Game’n Breakfast : Sébastien Bénard

Nous sommes le dernier dimanche du mois et décembre ou pas, voici Game’n Breakfast. On se pose bien au chaud, on prend un petit café, on digère le repas de famille, on est bien. Pour le dernier numéro de l’année, après Marie Marquet, je vous propose de vous installer en compagnie de Sébastien Bénard, ancien de chez Motion Twin, fondateur de Deepknight Games. Pas de précipitation, nous n’aurons pas d’avant-première sur Tenjutsu. Aujourd’hui, nous allons parler early access, gamefeel et game jam. Ça a été un vrai plaisir d’échanger avec lui, car il est n’est pas avare en partage d’expérience. Je vous laisse donc profiter de ces quelques lignes et on se retrouve à la conclusion.

Sébastien a commencé à coder dès tout petit, sur Atari. Ce qui l’a poussé à se lancer dans ce domaine, c’est cette fameuse disquette « langage de programmation » sur laquelle tu finissais toujours par tomber après avoir fait le tour des jeux, pas d’internet à cette époque. Il fallait, tout de même, digérer le gros bouquin qui allait avec. Son grand frère avait déjà défriché le sujet et l’a beaucoup aidé à acquérir les bases. La création, associée au code, lui a tout de suite plu, le syndrome Lego. La différence importante étant que tu peux faire jouer quelqu’un qui, à son tour, peut faire jouer quelqu’un d’autre sans que le concepteur soit là. L’idée se déroule d’elle-même, c’est ce qui lui a fait vriller le cerveau, faire jouer les autres avec ta création. Même si cette envie ne l’a jamais quitté, travailler dans le JV n’était pas au programme. Dans les années 2000, c’était une voix obscure, pas un plan de carrière. Il part dans des études d’informatique pour s’orienter dans la programmation web, le truc du moment qui lui faisait de l’œil. 

Sébastien Bénard - Disquette de langage d'Atari ST
Disquette langage d’une Atari ST

