Adrienne Bazir, créatrice de In Stars and Time

In Stars and Time est un jeu qui m’avait tout de suite tapé dans l’oeil avec sa direction artistique. Quand j’ai découvert que Adrienne était une solo dev, je dois bien avouer que j’en suis resté impressionné. Ce jeu dispose probablement d’un des mécanisme de time loop les plus originals et impactant de ces dernières années. On revient donc dans ce portrait sur le parcours dans l’animation d’Adrienne ainsi que la production et la reception de In Stars and Time. Cet entretien a été adapté à partir d’un appel que j’ai eu avec Adrienne.


Point’n Think : Merci de nous avoir rejoints aujourd’hui, Adrienne. Pour commencer, peux-tu nous parler un peu de ton parcours et nous expliquer comment tu as décidé de développer un jeu, en particulier par toi-même ? Je vois dans ton portfolio que tu as de l’expérience dans le développement de jeux, l’animation et l’illustration. Comment en es-tu venue à jongler avec tous ces rôles ?

Adrienne Bazir : Tout à fait. Lorsque j’étais en France, j’ai suivi un programme d’études STI AA, qui s’appelle maintenant STD2A, un programme artistique. Ensuite, j’ai déménagé à Chicago et j’ai obtenu un Bachelor of Fine Arts en animation. J’ai d’abord passé une année en conception de jeux, mais comme c’était ma première année dans un pays anglophone, l’apprentissage simultané de l’anglais et du codage a été assez éprouvant. J’ai toujours été passionnée par l’animation : j’étais le genre d’enfant qui enregistrait des films sur VHS et les regardait image par image pendant des heures. J’ai longtemps travaillé dans l’animation et j’ai toujours aimé les jeux vidéo. En 2017, alors que je naviguais sur itch.io, une plateforme qui propose de nombreux jeux indépendants et game jams, je suis tombée sur le Yuri Game Jam. J’ai décidé d’essayer de créer un jeu. J’ai créé un visual novel en deux mois, qui était mon premier jeu. Pendant la pandémie, j’ai développé Start Again : A Prologue, qui a servi de prototype à In Stars and Time, sorti en 2023.

PnT : La direction artistique de votre jeu me rappelle les premiers concepts artistiques de Disney. Comment êtes-vous passée de Start Again à un projet de plus grande envergure comme In Stars and Time ? Y as-tu travaillé à plein temps ou s’agissait-il au départ d’un projet secondaire ?

Adrienne : Il s’agissait au départ d’un projet secondaire. J’ai rapidement réalisé que In Stars and Time serait trop ambitieux pour un premier projet. Ayant de l’expérience dans le domaine de la bande dessinée, j’ai suivi un conseil commun aux créateurs de webcomics : ne commencez jamais par votre projet de passion, car vous risquez d’y passer dix ans sans l’achever. Je ne voulais pas que cela se produise et j’ai donc créé un petit prototype pour voir si c’était quelque chose dont j’étais capable et qui m’intéressait, et si cela pouvait intéresser d’autres personnes. Même si personne n’avait été intéressé, j’aurais quand même réalisé In Stars and Time parce que je trouvais le processus fascinant. J’ai travaillé sur le prologue parallèlement à mon travail d’animateur à temps plein. Pour In Stars and Time, je m’y suis consacrée à temps partiel, à l’exception des quatre derniers mois où j’ai quitté mon travail pour me concentrer sur l’achèvement du jeu sans distraction.

Solo Dev In Stars and Time

PnT : Je peux imaginer la quantité de travail que cela a dû représenter. Comment as-tu trouvé l’histoire ?

