer. Ce que j’ai beaucoup apprécié en faisant le jeu, c’est l’esthétique qui se dégage de certains patterns de tir ennemi, principalement des boss. La géométrie des tirs qui se croisent, jusqu’à remplir l’écran, poussant le joueur à tenter des esquives impossibles est un régal pour les yeux. À ce propos, Séverin se souvient d’un jeu qui l’a marqué, Bullet Heaven 2, qui en plus de s’éloigner des bullet hell à scoring offre un univers et une progression continue. Tout ça pour dire que pour Minishoot’ Adventures, il s’est énormément concentré sur la sensation de tir en épurant au maximum le reste.
Pour raconter un peu mon expérience avec le jeu, je n’aurai pas besoin de trop m’étendre tellement il est facile de comprendre l’intérêt de celui-ci sans trop en dire. En prévision de notre échange, je me suis donc lancé dans une petite partie, le but n’étant pas de juger mais juste de savoir de quoi je parle. Je démarre donc aux commandes de mon vaisseau, le personnage principal, et je pars explorer ce nouveau monde grouillant de divers ennemis. Très vite, je comprends que notre point de départ est, en fait, un village dont les habitants sont piégés dans un monde corrompu. J’enchaîne les combats, les puzzles, les secrets et très rapidement, je comprends que je ne poserai la manette qu’une fois le mystère complètement élucidé. Là est la force de ce Minishoot’ Adventures, le premier aperçu simpliste cache un jeu qui fourmille de choses à découvrir et de défis à relever, et c’est à ce moment-là que l’on entrevoit l’inspiration qui n’est pas évidente au premier coup d’œil, je jouais à un jeu qui est un hommage au vieux Legend of Zelda.
Le marketing et l’accessibilité
Je ne suis pas le seul à avoir ressenti les choses de cette manière, Séverin a eu plusieurs retours dans ce sens. C’est peut-être une erreur de ne pas avoir mis cela en avant, d’avoir proposé un nom trop simple. Le marketing ne reflète pas assez la richesse de Minishoot’ Adventures. Selon lui, ce qui manque pour en faire un véritable jeu d’aventure, ce sont des moments un peu plus travaillés, quelques cutscenes qui mettent en avant l’univers dans lequel on évolue comme l’on peut en trouver dans Tunic pour les connaisseurs. En parlant de communication, le jeu est passé par des opérations rémunérées chez certains steamers. Cette méthode n’a pas été évidente pour Séverin, il n’est pas un grand fan du monde des influenceurs. Il y a deux choses qui ont fini par le faire pencher du côté stream. Le premier est qu’il sait que son jeu est honnête, les viewers voient vraiment en quoi consiste le jeu, ce n’est pas un gatcha rempli de microtransactions. La seconde se nomme fatigue, après avoir donné autant, il ne pouvait pas accepter d’avoir travaillé pour rien. Son jeu devait avoir la possibilité de trouver son public et, aujourd’hui, Twitch est le meilleur moyen de faire connaître son jeu. Vampire Survivor n’aurait sans doute jamais vendu autant de copies s’il n’était pas passé entre les mains de nombreux streamers à travers le monde.
Très rapidement, les développeurs se sont posé la question de l’accessibilité parce qu’ils souhaitaient que le jeu soit jouable par des enfants. C’est de cette envie qu’est apparue la mécanique de ciblage automatique et puis, une chose en entraînant une autre, c’est tout un panel de paramètres qui a fait son apparition : difficulté, vitesse du jeu, invincibilité, rendant le jeu fun pour un grand nombre de joueurs. Au début, l’activation des options désactive les trophées et finalement, pour Séverin, tout ça ne regarde que les joueurs. Pourquoi quelqu’un qui aurait besoin de réduire la difficulté pour s’amuser ne pourrait pas profiter des succès ?