Par la suite, Sébastien fait la rencontre qui va donner une autre direction à sa vie, les personnes qui vont lui ouvrir les portes de Motion Twin. On ne s’emballe pas, c’est juste un travail d’été, mais l’enthousiasme est réel. Dans ce job, il retrouve tout ce qu’il a aimé en étant gamin, les protos, les mini-jeux, les mécaniques de gameplay. Sébastien a conçu des jeux vidéo de l’âge de sept ans jusqu’à la fin de l’adolescence, avant de passer à la programmation applicative pour ses études supérieures. Il finit, logiquement, par travailler pour de bon pour le studio bordelais. L’entreprise venait juste d’être créée donc tout était à faire à une époque où c’était loin d’être facile. Même si les idées sont présentes dès le début, c’est en 2005, soit quatre ans après sa création, que Motion Twin prend le statut de Société Coopérative et Participative (SCOP). Pour faire simple, c’est un statut qui place les salariés à la place des associés majoritaires. La hiérarchie habituellement pyramidale devient horizontale. Tout le monde a le même salaire, ancien comme nouveau, et le même poids dans les décisions. Le jeune studio fait le choix du jeu free-to-play, tout simplement, parce que c’est ce qui marchait à ce moment-là. La rencontre avec des personnes du site prizee.com leur ouvre la porte de leur plateforme de jeu web. Pourquoi le free-to-play ? En partie pour expérimenter des moyens de faire payer les joueurs pour du contenu sur le web. Au début des années 2000, ce n’est pas répandu en Europe. Sébastien trouvait ce modèle intéressant et sain, son avis a bien changé depuis. Comme beaucoup de choses, c’est un outil donc sa pertinence dépendra avant tout de qui l’utilise et comment. Ce qui lui plaisait, c’était l’idée de pouvoir jouer gratuitement à l’essentiel et d’acheter uniquement si le joueur en voulait plus. Au début du free-to-play, un jeu considéré comme du pay-to-win se faisait descendre alors qu’aujourd’hui c’est devenu monnaie courante. Motion Twin essayait donc de maintenir l’égalité des chances, peu importe les dépenses des joueurs. Ils explorent donc ce modèle pendant une quinzaine d’années en passant par le jeu de plateforme en 2D, de gestion ou de simulation. Puis arrive l’explosion du jeu sur smartphone. Motion Twin a tenté de se convertir à ce modèle, mais le devenir du free-to-play sur mobile ne leur a pas plu. Leur dernière chance a été de tenter le jeu PC traditionnel et c’est là qu’on arrive sur ce qui va devenir Dead Cells, initialement prévu pour suivre le même modèle économique que les jeux web. Au fil du développement, le jeu devient le rogue-lite que l’on connaît aujourd’hui dont le succès est, en partie, dû au fait d’être sorti sur le bon créneau selon Sébastien. Le jeu sort le 7 août 2018 et il continue à travailler dessus encore un an avant de quitter le studio car l’équipe n’arrivait pas à se mettre d’accord sur les projets à suivre. Sébastien avait envie de faire des jeux, mais pas celle de le faire dans l’ombre de Dead Cells, un peu comme un groupe de musique qui survit sur un seul album à succès. Afin d’être certain de garder la liberté créative qui lui plaît tant, il décide de se lancer en développeur solo pour la suite de ses projets. Aujourd’hui, il a donc son propre studio, Deepknight Games, dans lequel il fait des jeux à son échelle en fonction de l’envie. Le premier titre sorti de ce travail en solitaire est Nuclear Blaze. Nous y incarnons un pompier qui part explorer une base souterraine où se déroulent des événements étranges liés à un artefact. Ceux qui pensent déceler un lien avec la fondation SCP auront eu le nez creux car cela devait être le cas. Sébastien trouve le concept autour des anomalies SCP très propice à y développer du contenu. Lorsqu’il a voulu canoniser son jeu, il a découvert que tout contenu officiel de la fondation se devait d’être gratuit, hors le jeu vidéo est son gagne-pain. Pas de nouvelle anomalie signée Sébastien Bénard, mais un jeu fun et issu d’une envie très personnelle. C’est un concept qu’il a éprouvé en game jam, l’idée est venue car le combat contre le feu à un véritable potentiel de gameplay intéressant. Au delà de ça, c’est aussi un jeu qui possède un mode pour enfant car Sébastien voulait que son fils, trois ans à l’époque, puisse y jouer. Le jeu a été pensé comme quelque chose qu’il pourrait transmettre à son fils, lui montrer le fruit de son travail. 

Lorsque l’on analyse les productions sur lesquelles a travaillé Sébastien, on constate rapidement que l’accent est mis sur le game feel. Il utilise la méthode “Blizzard”, à l’époque où ils étaient cools bien sûr, que l’on retrouve dans Overwatch, Diablo, Starcraft et World of Warcraft. Ils n’ont pas réinventé la roue, mais ce qu’ils font ils le font bien. Le principe est de mélanger un concept novateur avec plein de mécaniques simples, mais il faut que le ressenti, manette en main, soit bon. Pour Sébastien, c’est plus efficace que de faire de l’original partout. C’est donc un principe qu’il met en place dans ses jeux. Pour l’exemple, un système d’inventaire mal pensé peut gâcher un jeu. C’est pourquoi, il essaie de tout peaufiner, le son, le ressenti des armes, la gratification lorsque l’on ramasse un item. Mettre l’accent sur les feedbacks pour tenter de transcender une petite mécanique. Si la récompense d’une boucle de gameplay est efficace, le joueur aura envie de la retrouver. C’est une méthode de fonctionnement qu’il était difficile à mettre en place dans les jeux web car ils étaient limités par l’ergonomie du site. En revanche, il l’a appliquée sur Dead Cells. Si on prend la plus petite boucle de gameplay du jeu, c’est-à-dire tuer un ennemi, elle donne de l’or ou des cellules. Sébastien a passé un temps excessif pour que, même au bout de deux cents fois, le joueur soit toujours autant amusé. Il a voulu polish cette micro-boucle avant de penser au reste. Les actions répétitives doivent être fun, il ne doit pas y avoir de mauvaise mort, de mauvaise réaction de l’ennemi. Lorsqu’on étend ce concept au style rogue-lite, ce polish permet de retrouver instantanément du plaisir après la mort pour que le joueur ait envie de relancer la partie. Concrètement, pour Sébastien, réussir à avoir un game feel efficace n’est pas très compliqué, ce n’est qu’un ensemble de petites astuces très simples, mais qu’il faut utiliser sans exception. Un coup doit faire clignoter l’ennemi, le distordre un peu, encaisser un dégât doit faire trembler la caméra, un personnage qui saute s’aplatit un peu à l’impact, c’est le starter pack de Sébastien, le b.a.-ba pour n’importe quel développeur. Le but de tout ça est de proposer un ressenti d’un impact, de la puissance (du personnage ou des ennemis). Enlevez tout ça et vous aurez l’impression de contrôler un poteau ou de taper à travers l’ennemi. Il n’y a pas de secret, observez toutes ces petites choses quand vous jouez, la plupart des jeux en sont bourrés. Sébastien ne comprend pas les développeurs qui n’utilisent pas ses feedbacks, lui les applique dès le prototype. Certains titres récents passent à côté de ce feeling juicy.

