Game’n Breakfast : Freddi Malavasi

Bienvenue, bienvenue ! Je vous accueille dans ce nouvel épisode de Game’n Breakfast en compagnie de Freddi Malavasi. Ce nom ne vous dit, sans doute, pas grand-chose. Si je vous dis  Draw Me A Pixel, ça devrait parler à quelques-uns. Mais quand on cite There Is No Game et son fameux “Hello User”, ça fait “tilt”. Ce jeu est issu du studio lyonnais qui a suscité mon intérêt par la richesse de son premier titre. Je suis donc tombé sur Freddi, actuellement producteur associé et manager des communications, et comme d’habitude dans GnB, j’ai fait connaissance de la personne derrière la dénomination. Quel plaisir ! Nous avons bien évidemment parlé de sa fonction, mais également de son arrivée dans le monde du JV, semée d’embûche et de rebondissement. Un petit crochet inévitable par un commentaire de l’industrie avec, pour la première fois, un aspect écologique. Pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte, je m’arrête ici pour l’introduction et je vous laisse parcourir les lignes qui suivent. On se retrouve à la fin pour connaître la suite de la rubrique, petite info des changements sont à venir.

Pour Freddi, travailler dans le jeu vidéo a très tôt été une évidence. Dès l’école primaire, lorsque ses camarades voulaient être pompier, footballeur ou acteur, il voulait déjà donner dans le test de jeu. Évidemment, la réponse des adultes était toute trouvée : “jouer aux jeux vidéo n’est pas un métier”. Ajoutez à ça un échec scolaire qui le conduit, quelques années plus tard, en BEP structure métallique, la fabrication de portail ou de paquebot. Ce n’est pas vraiment le chemin qu’il avait envisagé. Un soir d’été, alors qu’il rentre le visage noirci, les mains pleines de coupure, arrive le temps de la réflexion, est ce vraiment ce métier qu’il veut faire ? La réponse ne se fait pas attendre, c’est “non”. Direction l’ANPE (aujourd’hui France Travail), où il consulte un catalogue d’offres d’emploi sans qualification. Son regard s’arrête sur une offre d’agent de sécurité, branche dans laquelle il exercera pendant cinq ans. Mais ce n’est toujours pas l’éclate, on est plutôt sur de la dépression. L’avantage de ce boulot, c’est que ça lui laisse pas mal de temps pour lire, romans et magazines défilent à vitesse grand V, y compris la presse JV dont un certain Joystick (les anciens connaissent). Un jour, le périodique annonce, suite à des départs, que les recrutements sont ouverts. C’est l’opportunité rêvée, mais il essuie un refus, l’équipe étant, soi-disant, complète. Freddi ne renonce pas pour autant, alors il fait de l’actualité pour ses potes, dans des groupes Steam, en bref, il écrit. Les médias anglophones lui donnent des actualités fraîches que sa dizaine d’amis sont heureux d’avoir rapidement, en français, grâce à lui

La législation encadrant les agents de sécurité évolue pour mettre en place un diplôme obligatoire. Une entreprise de formation dans laquelle travaille un ami propose à Freddi, avec d’autres, de devenir formateur. L’occasion de changer de métier pour quelque chose de plus enrichissant, un agent de sécurité passe le plus clair de son temps à attendre. Freddi garde en haute estime ceux qui travaillent dans la sécurité. Il sera formateur pendant environ deux ans. Entre-temps, il fait la rencontre d’Omar Boulon, travaillant chez Canard PC à ce moment-là, qui finit par devenir un partenaire de jeu de rôle. De temps en temps, Freddi lui envoyait les papiers qu’il juge digne d’intérêt, à cette époque les free-to-play étaient en train d’émerger (NDLR : On parlait également avec Sébastien Bénard). Et puis, un jour, Omar le contacte car le journal prévoit un hors-série sur ce genre à part et personne, en interne, n’a les connaissances nécessaires. Le problème est que c’est une mission temporaire de deux mois et que Freddi a déjà un boulot. La patronne de l’entreprise de formation, ne voulant pas se mettre en travers de son rêve, lui accorde un congé sans solde. Il se souvient, lorsqu’il a rendu son premier texte, avoir eu la boule au ventre avec la sensation que son destin se jouait sans être sûr de la qualité du travail rendu. C’est une franche réussite, le hors-série est bouclé au bout des deux mois et se vend plutôt bien d’ailleurs. Jérôme Darnaudet, alors directeur, est satisfait du travail fourni par Freddi. Bien que le magazine n’ait pas de place pour lui dans ses effectifs à temps plein, on lui propose de piger. Il cumulera le boulot de pigiste et celui de formateur pendant quelque temps. Arrive le coup de téléphone espéré depuis l’enfance, une place se libère dans la rédaction de Canard PC et la place, s’il le souhaite, est pour lui. Il démissionne de son poste dans l’entreprise de formation pour rejoindre le média où il restera quatorze ans.

