Le folklore à travers le monde
Si les jeux d’horreur sont légion, on peut y trouver un sous-genre, hérité du cinéma et de la littérature : le folk horror. Or, loin de générer uniquement la terreur, le folk horror est aussi un moyen de découvrir le folklore propre à un pays, une région ou une ville. Faisons donc un petit tour d’horizon qui pourra nous démontrer que, définitivement, le jeu vidéo n’est pas là uniquement que pour nous divertir, mais peut aussi nous faire voyager.
Définir le folklore et le folk horror
Avant toute chose, il convient de définir ce qu’est le folklore. Selon le Larousse, il s’agit de la science (lore) du peuple (folk). Le folklore désigne donc un ensemble de croyances, de légendes, de fêtes et de superstitions, plutôt issues du monde rural voire païen. Ce folklore s’inscrit en opposition à la culture des villes et au monde de la science, de la raison, notamment parce qu’il puise ses racines dans des traditions superstitieuses, héritées de génération en génération, et donc gardées comme un héritage du passé. À ce titre, le folklore fait aussi penser aux contes traditionnels, racontés aux enfants décennie après décennie, se modifiant subtilement par la voie orale mais gardant une empreinte de peur, de fantastique et de morale. C’est ainsi qu’on peut parler de folklore suédois, irlandais, japonais, etc, pour désigner les légendes propres à un pays et qui font partie d’une tradition et d’un héritage communs.
Le folk horror est donc issu de ce premier terme, puisqu’il va mettre en scène ces contes et rites de manière horrifique, en les détournant. Quand on pense folk horror, la référence qui nous vient est celle d’un personnage, souvent citadin, qui se retrouve plongé dans une nature ou un village rural isolé, confrontant sa rationalité et son ignorance à des rites païens, à des villageois obstinés dans une vision du monde fantastique et bâtie sur des croyances anciennes. Cela nous donne quelques-unes des composantes du sous-genre :
- Une immersion dans une nature isolée, sauvage et souvent incompréhensible, empreinte de mysticité et de danger, où elle est toute-puissante ;
- La présence d’un fantastique au pur sens du terme, où le personnage ne sait plus s’il est dans la réalité ou le surnaturel ;
- Une communauté religieuse/sectaire/païenne aux croyances transmises depuis des générations, dont les membres transmettent un sentiment croissant et insidieux de paranoïa et de malaise ;
- Un ou des personnages plutôt urbains, rationnels ou naïfs, qui se heurtent à ces croyances superstitieuses et qui vont être forcés d’en subir les conséquences et l’isolement ;
- La possibilité d’un surnaturel païen et plus généralement associé à la sorcellerie, avec l’évocation du diable, des sacrifices et des sorcières (bien qu’il puisse également dériver vers les entités divines imaginées par H.P. Lovecraft, par exemple).
Le folk horror, c’est l’affrontement entre deux mondes : celui de la raison et celui des croyances, du paganisme. À ce titre, il fascine car il met en opposition la rationalité d’un monde urbain organisé et sans superstition, aux rites d’un autre univers, ancrés dans les légendes et la croyance, dans la soumission et l’acceptation d’une nature incontrôlable et parfois surnaturelle. Il reflète la peur de la puissance de la nature, et de l’incompréhension d’un monde spirituel et/ou surnaturel. C’est aussi l’individualité contre le collectif ; bien souvent, le folk horror met en scène un personnage dont l’individualité marquée ne peut être suffisante pour lutter contre une communauté soudée par ses croyances et ses secrets.
À bien des égards, le folk horror fascine et effraie car il met en scène des histoires et des communautés promptes à suivre des rites sanglants et cruels, évoquant un retour en arrière de la civilisation humaine. Il oblige à l’acceptation des instincts primaires de l’homme pour un bien plus grand, celui de la communauté. C’est la peur primale envers une nature qu’on ne peut maîtriser en dépit de toute la science actuelle.
Un détour par la littérature et le cinéma
Quand le terme de folk horror est-il apparu pour la première fois ? Il semble naître au XIXe siècle, suite à des essais rédigés par Edward Burnett Taylor sur l’évolution socioculturelle (l’évolution d’une société au cours du temps, notamment du monde rural vers les villes) et par Margaret Murray sur le culte des sorcières (une théorie selon laquelle les procès des sorcières étaient une manière pour l’Église de détruire toute trace de divinités païennes).
Ces théories et essais ont ensuite laissé leur influence dans la littérature. Algernon Blackwood écrit une nouvelle nommée Le Wendigo en 1910, utilisant cette créature mi-cerf mi-humaine aux tendances cannibales du folklore canadien et indien, mais aussi L’Homme que les arbres aimaient (1907), multiples nouvelles où une nature sauvage oscillant entre oppression et surnaturel rend fous les personnages. Arthur Machen signe Le Grand Dieu Pan (1894) où une jeune femme se retrouve possédée par une force issue d’un monde invisible, caché derrière le monde des humains. En 1950, Shirley Jackson réutilise ce thème d’une communauté liée par la croyance en un rite sacrificiel pour le bien collectif dans sa nouvelle La loterie. Plus proche de nous, Stephen King évoque la légende du cimetière indien pour expliquer la résurrection maléfique des animaux de Simetierre, ou explore les sacrifices humains de la communauté des Enfants du Maïs. Un autre exemple récent est Envol de Kathleen Jennings, où l’héroïne enquête sur son passé en se plongeant dans le bush australien et ses secrets.
