The Art Of Scorn
Scorn, le jeu de Ebb Software est l’antithèse même de la banalité vidéoludique. Une descente aux enfers viscérale au cœur de l’art interactif, un opus qui transcende les normes pour nous submerger dans un univers de noirceur et d’étrangeté.
L’environnement dans lequel le joueur est immédiatement plongé est grotesque, sans espoir et douloureux. Scorn n’offre pas vraiment d’échappatoire à ces sentiments, et attend plutôt du joueur qu’il pousse vaillamment à travers chaque concept obscur, agonisant et intriguant pour progresser dans l’histoire. Les détails du jeu méritent certainement d’être analysés, et une grande partie du scénario et des thèmes sous-jacents sont largement ouverts à l’interprétation. L’accueil initial fut un mélange de fascination et de perplexité.
Ce qui saute particulièrement aux yeux lorsqu’on aborde Scorn est sans conteste sa direction artistique. L’influence de Hans Ruedi Giger se sent dans chaque pixel de cet univers, s’inscrivant dans les thématiques chères au père du courant biomécanique. Mais le créateur du xénomorphe n’est pas la seule inspiration de ce jeu. Même si l’on a l’impression de marcher dans les concepts art de l’artiste suisse, on va aussi ressentir des thèmes propres à l’œuvre de David Cronenberg, Zdzisław Beksiński et au courant surréaliste plus globalement.
Style Graphique et Esthétique
Esthétique Biomécanique et Organique
En plongeant dans l’esthétique de Scorn, on découvre un mélange troublant entre le biologique et le mécanique. Les paysages ne sont pas de simples décors, mais des organes vivants et des machines infernales. Chaque coin, chaque corridor tortueux, évoque une vision dantesque où la chair pourrit à côté d’engrenages en mouvement perpétuel. Les portes en sont un exemple frappant, ces portails à l’apparence organique, aux veines palpitantes et aux parois ondulantes. Elles respirent la vie tout en étant de pures objets mécaniques. Ce mariage contre nature d’éléments organiques et artificiels défie les lois de la biologie et de la technologie. Le joueur se retrouve au contact de la vie et de la mort d’une façon absolument inédite, mettant en contact la chair et la mécanique. On ressent par moment cette même fascination morbide que l’on peut avoir face à la beauté horrifique d’une autopsie.
Formes Géométriques et Répétitives
L’omniprésence de la géométrie dans Scorn ne relève pas du hasard. Les formes angulaires, répétées à l’infini, engendrent une atmosphère suffocante. Chaque angle droit semble camoufler un secret, chaque motif répété invite à une exploration obsessionnelle, à une quête effrénée de sens dans ce labyrinthe apparent de régularités chaotiques. Par exemple, les corridors étroits et labyrinthiques qui serpentent à travers le jeu, avec leurs murs tapissés de motifs récurrents, évoquent une sensation d’oppression constante. On a l’impression d’être piégé dans une structure mécanique implacable, une machine aux rouages irrésistibles où chaque composant est un élément essentiel d’un tout sinistre. Cette esthétique de l’obsession évoque le style d’artistes comme M.C. Escher, dont les œuvres manipulent la géométrie pour provoquer une réflexion sur la perception et la réalité.
L’esthétique de l’obsession qui imprègne Scorn trouve des échos dans l’œuvre d’Escher, où la recherche constante de sens dans un monde apparemment chaotique reflète la quête de compréhension et de signification qui habite cet artiste. Les couloirs enchevêtrés et les motifs géométriques répétés du jeu sont des énigmes visuelles, des défis à la perception du joueur, tout comme les gravures d’Escher ont mystifié les esprits curieux pendant des décennies.
Créatures de l’Étrange
Les créatures peuplant l’univers de Scorn transcendent leur simple statut d’ennemis de jeu pour incarner l’étrangeté, échappant à toute catégorisation conventionnelle. Leur apparence déconcertante engendre une fascination malsaine, une attraction presque perverse, découlant directement de l’horreur qu’elles suscitent.