Game design
Séverin joue, il joue beaucoup, il possède une bibliothèque vidéoludique conséquente qu’il enrichit presque tous les jours. Une chose l’agace dans les trophées : passer des heures à chercher le collectable qui manque pour débloquer le succès, c’est pourquoi il a ajouté une mécanique qui permet de savoir, approximativement, où sont les éléments que nous n’avons pas trouvés. Même le level design est pensé autour de ses secrets, passer dans un couloir et apercevoir de l’autre côté du mur un objet, tant convoité, juste pour te donner l’information que l’accès doit être dans le coin et non à l’autre bout de la map. Il existe même un petit symbole qui vient montrer que nous avons complété à 100 % une zone. Ne pas frustrer le joueur est une chose importante pour Séverin. On y retrouve peut-être le vécu des premiers Zelda sur Nes, où l’on partait à l’aventure sans aucun guide, sans aucune instruction. Pour ceux qui n’y ont pas joué, il était possible de tourner un bon moment dans le jeu sans trouver l’épée détenue par un vieux au fond d’une grotte. Pour ceux qui y ont joué, je vous laisse trouver l’écran de Minishoot’ Adventures qui fait référence à l’un de ces jeux. On retrouve bien plus de Zelda dans ce jeu, l’exploration, les donjons, même la conception de la carte dans laquelle on se déplace écran par écran, à l’ancienne certains diront. Le ressenti du gameplay fait lui aussi penser à ses jeux cultes, enfin si Link avait emprunté le vaisseau d’un certain Starfox.
Sur la gestion des secrets, Séverin a réfléchi à l’évolution du médium qu’est le jeu vidéo. Il est loin le temps où l’on achetait une cartouche tous les six mois et qui devait durer aussi longtemps, fini les vacances scolaires qui permettaient d’explorer chaque pixel. L’âge avançant, hormis les adeptes des souls-like, l’envie de try hard disparaît, tout comme le temps disponible pour jouer. Pour preuve, certains retours ont fait état d’un level-design pas assez clair, des personnes se sont perdues, c’est pourquoi il travaillait sur un détecteur de carte (l’item à ramasser) sous la forme de vibrations qui s’intensifie avec la proximité. L’exploration sans repère a forcé des joueurs à arrêter le jeu. C’est aussi dû au fait que SoulGames est un tout petit studio qui n’a pas la possibilité de faire d’énormes playtests, même s’ils ont fait essayer le jeu à une centaine de personnes, ça ne met pas en lumière toutes les difficultés qui peuvent être rencontrées. Il faut ajouter à celà, le besoin de trouver un juste-milieu entre les joueurs occasionnels et les hardcore gamers, aucun jeu ne peut contenter tout le monde et l’offre est assez large pour que chacun trouve son bonheur. C’est au développeur de choisir à qui il destine son travail et aux joueurs de le respecter (c’est ce qu’on appelle le scope). C’est un pari réussi pour Minishoot’ Adventures aucun retour sur la difficulté, d’un côté comme de l’autre, que ce soient des fans de bullet hell ou d’aventure.
Petite anecdote, les playtests ont duré jusqu’au lancement du jeu. La veille du grand jour, il reçoit des messages selon lesquels le trophée pour avoir fini le jeu en mode hard ne se débloque pas. Ni une, ni deux, une erreur potentielle est trouvée et corrigée et puis une seconde aussi. La version est clean, le jeu est lancé ! Le bug existe toujours, un troisième puis un quatrième fix. Et au final, six erreurs différentes pouvaient, sans compter que le bug persiste si on importe une sauvegarde depuis la démo. Séverin a donc fini par ajouter, une fois le jeu fini en normal, un bouton pour déverrouiller ce fameux trophée du mode hard, comme il l’a dit plus haut, ça ne regarde que le joueur. Ce bouton, associé à un petit message aux joueurs mécontents, lui a permis de transformer certaines évaluations négatives en positives. Minishoot’ Adventures, par ce moyen, a atteint le seuil fatidique de l’évaluation extrêmement positive, au-delà de 95 %, un score auquel Séverin ne croit toujours pas.