Couverture de Canard PC 439
Un des derniers numéro auxquels Freddi a participé

Freddi a occupé tous les postes que l’on trouve dans une rédaction : pigiste, journaliste, newser, rédacteur en chef adjoint, rédacteur en chef. Pour le passage à l’air numérique, il devient streamer, chroniqueur et animateur de l’émission Canard PC. Autant dire qu’il en connaît un rayon sur le journalisme jeu vidéo et donc sur la communication au sens large. Il ne faut pas oublier qu’après les joueurs, les journalistes sont la cible prioritaire des chargés de comm des éditeurs/studios. Mais justement, la sensation d’avoir fait le tour, d’avoir tout raconté, commence à se faire sentir. Freddi ne voulait pas être celui dont la passion s’estompe et finit par perdre ce qui fait la qualité de ses papiers. Autant partir comme le mec qui va manquer plutôt que celui qu’on pousse gentiment vers la porte. Pour ne pas aider, il y a eu des moments difficiles, rien à voir avec l’entreprise en elle-même, je vous explique. Tout débute lorsqu’il est nommé rédacteur en chef, belle promotion, mais le COVID débarque trois mois après, les ventes de magazines s’effondrent. La question de la survie se pose, car même si le magazine est bien géré, la trésorerie ne permet pas de tenir indéfiniment. Une notion importante à retenir c’est que la presse papier est un achat d’habitude, par exemple, je vais chercher mon café, en passant, je m’arrête au bureau de presse. Si le magazine ne sort plus, l’habitude est remplacée. Un client perdu est difficilement récupérable. À ce moment-là, Freddi a un peu la sensation de récupérer le grade de colonel au moment de l’éclatement d’un conflit majeur. Il se retrouve à devoir gérer une rédaction en pleine crise. Pas de surprise, la santé et le moral prennent une sacrée claque pendant deux ans. La fatigue devenue ingérable sonne le glas de sa carrière de journaliste. En plus de ça, cela fait quelque temps que ses MP voient fleurir les propositions de studios/éditeurs à rejoindre leur équipe. Jusque-là il n’y prêtait pas attention, il était bien où il était. La situation ayant changé, Freddi tend un peu plus l’oreille. Il se met donc à passer des coups de fils et les réponses ne sont pas si positives que ça. Les petits studios lui disent qu’ils seraient mieux chez un gros, alors que les gros lui conseillent le contraire. Finalement, il est mis en contact avec Sophie Peseux, directrice chez Draw Me A Pixel, pour l’aider à faire le point sur son CV. Son profil est hybride, il évoque à la fois la communication et la gestion de projet. Elle lui conseille de créer deux CV, un communication et un production, pour envoyer celui qui correspond le plus, ce qu’il appliquera avant de le retourner à Sophie pour une dernière relecture. Deux mois plus tard, un besoin cruel de producteur se fait ressentir chez Draw Me A Pixel, auquel s’ajoute le départ de la chargée de communication, Sophie part donc à la recherche d’une personne capable de gérer la comm et une équipe, un mouton à cinq pattes en gros. Après plusieurs jours de recherche, c’est la fulgurance, le CV parfait est passé sous ses yeux. C’est ainsi que Freddi rentre chez Draw Me A Pixel pour son premier poste dans un studio de jeu vidéo.

