The Case of the golden Idol : petite relique cherche gros cerveau
Une idole pour les gouverner tous
5 janvier 1742, date du péché originel. Albert Cloudsley et Oberon Geller, guidés par une carte qui les mène sur l’île de Monkey Paw, mettent la main sur une étrange statuette dorée, la fameuse golden Idol. Le jeu commence ainsi sur un premier tableau qui met en scène l’assassinat de l’un des personnages par le second. Nous n’en dirons ici pas davantage pour ne pas gâcher la surprise de la première investigation. Tout ce que je peux dire c’est que ce premier meurtre est à l’origine d’une affaire – the case – qui verra s’enchaîner des péripéties sur plus de cinquante ans. L’artefact magique fait en effet l’objet de la convoitise de tous ceux qui en connaissent l’existence. Certains (beaucoup ?) sont même prêts à tuer de sang froid pour mettre la main sur l’objet tant désiré.
Si l’affaire qui se dessine prend d’abord les contours d’un drame familial, c’est pour mieux en faire exploser le cadre par la suite. Groupes occultes, bandits, nobles, personnels de maison et hommes politiques se côtoient ici à coup d’alliances improbables et de retournements de situations surprenants.
Ce sont d’ailleurs ces personnages qui font le premier atout du jeu. Hauts en couleur et se dévoilant à mesure de l’intrigue, The Case of the Golden Idol nous présente des individus ambigus et aux motivations floues. Alors qu’il nous jette littéralement à chaque fois au milieu de la mêlée, le point fort du jeu tient à sa capacité à nous faire progressivement entrer dans son univers. Chaque tableau, d’abord scène chaotique et en apparence incompréhensible, révèle progressivement l’ordre qui y préside. De même, la progression du joueur de scène en scène lui fera, à chaque fois, saisir davantage les tenants et les aboutissants de tout cet imbroglio policier.
Enquêteur et non pixel hunter
La tâche du joueur consiste exclusivement dans la mise en ordre des informations qui lui sont offertes. Chaque niveau est un tableau quasi figé qui laisse entrevoir une scène – le plus souvent – de crime. Prenant place dans un ou plusieurs espaces (plusieurs pièces d’une même maison par exemple), chaque tableau nous invite d’abord à récolter les informations à disposition. C’est là que The Case of the Golden Idol se démarque : tous les indices que l’on peut recueillir sont mis en évidence (même si cela peut être désactivé via une option, pour les plus téméraires) et on sait, à chaque instant, combien doivent être découverts (en général autour d’une trentaine) et combien on a déjà eus en mains. Les développeurs entendent donc ne pas embarrasser le joueur de la fameuse chasse aux pixels qui a fait le malheur de nombre d’amateurs du genre, car le cœur de l’affaire est ailleurs ! En effet, le « tableau » n’est à chaque fois que l’un des deux écrans de gameplay à la disposition du joueur. Chaque indice récupéré s’ajoute à une liste de mots située en bas de l’écran.
Une fois toutes les informations récoltées, on est invité à se rendre sur l’écran de réflexion. L’objectif sera, à chaque fois, de remplir le texte à trous présent sur la gauche. Achevé, il fournit le récit de ce qu’il s’est passé dans la scène, permettant de passer à la suivante. Les parties centrale et de droite sont plus contextuelles : elles diffèrent d’une scène à l’autre et apparaissent au joueur à mesure qu’il récolte des indices et visite les lieux. Cependant le principe sera toujours le même : remplir des trous à partir des mots à votre disposition. Tantôt il faudra identifier les divers personnages de la scène, tantôt découvrir qui était assis à tel endroit de la table, ou encore à qui appartient cette chambre, à qui était destiné ce courrier, etc. Ces deux parties sont là pour aider le joueur à remplir celle de gauche et comprendre qui a commis l’irréparable, comment et pourquoi !