Le développement
Pour parler de la période de développement, le prototypage a été très rapide. La direction artistique a consisté à trouver un juste-milieu entre minimalisme et attrait. Ce qui a été plus compliqué, c’est le level design, il y a eu plein d’essais de donjon et d’overworld, on peut même parler d’une tentative de recréer la map de Zelda, premier du nom, juste pour voir ce que ça faisait de se balader dedans. Tout allait bien, la gestion du vaisseau était sympa, l’idée marchait bien, mais (vous l’attendiez hein) comment allait-on se balader dedans ? Quel allait être l’espace de jeu ? Des écrans ? Des montagnes et des lacs ? Impossible de se décider. C’est à ce moment qu’ils ont fait des erreurs de débutant qui ont conduit à des choix qui allaient déterminer les années à venir. Ce sont des choses récurrentes dans le jeu vidéo, l’histoire classique du petit projet de quelques mois qui se transforme en plusieurs années parce qu’on n’arrive pas à comprendre la portée des choix qui sont faits en début de production. L’exemple que donne Séverin, c’est l’envie d’ajouter de l’eau, c’était cool. Pour ajouter du polish, on ajoute des particules, puis une traînée derrière le vaisseau, on joue avec la friction pour que ça glisse un peu. Mais du coup, si ton univers a de l’eau, pour que ce soit crédible, il faut de la végétation, puis une forêt. Qui dit verdure, dit vie et royaume. Que serait une civilisation sans une cité digne de ce nom ? Et bien sûr, tout ça n’avait pas été anticipé au moment de l’idée d’ajouter de l’eau. C’est là que le jeu minimaliste devient un petit open world avec une histoire et des biomes et chaque zone a sa propre population d’ennemis. Avant tout ça, le jeu devait se passer sur une carte souterraine, une grotte avec une unique identité visuelle, qu’il a supprimé pour refaire un monde en couleur et définir ces fameux biomes.
Lors des premiers playtest, un commentaire qui revenait souvent était que tout se ressemblait. Ce fut alors une révélation en termes de game design, si tu veux faire de l’exploration, il faut un monde à explorer. Ça parait con, mais en y réfléchissant ça implique vraiment de penser les choses autrement. Pour bien faire, les trois semaines estimées initialement ont littéralement explosé, c’est un autre exemple de l’immaturité dont Séverin parlait quelques instants avant. Pour que les joueurs aient envie d’explorer, il faut leur fournir un but. Construire ce but n’est pas forcément chose aisée. Séverin se rappelle la création d’un biome marécage dans lequel se trouvait un donjon, pour éviter que le joueur y accède trop vite, il a designé la zone de telle sorte qu’il y ait des étapes à franchir pour progresser. Avec le recul, il s’est vite rendu compte qu’il créait un donjon autour du donjon, quelque chose de très linéaire. À son sens, ce n’est pas ça l’exploration, il manque la liberté. Il fallait trouver mieux que ça. Une tour par-ci, une caverne par-là, un mini boss, c’est cette diversité, ce choix d’objectif à l’instinct ou à l’envie avec une découverte à la clef qui permet la sensation d’exploration. Les derniers-nés de la saga The Legend of Zelda (Breath of the Wild et Tears of the Kingdom) ont poussé ce concept à l’extrême avec des événements complètement détachés de la quête principale, mais qui font tout le contenu du jeu. Pour Nintendo c’est un peu un retour aux sources, car comme on l’a vu, cette liberté sans instruction était présente dans les premiers épisodes. Cette manière d’explorer a disparu dans les années 2000, on le voit avec la saga des The Elder Scrolls entre un Morrowind qui se rapproche (dans l’exploration uniquement) d’un Breath of the Wild et un Skyrim dans lequel les quêtes nous sautent à la figure. C’est aussi pour cette raison que dans Minishoot’ Adventures, les éléments sont posés à la main, c’est-à-dire pas de manière procédurale. Chaque emplacement est réfléchi, que ce soit les ennemis ou le reste. Chaque écran, chaque caverne ou île est unique. Autre point important de game design en relation avec l’exploration, l’absence de minimap. Le but est de laisser le joueur se concentrer sur l’action et d’utiliser l’environnement pour se repérer. La carte générale, accessible par le menu, n’est là que pour alléger la charge mentale, elle est d’ailleurs récupérable à un endroit avancé de la zone concernée pour favoriser l’exploration et la récompenser. C’est également un outil pour aider le joueur à atteindre le 100 %. Séverin ne cache pas que son inspiration vient de Hollow Knight, un jeu qui excelle dans l’incitation à la découverte.
En partant du jeu précédemment cité, Séverin a essayé de gérer la frustration dans son titre. Chaque moment de tension, en recherche ou en combat est suivi par une récompense et il y a toujours la possibilité de faire demi-tour pour aller chercher le point de vie ou la capacité qui rendra l’obstacle plus facile à franchir. L’idée étant d’atteindre le zéro rage quit. Au regard des reviews Steam, c’est un pari réussi parce qu’au moment même où j’écris ces lignes, soit plusieurs mois après notre échange, Minishoot est toujours à 97 % de retours positifs.