Adrienne : Bien sûr. Vers 2016, j’ai commencé à créer chaque année une petite bande dessinée sur un personnage coincé dans une boucle temporelle au sein d’un RPG. J’ai pensé qu’il serait intéressant de transformer ce concept en jeu, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre au début. J’ai trouvé intéressant d’explorer les éléments d’un jeu de rôle sur un support autre que les jeux vidéo, afin de mettre en évidence les aspects uniques des jeux de rôle. Pendant la pandémie, j’ai revu l’idée et j’ai décidé d’essayer d’en faire un jeu. Le personnage de Siffrin et le concept de boucle temporelle figuraient déjà dans la bande dessinée. La bande dessinée a servi en quelque sorte de bible pour le développement du jeu. Par exemple, dans une scène, j’ai dessiné Siffrin avec un cache-œil, et j’ai donc décidé qu’à un moment donné du jeu, Siffrin deviendrait un pirate. J’ai utilisé la bande dessinée pour guider le déroulement de certaines scènes dans le jeu.

PnT : C’est tout à fait logique. Ton approche, qui consiste à commencer par une bande dessinée avant de passer à un jeu, est tout à fait unique. Pourquoi as-tu choisi un RPG pour ton jeu, sachant que c’est un genre rempli de tropes et de complexités ? Quelles sont tes influences dans le genre RPG ?

Adrienne : Au départ, j’ai pensé à faire un visual novel, car j’avais de l’expérience dans ce domaine. Mais je savais que le combat serait une partie importante du jeu, représentant des luttes sans fin qui prolongent l’histoire, ce qui ne s’adapterait pas bien au format d’un roman visuel. C’est pourquoi j’ai choisi un RPG. Heureusement, j’avais acheté RPG Maker en solde un an plus tôt, et je l’ai donc utilisé. RPG Maker a cette réputation d’être peut être trop accessible et facile d’utilisation mais je voulais quand même essayer parce que je souhaitais faire un RPG. Au départ, je ne voulais pas coder, et c’est la raison pour laquelle j’ai abandonné la conception de jeux, mais maintenant je peux me débrouiller avec l’aide de Google. En termes d’influences, Tales of Symphonia et Mother 3 sont très importants pour moi. J’ai fait l’erreur de jouer à Mother 3 avant Earthbound, et j’ai eu du mal à revenir à Earthbound parce que le gameplay me semblait moins raffiné. Ces deux jeux ont été des influences cruciales, même si j’ai toujours joué à des RPG. Je n’ai pas beaucoup joué à Final Fantasy, car ce n’était pas vraiment mon truc.

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PnT : Quelles sont tes influences en termes de direction artistique, et pourquoi as-tu choisi de rester en noir et blanc ?

Adrienne : L’animation n’a pas tant inspiré le jeu que ça, en fait. Je suis beaucoup plus influencée par les bandes dessinées et les mangas. La raison principale pour le noir et blanc est que c’est beaucoup plus rapide à dessiner. J’ai fait beaucoup de bandes dessinées, souvent des fanarts, et je devais les sortir rapidement pour réagir à des événements récents dans les fandoms. J’ai donc appris à travailler en noir et blanc pour gagner du temps. Quand j’ai commencé le jeu, je me suis dit que je pourrais le faire en couleur, mais cela prendrait trop de temps. J’aime me donner des contraintes, cela rend le travail plus intéressant. Le noir et blanc a été une contrainte intéressante car il fallait trouver des moyens de rendre les choses contrastées et visibles sans utiliser de couleurs.

PnT : Tu as mentionné les contraintes et comment elles ont influencé ton travail. Peux-tu nous parler de l’importance des contraintes dans ton processus créatif et comment elles ont façonné In Stars and Time ?

Adrienne : Les contraintes obligent à être créative et à trouver des solutions innovantes. Par exemple, le noir et blanc n’était pas seulement une limitation technique, mais une façon de distinguer visuellement le jeu. Les jeux AAA actuels me paraissent souvent fades et sans identité claire. En revanche, les jeux plus anciens, comme ceux de l’époque Gamecube, devaient faire preuve de créativité à cause des limitations techniques. Pour In Stars and Time, les combats répétitifs et la boucle temporelle sont des éléments essentiels. Ils créent une expérience frustrante qui reflète le piège temporel dans lequel se trouvent les personnages. Ce n’est pas seulement pour divertir, mais pour faire ressentir une émotion spécifique. Les jeux vidéo sont une forme d’art, et l’art n’est pas toujours là pour plaire ou divertir.