Parmi ces abominations, une créature se démarque particulièrement : celle aux quatre bras, évoquant un fœtus gigantesque. Cette entité se situe à la croisée du grotesque et de l’intrigant, repoussante et hypnotique à la fois. Sa structure anatomique déformée insinue une dualité perturbante entre la vie et la mort, entre la naissance et la décomposition, projetant des visions cauchemardesques d’une maternité monstrueuse. L’excellente vidéo de Lunos revient notamment sur cet aspect particulier de Scorn.
Plus on observe les créatures de l’univers de Scorn, plus on sent son inspiration dans l’horreur lovecraftienne, en hommage à l’écrivain H.P. Lovecraft. Dans l’univers dépeint par l’homme de Providence, l’horreur est littéralement indicible, elle demeure inconcevable et insaisissable. Le vertige de cette conception apparaît lorsque l’on comprend que notre compréhension de la réalité est insuffisante pour appréhender les forces cosmiques qui nous entourent. De la même manière, les créatures de Scorn évoquent une terreur ineffable. Leur aspect étrange et inhumain défie toute logique et toute explication rationnelle, plongeant les joueurs dans un abîme d’incertitude.
Ces créations évoquent également l’art gothique, où les gargouilles ornant les cathédrales médiévales suscitent une fascination paradoxale. Historiquement, les gargouilles étaient notamment présentes pour protéger l’église des forces diaboliques. Leur présence illustre la dualité inhérente à l’art gothique, où l’horreur et l’attraction coexistent pour créer une expérience esthétique profonde et troublante. De manière similaire, les créatures de Scorn conjuguent répulsion et captivation, invitant à réfléchir sur notre propre fascination pour l’horreur et l’inconnu.
Influence de H.R. Giger
La Convergence des Ténèbres
Le travail de H.R. Giger communique viscéralement une ambiance de sexualité et de formes physiques difformes, un sentiment général de malaise et de confusion qui résonne avec sa façon de voir le monde pendant la plus grande partie de sa vie. Ses images offrent des espaces méditatifs qui sont beaucoup plus cérébraux et en phase avec ses sentiments à l’égard du monde que l’utilité plus simpliste, gore pour l’amour du gore, à laquelle Hollywood l’a souvent réduit. Bien que Scorn ne soit pas pour tout le monde, il parvient jusqu’à refléter l’art de Giger en refusant de se plier aux attentes des productions « AAA » en matière de facilité de jeu et de compréhension.
Lorsque Scorn se plonge dans ses inspirations artistiques, il suit une voie familière tracée par H.R. Giger. Les thèmes sombres et fantastiques, qui insufflent une atmosphère oppressante, se retrouvent dans les deux univers. Tout comme Alien dresse le portrait d’un cosmos hostile et énigmatique, Scorn présente un monde étrange et inhospitalier où l’inconnu règne en maître. Les deux créations se complaisent dans la subversion des attentes, créant un sentiment constant de malaise où l’horreur se mêle étroitement à la fascination.
L’influence de l’esthétique biomécanique de Giger sur Scorn est plus que palpable. Les créatures et les environnements du jeu semblent tout droit sortis de ses cauchemars artistiques. Les formes organiques dégénérées se mélangent harmonieusement avec des éléments mécaniques torturés, créant une esthétique de l’hybridation qui est le propre du travail de Giger. La dualité entre le biologique et le mécanique, chère à ce dernier , est une constante dans Scorn.
Des similitudes frappantes avec l’œuvre de Giger apparaissent lorsque l’on observe les créatures et les environnements de Scorn. Les créatures hybrides, tordues et grotesques, rappellent les monstres emblématiques de l’artiste suisse, tels que l’Alien de la franchise cinématographique éponyme. L’architecture même de Scorn semble tirée des toiles de Giger, où les structures dégoulinantes et biomécaniques défient toute logique spatiale, créant une réalité alternative perturbante.