Musique
Concernant la musique présente dans le jeu, ceux qui ont joué à Fez ou Hyper Light Drifter reconnaîtront l’inspiration Disasterpeace dans Minishoot’ Adventures. C’est Séverin, le musicien cette fois, qui est à la composition. Il avoue avoir emprunté une petite quinte de notes à son homologue américain, c’est sa manière de rendre hommage à un artiste qu’il apprécie beaucoup et on ne peut pas vraiment lui en vouloir. Il a réussi à prendre ce qui lui plaisait chez Disasterpeace et à le modifier pour produire ce dont il avait vraiment envie, ce qui lui correspond vraiment.
Autre hommage que l’on peut retrouver, c’est Ocarina of Time (je vous avais dit, en juin, qu’on en reparlerait). On retrouve certains accords de la musique de Ganon, avec ses cœurs, dans les musiques des boss du jeu de Séverin pour mettre en place un thème lié à la corruption. D’autres rappels à Zelda sont présents dans l’OST, je vous laisserai les découvrir car ces compositions sont un vrai point fort pour le titre. Je tiens quand même à préciser que, même s’il y a de nombreuses inspirations, ce sont des musiques originales.
La musique pour lui, c’est vraiment une soupape de décompression, car en tant que développeur indépendant, porter plusieurs casquettes peut être lourd. Quand cette pression se fait trop importante, la musique permet d’évacuer la frustration et de laisser aller la créativité, le côté émotionnel reprend le dessus. Cette OST est pleine de nostalgie, elle est bizarre, selon Séverin. Ce n’est pas du tout ce qui était prévu initialement. Il a composé beaucoup de thèmes différents, mais toujours avec cette empreinte mélancolique qui contraste avec les couleurs chatoyantes de la direction artistique. Un cocktail qui est inhabituel, mais dont on ne se lasse pas.
mini post-mortem
Avec le recul, le développement a été difficile. Au point qu’il remet en question son processus, deux jeux de suite pour lesquels il consacre quatre ans, c’est peut-être qu’il y a des choses à modifier. Ils ont connu des périodes de burnout allant jusqu’à un mois sans pouvoir travailler donc la méthode n’est pas la bonne. Faire un jeu vidéo c’est cool, mais pas tant que ça lorsque le coût humain, énergétique et temporel est trop fondamental. Il est important de savoir que pendant ces quatre ans, en plus de développer un jeu, le studio a accueilli des étudiants pendant 2 ou 3 mois chacun, c’est nécessaire, mais ça mobilise énormément. À contrario, un des stagiaires avait dessiné une carte avec un marais et une forêt qui a donné l’impulsion nécessaire à Séverin pour retravailler celle de son jeu, car il ne partait pas d’une page blanche.
“Petites salutations aux différents stagiaires qui ont travaillé sur le jeu, qui nous ont inspiré et ont redonné de l’énergie et de la bonne humeur.”
Séverin
Dans une phase de développement, beaucoup vous diront qu’il est normal d’avoir des phases de creux, de ressentir la pression de devoir créer alors que l’on se sent vide. Pour Séverin, il est plus facile de voir ce qui ne convient pas dans le travail de quelqu’un d’autre, de le modifier et de garder le reste plutôt que de devoir le faire sur son propre travail en partant de zéro. Séverin reproche souvent aux gens de ne pas prendre le métier de game designer au sérieux, mais il se rend compte que celui de producteur est tout aussi important afin d’optimiser au mieux (NDLR : enfin, dans un monde idéal) les ressources disponibles/nécessaires à une production. On oublie souvent qu’au-delà d’un programmeur, d’un artiste et d’un musicien, il faut quelqu’un qui fasse, de tous ces éléments, un jeu viable.