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PnT : Peux-tu expliquer comment tu as intégré l’idée de boucle temporelle dans le jeu et comment cela affecte le protagoniste, Siffrin ?

Adrienne : L’idée de la boucle temporelle vient de mes bandes dessinées et de ma passion pour les fanfictions du genre Time Travel Fix It. J’adore ce concept de revenir en arrière pour réparer les choses. Une des premières choses que j’ai appris à coder était un écran qui montre le nombre de boucles effectuées. C’était crucial pour montrer la progression tout en maintenant certains aspects inchangés, comme le niveau de Siffrin qui continue de progresser alors que celui de ses compagnons reste stable.

PnT : Nous allons maintenant parler de la profondeur émotionnelle des personnages et de l’histoire principale. Comment as-tu développé ces éléments pour qu’ils résonnent avec les joueurs ?

Adrienne : La profondeur émotionnelle vient en grande partie de la répétition et de la souffrance que vit Siffrin. Chaque boucle temporelle ajoute une couche de complexité et de désespoir. Le défi était de maintenir l’intérêt du joueur tout en répétant les mêmes événements. La fanfiction m’a beaucoup inspirée pour développer ces aspects émotionnels et narratifs. L’idée était de prendre des thèmes et des concepts de jeux vidéo, comme le game over et les vies, et de les rendre réels. Imaginez si Mario savait qu’il avait plusieurs vies. Ce serait traumatisant pour lui de recommencer encore et encore alors qu’il essaie simplement de sauver la princesse Peach. C’est un peu ce que je voulais explorer, l’impact psychologique sur un personnage qui est conscient de ces mécanismes.

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PnT : Comment as-tu organisé et suivi les différentes boucles et chemins pris par les personnages ?

Adrienne : J’ai utilisé OneNote, un outil similaire à Notion, pour organiser toutes mes notes. Le jeu est structuré en actes, donc je savais ce qui se passait dans chaque acte et quelles émotions Siffrin ressentait. Pour chaque événement, j’avais des réactions prédéfinies de Siffrin en fonction de l’acte et de ses expériences précédentes. C’était assez simple à coder parce que je connais bien Siffrin maintenant.

PnT : Comment as-tu conceptualisé les personnages, notamment Siffrin ?

Adrienne : Siffrin est né d’un simple design où je voulais un personnage avec un chapeau. Pour les autres personnages, je me suis inspiré des archétypes de RPG, en particulier de Tales of Symphonia. Par exemple, Mirabelle est « the chosen one », Isabeau est le personnage un peu stupide mais sympathique, Odile est la professeure sage, et Bonnie est le jeune enfant. Siffrin est le mystérieux dernier arrivé dans le groupe, un personnage dont on doute initialement, mais qui finit par prouver sa loyauté. Odile et Bonnie ont été les plus difficiles à concevoir. J’ai passé des semaines à dessiner et redessiner jusqu’à ce que je sois satisfaite. Quand j’ai enfin trouvé leur design, c’était un grand soulagement.

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PnT : On sent que tu voulais faire un twist sur le trope classique de l’élu dans les RPG. Était-ce une décision délibérée dès le début ?

Adrienne : Oui, dès le départ, je voulais faire un twist. J’ai tellement lu sur le « hero’s journey » que je le connais par cœur. Un jeu ne peut pas se terminer simplement en battant le roi, sinon ce serait juste un jeu normal. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment les joueurs réagissent à cette subversion des attentes. Voir les streamers jouer à mon jeu m’a donné beaucoup de perspectives. C’était fascinant de voir leurs réactions et comment ils interprétaient les twists et les boucles temporelles. Cela m’a confirmé que mes choix de design fonctionnaient bien et que le jeu parvenait à surprendre et à engager les joueurs.