Conférence ADDON sur le design d’un rogue

En tant que développeur solo, Sébastien doit maîtriser bien des choses parmi lesquelles on trouve le level design. Il existe un grand nombre d’outils d’aide au développement comme des éditeurs de code ou des gestionnaires d’assets. Côté level design, c’est assez pauvre. Tiled le plus connu est puissant, mais catastrophique en termes d’ergonomie, digne de l’époque de Windows 98 et ses tons grisâtres. Ce design est une des tâches avec lesquelles Sébastien se sent le moins à l’aise. Il s’est donc posé la question de travailler avec cet outil, peu accueillant, sur ses projets. Comme on est jamais mieux servi que par soi-même, il décide finalement de créer son propre outil, LDTK, dans lequel il transpose ses connaissances en game feel. C’est un logiciel qu’il fait évoluer selon ses projets et ses besoins. Après Nuclear Blaze, l’outil semble efficace, il fait donc le choix de le rendre public et open source. C’est devenu, aujourd’hui, un véritable projet à part entière qui est utilisé par d’autres développeurs.

Tant que l’on est sur l’aspect solitaire de son travail, Sébastien a eu besoin, après Motion Twin, d’être seul pour prototyper et élaborer ses idées. Sur Nuclear Blaze, il a tout réalisé, sauf la musique qu’il a confiée à quelqu’un d’autre, Pentadrangle. La raison était qu’il avait envie de travailler avec cette personne plus qu’un réel besoin. Il a donc saisi l’opportunité. Autre chose qu’il a déléguée, c’est la localisation car, étrangement, Sébastien ne parle pas quinze langues. Dans la globalité d’un projet, il préfère être le plus possible solitaire. Sur Tenjustu, jeu en cours de développement, ils sont deux, si on ne compte pas Devolver qui gère le marketing. Sébastien est épaulé d’un graphiste qui s’occupe de la partie animation des personnages. Sur le reste de la direction artistique, Sébastien a encore du travail pour définir ce qu’il veut vraiment. Avec le recul, il pense qu’il ne sait simplement plus travailler en équipe et qu’il n’a pas envie de réapprendre. Le fait de toucher à tout lui permet de développer énormément de compétences, de sortir de sa zone de confort et il trouve ça stimulant.