Les Fils du Surréalisme et de l’Horreur
L’univers de Scorn immerge le joueur dans un tableau vivant du surréalisme, cherchant à défier la réalité en explorant les profondeurs de l’inconscient. Les environnements du jeu sont un kaléidoscope d’éléments fantasmés, où la logique rationnelle cède le pas au rêve et à la distorsion.
Les formes géométriques répétées qui parsèment le jeu incarnent l’obsession surréaliste pour la transformation de la réalité. Chaque angle droit, chaque motif récurrent nous invite à une exploration plus profonde, à une quête insatiable de sens dans l’apparent chaos. Ces motifs défient la cohérence, créant une ambiance oppressante où l’ordre et le désordre se mêlent, rappelant les œuvres de René Magritte, qui jouait avec les attentes de l’observateur en confrontant des éléments incompatibles.
Scorn s’ancre profondément dans les courants de l’art fantastique et horrifique, héritant de l’héritage visuel d’artistes du XIXe siècle tels que Gustave Doré et Francisco Goya. Les paysages déformés du jeu évoquent les visions infernales de l’Enfer de Dante, où la damnation prend des formes inattendues et tordues. Les environnements de Scorn sont une transposition vidéoludique de l’imaginaire de ces artistes, où l’horreur surgit de chaque coin sombre et où les paysages deviennent des cauchemars incarnés.
L’influence de l’art horrifique est tout aussi prégnante. Les créatures de Scorn rappellent les horreurs grotesques et les abominations infernales immortalisées par Hieronymus Bosch. Le jeu plonge les joueurs dans une danse macabre où l’extravagant côtoie l’horreur. Chaque créature est une invitation à la réflexion sur notre propre fascination sur la monstruosité, un thème qui hante depuis longtemps l’art horrifique.
Au coeur de l’artbook de Scorn
L’artbook officiel de Scorn est un regard complet sur le développement du jeu à travers l’exploration de ses concepst art. Au fil des 192 pages, l’équipe à l’origine de ce titre d’horreur atmosphérique donne un aperçu des graphismes uniques du jeu et parle de son admiration pour H.R. Giger. Ils donnent également des informations intéressantes sur le lore, mais pas assez pour éclaircir complètement la narration cryptique du jeu.
Scorn fait un effort louable pour raconter une histoire dystopique sans un seul mot de dialogue. Au lieu de cela, vous découvrirez le récit et les thèmes au fur et à mesure que vous vous promènerez sur la planète en ruine ainsi qu’en plongeant vos mains dans des interfaces extraterrestres bizarres.
Heureusement, l’artbook contient une liste détaillée du contexte et des fonctions exactes de ces machines organiques. Ces dernières ont été conçues à l’image du corps humain, et nombre d’entre elles ressemblent ostensiblement à des organes sexuels, rappelant les thématiques de Giger.
L’artbook de Scorn révèle que Ebb Software avait à l’origine de plus grands projets pour les Homunculi. Ces expériences synthétiques étaient des ingénieurs hautement intelligents capables de construire des cyborgs à partir de déchets organiques et de bric-à-brac. En raison de leur structure réduite et déformée, ils avaient besoin de ces machines pour se déplacer et fonctionner.
Les Homunculi avaient la dangereuse ambition de s’emparer de Polis, la citadelle qui se profile à la fin du jeu. Mais deux factions se sont séparées et se sont fait la guerre ; l’une construisait des cyborgs à partir de corps, tandis que l’autre fabriquait des exosuits robotiques militarisés. Malheureusement, notre seule rencontre avec ces créatures intelligentes dans le jeu consiste à leur donner du jus dans une presse hydraulique.
En raison de la portée ambitieuse de Scorn, l’équipe a dû réduire certaines de ses idées et certains de ses niveaux. Le premier lieu supprimé est le Blasted Labyrinth, qui devait être une zone de transition entre le Cratère et la Tour (un autre lieu finalement supprimé). Le Blasted Labyrinth servait de champ de bataille aux deux factions d’homoncules en guerre. À l’époque du jeu, la zone devait être jonchée de milliers de corps en décomposition et de cyborgs brisés. Les vestiges d’une guerre acharnée auraient peint l’histoire de Scorn dans le sang et la tragédie.