PnT : Je trouve que c’est super intéressant. Il y en a pas mal qui croient que le jeu se termine quand tu vas battre le boss de fin. Mais quand ça continue, ils sont vraiment choqués.

Adrienne : Moi, j’étais… Je ne sais pas. Je croyais qu’on avait tous compris que c’était une tragédie, littéralement. Je voulais vraiment faire ce genre de twist et ça a été quelque chose de vachement intéressant de mettre des indices à travers le jeu de ce qui va se passer. Et j’avais très peur de me dire, “bon, est-ce que les gens, si je mets des indices, vont s’en rendre compte trop vite et est-ce que ça va gâcher tout le jeu pour eux ?”

PnT : Oui, c’est vrai que c’est toujours délicat de doser les indices.

Adrienne : Très tôt au début du jeu, il y a une scène qui se passe où, si on me connaît ou bien si on aime le même genre d’histoire que moi, on peut se rendre compte directement de ce qui va se passer. Et donc, quand il était temps que je passe à des playtesters, j’ai demandé à plusieurs amis, tu veux pas jouer à mon jeu un peu et me dire ce que t’en penses ? Une de mes amies qui allait plus vite est arrivée à cette scène et elle a fait, “ah, c’est donc ça qu’il se passe à la fin du jeu ?”

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PnT : Et elle avait raison ?

Adrienne : Oui, et j’étais, “oh non, tu peux pas me dire ça, non, non, non”. Et je stressais du coup. J’ai commencé à discrètement dire aux autres, est-ce que tu es arrivé à cette scène ? Est-ce que tu en as pensé quelque chose ? Et la plupart n’avaient rien vu de spécial, c’était vraiment juste mon amie. Même si elle a découvert immédiatement ce qui se passait, elle s’est amusée en jouant au jeu parce que c’était ça que j’espérais, c’est que même si elle s’était rendue compte de là où ça allait aller, ça fait que le jeu est devenu une tragédie dès le départ, avant même que ça commence à être une tragédie pour les autres gens. 

PnT : La représentation LGBTQIA+ semble être un aspect important d’In Stars and Time. Comment le jeu aborde-t-il les thèmes queer, et pourquoi était-il important pour vous d’inclure une représentation diversifiée dans la narration ?

Adrienne : J’ai beaucoup joué à des RPG quand j’étais jeune, mais maintenant je suis davantage attirée par les jeux indépendants, surtout quand je recherche des thèmes queer. Les jeux indépendants sont vraiment les seuls à proposer des thèmes queer de manière authentique et non simplifiée pour un public non-initié. Dans les jeux non-indépendants, c’est très rare de trouver des personnages queer bien représentés. Par exemple, c’est déjà exceptionnel d’incarner une femme, et si en plus elle peut embrasser une autre femme, c’est présenté comme quelque chose d’extraordinaire et facultatif, souvent à peine visible.

J’attends plus que cela. Dans les jeux indépendants, il y a moins de pression commerciale pour rendre les choses plus hétérosexuelles, donc on a plus de chances de trouver des thèmes et des personnages où les expériences queer sont authentiquement représentées. Cela se ressent que ce sont de vraies personnes queer qui ont écrit ces histoires. Personnellement, j’ai été beaucoup influencée par les visual novels. Je trouve que ce genre de jeu permet d’intégrer des thèmes queer sans craindre les réactions homophobes ou transphobes, car ces jeux sont souvent perçus comme des jeux pour femmes, qui préfèrent lire plutôt que de se battre ou tuer des personnages.