Plusieurs personnes qui sont passées par Game’n Breakfast ont conseillé aux débutants de faire des game jams pour se faire la main. Sébastien, qui pourtant commence à accumuler de l’expérience, y participe toujours. Lorsque l’on développe un projet, il est important de penser à sa finalité. Dans ce contexte, arrivent alors les problèmes de scope, de menus, d’options, de fin, ce qui finit par brider la liberté créative. Ce sont des contraintes que l’on ne retrouve pas lors de jam, tout est réduit à l’expression de la créativité dans sa plus simple expression. Il suffit de mettre en place une boucle de gameplay avec éventuellement une chute, s’il y a un aspect narratif. Pour faire simple, ce sont des projets dans lesquels, on laisse de côté les aspects secondaires qui font d’un jeu vidéo commercial un produit total pour se concentrer sur une expérimentation, une idée de gameplay. De ce fait, les jeux de jams ne sont pas forcément des jeux faciles à exploiter par la suite. Une bonne idée ne fait pas forcément un bon jeu. En tant que vétéran, mais aussi débutant, c’est un très bon exercice, voire une bouffée d’air frais. Cet exercice est une très bonne représentation de la création d’un jeu, le tout condensé en quarante-huit heures (temps variable selon la jam). Le ratio temps/apprentissage est imbattable. On y trouve de la pré-production, de la production, mais aussi du marketing. Les réseaux sociaux sont importants pour faire connaître son jeu au moment des votes. Donc le conseil reste toujours le même, si vous souhaitez faire des jeux, faites des game jams. Ce sont des expériences qui permettront de parler en connaissance de cause, de création de jeux avec d’autres passionnés ou professionnels. Bien sûr, vous ne saurez pas tout faire dans le détail, mais c’est un excellent moyen de débuter. Sébastien recommande même de se lancer dans des formats solo, avec les bons outils. Unity ou Unreal ne sont pas les plus accessibles, Construct ou Game Maker sont à privilégier. Le fait d’être seul oblige à se pencher sur des aspects que l’on laisserait à d’autres en travaillant en équipe. On en vient à réfléchir à des problématiques que l’on ignorait jusque-là. Pour le côté marketing, on doit réfléchir à comment concevoir son post, bien choisir le gif. Si on se penche sur l’habillage sonore, on se questionne sur comment créer le sound design et la musique en un temps restreint. Ça ouvre la possibilité de se découvrir un nouveau centre d’intérêt, voire même d’ajouter une nouvelle corde à son arc. Concernant Nuclear Blaze et Tenjustu, qui sont tous deux issus de jam, ce sont des projets qui ont plutôt été bien reçus à ce moment-là. Ce qui l’a poussé à développer ces concepts n’est pas forcément leur classement, mais plus les commentaires qu’ils ont reçus de la part de ceux qui y ont joué. C’est la preuve que quelque chose à parler aux joueurs, si Sébastien a pris du plaisir à travailler dessus, l’idée semble bonne à transformer en projet commercial. Nuclear Blaze avait un statut particulier, c’est le premier jeu solo de Sébastien. Il s’était donné pour objectif de rester dans un scope réduit, il ne voulait pas se perdre. Les mécaniques mises en place s’épuisant rapidement, il est logique que le jeu soit court. À l’inverse, Tenjustu, son projet en cours, est vraiment issu d’un concept qui a fait mouche lors d’une jam. Dans un premier temps, il ne voulait pas en faire un rogue-lite car il estimait avoir fait le tour de ce genre. En déroulant ce qu’il avait créé, il s’est vite rendu compte que la mécanique de combat avait du potentiel. C’était un bon départ pour un prototype. Comme on le disait plus haut, un des avantages des jams est d’éprouver une idée. Des jeux comme Terranil, Minami Lane et Dome Keeper ont vu le jour durant ce genre d’événements. 