Revenons un peu sur l’histoire de Draw Me A Pixel. C’est un studio qui a été fondé par Pascal Cammisotto et Sophie Peseux. Avant ça, tout commence par un jeu réalisé en game jam de chez Newgrounds, haut lieu du jeu flash durant son âge d’or. Nous sommes en 2015 et le thème est deception, tromperie en français, Pascal propose un jeu dont le nom est There is no game. L’idée fait mouche puisqu’elle remporte la jam. Grosse surprise puisqu’à la base, il souhaite juste remporter la Xbox mise en jeu. Le succès va même au-delà du cercle fermé des jammeurs puisque Youtube commence à s’en emparer. Pascal se dit donc qu’il faut saisir l’occasion et donc Draw Me A Pixel voit le jour en 2017. Entretemps, afin de récolter les fonds nécessaires, il lance un kickstarter en 2016 qui n’est pas une franche réussite, 10% de la somme demandée est récoltée. Heureusement pour eux, et pour nous, le projet a convaincu des personnes prêtes à investir sur fonds propres et à travailler sans être payées. C’est ainsi que Guillaume Vidal rejoint l’équipe pour former un trio d’anciens de l’industrie du JV qui donnera vie au point’n click que l’on connaît aujourd’hui. Petite anecdote, certains fans appelle la version commerciale There Is No Game 2, alors que ce n’est que la version complète et finale du jeu de jam. Et soyons clair, le second épisode n’est pas du tout au programme. Dans les mois qui suivent la sortie, c’est la déception, les ventes ne décollent pas. Puis un streamer états-unien lance le jeu et, là, c’est l’explosion. Les streams se succèdent, les médias s’emparent de la hype, la machine s’emballe, le jeu est une réussite. Plus important encore, le studio trouve une stabilité financière car, pour rappel, rien ne rentrait dans les caisses jusque-là. Cette réussite a permis de penser à la suite avec un second jeu en préparation et les recrutements que cela implique. Aujourd’hui, l’équipe est composée de neuf personnes. C’est une sacré avancée, mais le studio n’a pas vocation à grossir plus que ça. Concernant son fonctionnement, le studio a deux particularités. La première est que l’équipe est en 100% télétravail avec des horaires et des jours communs, mais une marge de tolérance pour s’adapter au rythme de vie de chacun. La seconde est la présence d’une véritable notion de “touche-à-tout”, Freddi, à son arrivée, a fait du game design avec Pascal deux jours par semaine. Il a donc aidé à la conception de puzzles, de mécanique alors qu’à l’origine ce n’est pas son métier. Aujourd’hui, avec son passé de journaliste, il se voit plus comme un thérapeute de gameplay, il ne va pas apporter de solution, mais plutôt apporter de la matière à la réflexion, faire parler l’équipe, essayer de leur faire comprendre ce qui ne marche pas. Car, si le métier de game designer demande des compétences bien différentes, quinze ans à décortiquer des jeux permet d’avoir un regard critique. Nous sommes bien d’accord que les développeurs sont conscients de ce qu’ils font, une équipe est rarement surprise par un projet qui reçoit un accueil mitigé par les médias et les joueurs. Malgré tout, un petit peu d’aide pour se poser et réfléchir sur le travail en cours à un effet positif sur une production. Cette polyvalence n’a pas pour but que le sound designer fasse de la modélisation 3D, mais plutôt que l’émergence d’une problématique entraîne une réflexion d’équipe afin de la résoudre le mieux possible. Ce fonctionnement apporte de la bienveillance dans le studio, pas seulement de la gentillesse, mais une véritable volonté d’avancer ensemble.