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C’est cette liberté créative qui m’a inspirée. Les visual novels, même avec moins de budget, parviennent à raconter des histoires plus terre-à-terre et plus queer. Étant moi-même queer, j’avais envie de créer des personnages queer dans mon jeu. Quand je vois les retours des joueurs, beaucoup apprécient cet aspect, même si certains s’arrêtent sur des détails comme l’utilisation des pronoms, ce qui me fait sourire.

Pour moi, l’inclusion de ces thèmes n’est pas pour les critiques, mais pour moi d’abord, et ensuite pour toutes les personnes queer, en particulier celles qui sont aromantiques et asexuelles. Ces identités sont encore très peu représentées, même dans les médias LGBTQIA+. Il y a beaucoup de gens qui ne savent même pas ce que ça signifie d’être asexuel ou aromantique. C’est très touchant de voir des streamers et des spectateurs découvrir ces termes grâce à mon jeu. Voir des personnes réaliser qu’il y a un mot pour leurs expériences et qu’ils ne sont pas seuls est incroyable pour moi. J’espère que mon jeu aide les gens à se comprendre plus rapidement et à se sentir moins seuls. C’est vraiment pour cela que j’ai intégré ces moments queer. Personnellement, je préfère dire que je suis queer, car cela signifie « Je fais partie de la communauté LGBTQIA+ » sans entrer dans les détails. Mais faire ce jeu m’a poussée à parler plus ouvertement de mon asexualité, même si je n’entre pas dans les détails. C’est rare de voir des personnages aromantiques et asexuels dans les jeux, même indépendants, et je voulais changer cela. Je voulais que ce soit explicite et central dans l’histoire, pas seulement suggéré. Je voulais vraiment que les joueurs apprennent et comprennent ces expériences à travers le jeu.

PnT : Et pour aller un petit peu sur l’aspect solo dev, qu’est-ce que ça fait d’avoir fait un jeu complet comme In Stars and Time ? 

Adrienne : Ça a eu beaucoup plus de succès que ce à quoi je m’attendais. Pendant tout le développement, j’ai tenu un journal de développement où je notais mes progrès et mes impressions. Pendant longtemps, je ne savais pas si j’allais un jour finir le jeu, je ne voyais pas la ligne d’arrivée. Puis, à un moment, j’ai commencé à y croire, je voyais la fin approcher. Je me disais que vendre 10 000 copies serait déjà bien. En réalité, j’en ai vendu beaucoup plus, ce qui me rend extrêmement heureuse. Pour être honnête, je pense que c’était une façon de me protéger. Le jeu était comme mon bébé pendant tout ce temps, et quand il est sorti, mon esprit a décidé que ce bébé était parti vivre sa vie. C’est comme s’il était parti à l’université. J’avais anticipé ce sentiment : le jeu, après tant de temps passé avec moi, appartient désormais à tout le monde. Mon cerveau a choisi de ne pas être submergé par les émotions, positives ou négatives, et de simplement se dire : « Ah, c’est bien. Il se débrouille bien. »

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Cela a été difficile, et j’ai beaucoup travaillé sur cet aspect avant la sortie du jeu. Ayant été dans des fandoms et sur des plateformes comme Tumblr et Twitter, je savais à quel point les fans peuvent aimer ou détester des œuvres. Ils peuvent s’approprier des personnages au point de modifier leur personnalité pour correspondre à leurs propres préférences. J’ai moi-même fait cela avec d’autres œuvres, donc je savais que je devais accepter que les gens allaient réinterpréter mes personnages. J’ai beaucoup écrit sur ce que chaque personnage signifiait pour moi, mais maintenant, les interprétations des joueurs font aussi partie du jeu.

Cela peut sembler négatif, mais c’est aussi incroyablement positif. Je trouve fantastique que les fans aiment le jeu à ce point. Sur le Discord du jeu, il y a des gens qui en parlent encore et créent leurs propres histoires à partir de mes personnages. C’est ce que je faisais quand j’étais jeune, et c’est incroyable que mon jeu serve de base pour d’autres. Je suis impatiente de voir si d’autres développeurs en herbe, inspirés par In Stars and Time, vont créer leurs propres jeux. Certains ont déjà commencé à travailler sur leurs projets, ce qui est merveilleux. Cela montre que créer un jeu est possible, même si cela demande beaucoup de travail.