![Couverture de la Loterie de Shirley Jackson](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-2-766x1024.png)
Mais c’est sans doute par le cinéma que le folk horror est le plus connu, avant de s’introduire dans les jeux vidéo. Dans les années 1970, une trilogie de films définit le genre : Le Grand Inquisiteur (réalisé par Michael Reeves) qui tourne autour du procès des sorcières, La nuit des maléfices (Piers Haggard) qui met en scène le satanisme gagnant tout un village, et le célèbre The Wicker Man (Robin Hardy) avec un agent de police qui va enquêter sur la disparition d’une jeune fille sur une île, se confrontant aux rituels païens, sanglants et sexuels des insulaires. Plus récemment, le genre connaît un renouveau dans le cinéma d’horreur : The VVitch (Robert Eggers) qui reprend le thème des sorcières et du diable, la série The Third Day (Dennis Kelly) qui montre le quotidien d’une île où les habitants sont réunis par les rites et croyances, Le Projet Blair Witch avec sa forêt hantée (Daniel Myrick), ou encore Midsommar d’Ari Aster, où un groupe d’étudiants découvre le folklore et les traditions violentes d’une île suédoise.
![Image de Jude Law dans la série The Third Day, arborant une couronne d'épines et couvert de terres, le regard fanatique.](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-3-1024x512.png)
Ce très bref tour d’horizon du folk horror en littérature et au cinéma nous permet de voir ensuite comment ce sous-genre de l’horreur a pu s’introduire dans le jeu vidéo avec une grande facilité. Quoi de mieux pour une histoire d’horreur que le folk horror ? Il permet de mettre en place toutes les bonnes conditions du genre : l’isolement d’un héros ou d’une héroïne, en proie à des forces réalistes ou surnaturelles qu’il ne comprend pas, mais qui reflètent également une vérité cachée de la société dans laquelle il vit, voire un traumatisme propre.
Une découverte du monde par le folk horror
Pourquoi le jeu vidéo s’est-il si bien approprié ce sous-genre ? Outre le fait de pouvoir s’en servir pour créer une bonne histoire d’horreur ? Tout simplement parce que les légendes, qu’elles soient anciennes ou plus récentes, superstitieuses ou urbaines, font partie des peurs profondément ancrées dans l’imaginaire collectif. On connaît tous et toutes l’histoire de la dame blanche ; le loup en tant que monstre des contes de fées subit encore la stigmatisation d’une peur irraisonnée ; nous ne nous sentons pas forcément à l’aise avec l’idée d’un monde spirituel, au-delà du nôtre. Les multiples variantes des contes traditionnels contribuent à cet imaginaire collectif, chaque pays ayant sa propre version du Petit chaperon rouge, de la petite sirène, ou tout simplement des êtres féériques et légendaires. La nature, tant dans les mythes que dans les arts, semble le lieu idéal où se confrontent les forces du bien et du mal, en isolant des protagonistes et en les forçant à lutter contre des entités plus puissantes que lui.
La richesse du folk horror tient à sa manière de se réapproprier des figures de contes et de légendes, de les en détourner par l’horreur. Des personnages ainsi connus nous parviennent, notamment sous des apparences propres à leur pays. La peur fait alors un pas de côté, devenant encore plus étrange et malaisante, en nous offrant de découvrir des légendes que nous ne connaissons pas ou peu. Le folk horror est aussi une manière de découvrir le monde et ses différentes civilisations et visions. En nous immergeant dans son folklore, le jeu vidéo devient alors un moyen de voyage à travers différents pays. C’est cette diversité que je vous invite à découvrir, même si elle n’est pas exhaustive !
Europe centrale et de l’est : fantômes, croyances et créatures fantastiques
Commençons notre tour du monde par l’Europe, terrain le plus connu pour nous. Il est important de noter que je ne me base pas toujours sur le pays d’implantation des studios des jeux vidéo nommés, mais sur le folklore original qu’ils utilisent.
Paru en 2021, Maid of Sker est créé par Wales Interactive. Il s’agit, pour un premier exemple, d’un jeu vidéo utilisant le folklore gallois et dont le studio est lui-même implanté au Pays de Galles. S’il ressemble beaucoup, par sa structure et ses énigmes, à un Resident Evil, Maid of Sker tient son originalité à son contexte. On y incarne un jeune homme, Thomas Evans, que sa fiancée Elizabeth Evans supplie de venir à Sker Hotel où elle doit donner un concert. Elle est prisonnière d’un paternel monstrueux. C’est en rassemblant des cylindres de musique et des partitions que Thomas peut espérer mettre fin à la malédiction qui pèse sur l’établissement. Le jeu puise ses racines dans une inspiration très gothique, mais aussi dans le folklore gallois, puisqu’il se base sur la véritable Sker House à côté de la ville de Bridgend. Le bâtiment, vieux de 500 ans, a vu plusieurs familles l’habiter et y créer ses propres histoires de fantômes. Maid of Sker s’inspire très librement d’une histoire d’amour impossible entre Elizabeth Williams et le harpiste Thomas Evans au XVIIe siècle, le père de la jeune fille mariant celle-ci à un homme plus riche. Elizabeth se laisse alors mourir de faim ou de chagrin après le mariage, son fantôme hantant désormais les lieux. L’histoire du bâtiment abrite aussi des légendes sur les naufrages criminels organisés à Sker Point pour dépouiller les navires et d’un marin qui hanterait Sker House après s’être noyé dans l’un d’eux. Maid of Sker utilise ainsi parfaitement l’Histoire du Pays de Galles, son folklore de fantômes et de sirènes, pour nourrir son intrigue horrifique de culte présent dans l’hôtel.