Comment échanger avec Sébastien sans aborder le monde de l’indépendance, en commençant ce fameux indipocalypse. Pour lui, c’est un bien grand mot. Sa vision est à prendre avec les pincettes “j’ai eu du succès”. Il considère que nous vivons actuellement l’âge d’or du jeu vidéo, il n’y a pas eu de meilleure confluence entre la facilité de produire, la facilité de distribuer et l’intérêt du public. C’est qui permet d’avoir des pépites comme Animal Well, produit par deux personnes en 2 ans, qui ne serait jamais arrivé jusqu’à nous sans ça. On a beaucoup entendu parler des fameux dix mille jeux qui sont sortis sur Steam en 2023, c’est un chiffre à analyser. Vous trouverez d’ailleurs un excellent article sur le sujet sur Howtomarketagame.com. Sur cette quantité de titres, très peu ont un nombre de review supérieur à dix. Ce qui démontre que si tout le monde peut faire un jeu, ce n’est pas pour autant facile. On a beaucoup de story telling autour du succès de certaines productions, mais il ne faut pas oublier que sortir un jeu reste de l’ordre du miracle. Réussir un produit commercial demande beaucoup d’investissement, de passer par des ascenseurs émotionnels et un soupçon de chance. Le vrai bémol dans tout ça, ce sont les finances, comment survivre le temps de faire un jeu. En France, nous avons le privilège de pouvoir se reposer sur l’assurance chômage, tant qu’elle existe, qui est le premier investisseur des développeurs indépendants. Il existe également des associations régionales qui sont des points centraux (vitaux) d’informations (NDLR : dont la pérennité n’est plus certaine si on prend l’exemple des Pays de la Loire) sur les différentes sources de financement ou de subvention comme l’aide à l’écriture du CNC. Mais la ressource principale reste l’énergie pour gérer la conception mais aussi l’administratif, le marketing et tous les petits à côté pour que le projet soit cool. Si, en tant que développeur solitaire, voire duo, il est envisageable de s’en sortir et de trouver son public, il devient plus compliqué de survivre en tant que moyen ou gros studio. Les coûts ont explosé alors que les recettes n’ont pas augmenté de la même manière. Le croisement de ces deux courbes est, selon Sébastien, une des raisons des nombreux licenciements que l’on peut observer aujourd’hui et que l’on peut apparenter à une apocalypse. Il se souvient, étant gamin, avoir été impressionné par le story telling de Microsoft, fondée dans un garage. Aujourd’hui, il a l’impression qu’ils sont un certain nombre à être dans cette phase “garage” et que ça marche plutôt bien. Même si ce n’est pas gravé dans le marbre, il ne voit pas ce qui pourrait interférer avec ça. Il existe une connexion entre créateurs et consommateurs qui offre un très bon contexte pour le jeu vidéo. Si nous nous focalisons sur les jeux indépendants, ce qui fait leur force c’est leur innovation, qui suscite l’intérêt chez les joueurs et pousse de grosses plateformes, comme le Gamepass, à les mettre en avant. De cette manière, se crée une sorte de cercle vertueux qui durera tant que l’innovation sera présente. Ce qui permet l’émergence de titres comme Backpack Hero ou 1000xResist. Si on recule de 15 ans, c’est un modèle qui n’aurait pas été possible, rien que la distribution était plus difficile. Il ne faut tout de même pas croire que c’est une balade de santé, mené un projet à terme demande d’avoir les reins solides, mais c’est moins la croix et la bannière du moment que l’on reste dans un petit scope. Bien sûr, cela n’explique pas la situation de crise, rencontrée par tout un tas de studios et de personnes, causée par des raisons multiples, mais ce n’est pas le sujet ici.