Scorn met en avant l’idée de la conscience collective dans le dernier acte du jeu. L’artbook révèle que l’équipe a joué avec le concept de transfert de conscience, à la fois pour les joueurs et les habitants du monde. L’artiste conceptuel Filip Acovic a écrit qu’il avait réfléchi à la façon dont les joueurs pouvaient découvrir le monde sous la forme de différentes entités physiques. Les entités pourraient même ramper à l’intérieur de coquilles creuses pour fusionner leur conscience dans des corps vides. Le processus aboutirait généralement à une explosion kaléidoscopique, presque psychédélique, de motifs et de couleurs. Le seul vestige de cette idée est le passage d’un humanoïde à l’autre pour terminer un puzzle rudimentaire.
La Tour est le deuxième endroit supprimé du jeu ; elle était censée être un gratte-ciel rougeâtre imposant juste après s’être aventuré dans le Blasted Labyrinth. Dans l’artbook, la Tour est presque en parfait état par rapport à son environnement aride et hostile. Comme on pouvait s’y attendre de la part de Scorn, la Tour ressemble indéniablement à un phallus. Son zénith emprisonnant une créature gigantesque qui criant de douleur parce qu’elle s’agrandit sans cesse. L’artbook mentionne que les joueurs devront broyer des parties de la bête pour progresser dans la zone.
L’énorme créature située au sommet de la Tour est forcée de créer une descendance, tout comme la Crater Queen attachée au grand ascenseur de Polis. Le mastodonte de la Tour est recouvert d’un épais mastic organique alimenté en permanence par de multiples broyeurs. La substance est rejetée dans des valves et des tuyaux disséminés dans toute la structure. Cependant, ce mastic s’accumule et mute en créatures difformes à la base des tuyaux, s’enroulant comme du dentifrice et formant des caricatures de souffrance. L’artbook de Scorn suggère qu’elles auraient été aussi nombreuses qu’une armée autour de la Tour.
Dans la section des armes de l’artbook, Ebb Software a envisagé d’abandonner l’utilisation de toutes les armes issues du parasite. À la place, vous auriez pu installer un bras armé mécanique qui tire à partir d’un canon caché derrière le poignet. Filip Acovic explique que nous aurions pu utiliser la technologie pour modifier et transformer notre avatar en une sorte de cyborg. Le plus intéressant, c’est qu’il y avait une idée d’intrigue qui n’a pas été poursuivie et qui consistait à supprimer le parasite.
L’expression de la dualité entre organique et mécanique
Le Body Horror de David Cronenberg
David Cronenberg est un réalisateur qui a marqué le 7ème art grâce à ses explorations assez uniques du corps humain et de la technologie. Dans des films tels que Videodrome et eXistenZ, celui que l’on considère comme le père du body horror, plonge ses personnages dans des mondes où les avancées technologiques fusionnent de manière troublante et brutale avec le corps humain. Cette fusion crée une dualité, où la frontière entre l’organique et le mécanique devient abstraite. Scorn s’inspire de ces explorations cinématographiques en concevant des créatures et des paysages biomécaniques qui reflètent cette même dualité.
Dans le jeu de Ebb Software, cette exploration se manifeste à travers les créatures du jeu, dont l’anatomie est déformée par une combinaison complexe d’éléments organiques et mécaniques. Les corps de ces créatures semblent être le produit d’une fusion cauchemardesque entre la chair et la machine, évoquant le thème central de l’hybridité cher à Cronenberg. Cette fusion crée une esthétique inquiétante où les éléments organiques et mécaniques se fondent de manière indissociable, poussant les joueurs à questionner la nature de ces entités et la signification de leur existence.