![Rituel de la secte de Maid of Sker](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-4-1024x576.png)
Resident Evil Village (Capcom, 2021) est un cas intéressant qui revisite le folk horror. Le héros Ethan part à la recherche de sa femme dans un village reculé de Roumanie, où les villageois sont terrorisés par la présence de loup-garous, mais aussi de vampires vivant dans le château gothique non loin et d’une maison où vivrait une poupée maléfique. Bien loin de la civilisation américaine dont il a l’habitude, Ethan doit affronter des superstitions et des légendes locales dans une terre inhospitalière et enneigée, où la rudesse du quotidien et le surnaturel pèsent sur les habitants. Bien sûr, c’est un Resident Evil : le jeu nous montre que la science est devenue si avancée qu’elle passe pour de la magie, pour paraphraser l’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke. Le fantastique recèle ici un fondement important de science, mais le jeu nous mène en bateau pendant un temps en nous faisant affronter des créatures bien connues de l’horreur.
Saturnalia (Santa Ragione, 2022) fait errer lae joueureuse dans les dédales de Gravoi, une ville fortement influencée par le folklore de Sardaigne, en Italie. Quatre protagonistes y reviennent, pour soulever de vieux secrets bien gardés dans cette cité où chacun se connaît. Une créature masquée y rôde et les pourchasse, afin de les empêcher de découvrir la vérité sur leur passé. Gravoi apparaît ici comme une ville communautaire, aux dédales labyrinthiques, ancrée dans ses traditions et ses rituels secrets lors de la nuit des Saturnales, où les habitants suivent les règles d’une société soigneusement hiérarchisée en secret. Les quatre héros et héroïnes du jeu, déjà marginalisé(e)s et ayant quitté la ville auparavant pour cette raison, sont la parfaite figure de ces étrangers rationnels qui reviennent en des terres plus païennes.
![Image tirée du jeu Saturnalia, avec un caractère religieux](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-5-1024x576.png)
Dans Martha is Dead (2022), le studio LKA nous propose l’histoire de Giulia, une jeune fille qui perd sa soeur jumelle dans une maison de campagne en Toscane, durant l’année 1944. La demeure, perdue dans les champs et loin de toute grande ville, non loin d’une forêt où se battent des résistants et des soldats, laisse une impression de solitude. La vie rurale loin de la guerre n’est pas pour autant dénuée de dangers, au contraire : la mort abrupte de Martha par noyade incite Giulia à enquêter, entre réalité et superstition. Car dans ce lac, il est bien dit que la Dame blanche rôde, prenant la vie d’autres femmes amoureuses pour se venger de sa propre histoire d’amour tragique. Martha is Dead mêle habilement les traumatismes de la guerre et du deuil, tout en se parant d’un folklore italien avec sa propre version de la Dame blanche et l’utilisation régulière d’un jeu de tarot. L’isolement de Giulia dans cet endroit reculé interroge également sur sa propre perception des choses et sa santé mentale.
Mundaun tient son nom d’un véritable village suisse, situé dans le canton des Grisons. Fruit du travail de la seule personne du studio Hidden Fields, il sort en 2021, doublé en romanche, la langue du canton. On y suit le retour de Curdin dans son village natal, après la mort accidentelle de son grand-père dans un incendie. Lae joueureuse est incité(e) à parcourir les montagnes, tout en se confrontant aux superstitions locales et à des rencontres marquées par l’étrange. Si le jeu parvient autant à immerger dans une nature enneigée, c’est par la beauté de sa direction artistique, dessinée du début à la fin. Le fusain utilisé nous plonge dans un noir et blanc dévoilant tantôt des paysages idylliques, tantôt des visions cauchemardesques, nous donnant à ressentir la solitude et l’errance dans ce monochrone de neige. Mundaun se base sur des croyances alpines, telle que la légende du Pont du Diable : ce dernier aurait construit ce pont en échange de l’âme de la première personne qui y passerait. Voilà qui reflète bien le côté folk horror du jeu.
![Paysage neigeux et montagneux du jeu vidéo Mundaun](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-6-1024x576.png)
Terminons notre tour du folk horror européen avec le britannique The Excavation of Hob’s Barrow, créé par Cloak and Dagger Games, et sorti en 2022. Il s’inscrit ici dans la plus pure tradition du folk horror britannique : Thomasina Bateman, une antiquaire victorienne, est invitée à explorer le tumulus de Hob’s Barrow (un ancien cimetière en forme de petit mont) du village Bewlay. Mais son bienfaiteur est introuvable et les habitants du village s’opposent vivement à la venue d’une étrangère aussi moderne et déterminée. La direction en pixel art et l’aspect point and click du jeu parviennent à transmettre l’étrangeté malsaine de ce village. Dans les landes désolées et grises parcourues par l’héroïne, c’est tout un folklore mélancolique qui disparaît sous l’industrialisation de la modernité, dont on trouve encore quelques traces dans les plaines et le village, faisant se croiser être surnaturels, prêtre et sorcière flirtant avec le fantastique et la superstition, ou encore la croyance aux fées.