La transition est toute trouvée pour passer à la suite de notre entretien et aborder les différentes casquettes de Freddi. La direction dans laquelle avance l’équipe incombe en partie au producteur dans un projet et ça tombe bien, il est producteur associé chez Draw Me A Pixel. Il se décrit comme le monsieur météo des plannings et de la bonne marche du studio. Le rôle principal de ce métier est de s’assurer que les délais fixés en amont soient respectés. Pour cela, il faut que l’estimation soit bonne, un peu comme la prédiction du beau temps. Pour ce faire, Freddi va se baser sur des choses factuelles : qui travaille sur quoi, depuis combien de temps, ce qui permet d’extrapoler la suite. Au-delà du concret, il faut avoir ce petit ressenti qui permet de savoir qu’une personne qui pense être en retard va finir dans les temps et, qu’au contraire, celui qui pense être dans les temps va être juste. En dézoomant, il faut réussir à savoir où en est chaque pôle (programmation, son, direction artistique, …) pour ensuite déterminer l’avancée de la production globale. En cas de détection d’un point de blocage, il faut pouvoir l’identifier clairement et proposer des solutions efficaces. Suite à ça, Freddi doit faire remonter la problématique pour appliquer une solution concrète comme embaucher, revoir les échéances ou même réduire le scope du jeu. Il est courant, en cours de production, de devoir se poser pour identifier ce que l’on peut garder et ce que l’on doit enlever du projet initial. Un bon scope est la première pierre d’un projet terminé. Pour Freddi, pour bien gérer une production, il faut la matérialiser avec deux courbes, celle de ce que l’on sait du projet et celle du temps qui finissent toujours par se croiser. Il tente de localiser ce point précis car on sait pas mal de choses et il reste du temps, c’est le moment idéal pour vérifier l’avancée et déterminer s’il faut adapter pour la suite. Concernant les fameuses milestones, moments clef à atteindre, elles sont, généralement, fixées par un éditeur. Draw Me A Pixel étant totalement indépendant, ils rythment eux-mêmes la cadence et donc le peu de checkpoints existants sont modulables. La véritable date butoir est celle de l’épuisement du budget car la trésorerie n’est pas illimitée, nous dirons que l’indépendance permet une plus grande flexibilité. Cette entraide permet à Freddi, en pleine reconversion, d’avoir une marge d’erreur, de se retourner vers l’équipe en cas de difficulté, plutôt que d’essayer de la camoufler. En aucun cas, la rigueur de travail ne s’en trouve impactée, c’est le confort qui y gagne beaucoup.

On revient sur le principe du financement participatif pour avoir l’avis d’un producteur, est-ce vraiment un bon moyen de financer son jeu ? Pour Freddi, ça l’a été à une époque où Kickstarter était à la mode, tous les projets passaient par là. On se souvient de la campagne de Shenmue 3 qui a rencontré un tel succès que Sony à décider de financer ce qui devenait une arlésienne. L’attrait de la nouveauté était important. Puis avec le temps qui passe, les projets financés qui ne sont jamais sortis ou de qualité douteuse, les joueurs sont de plus en plus frileux concernant leur participation. Actuellement les potentiels participants sont beaucoup plus regardant et cet outil est devenu une méthode de communication plus qu’un moyen d’obtenir des fonds. À l’air des réseaux sociaux, des posts maîtrisés seront bien plus efficaces qu’un financement participatif. Même si ça peut être une béquille, un début de financement pour un early access, l’ère des campagnes qui récoltent des millions d’euros est terminée. Quand on y regarde plus en détails, les contreparties actuelles sont plus du bonus ou des goodies que vraiment une production complète, c’est devenu un moyen d’interagir avec une communauté.