Le design est quelque chose qu’il a appris, je le cite, dans la souffrance, l’incompétence et le bordel. S’il y a bien une chose qu’il a retenue, c’est que faire passer un message, guider le joueur sans qu’il ne le voie, ce sont des choses qui ne s’inventent pas du jour au lendemain. Comme beaucoup d’autres compétences requises dans le JV, le game design (GD) demande un peu de savoir faire et d’expérience pour faire ses preuves. On sent rapidement que c’est un sujet qui passionne Séverin, comment transformer tout ce que l’on veut faire passer, en message et en émotion, en expérience utilisateur efficace. Ça reste quelque chose de sous-estimé dans certaines équipes. Il trouve également que le contenu Youtube ne met pas assez en avant le GD, on y évoque souvent la difficulté à programmer d’où la punchline du moment “99 % des jeux sur Steam ont un code. En revanche, 99 % des jeux n’ont pas un game design fonctionnel”. Et pour conforter ce besoin de design grandissant, il est bon de rappeler que de plus en plus de moteurs permettent de faire un jeu avec très peu de lignes de code, comme Construct. Il est important de comprendre comment on peut inciter le joueur à prendre une direction, mais aussi à aller au bout du jeu (nul besoin de rappeler le nombre de joueurs qui ne voient pas la fin des jeux qu’ils commencent), il y a un véritable impact émotionnel. Ce que Séverin retient surtout de son vécu c’est qu’il faut également prendre au sérieux le rôle de producteur ce qui, il l’espère, lui permettra de continuer à faire des jeux qualitatifs avec davantage de maîtrise du temps et de l’énergie.
Le lancement
Au moment du lancement de Minishoot’ Adventures, Séverin était au bout du rouleau, mais tout s’est bien passé. Trois mille exemplaires vendus le premier jour, quatre mille le deuxième, des chiffres qui paraissent impossibles avec un concept aussi improbable q’un Zelda mixé avec un shooter. Il pensait que les joueurs ne comprendraient pas ce qu’il a voulu faire ce qui est entendable parce que son marketing n’était pas vraiment bon. Autant les adeptes de shooter ont été au rendez-vous, autant ceux d’aventure ont un peu de mal à se laisser tenter. En quelques jours, le jeu atteint les cinq cents reviews, positives à 98 %, preuve que le travail n’a pas été vain. Au moment, où l’on échange, soit environ trois semaines après la sortie, le titre était à trente mille ventes, trois fois plus que l’estimation à douze mois, ce qui permet de pérenniser le studio et de financer le prochain projet. Les idées ne manquent pas, il note un concept tous les quinze jours, donc autant qu’en quatre ans, il a l’embarras du choix. Je ne suis pas autorisé à vous partager d’éventuels prototypes, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils vont garder leur habitude d’enchaîner avec un jeu qui n’a rien à voir avec le précédent. C’est l’avantage d’être indépendant, aucun besoin de coller à une ligne éditoriale si l’envie n’est pas là, mais ça implique aussi de devoir réapprendre des choses chaque fois que l’on change de style de jeu ce qui peut empiéter sur l’aspect créatif.
Séverin se dit porté par un rêve d’enfant de vouloir jouer au jeu qu’il a dans la tête. Tant qu’il ne l’a pas dans les mains, il continue à construire dessus. Chaque fois que l’envie lui prend de jouer à un jeu qui n’existe pas, il se fixe pour objectif de le créer. C’est ce qui s’est passé pour Minishoot’ Adventures. Il espère que quelqu’un apprécie l’idée au point de la reprendre et de faire un jeu en plus grand et en plus cool. Sans avoir la prétention de créer un nouveau style de gameplay, ça lui ferait plaisir de voir qu’il a fait des émules.