Le folk horror européen a donc tendance à utiliser les créatures issues de légendes traditionnelles et de mythes, comme la figure de la Dame blanche ou du loup-garou, mais également à s’appuyer sur des événements historiques. Il accorde une grande place à la puissance et la dangerosité de la nature, ainsi qu’aux anciennes traditions et aux communautés qui peuvent rejeter les étrangers.
Scandinavie : la noirceur des contes traditionnels
Un autre terrain propre aux jeux vidéo d’horreur et au folk horror est la mythologie scandinave, réunissant les légendes du Danemark, de la Suède et de la Norvège (parfois l’Islande, par méconnaissance). Ces pays, historiquement unis à plusieurs reprises, possèdent un passé et une histoire commune. Ce sont des contrées souvent méconnues, assimilées aux landes désertiques et venteuses, dépourvues de végétation et d’arbres en raison d’un climat glacial – elles ont d’ailleurs inspiré les paysages désolés de Death Stranding. Outre cet environnement difficile à vivre pour les humains qui y vivent, la Scandinavie propose aussi un folklore peu connu, composé de trolls, fées, mais aussi de créatures plus inquiétantes et qui illustrent à merveille le côté obscur des contes traditionnels : sirènes, selkies, démons et bien d’autres encore.
Bramble : The Mountain King du studio Dimfrost est ainsi sorti en 2023, en puisant son inspiration dans ce folklore nordique. Olle, un petit garçon, quitte sa maison avec sa sœur Lillemor, qui est alors enlevée par le roi de la montagne. Olle débute alors tout un voyage initiatique, de l’enfance vers la maturité, pour retrouver sa soeur. S’il est parfois aidé par des trolls, gnomes ou fées, il doit tout autant faire face à des créatures terrifiantes, souvent aperçues au loin comme un mauvais présage, avant de se rapprocher du danger. Le Näcken est ainsi une créature capable de changer de forme, autrefois un violoniste de renom qu’on a rejeté et méprisé. Depuis, sous une forme humanoïde, il tente d’attirer par sa musique de potentielles victimes, puis de les noyer. Skogsrå est un esprit sylvain prenant la forme d’une belle femme, séduisant ses victimes et les sacrifiant pour intensifier ses pouvoirs magiques. Pesta est une créature responsable de la peste répandue dans un village, transformant ses victimes en monstres cannibales. Kärrhäxan, quant à elle, est une sorcière capable de faire avorter des femmes enceintes ou d’accepter des nouveau-nés indésirables, seulement pour mieux les sacrifier au cours de rituels.
![Olle contemple au loin une des créatures légendaires, menaçante : le démon de l'eau](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-7-1024x576.png)
Ce qui est fascinant avec Bramble, c’est que non seulement le jeu utilise des figures du folklore scandinave, mais les met en scène de manière parallèle à l’histoire médiévale des pays nordiques. Les démons croisés dans le jeu deviennent des incarnations d’épisodes historique de maladies (Pesta et la peste bubonique), de sacrifices païens pour s’assurer un plus grand pouvoir (Skogsrå), ou aborde l’infanticide présent à une époque où les femmes ne pouvaient supporter un trop grand nombre d’enfants (Kärrhäxan). Ces détails qui permettent d’appuyer le folklore sur une réalité historique, mêlant faits de société et superstitions, sont trouvables dans des livrets de “contes” par Olle au cours du jeu. Ce mélange de véracité et de légende contribue à créer une atmosphère encore plus macabre et glaçante, après un début de jeu féérique.
Sorti en 2016 et produit par le studio norvégien Antagonist, Through the woods s’inspire aussi du folklore scandinave et de la mythologie nordique. On y suit, sur une île, Karen, une femme à la recherche de son fils Espen, mystérieusement kidnappé par un homme surnommé Old Erik. Tout au long de sa quête, elle croise trolls, démons, loups dotés de paroles… des créatures et esprits encore une fois tirés des légendes nordiques. Il y a aussi la possibilité de lire des notes et des messages des autres habitants de l’île, tous ayant perdu leurs enfants dans des circonstances étranges. Les rituels et sacrifices à des dieux païens planent au-dessus de cette histoire, rendant son atmosphère encore plus macabre. Car comme dans Bramble, on voit les monstres et démons du coin de l’œil avant de les affronter ou de les éviter, dans l’obscurité sauvage de l’île. Through the wood fait bel et bien appel au folklore des contrées nordiques pour donner une sensation de peur inhabituelle, forgée à la fois par la toute-puissance d’une nature peu accueillante, et par la présence de créatures auxquelles les Européens sont peu habitué(e)s.