L'équipe de Draw Me A Pixel
L’équipe Draw Me A Pixel

Être développeur de jeux vidéo en France permet d’avoir recours à différentes aides au financement. Draw Me A Pixel a pu bénéficier d’une aide Centre National du Cinéma et des arts numériques (CNC) pour le jeu en cours de développement. Pour parler plus largement des aides, deux sont assez remarquables. La première est le statut d’intermittent et l’assurance-chômage (NDLR : en 2023, on estimait que 16% des effectifs étaient sous le statut d’intermittent du spectacle), Freddi pense que bon nombre de petits projets n’auraient pas vu le jour sans ça. Dans le cas du chômage, l’idée est de dégager du temps pour concevoir son propre jeu. La seconde est un ensemble d’aides techniques comme le CNC, mais aussi tout un tas de financements régionaux ou départementaux souvent soumis à condition. Freddi voit plus le CNC comme un coup de pouce pour finir une production car ça ne représente qu’un pourcentage d’une partie du budget (par exemple, 10% du budget écriture). Pour lui, il y a un revers de la médaille, car les gros studios ayant connaissance de ces aides n’hésitent pas à utiliser des intermittents et à les jeter par la suite, sans parler du chômage. Mais un CV qui ressemble à une tranche d’emmental n’est pas une aide pour trouver un nouveau poste. Pour résumer, on est plutôt bien loti en France, même si on sent que, depuis un an, il y a une volonté de réduire les aides au sens large. Pourtant, lorsque l’on voit un pays comme le Canada, où les aides sont également importantes, le nombre d’expatriés et de studios francophones est la preuve que c’est un domaine attractif.

Nous passons logiquement à la seconde casquette de Freddi, celle de responsable de communication. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment il gère sa communication alors que le studio ne souhaite pas encore parler du projet en cours. Son objectif principal est de maintenir les réseaux en vie pour avoir un véritable impact lorsque le prochain jeu sera révélé, ne pas perdre leur identité en résumé. La solution qu’il a trouvée pour maintenir une activité récurrente, c’est de surfer sur la popularité des mèmes a minima une fois par semaine. C’est une bonne méthode pour créer de l’interaction avec la communauté. Bien que There Is No Game soit un petit jeu linéaire, les joueurs sont très attachés à l’univers mis en place et aux personnes qui l’ont créé. La recette marche car les comptes possédant quelques milliers de followers ne dépassent pas, en règle générale, de manière systématique la centaine de likes, c’est inespéré. La communauté est avide de ce contenu. Freddi en tant que communicant n’est qu’un humble serviteur donc il répond à la demande. Pour cela, il fait de la création et de l’adaptation de mèmes qui sont viraux. Ce côté marrant et un peu dans l’actualité réseaux permet de mettre en avant cet humour déjà présent chez Draw Me A Pixel. En plus de ça, il relaie les différentes offres promotionnelles autour du jeu et fait du call to action, une demande d’action, qui se résume en gros par “venez nous suivre ici ou là”. Cette variété permet de garder les gens en éveille pour éviter qu’un contenu trop répétitif finisse par devenir invisible, il faut entretenir la curiosité. La question qui me vient en tête, étant donné qu’ils ne travaillent pas sur une suite, concerne la difficulté de se détacher de l’image du premier jeu pour le second. La réponse de Freddi est qu’un studio garde toujours l’image de ses succès, mais que, pour un petit studio, l’ADN n’est complet que si on y ajoute les personnes qui ont créé ce succès. Tant que Pascal sera à la tête de Draw Me A Pixel, les jeux produits auront sa patte, il aime fondamentalement faire rire les gens. Tout ça pour dire que même si la forme change, il y aura encore ce fond qui a fait le succès de There Is No Game dans les productions à venir et que le ton que l’on trouve sur les réseaux ne changera pas.