Les films de Cronenberg sont souvent caractérisés par leur implication psychologique et psychédélique. Le spectateur va bien souvent réfléchir sur la réalité et la perception à travers des éléments visuels et narratifs complexes. Scorn transpose ces éléments dans son expérience de jeu, créant un monde où la frontière entre la réalité et le cauchemar est constamment remise en question.
Dans le jeu, la dimension psychédélique se manifeste à travers des environnements déformés, des énigmes visuelles complexes et une atmosphère qui évoque un rêve fiévreux. Les choix artistiques du jeu incitent les joueurs à se plonger dans un état de fascination malsaine, où la réalité semble élastique et où la perception devient un élément clé de l’expérience. Cette implication psychologique renforce le sentiment d’immersion dans un monde cauchemardesque, tout en évoquant les expérimentations cinématographiques de Cronenberg sur la réalité et la psyché humaine.
Zdzisław Beksiński : le surréalisme horrifique venu de Pologne
Zdzisław Beksiński est un artiste polonais qui a marqué au fer rouge le monde de l’art grâce à ses peintures et sculptures uniques, symbolisées par une esthétique macabre et un imaginaire onirique aussi terrifiant qu’hypnotisant.
L’un des aspects les plus frappants de son style est l’utilisation de couleurs sombres et de textures détaillées pour créer des images énigmatiques et évocatrices. Ses peintures sont souvent dominées par des créatures étranges et déformées, des paysages apocalyptiques et des figures humaines torturées. Beksiński utilisait principalement des techniques de peinture à l’huile et de dessin pour donner vie à ses visions sombres.
L’influence de Zdzisław Beksiński sur le jeu vidéo Scorn est palpable, en particulier dans son esthétique et son atmosphère. Le jeu capture de manière impressionnante l’essence de l’œuvre de Beksiński et la transpose dans un environnement interactif. Les paysages du jeu sont imprégnés de cette ambiance lugubre et décadente, avec des décors qui évoquent les mondes apocalyptiques que Beksiński a si souvent représentés. Les couleurs sombres et les détails minutieux rappellent les toiles de l’artiste polonais.
Les créatures qui peuplent Scorn ressemblent souvent aux abominations que Beksiński a immortalisées dans ses peintures. Le jeu explore la même fascination pour le grotesque et l’étrange, avec des créatures hybrides qui défient toute classification. Leur apparence évoque les monstres torturés que l’artiste a si fréquemment représentés. Tout comme les œuvres de Beksiński, Scorn crée une atmosphère énigmatique et troublante. Les environnements du jeu semblent tout droit sortis d’un rêve perturbé et cette ambiance évoque parfaitement l’univers visuel de Beksiński.
Les influences picturales indirectes
Entrer dans Scorn, c’est comme tomber dans une peinture de H.R. Giger ou de Zdzisław Beksiński. Un monde effroyable fait de matériaux organiques et charnus qui vous invitent à plonger vos doigts dans des trous mous et des membres coupés. C’est une sensation étrange. Tomber dans leurs œuvres grotesques semble être la dernière chose que l’on voudrait faire, mais ce grotesque est conçu d’une manière étrangement belle et satisfaisante.
Dans cette réalité interactive, nous sommes bien plus que de simples spectateurs, nous devenons des acteurs de l’expression artistique. C’est une invitation à emboîter le pas à des artistes tels que H.R. Giger et Zdzisław Beksiński, à travers les univers qu’ils ont imaginés. Nous devenons des explorateurs de ces mondes, naviguant à travers les paysages de leurs esprits, tout en apportant notre propre interprétation dans ces univers visuels et narratifs.
Ce voyage offre une opportunité unique pour revisiter et réinventer l’horreur de manière novatrice. Là où le cinéma a établi des conventions et des attentes bien définies, les jeux vidéo nous permettent de prendre des risques, d’explorer des horizons inattendus. Ils nous plongent dans les abysses de la terreur cosmique, un sous-genre littéraire qui explore les mystères du cosmos et l’inconcevable, et qui trouve enfin son plein épanouissement dans le 10ème art.