Asie : l’horreur nipponne à son apogée
Comment parler du folk horror sans évoquer l’Asie ? L’horreur issue du Japon, de la Chine et d’autres pays asiatiques est devenue presque populaire. Le cinéma nous a habitués à croiser les figures pâles et terrifiantes des yukai, les plus célèbres étant les onryō Kayako et Sadako (The Ring, The Grudge), les plus amicaux kodama (Princesse Mononoké) et bien d’autres encore. Les légendes japonaises comprennent nombre de créatures, qu’on retrouve évidemment dans les jeux vidéo. Les pays asiatiques vivent dans un contraste quotidien de traditions et de modernité, avec la présence de temples et de cérémonies anciennes, tout en étant tournés vers les nouvelles technologies et les mégalopoles. Cela se ressent dans les jeux, et notamment ceux de survival horror, où légendes urbaines et traditions se mêlent souvent à des environnements très urbains.
Un des premiers exemples à venir à l’esprit est la licence Silent Hill (Silent Team, 1999-2004). Le premier opus accorde une grande importance à l’existence de la secte de l’Ordre, entourant Alessa et le retour d’une Déesse, mêlant rituels, sacrifices ésotériques et isolement des personnages. C’est une société secrète existant depuis les années 1900 dans l’histoire de la ville, et une des raisons pour laquelle celle-ci semble hantée, devenue un tel purgatoire : ce sont ses tentatives de faire renaître un dieu (ou plus exactement, une déesse) qui nourrissent les ténèbres du lieu. L’Ordre est également responsable de nombreuses activités criminelles au sein de la ville, et la plupart des membres (simples servants ou membres plus haut placés, comme les saints et les prêtresses) n’hésitent pas à utiliser la violence, le chantage, la menace, le kidnapping et la torture pour accroître leur nombre de fidèles. Les non-croyants sont eux bel et bien qualifiés de païens, renversant un peu cette particularité du folk horror.
![Heather, héroïne de Silent Hill 3, contemple le tableau représentant le "Dieu" de la ville et son enfant](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-1024x780.jpeg)
Dans le premier Silent Hill, Harry Mason, à la recherche de sa fille, sera bien en peine de comprendre le but de cette secte. Il cherche à éviter que son enfant soit sacrifiée lors d’un rituel de sang et de renaissance. On retrouve cet Ordre dans Silent Hill 3, qui met Heather Mason au centre de l’intrigue, faisant d’elle la cible de la secte et l’obligeant à devenir la mère d’une divinité toute-puissante. Cette dernière pourrait alors déclencher l’Apocalypse et mener enfin à un Paradis sans douleur ni faim. Même dans le très moyen Silent Hill Homecoming, cette secte est réutilisée sur fond de sacrifices d’enfants, afin de préserver la paix de la ville et expier les péchés des parents. Silent Hill use ainsi tout particulièrement l’imaginaire autour des sectes religieuses, des rituels ésotériques et de divinités diaboliques pour marquer ses jeux d’un mysticisme et d’un surnaturel cryptiques au premier abord. Plus accessoirement et dans un autre style, notons que Silent Hill 4 : The Room fait apparaître une des victimes du jeu, Cynthia Velasquez sous forme de onryō vengeur, rampant et utilisant ses longs cheveux pour attaquer Henry, le héros du jeu.
Cette créature particulière du folklore horrifique japonais est particulièrement présente dans The Evil Within 1 et 2 (Tango Gameworks, 2014- 2017), avec respectivement les antagonistes Laura et Anima. Dans ce jeu où les monstres sont issus des souvenirs traumatiques des différents personnages, Laura est une jeune fille brûlée vive, dont la forme monstrueuse post-mortem s’inspire à la fois de l’onryō par ses longs cheveux, mais aussi d’un autre démon japonais similaire à une femme-araignée séduisante, Jorōgumo, auquel elle emprunte ses multiples bras et la façon arachéenne de se déplacer. Quant à Anima, elle ressemble encore une fois bien à l’onryō doté de longs cheveux noirs. Sa manière désincarnée de flotter dans les airs, de se téléporter aléatoirement et de fredonner une version glauque de Clair de lune (censé être la musique de safe room de The Evil Within) aura marqué plus d’un(e) joueureuse.
![Laura, la créature femme-araignée, antagoniste du jeu](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-8-1024x576.png)
Little Nightmares (Tarsier Studios, 2017) est un jeu de plateformes où l’on contrôle Six, une fillette vêtue d’un imperméable jaune, et qui cherche à fuir le bateau sur lequel elle se retrouve. Bien que le jeu soit assez cryptique et qu’aucun dialogue ne soit présent pour aiguiller sur le scénario, on ne peut que ressentir sa forte influence du folklore japonais. L’ennemi principale est une Dame, vêtue telle une geisha (les courtisanes japonaises), dont l’obsession semble être son apparence. Plusieurs lieux sur le navire évoquent l’architecture et le mobilier japonais, telles les salles à manger (qui évoqueront la scène de repas du début du film Le voyage de Chihiro), les quartiers de la Dame présent des éléments raffinés : statues, mobiliers, miroirs, qu’on assimile plutôt à un design japonais. La manière même de traverser certaines salles, par des fenêtres et paravents coulissants, évoquent les maisons traditionnelles japonaises. Le premier jeu de la licence Little Nightmare possède ainsi plusieurs caractéristiques de la culture nippone, mais il devient encore plus malsain et fascinant par sa structure narrative et ses personnages, qu’on pourrait retrouver dans des contes noirs. Les personnages n’ont par exemple jamais de noms, mais plutôt des fonctions, et iels traversent des épreuves et des lieux jouant sur les terreurs de l’enfance.