PnT : C’est vraiment une approche saine. C’est exactement ce que nous voulons transmettre avec ce format, montrer que tout le monde dispose des outils nécessaires gratuitement. Il faut un ordinateur, mais ensuite, il y a des logiciels comme Godot, Blender et plein d’autres ressources gratuites pour commencer.

Adrienne : Absolument. J’ai appris en achetant RPG Maker, en passant deux ou trois semaines à comprendre comment ça fonctionne, en regardant des tutoriels sur YouTube et en cherchant sur Google. J’ai choisi RPG Maker parce que je voulais faire un RPG et parce que, sauf si on veut aller très loin, on n’a pas besoin de savoir coder. On peut simplement utiliser des plugins créés par d’autres et les intégrer. Pour le prologue, je n’ai pas du tout codé, j’ai juste utilisé des plugins et crédité leurs créateurs. Avec une bonne idée, on peut vraiment créer quelque chose.

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PnT : Tu mentionnais que tu avais fait des devlogs. Est-ce que c’est un type de contenu que tu recherches en étant solo dev ? J’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus qui se font en newsletter, notamment avec Substack. C’est un type de format que t’aimes bien ?

Adrienne : Moi, j’aime beaucoup les devlogs. J’avais deux types de devlogs : mes devlogs privés que je faisais toutes les semaines et, à partir du moment où on a annoncé le jeu sur Steam, tous les mois je sortais un devlog en me disant : « Bon voilà ce que j’ai fait, voilà là où j’en suis, voilà quelques dessins que j’ai faits pour vous montrer là où on en est. » Et puis quand je n’avais rien de spécial à dire, je disais : « Aujourd’hui, je vais vous montrer comment j’utilise OneNote, comment j’ai pensé à tel truc. » Et je sais que les gens ont beaucoup apprécié ce devlog parce que, d’une part, ça leur montre que le jeu est toujours en actualité et que je suis toujours en train de bosser dessus, et d’autre part, pour les fans, ça leur permet de voir un peu les coulisses, de se rendre compte de comment on dessine ça, comment est-ce que j’ai pensé à ça. Vu que je donnais de temps en temps des tutoriels où j’expliquais de façon précise comment je travaillais sur quelque chose, c’était juste intéressant de voir des gens parler de leur expertise, je pense. Et moi, personnellement, je lis pas mal de devlogs parce que je trouve ça pareil, j’aime bien voir les coulisses, comment les gens pensent. J’en suis beaucoup des écrits, mais je sais qu’il y en a pas mal aussi qui le font en vidéo sur YouTube. C’est quelque chose que je vois de plus en plus. Moi, je préfère en écrit, mais c’est juste moi, personnellement.

PnT : Le jeu a été publié par Armor Games Studio. Comment la rencontre s’est faite avec eux ? 

Adrienne : Ça ne m’est même pas passé par la tête que je pouvais avoir un publisher. Je crois que je n’étais même pas au courant que c’était quelque chose qu’on pouvait faire. Donc, ce qui s’est passé, c’est que j’ai sorti le prologue et une semaine après, j’ai reçu un email de la personne qui est devenue ma productrice à Armor Games, qui s’appelle Dora. Ça faisait quelques années qu’elle me suivait sur Tumblr avec mes bandes dessinées. Elle a vu que j’avais sorti un jeu, qu’elle a vu que ça s’appelait un prologue et elle a fait : « Si c’est un prologue, est-ce qu’il va y avoir une suite ? Peut-être que ça t’intéresserait de bosser avec nous ? » Et j’ai dit : « Ouais, d’accord, pourquoi pas. » Je n’y avais même pas pensé, mais pourquoi pas. Je le dis quand même et je le dis à tout le monde : j’ai beaucoup apprécié de bosser avec Armor Games. Même si on trouve quelqu’un d’autre que l’on se dit qu’ils sont parfaits, ils sont géniaux, il faut toujours regarder le contrat. Il faut toujours. D’ailleurs, ce que j’ai fait, c’est que quand ils m’ont passé le contrat, j’ai fait : « Alors, ça existe ? » Je ne savais pas qu’il y avait des avocats spécialement autour des jeux vidéo. J’en ai trouvé un et je lui ai dit : « Vous pouvez pas regarder et me dire si ça va ? » Même si on apprécie vachement quelqu’un, il faut quand même toujours, parce que c’est juste logique, surtout quand c’est mon bébé, même si…