Il me semblait évident que cet échange était une bonne occasion de demander des conseils pour un petit studio qui n’a pas de community manager sous la main. Pour Freddi, le point de départ est d’admettre que l’on ne maîtrise pas tout. La communication, c’est essayer de maîtriser la chance et les algorithmes ne se laissent pas avoir facilement, ce qui conduit à des situations parfois bizarres voire même frustrantes. Il ne faut pas baisser les bras. Une erreur qu’il voit souvent chez les petits studios est le fait que le compte soit géré comme un compte personnel. Autant, c’est très bien de créer de la proximité avec la communauté, autant, il faut garder à l’esprit qu’on représente une entreprise. La recherche de nounou pour garder Timéo samedi soir n’a pas sa place. Je vous vois sourire, mais il est important que le message porté sur un réseau social soit clair et constant.

Pour revenir dans la réflexion autour de de l’industrie du JV, nous avons discuté de l’avenir en partant du contexte difficile que nous constatons depuis plusieurs années maintenant. Pour Freddi, c’est un véritable bain de sang qui est abreuvé, chaque semaine, de nouveaux licenciements qui viennent grossir les rangs des professionnels en recherche d’emploi. Ce ne sont pas seulement les derniers arrivés qui se font mettre à la porte une fois leur tâche accomplie, mais aussi des seniors qui sont dans des situations dramatiques. Pas que le licenciement de masse chez les juniors soit normal, mais jusqu’à maintenant les seniors n’avaient pas de problème à trouver du travail, bien au contraire. La conception de jeux vidéo est un métier exigeant, fatigant, envahissant. Le crunch ne laisse jamais indemne, les salaires ne sont pas forcément à la hauteur donc rares sont ceux qui font véritablement carrière dans cette industrie. Pour la suite, Freddi estime que deux choses vont être déterminantes. C’est à ce moment que son côté écolo apparaît, à juste titre. À l’heure où les ressources en eau sont incertaines à moyen terme, tout comme l’accès à d’autres ressources, l’industrie ferme les yeux, applique la politique de l’autruche. Le moment est, sans doute, venu de se poser la question de l’impact du jeu vidéo, aussi bien du côté développeur que du côté joueur. La course au jeu de plus en plus gros, de plus en plus beau, de moins en moins optimisé, demandant du matériel de plus en plus énergivore ou utilisant des intelligences artificielles, devient une aberration que l’on peut difficilement ignorer. On se souvient d’une époque où la contrainte obligeait certains à faire tenir une scène 3D sur une disquette de quelques mégaoctets. C’est le capitalisme qui s’applique au JV et la fusion devient de plus en plus forte. Les petits studios, de leur côté, voulant s’assurer de pouvoir garder l’effectif au complet, entrent aussi dans cette course à l’argent alors que le nombre de sorties flambe chaque année. Si on reste dans la dynamique actuelle, le risque, dans un futur pas si lointain, est de devoir choisir de faire tourner, avec un thermomètre affichant 45 °C, son ordinateur ou son réfrigérateur ou sa climatisation. Ce qui nous amène au second sujet que voulait aborder Freddi, la décroissance du JV. Selon lui, nous sommes à un stade où la politique du jeu au contenu toujours plus excessif donc au budget qui explose provoque un non-sens. Nous sommes à une époque où un projet est décrit, par la direction, comme devant faire +15% par rapport au premier en terme bénéfice à dégager, ce qui peut passer par une diminution de masse salariale. Si on résume, c’est produire plus mais avec moins, vous le voyez le non-sens ? Et donc la seule réponse à offrir est, certainement, la décroissance de l’industrie du JV. Concrètement, il serait bon de se concentrer sur des jeux au scope plus réduit avec de plus petites équipes. Prenons pour exemple Prince of Persia: The Lost Crown, un petit jeu pour Ubisoft, mais qui a rencontré un succès critique unanime. Pour le succès commercial, un manque flagrant de marketing, ce qui est un peu une récurrence chez l’éditeur breton, est souvent à prendre en compte. Le genre metroidvania restant, tout de même, une niche, la dissolution de l’équipe, qui pourtant avait manifesté l’envie de travailler sur une suite, est dû à un objectif de rentabilité non adapté au produit. On a déjà évoqué le capitalisme ? On est loin de la cible de la rentabilité, il faut nourrir les actionnaires. Pour conclure le pamphlet, le jeu indé a un rôle à jouer dans cette décroissance imposée par l’économie et l’écologie, le marché risque de changer (NDLR : je vous renvoie vers la vidéo de Zeph et Ramo). Il est difficile d’imaginer où en sera l’industrie dans cinq à dix ans, mais les joueurs sont de plus en plus prêts pour des jeux de dix heures pour vingt-cinq euros qui sortent des grosses licences préfabriquées reproduites à l’infini. Des titres comme Balatro sont la preuve qu’une idée originale peut tenir tête à des gros AAA. Pour Freddi, l’industrie du JV est victime de ses propres ambitions, un retour à l’humilité semble nécessaire. Un projet qui se rembourse et qui permet d’envisager la suite sereinement est déjà une belle réussite en soi. La soif de succès international et de bénéfice qui se compte en millions ne devrait pas être une condition requise pour un jeu. Si on en revient aux seniors que l’on évoquait plus haut, cette course effrénée au toujours plus, les épuisent. Marc Albinet en parlait dans notre échange. Ajoutez à ça, les projets annulés au bout de plusieurs années de développement, le sentiment terrible de voir une énorme quantité de travail jeté à la poubelle par des personnes qui n’ont pas conscience de l’investissement personnel que ça représente. Et après, on s’étonne que les personnes ne fassent pas de longues carrières… On pourrait également parler des pontes qui s’offrent des voitures ou des bonus en même temps qu’ils licencient des dizaines, des centaines d’employés laissant aux rescapés le poids d’assurer la pérennité du studio. Quel vent de fraîcheur de pouvoir échanger avec des studios indés qui sont soudés, souvent en difficulté mais qui font face ensemble. Mais il ne faut pas oublier que si le jeu indé est ce qu’il est aujourd’hui, c’est aussi grâce aux coups de pouce de certains éditeurs ou fabricants comme Xbox, Playstation ou Nintendo qui ont mis en avant ces productions plus modestes et ont permis un accès à un public plus large. C’est une des raisons pour laquelle on peut observer une fuite des gros studios vers des équipes plus restreintes, ce qui garantit également une plus grande liberté créative et la fin des multiples validations pour une simple idée. On peut également parler du rétropédalage des mastodontes concernant le télétravail, qui a été une raison de prendre un emploi parfois. La majorité des indépendants sont beaucoup plus souples dans ce domaine également. C’est d’ailleurs une des raisons des récentes grèves chez Ubisoft. Le travail à distance réduit pas mal de coûts pour l’employeur, mais aussi le salarié, et c’est bon pour la planète. A contrario, c’est un peu plus compliqué pour mettre la pression.