D’autres jeux, parfois plus anciens, jouent pleinement la carte du folklore japonais et ont fait l’âge d’or des survival horror de la Playstation 2. Il est difficile de ne pas citer, entre autres, Kuon du studio FromSoftware, sorti en 2004, dont l’action se passe durant l’ère Heian (entre 800 et 1200 après Jésus-Christ). Plusieurs personnages affrontent des monstres dans le manoir Fujiwara à Kyoto, traversant des zones chargées en énergie négative capables de ralentir les héros, à moins de méditer ensuite pour récupérer de la santé. Certains d’entre eux sont des onmyōji, des exorcistes qui vont justement pouvoir chasser ces démons. Le studio Koei Tecmo jouera aussi cette carte des esprits avec la licence Fatal Frame / Project Zero à partir de 2001. L’histoire, située dans les années 80 au Japon, place des héroïnes dans des manoirs et villages abandonnés, hantés par des fantômes soit hostiles soit passifs. Le seul moyen de les arrêter et de les tuer est de les prendre en photo avec la Camera Obscura, un appareil photo doté de pouvoirs surnaturels. Fatal Frame met en avant la présence d’un monde invisible au-delà du quotidien, rendu perceptible uniquement par l’appareil photo. Les fantômes de la licence sont souvent issus de rituels sanglants traumatiques et d’anciens rites ésotériques propres au Japon et à son folklore.
![Un fantôme vu à travers l'appareil photo du jeu](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-9-1024x576.png)
Tango Gameworks revient en 2022 avec Ghostwire : Tokyo, nouveau jeu horrifique où des fantômes (yokai, surnommés les Visiteurs) envahissent la capitale japonaise après la disparition de la quasi-totalité des habitants. Seul Akito, un jeune garçon, est en mesure de les exorciser car il a été lui-même possédé par un esprit surnommé KK. Le jeu nous plonge non seulement dans un Tokyo immense, mais aussi dans son folklore, ses traditions, ses mets culinaires… La chasse aux esprits, si elle constitue le but principal du jeu, permet d’en savoir plus sur les légendes entourant toutes ces créatures japonaises. Kasa-obakei (sorte de parapluie doté d’un oeil et d’une langue pendante), Kuchisake (femmes à la bouche fendue), Shiromuku (femmes en longues robes élégantes de mariées et aux longs cheveux noirs), rain walkers (êtres ressemblant à des businessman et portant un parapluie)… nombreux sont les yokai présents dans Ghostwire : Tokyo, donnant un riche aperçu des créatures légendaires du Japon, jouant parfois sur l’absurde et l’amusant, mais surtout sur l’horrifique.
Russie et mythes slaves : l’aridité de la nature
Dans les pays slaves, le folk horror s’inspire bien entendu des légendes et créatures de cette culture, mais il semble aussi profondément influencé par la nature même de la Russie et des pays voisins. Les terres désertiques et enneigées plongent dans un isolement complet, où la puissance de la nature se fait ressentir. Jamais forêts et montagnes n’ont aussi bien rendu compte de la fragilité humaine, à la merci des éléments naturels, face à un environnement sauvage qui pousse l’être humain à la survie.
Ainsi, le jeu Kholat (2015, IMGN.PRO) s’inspire librement de l’événement historique du passage de Dyatlov. Un groupe d’étudiants alpinistes a perdu la vie dans la montagne de Kholat Syakhl, dans des circonstances inexpliquées. Lae joueureuse interprète un enquêteur cherchant à élucider cet incident et à trouver la cause exacte de leurs morts. Si le jeu explore de nombreuses pistes, dont celles d’expériences scientifiques ou gouvernementales, il nous mène aussi à travers une montagne balayée par la tempête comme par une musique mélancolique et mystique, parcourue de créatures étranges qu’on peut interpréter comme les gardiens de Kholat Syakhl. Des camps déserts, des cavernes anciennes, une église abandonnée ou des avalanches, ainsi que la présence des “fantômes” des campeurs, achèvent de donner au jeu une ambiance assez unique. Il est d’autant plus immersif et inquiétant qu’une carte à peine annotée d’indications sera notre seul repère pour ne pas se perdre dans cette nature hostile.
![Une caverne ensevelie du jeu Kholat](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-10.png)
Si Darkwood, sorti en 2017 et produit par Acid Wizard Studio, ne s’inspire que partiellement du folklore slave, on y retrouve des motifs très proches du folk horror. On y incarne un homme trappé dans une maison, devant à la fois survivre à chaque nuit et explorer l’immense forêt ténébreuse qui l’entoure afin de fuir. La région, située quelque part en Pologne, est envahie par cette forêt qui ne cesse de progresser, ayant fait fuir les habitants ou les ayant transformés en monstres. L’un des premiers personnages que l’on rencontre – marchand d’objets du jeu – est d’ailleurs une étrange créature hybride entre l’homme et le loup. Avec sa vue du dessus et sa forêt baignant dans une atmosphère dangereuse, ses dédales prêts à nous perdre malgré notre carte, Darkwood rappelle immanquablement la toute-puissance d’une nature aussi cruelle que nourricière.