De plus, ce médium continue de puiser dans un puits d’inspiration formé par des artistes depuis bien longtemps. Les récits pulps abstraits, empreints de fantastique et d’horreur, prennent vie grâce à l’approche immersive des jeux vidéo. Les paysages de désolation et de nihilisme profondément enracinés dans la littérature du XIXe siècle deviennent des décors palpables que nous pouvons explorer. De même, les visions fantastiques du Moyen-Âge, façonnées par une cohorte d’artistes, trouvent une nouvelle vie dans ces univers numériques, ajoutant une couche d’authenticité à ces récits et créant des expériences qui ressemblent à des voyages dans le temps.
Hieronymus Bosch
Hieronimus Bosch, peintre visionnaire des années 1400, nous laisse un héritage artistique fascinant, notamment à travers des chefs-d’œuvre tels que Le Jardin des Délices Terrestres. Son approche picturale dénotait une audace qui défiait les conventions de son époque. Il ne cherchait pas à représenter le Moyen Âge de manière concrète, mais plutôt à tisser une toile surréaliste où des personnages aux contours déformés prenaient vie au sein d’un monde déconcertant. Ce jardin était peuplé de figures qui semblaient façonnées à partir de céramiques, transformées en maisons ou en ornementations extravagantes, où des fêtards nus se prélassaient.
Le spectateur de Bosch se trouvait ainsi confronté à un paysage où l’extraordinaire côtoyait l’absurde. Des cuves de glu noire, des instruments anthropomorphes aux mains démesurées, des oreilles géantes sur des créatures aériennes rappelant des spitfires, et des hommes-poissons dégustant leur repas aux côtés d’hommes-lapins. On peut y discerner un écho du monde d’Alice au pays des merveilles, mais chargé d’une anxiété plus palpable. Les têtes décoratives se démarquaient par leurs yeux vides, dans lesquels se laissaient glisser furtivement des rats.
Dans l’univers de Scorn, l’empreinte de Bosch s’avère indéniable. Le jeu embrasse un monde similaire, empli d’entrelacs d’entrailles et de chair organique, évoquant des parallèles troublants avec les fantaisies surréalistes du maître flamand. Imaginons un jeu qui s’immergerait entièrement dans l’œuvre de Bosch, un voyage dans la vie festive de nos ancêtres et l’exploration de la paranoïa de nos instincts primaires. Ce serait une plongée vertigineuse dans un univers où l’extraordinaire se marierait au grotesque, créant une expérience artistique des plus saisissantes. Un hommage à la vision iconoclaste de Bosch qui fascinerait les amateurs d’art et de jeux vidéo, tout en rappelant l’importance d’explorer de nouvelles frontières créatives, que seul ce médium pourrait offrir de manière aussi immersive.
Francisco Goya
Les peintures noires sont une des collections d’art les plus marquantes qui soit. Il s’agit d’une galerie distinctive de Francisco Goya datant du début des années 1800, qui est très éloignée de ses autres œuvres. Elle est beaucoup plus sombre, avec des créatures démoniaques dévorant des enfants et des visages humains qui, lorsqu’on les regarde de plus près, commencent à se désagréger et à perdre leur structure, seuls de vagues traits subsistent, apportant un air de familiarité. Cela les rend incroyablement troublants, comme si l’on regardait quelqu’un du coin de l’œil, sans jamais pouvoir en distinguer l’image.
Cette collection est un grand classique, avec une palette de couleurs sourdes qui reflète la nature vraiment sombre de notre monde, et qui illustre parfaitement l’espoir décroissant de Goya. Ce dernier a souffert de deux maladies presque mortelles, si bien que certains pensent que son art est un aperçu de l’aggravation de son état d’esprit. La possibilité de vivre plus personnellement cette perte progressive et d’apporter un commentaire contemporain à son pessimisme constituerait un monde riche qui mériterait d’être explorée.