Si chaque scène fournit presque l’ensemble des éléments nécessaires à la résolution de l’énigme, on notera que le jeu invite régulièrement le joueur à revisiter certains tableaux déjà résolus. C’est surtout le cas au début lorsque l’on n’est pas encore tout à fait familier de tout ce beau monde. En effet, certains personnages centraux de l’intrigue se retrouvent d’un tableau à l’autre et il est alors nécessaire de savoir les identifier sans indice explicite dans la scène présente. La chose est rendue d’autant plus ardue que d’un tableau à l’autre et selon la position du personnage, il n’est pas toujours immédiatement reconnaissable. Si cela pourra être quelque peu frustrant au début, le passage d’une scène à l’autre se fait cependant aisément et l’on se sent rapidement – plus ou moins selon votre mémoire – familier de tous ces drôles d’oiseaux.
Ce qui est exigé du joueur est d’une clarté cristalline. C’est la raison pour laquelle on se prend aussi rapidement au jeu. The Case of the Golden Idol, s’il n’est jamais insurmontable, propose malgré tout un défi intéressant. A part dans le cas du premier tableau, qui sert de sorte de tutoriel, on ne comprendra jamais ce qu’il se passe en parcourant les indices une seule fois. Il faudra faire d’incessants allers-retours entre l’écran d’exploration et celui de réflexion et chaque petite avancée a quelque chose de grisant. On pourra éventuellement regretter l’impossibilité d’avoir un accès rapide à tous les indices déjà découverts. Cela peut sembler anecdotique, cependant lorsqu’à chaque fois que l’on veut revenir sur une lettre, il faut se rendre dans la bonne pièce, ouvrir un coffre, le sac à l’intérieur, et enfin cliquer sur le sésame tant recherché, on pourra être quelque peu agacé. Ce sentiment est accentué par la fréquence à laquelle on passe d’un écran à l’autre afin de reconstituer lentement l’ensemble.
A mesure que l’on avance dans la compréhension d’une scène, on saisit plus clairement qui sont les forces en présence, quels sont leurs rôles, leurs relations, leurs motivations, l’arme du crime, etc. Mais attention, car le diable est dans les détails et on doit bien souvent réfléchir au-delà des seuls « mots » à disposition à mettre dans des cases. D’autres objets de la scène donneront des indices importants sur les personnages et ce qu’ils font si on sait les regarder correctement.
Pour ceux qui réellement peinent à avancer, les développeurs mettent à disposition un système d’indices judicieux : il ne s’agit jamais de donner une réponse au joueur, mais plutôt de lui faire se poser les bonnes questions afin de regarder les choses sous un angle qu’il n’aurait pas encore envisagé. Superflu pour certains, insuffisant pour d’autres, ce système a le mérite d’aider les plus en difficulté sans cependant gâcher l’expérience du joueur. Les développeurs font ici preuve de ce que l’on pourrait appeler une générosité confiante qui s’acclimate bien à l’ensemble du gameplay : The Case of the golden Idol respecte ses joueurs sans jamais les prendre pour des idiots. Si vous êtes là, c’est que vous étiez l’enquêteur tout désigné pour comprendre cette grande affaire, alors persévérez ! Que l’on utilise ou non les indices, la satisfaction ressentie à la mise au clair de la scène de crime est là. Et ce sentiment perdure jusqu’au dernier mot inséré dans une case prévue à cet effet en toute fin de jeu. C’est prodigieux !
Une direction artistique douteuse ?