Screenshot de There Is No Game
Un échantillon de l’humour qui fait la marque de fabrique du studio

Il y a un sujet qui tient à cœur à Freddi, c’est la galère des juniors dans l’industrie du JV. Pour tous ceux qui envoient des CV depuis des mois, il faut vous accrocher. Même si, pour une quelconque raison, vous avez besoin d’un métier alimentaire, et il sait de quoi il parle, il faut garder espoir. Ce qui peut faire la différence, c’est la persévérance. Le marché de l’emploi est très compliqué, mais aussi saturé. Les écoles, qui ont fleuries en peu de temps, sortent des diplômés beaucoup plus nombreux que de postes à pourvoir. Un petit studio, comme Draw Me A Pixel, qui propose un emploi, voit atterrir sur son bureau une cinquantaine de candidatures en une journée. Freddi se souvient qu’à la Gamescom, il discutait avec le patron d’un studio de taille moyenne. Ce dernier a fait une offre d’emploi, en une semaine, il a reçu trois cents e-mails de postulants. Tant mieux vous allez me dire. Une fois l’ensemble des CV épluchés, ceux ne correspondant pas écartés, il reste cent candidats sur la table. Impossible de tous les recevoir en entretien pour affiner au maximum, donc c’est le hasard qui tranche. C’est injuste, mais l’alignement des astres joue un rôle dans l’obtention d’un emploi, ça explique également les années de galère pour les autres. Pour multiplier des chances déjà bien maigres, il faut se construire un réseau, faire des salons, des conventions, rencontrer les associations, parler aux gens, car une bonne partie des emplois sont pourvus avant même que l’annonce soit diffusée. Il faut être au bon endroit, au bon moment. Freddi en est l’exemple vivant, s’il n’avait pas été présenté à Sophie, une offre aurait été postée et peut-être que quelqu’un d’autre aurait eu le job.