Avec ces différents artistes, il est intéressant de souligner à quel point Scorn a sut s’approprier à sa manière diverses influences picturales pour proposer une œuvre qui va au-delà de la simple copie de l’aspect général du style de Giger. Mais surtout, il est fascinant d’imaginer d’autres jeux basés sur les travaux de ces artistes.
Scorn est un jeu profondément enraciné dans les courants artistiques du surréalisme et de l’horreur, influencé par des artistes tels que H.R. Giger, Zdzisław Beksiński, M.C. Escher, et les réalisations cinématographiques de David Cronenberg. À travers son style graphique et son ton unique, Scorn nous plonge dans un monde où l’organique et le mécanique se fondent dans une expérience ténébreuse, où les formes géométriques répétitives créent une atmosphère oppressante, et où les créatures de l’étrange évoquent une horreur quasi lovecraftienne.
Le jeu de Ebb Software s’impose comme une œuvre d’art interactive qui transcende les frontières entre le jeu vidéo et l’expression artistique. Son exploration des thèmes sombres et fantastiques, sa fusion de tissu vivant et du métal, ainsi que son hommage aux grands artistes et réalisateurs en font une expérience captivante.
Sources
Livres
Pellet Matthew, SCORN : THE ART OF THE GAME, Titan Books, 2023
Andreas J. Hirsch, HR Giger, Taschen, 2022
Article – internet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Scorn_(jeu_vidéo)
https://www.rockpapershotgun.com/scorn-art
https://www.dexerto.com/gaming/scorn-ending-explained-what-is-scorn-about-1960355/
Vidéos
Curious Archive, The Biomechanical Nightmare of ‘Scorn’, 2022, 20 min 25, URL : https://youtu.be/YGzeYfwVa5U?si=rLtf_Zqa7ddCsNwQ
IGP, SCORN but I Show You Everything They DIDN’T Want You to See, 2022, 25 min 51, URL : https://youtu.be/mexYNVlfD5Q?si=dSrnFNlmR_n13Zpk
Alt 236, STENDHAL SYNDROME # 10 : Zdzisław Beksiński, 2019, 54 min 32, URL : https://youtu.be/3vaq3Y_cnfQ?si=-0iwQbRDdboebtrM
7 Commentaires
Participez à la discussion et donnez-nous votre avis.
Bon, j’en profite au passage pour tester si les commentaires fonctionnent :p
Plus sérieusement : super dossier ! J’avais déjà énormément de documentation sur le jeu, (y compris l’excellent livre de Lost in Cult et Scorn: The Art of the Game) mais c’est un plaisir de voir à nouveau ce chef d’oeuvre visuel (à défaut de l’être aussi pour sa proposition de gameplay) discuté et mis en avant ! La bise ! – JoPe
Merci bien Jo ! J’attends encore mon exemplaire de Lost in Cult sur le sujet, ca sera l’occasion d’approfondir encore le sujet eheh
Ça fait plaisir à lire, j’ai vraiment adoré Scorn, tant par son parti pris narratif immersif que par sa direction artistique incroyable.
Et bien vu pour les références indirectes (Bosch, Goya) car j’avoue m’être arrêté sur ses inspirations directes (qui sont depuis longtemps pour moi des rouages importants de mon imaginaire et même carrément de mon rapport au monde).
Encore bravo Julien.
Merci Manu ! C’est ce que j’essaie de faire au mieux, d’aller chercher les inspirations un peu plus classique et de ne pas s’arrêter à simplement « c’est comme Alien » 🙂
[…] (comme la folie dans Bloodborne, le stress provoqué dans un Resident Evil 4 ou le dégoût dans Scorn), on voit bien qu’énormément de fans de jeux d’horreur peuvent être conquis. Tout simplement […]
[…] où chair et machine fusionnent. Je ne peux d’ailleurs que vous conseiller l’excellent The Art Of Scorn de mon collègue Julien, que vous trouverez facilement sur le […]
[…] universe imbued with sexuality, where flesh and machine merge. I can only recommend the excellent The Art Of Scorn by my colleague Julien, which you can easily find on the […]