Comment rendre une énigme horrifique ?
Incorporer une énigme ou un puzzle dans un jeu vidéo est un exercice difficile. En plus de devoir réfléchir à de nombreux paramètres comme ses règles, son but ou l’équilibre de sa difficulté, il faut aussi et surtout qu’il s’intègre dans la continuité du jeu. C’est-à-dire que ce ”jeu de l’esprit” doit avoir un sens avec l’univers et les émotions que le jeu veut nous proposer. Parmi tous ceux qui nous proposent parfois de mettre nos méninges à contribution, il y a un style de jeu, en particulier, où les énigmes sont d’or : les jeux d’horreur. En effet, ayant régulièrement affaire à des jeux au gameplay lent, dont la difficulté principale réside dans la gestion de nos émotions, il semble logique de les compléter par des jeux de l’esprit. Pourtant, ce ne sera pas une tâche facile à réaliser. Aujourd’hui, nous allons voir comment retravailler une énigme afin de la rendre horrifique.
1 – Thématique cohérente
La première chose à penser et qui est aussi la plus logique, c’est que l’énigme comporte une certaine cohérence avec l’ambiance globale du jeu. Dans Breath of the Wild, les donjons nous permettent d’approfondir notre connaissance des mécaniques. Dans Uncharted, on explore des temples anciens partiellement recouverts par la nature… S’il s’agit d’un univers dérangeant et angoissant, alors l’énigme peut être agencée de sorte à renforcer les émotions que l’on souhaite susciter.
Dans Silent Hill 2, par exemple, une énigme nous demande de lire un message et de l’interpréter afin de trouver l’intrus parmi 6 propositions. Énigme classique, donc. Toutefois, afin de coller avec l’ambiance globale de ce jeu d’horreur, eh bien ces 6 propositions sont en fait des pendus qui ont été condamnés à mort ! Notre but est en réalité de deviner qui est l’innocent dans cette pièce remplie de cadavres, puis de tirer sur le nœud coulant correspondant dans la pièce d’à côté. Une fois la corde tirée, à son retour, le joueur découvre que le cadavre en question a disparu…
Cette énigme de Silent Hill 2 démontre parfaitement qu’on peut adapter un énoncé simple à un univers malaisant, grâce à la thématique utilisée. Et pour la renforcer, on pourra même miser sur l’ambiance globale, à l’aide par exemple de visuels forts ou encore de l’atmosphère sonore. Le concept même de l’énigme aura beau être pourtant quelque chose de général, notre appréhension en sera différente. En plus de se creuser la tête pour la résoudre, on se mettra presque à la craindre, se demandant où tout cela va nous mener.
2 – Manipulation dérangeante
Puisque la thématique à elle seule propose simplement un contexte qui peut se montrer angoissant, il est logique de vouloir la compléter. Pour cela, on peut mettre en place des choses qui vont rendre l’interaction avec cette énigme… malaisante. Plutôt que de simplement manipuler une boîte ou de deviner des chiffres, on peut ainsi proposer des interactions horrifiques, qui colleront alors parfaitement avec la thématique.
Prenons l’exemple d’une des énigmes de SOMA, un jeu d’horreur où l’on côtoie des esprits humains dans des corps de robots. À un moment donné, pour progresser, nous devons résoudre une énigme, qui nous demande entre autres de couper le courant de la salle pour progresser. Jusque-là, aucun problème. Sauf que quand le courant s’éteint, le générateur de secours se met en place et fait souffrir un robot qui n’a rien demandé. On a beau pouvoir rétablir le courant pour le soulager, il n’empêche que nous n’aurons pas d’autres choix que d’entendre ses hurlements si on souhaite progresser. Je vous assure que résoudre cette énigme n’est pas une partie de plaisir, car elle se fera littéralement dans la souffrance.
SOMA n’est pas le seul à proposer ce genre de séquence. Scorn, où il faut charcuter des innocents ; Resident Evil Village qui demande de manipuler un corps de bois ; ou encore Inscryption, où l’on peut parfois s’arracher un œil pour obtenir un avantage. Faire en sorte que la manipulation d’une énigme soit à elle seule un calvaire est en effet un très bon moyen de la rendre malaisante. On est ainsi contraint de la résoudre à contre-cœur. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un changement dans la structure de l’énigme, mais dans notre répulsion à progresser.
3 – Résolution incertaine
En plus de la manipulation de l’énigme, sa résolution peut aussi comporter des éléments effrayants, qui seront ici plutôt basés sur nos attentes. En faisant des recherches sur comment créer un bon mystère, il est souvent dit que son but doit être clairement défini pour qu’il reste engageant. Ce qui est intéressant ici, c’est de se rendre compte que dans le contexte de l’horreur, maintenir un certain flou peut-être pertinent, comme le fait Stories Untold.
Dans le chapitre 2 de ce jeu d’énigmes à ambiance horrifique, nous nous retrouvons face à une série de mécanismes qui entourent un coffre. Un superviseur nous donne alors des directives pour savoir que faire de tous ces boutons. Tandis que l’on interagit en vue de résoudre cette énigme, on se rend assez vite compte que la boîte contient en réalité un cœur, et que nos actions vont impacter son fonctionnement. Pourtant, on ne sait pas exactement dans quelles mesures. Je ne vais pas vous spoiler tout ce qu’il va se passer, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’à mesure que l’on progresse dans l’énigme, on appréhende jusqu’où celle-ci va nous demander d’aller.