Prenant place dans la Russie du XIXe siècle, Black Book est produit par le studio russe Morteshka et sorti en 2021. Là encore, il s’inspire du folklore russe en mettant en scène une sorcière, Vasiliva, déterminée à sauver l’âme de son mari, y compris en acceptant l’héritage de sorcellerie de sa famille. Hélas, le Diable et ses tentations n’est jamais loin au tournant de ses choix, quand elle décide d’aider une personne plutôt qu’une autre, de maudire un voisin ou d’invoquer un esprit frappeur. Black Book nous fait plutôt basculer dans le point de vue de la sorcière du folk horror : Vasiliva est celle à qui on vient demander des services, des incantations et des malédictions, quitte à en payer le prix ou à se retrouver soi-même maudit. Les choix faits au cours du jeu, positifs ou négatifs, influent sur les points de péché de l’héroïne et sa destinée. C’est là un rogue-lite qui se sert des mythes et légendes russes pour étoffer son histoire et rendre hommage au village paysan perdu de Vasiliva, où la superstition règne encore. Une volonté appuyée par les paysages gris et froids de la Russie, ainsi que par l’utilisation littérale des termes russes pour désigner les démons du jeu et le quotidien de Vasiliva.
![Combat dans le jeu Black Book](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-11-1024x576.png)
En parlant de sorcellerie, et pour terminer avec le folklore slave, le très récent jeu Reka d’Emberstorm Entertainment vous fait également incarner une sorcière en devenir, sous la tutelle de Baba Yaga. Mais c’est Béné qui vous parlera bien mieux de ce jeu et de cette sorcière russe, durant le mois d’octobre !
Amérique du Nord : le poids de l’Histoire
Par son passé, l’Amérique du Nord cumule de légendes liées aux folklores autochtones, antérieurs à la Conquête de l’Ouest. Ses mythes s’articulent autour de ce conflit entre civilisations détruites par la colonisation et l’oppression du christianisme sur ce paganisme ancien. Les immenses territoires sauvages, américains ou canadiens, reflètent aussi la toute-puissance de la nature sur l’urbanité, et la culpabilité religieuse de la destruction de croyances primitives.
Ainsi, une des plus mémorables utilisations du folklore dans le jeu vidéo d’horreur est celle du wendigo dans Until Dawn (Supermassive Games, 2015). Ce récit interactif d’horreur semble débuter comme un slasher avec la présence d’un tueur au milieu d’un groupe d’adolescents, isolés dans un chalet en pleine tempête de neige. Pourtant, bien vite, on y trouve des éléments de folklore canadiens : les totems des Premières Nations algonquiennes qui préviennent de dangers de morts, et surtout la présence des wendigo, créatures humanoïdes à tête de cerf et anthropophages. Les humains forcés de recourir au cannibalisme pour survivre dans ces milieux extrêmes peuvent se retrouver possédés par l’esprit du wendigo. Ils incarnent le danger et le tabou du cannibalisme en cas de famine, notamment lors des périodes hivernales.
![La fillette sorcière de Little Hope](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-12.png)
Au cours de ses nombreux jeux d’horreur interactifs plus ou moins réussis, le studio Supermassive Games a emprunté plusieurs éléments du folklore américain, un peu à la manière de la série anthologique horrifique American Horror Story. The Quarry réutilise ainsi le mythe des loups-garous. Little Hope met l’accent sur une ville hantée par les procès des sorcières et l’horreur de leur assassinat, à une époque où le christianisme, conservateur et oppressant, cherchait à éliminer toute trace de paganisme des Etats-Unis. Le jeu explore, à sa manière, l’opposition entre un folklore rural issu d’anciennes pratiques et rituels païens, et la conversion impérieuse vers la religion chrétienne.
Le personnage de la sorcière est également au cœur du jeu Blair Witch (2019), se déroulant quelques années après le film Le Projet Blair Witch. Situé dans le même univers, ce titre de Bloober Team met en scène Ellis Lynch, vétéran de guerre et policier, à la recherche des adolescents perdus dans la forêt. Jamais immersion dans une forêt n’aurait été aussi totale dans un jeu, avec ce côté labyrinthique et photoréaliste, avec cette forêt devenant de plus en plus menaçante et tortueuse au fil du jeu. Une ambiance glaçante qui ne fait que se renforcer par la présence des fameuses figurines en bois issues du film, jusqu’à entrer dans la maison cauchemardesque de la sorcière. Le personnage y subit des visions terrifiantes et traumatisantes, concernant aussi bien des meurtres surnaturels que le syndrome post-traumatique dont il souffre depuis son retour de la guerre. L’existence, réelle ou non, de la sorcière, est laissée à l’interprétation de lae joueureuse, laissant planer le fantastique et le malaise tout du long.