Nous arrivons au terme de ce long entretien, mais avant de nous quitter, c’est le moment de la terrible question : Quel jeu conseillerais-tu si tu pouvais n’en citer qu’un seul ? Question très complexe pour Freddi, touche à tout et exigeant qu’il est. Peu de jeu trouve grâce à ses yeux. S’il y a un style auquel il ne joue pas, ce sont les jeux de sport. Il est pourtant fan de NFL (Go ravens, dit-il), mais Madden lui tombe des mains. Le jeu vidéo est un média, au même titre que la musique ou le cinéma, qui fait vivre un spectre d’émotions très large. Apprécier un titre, ou non, dépend du mood dans lequel nous sommes. Il place, quand même, au rang de légendes certains jeux comme Fallout, Fallout 2,The Elder Scroll II: Daggerfall et Baldur’s Gate 3 mais c’est son côté rôliste qui parle. Il apprécie la liberté qui est offerte par certains CRPG. Dans un autre style, il évoque les deux premiers Tomb Raider qui sont ses premiers Third Person Shooter et donc occupe une place importante dans son cœur de joueur. On passe par Wreckfest, la roll’s des jeux de stock-car qui ranime le souvenir des sessions d’enfance sur Destruction Derby qu’il avait saigné à blanc. Freddi est plus du genre à bâtir un panthéon regroupant les chef d’œuvre de leur genre plutôt que de nommer un élu au-dessus de tous. Au moment où nous échangeons, non loin d’Halloween, il redécouvre Alien Isolation, qu’il n’avait pas eu l’occasion de finir au moment de la sortie. Le jeu résiste bien à l’assaut des années qui passent, les mécaniques et le sound design sont incroyables. La liste pourrait être longue, car Freddi a commencé le JV très jeune, en famille, sur l’Amstrad. Sa première véritable expérience de joueur, avec des jeux qu’il choisissait lui-même, c’est sur Playstation que ça se passe. Très vite, il deviendra un PCiste convaincu faisant ses armes sur Half Life. Nous avons donc affaire à un joueur qui aime la diversité et la découverte de pépites.

Voici ce qui met un terme à cette entrevue, j’espère que vous l’avez trouvée aussi intéressante que moi. Si c’est le cas, n’hésitez pas à la partager. Je vous en parlais en introduction, la formule Game’n Breakfast va évoluer. Pas de soucis, le mois prochain on se retrouvera comme d’habitude le dernier dimanche du mois. Février, cette année, rime avec Speedons, l’événement caritatif de Mister MV. Ce sera l’occasion de commencer à diversifier la liste des invités, car nous recevrons Kemist, un speedrunner de souls-like, figure emblématique de ce week-end dédié à la vitesse. Si vous voulez en savoir plus sur comment on fait du no hit sur Elden Ring, c’est l’endroit. Ce sera également, le dernier épisode de GnB suivant le rythme d’un numéro par mois. L’idée est de la réserver à des profils hors norme et de me dégager du temps pour proposer différents formats pour Point’n Think écrit et podcast donc restez vigilants. J’en profite également pour vous rappeler que notre patreon a fait peau neuve et que l’objectif, pour le moment, est de vous proposer du contenu de professionnel non-francophone avec l’aide d’un ou une interprète en temps réel. Pour ma part, je vous dis à bientôt et…

Jouez bien, jouez fun, jouez indé !

Inksushi

Faites part de vos réflexions