Quand on effectue une action dérangeante sans être certain de son résultat, on en vient à l’appréhender. Pour cela, on peut donc donner une vague idée de l’intérêt d’une énigme (comme le fait notre superviseur durant cette étape), tout en octroyant le bénéfice du doute : qu’est-ce qui va arriver ? Ainsi, toujours à contrecœur, le joueur devra la résoudre, en la craignant. Comme toujours, dans l’horreur, l’anticipation est d’or, bien plus que la simple vue de la menace même.
4 – Pression continue
Dans ma vie de gamer, j’ai toujours détesté les courses contre la montre. Cette sensation que chaque mouvement doit être réfléchi pour être optimisé, et qu’un couteau sous la gorge nous rappelle sans cesse que nous n’avons pas une seconde pour nous est quelque chose d’éprouvant personnellement. Et quelque part, si je ressens ce stress et que ça me pousse à jouer sous pression… Eh bien, c’est aussi que le pari est gagné.
Pour proposer un stress de ce genre, la méthode la plus courante est d’ajouter une limite de temps, comme le fait Dead Space 2 avec ses mini-puzzles où il faut activer un mécanisme. Cette technique n’est toutefois pas la plus subtile. On retrouve d’autres jeux qui comportent des séquences de courses-poursuites, comme Little Nightmares, où la pression provient d’un ennemi qui nous poursuit sans relâche (et qu’il faut donc fuir avant qu’il nous rattrape), mais il ne s’agit alors plus vraiment d’une énigme. Une juste pression qui laisse en même temps la possibilité de résoudre une énigme est donc la course-poursuite partielle.
C’est un type de séquence qu’on retrouve dans Outlast. L’idée est de devoir résoudre une énigme tandis qu’un ennemi rôde dans les parages. On ne sait pas exactement où il est, ni quand il va dangereusement se rapprocher. Sa présence est donc des plus dérangeantes, car nous n’avons pas la certitude de ce qu’il nous est encore possible de faire ou non, contrairement à une simple course contre la montre avec un chronomètre. Il faudra ainsi bidouiller avec des mécanismes, tout en prenant régulièrement le temps de se retourner, à l’affût d’une mauvaise surprise.
Mettre une pression durant une énigme est donc un bon moyen de la rendre horrifique. En troquant le chronomètre classique par la simple charge mentale de savoir qu’un ennemi est présent, le joueur ne pourra jamais agir de façon pleinement sereine, et devra constamment prendre en considération cette menace imminente. Cela rejoint un peu le propos de certains jeux comme Alien Isolation ou Amnesia : The Bunker, où un ennemi rôde en permanence. Quand on se sait traqué sans pouvoir agir sur cette menace, chacun de nos mouvements sera calculé, en plus de se montrer stressant. Attention toutefois à la charge cognitive du joueur, car un stress trop présent pourrait le décourager pour l’énigme.
5 – Punition
Le dernier paramètre pour faire craindre une énigme est aussi l’un des plus anciens et utilisés. On le retrouve dans des jeux basiques comme le Démineur ou Pac Man. Il vient donner une certaine valeur au puzzle en cours, nous faisant craindre son échec : il s’agit de la punition.
La mort de notre avatar est évidemment la punition la plus couramment utilisée. C’est quelque chose qui se retrouve par exemple dans une certaine séquence de Dead Space 2, où l’on doit effectuer une manipulation qui demande de la dextérité : insérer une aiguille dans la pupille d’Isaac. Stressé par cette opération, c’est naturellement que ce dernier va bouger les yeux. En tant que joueur, nous devrons alors être très minutieux pour viser juste. Je vous assure que la perspective de charcuter notre avatar en cas d’échec suscite un réel sentiment de stress.
En plus de craindre d’engendrer une souffrance chez notre personnage, on craint aussi un potentiel retour en arrière. La punition de perdre une partie de la progression est une punition en soi, qui s’apparente en réalité à une perte de temps. Or, personne n’aime perdre du temps. Et plus une partie dure, plus elle prend de la valeur, et ainsi plus sa perte devient lourde.
Sans en arriver à devoir tuer le protagoniste dès que le joueur ou la joueuse a appuyé sur le mauvais bouton, on peut en revanche lui faire comprendre qu’il ou elle a mal joué, autrement : faire arriver un ennemi qu’il faudra abattre, réinitialiser un mécanisme qui prend du temps à configurer, ou devoir retourner à un endroit assez lointain pour recommencer l’énigme. Il s’agit bien évidemment de punitions qui pourraient s’avérer frustrantes, et dont il faudra donc évaluer la pertinence pour votre énigme. En revanche, si le but de cette étape dans votre jeu est de susciter un véritable sentiment de stress, alors la punition de l’échec semble être une bonne idée.
Conclusion
Ainsi, pour rendre une énigme stressante, voici les 5 techniques que j’ai trouvées. Il s’agit là d’un tour d’horizon de ce qu’il se fait, afin de vous donner des idées dans lesquelles puiser. De plus, elles sont totalement applicables à des jeux non-horrifiques, pourvu que vous proposiez une ambiance angoissante au moment de celles-ci.
Enfin, chaque énigme d’un jeu d’horreur n’a pas à être flippante. Si le but de votre séquence d’énigme est de proposer un moment de calme, une pause dans votre ambiance horrifique, il n’est pas sûr que mettre un ennemi à la poursuite du joueur soit productif !
Merci à tous de m’avoir lu, et à la prochaine pour une nouvelle analyse de game design des jeux d’horreur.
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[…] moment où ça va se produire. Pour reprendre les termes d’Horreur 404 dans son excellent article Comment rendre une énigme horrifique : « dans l’horreur, l’anticipation est d’or, bien plus que la simple vue de la menace même […]