![Les célèbres figurines en bois de la forêt de Blair Witch](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-13-1024x576.png)
The Chant, issu du jeune studio canadien Brass Token, propose en 2022 une histoire partiellement impliquée du folk horror, ou plutôt d’un folk horror revisité. L’héroïne, Jess, se rend sur une île afin d’accomplir une retraite spirituelle extrêmement New Age. Pour tout dire, elle tombe dans une sorte de secte axée sur la méditation, la spiritualité, l’estime de soi et la consommation de thé aux champignons hallucinogènes. Quand l’île bascule dans un cauchemar surnaturel, elle va devoir recourir à tout un matériel digne du paganisme (sauge, sel, bâton de sorcière, huile) afin de se battre. Les monstres présents sur l’île sont autant des créatures de weird fiction que des hommes du culte de l’île, avec leurs masques en forme de crâne et une nette propension à organiser des sacrifices humains. L’isolement de l’île joue sur la paranoïa de l’héroïne en nous faisant parcourir forêts, bâtisses abandonnées et falaises. On est dans une hésitation entre réalité et fantastique. Ce New Age mystique appuie l’incompréhension de Jess face au culte présent, visiblement très ancien, et dont le démon compte dévorer ses compagnons de route, les uns après les autres.
Pour terminer ce tour du folklore américain, passons en Alaska, pour cette fois parler d’un jeu bien moins horrifique que les autres, mais qui semblait essentiel à citer. Il s’agit de Never Alone (Kisima Inŋitchuŋa), développé par Upper One Games et sorti en 2014. En effet, Never Alone marque un tournant à l’époque, en se présentant comme un jeu de plateformes et d’énigme inspiré par les récits des autochtones d’Alaska, les iñupiaqs. Basé sur un récit traditionnel (Kunuuksaayuka), l’histoire présente Nuna, une fillette qui, avec l’aide d’un renard arctique, va essayer de découvrir la source du mal qui a terrassé son village. Le jeu se déroule dans une nature sauvage, balayée de vents terribles et d’une neige omniprésente, tout en créant une atmosphère étrangement paisible. Car le peuple natif d’Alaska choisit de respecter et accepter les forces de la nature, ainsi que la présence des animaux, tantôt sources de danger ou d’aides, sans chercher à les dominer. Tout au long de l’histoire, Nuna sera aidée par des esprits inuits et d’autres créatures folkloriques, et l’on admirera des cinématiques dont le design s’apparente à l’art traditionnel de gravure sur ossements, le scrimshaw. Surtout, Never Alone récompense lae joueureuse par des visionnages de saynètes et documentaires relatant la culture et l’histoire du peuple iñupiaq. Le jeu est un brillant exemple de comment le folklore peut faire découvrir toute une civilisation, des traditions et des croyances d’un autre pays, d’un autre peuple, surtout en laissant la possibilité aux personnes concernées d’y impliquer leur propre voix.
![Nuna invoque un des esprits inuits](https://www.pointnthink.fr/wp-content/uploads/2024/11/image-14-1024x576.png)
Conclusion
Ainsi se termine notre tour du monde du jeu vidéo par le biais du folk-horror. Il reste bien entendu nombre de jeux utilisant son folklore de manière horrifique, et il serait particulièrement intéressant de se pencher vers d’autres pays non mentionnés ici : Amérique du Sud, Afrique, Australie…
Ce folklore à travers le monde nous a permis d’identifier quelques tendances : l’Europe fait la part belle aux fantômes, monstres et croyances entourant les sorcières ou le Diable, fruit de son héritage judéo-chrétien. La Scandinavie nous permet d’explorer les aspects les plus sombres et macabres des contes de fées. Le Japon puise énormément dans son contraste entre modernité et tradition pour le folk horror, invoquant surtout les esprits et rites anciens. La Russie et les pays alentours auront tendance à utiliser une horreur mise en scène au milieu de contrées sauvages, enneigées et particulièrement hostiles à la vie humaine. L’Amérique du Nord, tiraillée entre les premières nations natives et la conquête de l’Ouest, ainsi que les conversions religieuses, nourrit son folklore de cette culpabilité de domination historique.
Comme défini en début d’article, le folk horror, c’est l’affrontement entre deux mondes : un ancien monde de coutumes païennes, et celui moderne, empreint d’un esprit religieux chrétien, sur fond de nature mystique et toute-puissance. Cet aspect se reflète à plusieurs reprises dans les différents jeux décrits, que ce soit avec la forêt menaçante de Darkwood, le col Kholat avec son climat hostile ou la forêt hantée de Blair Witch. La thématique de la sorcière est aussi souvent représentée, soit en nous faisant en incarner une (Reka, Black Book), soit en l’affrontant (Little Hope). Elle est directement reliée aux croyances anciennes et aux rituels obscurs (parfois à l’évocation du Diable), que ce soit avec des légendes locales (Mundaun) ou la puissance d’une secte (Silent Hill, Maid of Sker). Les esprits et fantômes sont légion dans toutes les cultures, mais particulièrement celle du Japon, tandis que les pays nordiques mettent davantage l’accent sur les contes et leur aspect aussi féérique que sombre, reflétant l’ambivalence de la nature humaine. Enfin, parfois, le folk horror s’appuie sur l’Histoire même du pays. C’est ainsi que le jeu vidéo devient un vecteur de voyage par le folklore, nous permettant de découvrir légendes, monstres, contes ou récits historiques d’un continent. Loin de se cantonner au simple gameplay, le jeu vidéo permet alors de découvrir le monde et ses différentes cultures d’une manière aussi ludique qu’effrayante.