Dead Cells a été un des premiers à proposer un early access structuré avec une road map très claire, j’en ai donc profité pour demander à Sébastien son avis sur ce genre de modèle économique très en vogue. Il aime beaucoup l’exemple de Manor Lords dont le développeur a exprimé son souhait de ne pas vouloir grossir, tout en étant bienveillant et transparent sur sa manière d’aborder l’accès anticipé. Pour Sébastien, le secret d’un bon early access, c’est l’honnêteté, ne pas promettre ce que l’on ne tiendra pas. Sur Dead Cells, dès le début, les joueurs connaissaient la date de fin, un an plus tard, car l’équipe sentait que l’absence de date butoir serait un problème. Le but était que les joueurs vivent agréablement cette période. Dans les patchnotes, Motion Twin identifiait clairement les changements qui venaient de la communauté pour montrer l’impact de celle-ci sur le jeu. Sébastien pense que c’est quelque chose qui devrait se démocratiser, toujours dans un souci de transparence. Le point sensible est que pour mettre tout ça en place, il y a un énorme travail de community management avec la planification et les annonces. Faire un early access, c’est un peu montrer l’envers du décor et jouer le rôle d’un showrunner. On est loin d’une simple beta. Il a fallu distiller le contenu pendant un an, susciter la curiosité et animer. Il y a peu de place à l’improvisation. Même si, comme on le disait, il faut prendre en compte l’avis des joueurs (dans la limite du raisonnable), c’est avant tout une grosse opération marketing qui doit être maîtrisée et dynamique donc anticipée. Si l’on revient sur Manor Lords, son early access a commencé à faire polémique car les updates n’étaient pas assez régulières au goût de certains. À savoir que sur ce jeu, le développeur est solo et qu’il est donc presque irréalisable de répondre qualitativement à ce genre de demande. Au début de l’early access de Dead Cells, l’idée était de faire une mise à jour majeure par mois, mais très vite l’équipe s’est retrouvée face à un rythme effréné. En plus de devoir développer du contenu et de le marketer, il faut établir une véritable cohérence dans l’update, tout un biome avec ces monstres et son boss par exemple, pas uniquement des petites modifications par-ci, par-là. Finalement, le rythme a été réduit à une mise à jour tous les deux mois. C’est pour l’ensemble de ces raisons que Sébastien réfléchit encore à l’idée de proposer un early access pour Tenjutsu

Trailer de Tenjutsu

Dans un autre registre, Sébastien se souvient d’une conversation qu’il a eue avec Markus Persson alias Notch, développeur de Minecraft. Il a beaucoup joué à ce jeu et il tient en très haute estime son créateur. Les développeurs ont fini par échanger car ils participaient tous les deux aux Ludum Dare (game jam). Lors d’une conversation sur feu-Twitter, Notch lui expliquait qu’il était dégoûté du gamedev parce que le succès de son jeu lui a fait gagner tellement d’argent qu’il ne savait pas quoi en faire. Le développeur suédois avait perdu l’envie de travailler, allant même jusqu’à stopper le développement du jeu devant succéder à Minecraft. C’est quelque chose que Sébastien trouve effrayant, la perte de son envie de créer. S’il y a bien une chose que l’on peut retenir de Sébastien, c’est qu’il est animé par la passion du jeu vidéo, les choses bien faites et la créativité.

Avant de nous quitter, il n’échappera pas à la dernière question qui est devenue une tradition dans Game’n Breakfast : Quel est le jeu que tu conseillerais ? S’il devait parler game feel, Diablo III (2012), même s’il est décrié, coche beaucoup de cases dans ce domaine, on sent que l’expérience utilisateur est poussée très loin. Il pense également à The Elder Scroll II : Daggerfall (1996), mais il le juge trop dur à aborder. Son choix définitif se porte sur System Shock 2 (1999) car c’est un jeu rétro qui a peu vieilli. De nos jours, il reste agréable à jouer et apporte toujours, de manière atténuée, ce qu’il apportait au moment de sa sortie. On y retrouve beaucoup d’éléments présents dans les jeux actuels : l’aspect RPG, l’exploration, le côté “vania”, la narration et l’horreur. C’est un titre qui propose des épiphanies (sensation de résoudre un mystère qui semblait jusque-là insoluble). À ses yeux, c’est une masterclass de game design, de level design et de narration. 

Nous voici arrivés dans les dernières lignes du dernier GnB de 2024. Nous en sommes à sept numéros, sept rencontres enrichissantes. En plus de découvrir des profils uniques, ce sont des visions du monde du jeu vidéo qui nous sont partagées. J’espère que vous en ressortez aussi curieux que moi. Dans un souci de diversité, j’ai fait le choix d’ouvrir davantage mes critères. C’est pourquoi, dès le mois prochain, nous allons sortir un peu des profils de développeurs pour parler Communication et financement avec Freddi Malavasi de chez Draw Me A Pixel. En attendant, je vous remercie fidèle lecteur ou curieux de passage et je vous dis à très vite.

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