Il est temps, enfin, d’aborder ce qui à première vue peut sembler fâcheux. Impossible de n’être pas frappé par la laideur du jeu. Mais aussitôt une question nous vient : pour être aussi laid, n’est-ce pas nécessairement la conséquence d’un choix ? Avec ses animations en quelques images, son pixel art digne des pires Point&Click, ses personnages aux gueules cassées, The Case of the golden Idol n’appâte pas le chaland par sa plastique et cela en rebutera définitivement certains. Et pourtant…
… Et pourtant, la magie opère ! C’est que notre affaire à la statuette dorée dévoile une surprenante alchimie, résultat d’une cohérence intégrale. La partie graphique du titre est superbement soulignée par une bande son qui installe une ambiance toujours plus inquiétante. Alors oui, il arrive parfois qu’après une vingtaine de minutes sur un tableau, la boucle musicale rende un peu marteau. Cela reste cependant anecdotique et on serait presque incliné à penser que c’est voulu : la boucle musicale rejoue en chaîne les boucles d’animation, entraînant le joueur dans son monde inquiétant tout autant que burlesque. Les expressions grotesques des personnages qui rappelleraient presque Herc’s Adventure sorti sur PSX, la stupidité de certains, ce cheval qui court au rythme d’une boucle absurde dans le deuxième tableau… The Case of the golden Idol est définitivement drôle et barré. Mais il ne l’est pas gratuitement, si bien que les deux dimensions susnommées se nourrissent et s’enrichissent l’une l’autre. Le chiasme qui fait s’entremêler drames personnels et petites histoires de valets de chambre avec la grande Histoire n’a ici rien à envier – dans sa construction narrative – à certains cadors littéraires ou cinématographiques du genre. Le jeu parvient ce faisant à poser un regard inquiétant mais aussi moqueur sur le pouvoir et ceux qui le convoitent. C’est leur ridicule, leur médiocrité visible et risible qui les fait déchoir de leur piédestal. Ceux qui se rêvent en grands hommes dans The Case of the golden Idol ne sont rien d’autre que des médiocres comme il en existe à la pelle. Le jeu soulève le voile de maya ! Finalement, c’est peut-être que cette médiocrité leur permette d’arriver si haut qui est au cœur de l’angoisse que répand le jeu.
Une fois tout ceci compris, la direction artistique du soft laisse entrevoir tout son charme, ramenant le joueur au XVIIIe siècle tout en lui faisant prendre plaisir à rejouer une période du jeu vidéo qu’il n’aurait pas nécessairement souhaité revivre.
Conclusion
Indéniablement, The Case of the golden Idol est une franche réussite. Les Lettons de chez Color Gray Games livrent un premier jeu d’une grande cohérence et d’une grande qualité. Jamais ennuyeux ni indigeste grâce à son découpage en tableaux, il se paye le luxe d’être aussi bien calibré pour des sessions courtes que pour être dévoré de façon boulimique. Réussissant le pari d’être inquiétant et burlesque à la fois sans que l’un ne vienne empiéter sur l’autre, il parvient surtout à être profondément prenant et gratifiant. Enfin, le jeu est aussi une ode réussie à l’intelligence et à sa capacité à naviguer dans le désordre pour lui donner forme. Au fond, c’est cela qui est le plus marquant dans The Case of the golden Idol : la satisfaction qu’il procure au déploiement de notre intellect et à la façon dont celui-ci vient à éclairer jusqu’à nos facultés perceptives. A chaque fin de tableau on y voit, littéralement, plus clair.
Post Scriptum : The Case of the golden Idol s’est vu accompagné, dans les mois suivant sa sortie, de deux contenus additionnels (comprenant chacun trois tableaux). Je dois avouer, à mon grand désarroi, que je suis un peu plus réservé quant à ceux-ci. En termes d’histoire, ces deux chapitres supplémentaires tiennent lieu de préquel au jeu d’origine. Pour le dire simplement, on y comprend quelles dynamiques et quels événements ont présidé à l’arrivée de la relique magique en “Angleterre”. Albert Cloudsley et Oberon Geller ne sont peut-être pas de simples explorateurs finalement… Encore une fois, et peut-être davantage encore, les relations politiques sont au cœur du jeu. La duplicité des colons en terre étrangère est finement retranscrite et surtout intelligemment utilisée pour servir le gameplay. Sur ce point, rien à redire.
Si les mécaniques de gameplay ne changent pas, le jeu se fait en revanche beaucoup plus dur qu’auparavant. Pire : on aura souvent l’impression d’une difficulté artificielle causée par une construction absurde des tableaux. Même avec les indices, il peut être particulièrement ardu de parvenir à saisir l’image d’ensemble, si bien que le jeu paraîtra parfois profondément injuste. Or c’était justement l’écueil qu’il parvenait si bien à éviter dans sa mouture d’origine. En somme, si l’histoire et les situations captent toujours autant le joueur, la résolution des énigmes est, quant à elle, bien plus laborieuse et moins plaisante. A part peut-être pour les plus experts du genre…