Indie game français
En parlant d’autres développeurs, Séverin fait partie d’un Slack (plateforme de communication collaborative) de développeurs et développeuses français(e)s. C’est une communauté dans laquelle il y a une très bonne ambiance et beaucoup d’entraide. Même s’il est de nature solitaire, il s’y sent à sa place. Cette année, il participe à son premier Gamecamp à Lille pour échanger en face-à-face. Séverin se décrit comme “un gamin qui fabrique des jeux” la plupart des personnes qu’il rencontre dans le milieu du JV sont, soit des amateurs, soit des businessmen qui ont des entreprises qui crée des jeux vidéo, alors que lui est un concepteur de jeux qui est obligé d’avoir une entreprise. S’il pouvait s’affranchir de ce statut juridique, il le ferait avec plaisir, il ne veut que faire des jeux, le reste n’est que superflu. Ce qui fait qu’il ne se retrouve pas toujours dans les conversations, il préférerait parler GD plutôt que subvention. Ce qui ne l’attire pas dans le côté entrepreneurial, c’est la croissance perpétuelle de ce bon vieux système capitaliste. Il est très bien à son niveau, il ne voit pas l’intérêt d’en faire plus. Il ne croit pas en la croissance vertueuse et compte bien rester un petit studio. Si jamais, ils devaient recruter une troisième personne c’est qu’il y aurait une véritable entente humaine et émotionnelle, en gros, il y aurait l’envie de travailler avec cette personne et non pas le besoin pour un projet plus conséquent. Concernant les stagiaires, s’il en accueille, c’est avant tout parce que pour lui la transmission du savoir est importante et qu’il faut faire des jeux intelligemment et pas seulement pour le fun de faire du JV. Il ne veut pas de salariés, uniquement des associés et un peu de consulting, parmi ses connaissances, pour aider de manière ponctuelle. En bref, s’il pouvait se débarrasser de la paperasse, il le ferait volontiers, mais le fait qu’ils soient deux les obligent à prendre un statut clair.
La question de la fin
On arrive à la fin de ces deux heures d’échange et donc la question fatidique : “Si tu devais recommander un jeu, lequel se serait ?”. Le jeu qui l’a retourné au moment de la découverte est Dark Souls, notamment pour tous les secrets qu’il y a à décortiquer, on en découvre encore aujourd’hui bien longtemps après la sortie du jeu. À l’époque, c’est une claque de difficulté, un jeu qui te met au défi. En tant que développeur, Séverin a toujours fait attention à modérer l’effort qu’il demandait aux joueurs, la tolérance que demande Dark Soul est vraiment inédite à l’époque et pas seulement en termes de difficulté. La gestion de la sauvegarde avec les feux de camp qui peut obliger à recommencer plusieurs dizaines de minutes de jeu sans aucun remords des développeurs. C’est une tendance que l’on retrouve plus tard dans des jeux comme Béton Brutal et Getting Over It, mais ça ne touche pas autant de gens. FromSoftware a trouvé une recette qui attire les masses dans un style de gameplay difficile. Cette alchimie déchaîne des passions avec un cocktail subtil de défi, d’ambiance et de lore qui pousse à la persévérance. Ce qui a fasciné Séverin, est le fait que l’insupportable devienne un défi que tu ne lâcheras pas tant que tu ne l’as pas surmonté, ce qui nécessite parfois plusieurs centaines d’essais sur de nombreuses heures, lui n’a pas lâché son PC pendant une semaine. Il garde en tête, cette image de l’emplacement exact de son bureau avec le cendrier qui dégueule et les fenêtres closes durant les soixante heures dont il a eu besoin pour arriver au bout de l’aventure. Les souls c’est avant tout un combat contre soi-même à apprendre les patterns et à acquérir les réflexes, la défaite est souvent imputable au joueur et non au jeu, l’expérimentation du dépassement de soi au travers de l’écran. À son arrivée Dark Souls a proposé une nouvelle manière de percevoir le jeu vidéo et, en quelques sortes, c’est maintenant le jeu indépendant qui a repris le flambeau avec ce vivier de développeurs qui s’efforce de proposer constamment de nouvelles expériences aux joueurs exigeants que nous sommes.
C’est sur ces mots que l’on se quitte. J’espère que ce premier GnB de la saison transpire mon intérêt grandissant pour la découverte de l’envers du décor du JV. Chaque développeur rencontré jusqu’alors nous a présenté une vision bien à lui de la conception et de leur passion que nous partageons. Discuter game design avec Séverin a été un véritable plaisir enrichissant. Minishoot’ Adventures mérite amplement le succès qu’il rencontre. Pour le numéro du mois d’octobre, pas de jeu d’horreur en perspective, mais on étend un peu la formule. La prochaine fois, pas de développeur nous présentant son jeu. On rencontrera un senior du jeu vidéo français. Marc Albinet, connu entre autres pour Assassin’s Creed Unity, reviendra sur sa carrière tout en abordant un tas de sujets et leur évolution. Nous avons même le droit à quelques indices sur un projet en cours. Je vous souhaite une bonne journée et d’ici le mois prochain, je vous invite à rejoindre notre Discord pour venir papoter de tout un tas de choses JV ou non.