PnT  : … il y a de l’argent en jeu, malheureusement.

Adrienne : Il faut toujours regarder. Mais ouais, ils m’ont vachement aidée à trouver des gens. En fait, encore une fois, je ne sais pas bien coder, donc ils m’ont aidée à trouver un programmeur pour les choses que je ne savais pas coder. Ils se sont occupés de tout ce qui est contact avec une équipe de marketing, une équipe de localisation pour mettre sur des consoles, donc ils se sont occupés de tout ça et je n’avais pas besoin de m’en occuper, ce qui est merveilleux. Ils m’ont aussi donné pas mal de conseils sur comment rendre le jeu meilleur. Il y a un truc que Dora m’avait dit et que j’ai trouvé absolument génial, je vais m’en souvenir toute ma vie. C’était en parlant des combats aléatoires parce que j’avais pris les combats du prologue et je les avais mis dans In Stars and Time. Les combats du prologue étaient un peu longs, les ennemis étaient un peu trop galères. Une minute entière pour battre un ennemi aléatoire, c’est beaucoup trop long, mais je ne savais pas à l’époque. Donc elle m’a dit : « Adrienne, voilà la façon dont il faut y penser. Les ennemis aléatoires, il te faut des Goombas, comme avec Mario. Il te faut des ennemis que tu peux battre en 10 secondes et quelques ennemis qui sont un peu plus galères, mais il te faut des Goombas. » Je me suis dit : « Quand on a des combats aléatoires, il faut des Goombas pour que ce soit rapide. »

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PnT : C’est quelque chose que j’avais vu dans les jeux un peu à la Souls pour voir si tu as le niveau pour une zone. Si tu arrives à battre l’ennemi en trois coups, tu es parfaitement dans la bonne zone. Si tu as besoin de plus de coups, va ailleurs, tu n’es pas encore prêt. Mais tu as un peu ce truc-là de durée. C’est intéressant.

Adrienne : Je crois que c’est peut-être une des parties qui a été la plus compliquée pour moi. C’était tout ce qu’il y avait autour de coder les combats parce que c’est tellement de maths et c’est tellement de finition pour faire attention à ce que ce ne soit pas trop compliqué, que ce ne soit pas trop galère, que ce ne soit pas trop long, que ce ne soit pas trop court non plus. Donc, ça m’a pris vachement de temps. Pareil pour trouver le type d’attaque que je donne à chaque personnage, comment faire pour que les personnages soient équilibrés les uns par rapport aux autres. C’est ça qui a pris le plus de temps pour moi, m’occuper des combats.

PnT : Et ils t’ont aidée aussi, par exemple, pour la mise  au point d’une démo ? Enfin, pour aller chercher des playtesters et faire un petit peu des retours sur le jeu, soit une démo pour faire vivre le jeu un petit peu en festival ? Ils t’ont aidée un petit peu là-dessus ou c’est toi qui t’étais dit depuis le début : « Il y a tel ou tel festival où je sais que j’aimerais présenter le jeu » ?

Adrienne : C’était quelque chose où je n’étais pas spécialement au courant, donc c’est eux qui s’en sont occupés aussi. Ils m’ont dit : « Bon, il nous faudra une démo, il faut que tu fasses une démo qui dure à peu près ce genre de temps-là pour qu’on puisse le mettre à tel événement, tel événement pour qu’on puisse le montrer. » Donc, c’est eux qui se sont beaucoup occupés de me dire : « Il faudrait qu’on ait fini tel genre de truc pour tel moment, » parce que pour le jeu en lui-même, c’était bon. J’avais un bon rythme, j’avais un bon emploi du temps, donc j’ai fini ça à temps, j’ai fini ça comme il fallait. Mais tout ce qu’il y avait autour, je n’avais aucune idée. Donc, de bosser avec eux, ça m’a appris beaucoup sur justement les événements sur Steam, lesquels sont importants, lesquels le sont un peu moins. Steam Next Fest, par exemple, je ne me rendais pas compte à quel point c’était important, les gens peut-être à contacter, tous les types de boulots qu’il y a dans le pipeline des jeux vidéo. Parce que c’était quelque chose pour moi où j’étais : « Je ne sais pas. » Donc ouais, ça m’a beaucoup aidée là.

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PnT : Est-ce que tu peux nous parler un peu de tes futurs projets ?

Adrienne : Je suis en train de faire un autre jeu qui sera un visual novel cette fois. Quand j’ai fini In Stars and Time, j’ai retrouvé mon boulot en animation. Mais en janvier, ils ont viré tout le monde parce qu’il n’y a plus trop de boulot là maintenant au Canada. Les boulots vont seulement revenir vers la fin de l’été, si on a de la chance. J’en profite pour essayer de créer mon propre studio pour de vrai cette fois, et voir si c’est quelque chose que je vais pouvoir faire pour l’avenir. Cette fois, je ne pense pas que je vais travailler avec un publisher. Maintenant que je me sens assez confortable, je pense que je vais essayer de le faire moi-même. Et de créer une petite équipe, peut-être. J’aime bien travailler toute seule, c’est ça le truc aussi. C’est pour ça que j’ai tout fait, de l’histoire au code, comme je pouvais. C’est parce que j’aime beaucoup travailler dans mon coin. Travailler avec les gens, c’est un peu compliqué. Mais le problème, c’est que In Stars and Time a bien réussi et est assez populaire. Ce qui me met énormément de pression. Donc, c’est quelque chose où je me force à me dire… Quand j’annoncerai le prochain jeu, je dirai à tout le monde… « S’il vous plaît, ne vous attendez pas à In Stars and Time 2, où ça va être exactement pareil, ça va vous faire pleurer de la même façon. » C’est pour moi, là. D’accord ? C’est pour moi. Mes jeux, ils sont pour moi. Si vous n’aimez pas, ce n’est pas mon problème. 

C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas voulu faire un deuxième In Stars and Time. C’était une question qui revenait souvent. Est-ce qu’il va y avoir une suite ? Je disais non, il ne va pas y avoir de suite. Ne vous attendez pas à une suite. C’est parce que, quand le jeu se termine, le joueur, à coup sûr, va avoir beaucoup de questions. C’est fait exprès. C’est fait exprès juste parce que j’aime bien ce genre d’histoire où tu continues à y penser. Et aussi, parce qu’encore une fois, j’ai été élevée sur Tumblr, et je sais que si on a une histoire qui se termine avec toutes les questions qui ont été répondues, il n’y a jamais de fan-art sur ce genre de truc avec des histoires qui sont complètement finies. Des fan-theories, etc. Et moi, je veux vraiment que les gens continuent à y penser. C’est pour ça que je l’ai laissé ouvert. Et aussi, parce que j’ai joué à beaucoup de jeux dont j’adorais le premier, et le deuxième, beaucoup moins. Dès le départ, je me suis dit, je ne veux pas être comme Tales of Symphonia, je veux juste en avoir un !

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