Interview Remy Siu

Remy Siu: Creative Director de 1000xRESIST

1000xRESIST est un jeu qui m’a complètement surpris. Sa bande-annonce était très intrigante et évoquait des influences qui me parlent : les jeux de Yoko Taro, Evangelion, Satoshi Kon et l’œuvre de Robert Wilson, le tout sur fond de diaspora. Je suis resté intéressé par le jeu jusqu’à ce que je voie un tweet de son créateur, Remy Liu. 

“I was making what FF7 made me feel when it hurt me as a kid.”

Cette description est tellement honnête qu’elle m’a parlé et m’a immédiatement touché. J’ai contacté Rémy directement afin de pouvoir réaliser cette interview. Lui et Fellow Traveler ont été formidables et nous ont envoyé une clé pour que nous puissions jouer au jeu avant notre entretien. Pour être honnête, j’ai encore du mal à mettre des mots sur ce que 1000xRESIST m’a fait ressentir. C’est une œuvre puissante, avec une histoire incroyablement bien racontée. Cet article est le fruit d’une interview de deux heures avec Remy Siu, avec qui j’ai pu parler de son parcours, de la naissance de Sunset Visitor et de son premier jeu, ainsi que des thèmes du jeu et de bien d’autres choses encore. Cette interview est divisée en deux parties, la première étant accessible à tous, la seconde contenant son lot de spoilers. Si vous voulez tout lire, je vous conseille vivement de jouer à 1000xRESIST, que je considère comme mon expérience artistique la plus forte de l’année (oui oui, il faut dire les termes parfois). 


Point’n Think : Bonjour Remy ! Merci d’avoir pris du temps pour discuter avec nous aujourd’hui. Peux-tu te présenter et nous parler un peu de ton parcours et de la façon dont tu as fini par développer des jeux vidéo ?

Remy : Je m’appelle Rémy Siu et je suis le directeur créatif de Sunset Visitor. J’ai une formation artistique, en particulier dans le domaine des arts du spectacle expérimentaux. Quand j’étais plus jeune, j’écrivais beaucoup de fiction, mais cela ne menait nulle part à l’époque. J’ai ensuite étudié la composition musicale à l’université Simon de Vancouver, une école d’art contemporain. J’ai eu la chance d’évoluer dans un environnement radicalement interdisciplinaire. En tant que compositeur de premier cycle, j’ai été encouragé à écrire des pièces dès le début, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. En outre, il y avait beaucoup de théâtre expérimental et de danse dans les environs, ce qui m’a amené à travailler avec des artistes de théâtre et de danse en tant que compositeur. Je ne me contentais pas d’écrire des notes sur une page, j’utilisais l’électronique en direct pour improviser et suivre les interprètes. Cette expérience m’a finalement conduit vers les arts des nouveaux médias, en me concentrant sur la conception de projections, la cartographie et tout ce genre de nouveaux médias que l’on trouve souvent en France, ce qui est vraiment génial.

PnT : Dans ton école, la production musicale et le théâtre faisaient-ils partie du même établissement ?

Remy : Oui, tout cela se passait au sein de la même école et n’était pas séparé par des départements. C’était important car cela signifiait que nous étions tous au même endroit, que nous nous rencontrions et que nous collaborions sur différents projets.

PnT : C’est logique. Il est bénéfique de mélanger différentes disciplines et de voir comment les gens réagissent à la musique et comment ils vont danser ou se produire. Dans un autre ordre d’idées, j’aimerais savoir quel type de joueur tu es. As-tu le temps de jouer à des jeux en ce moment, et si oui, à quoi ?

Remy : Ce sont les jeux narratifs que j’aime le plus. Parmi mes jeux préférés figurent Kentucky Route Zero et divers J-RPG des époques PS1 et PS2, auxquels j’ai joué principalement pour leurs histoires. Récemment, j’ai apprécié des jeux indépendants comme Outer Wilds, Norco, Perfect Tides et bien sûr Citizen Sleeper. Bien que je n’aie pas eu beaucoup de temps pour jouer au cours des six derniers mois, j’ai commencé Final Fantasy VII Rebirth et je progresse lentement dans le jeu, j’en suis actuellement au Gold Saucer. J’ai également une longue liste de jeux auxquels j’aimerais jouer, comme Crow Country, Cryptmaster et Before the Green Moon. La liste continue de s’allonger avec des titres intrigants comme Indika, Dread Delusion ou même Artic Eggs qui ont l’air vraiment intéressants. J’ai hâte que le nouveau jeu d’Analgesic Game sorte également : Angeline Era.

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PnT : Compte tenu de votre formation, tu as probablement utilisé certains logiciels de jeux vidéo lorsque tu as travaillé sur la cartographie par projection. Comment es-tu passé à la création de tes propres jeux ?

Remy : En musique, j’utilise Max/MSP ou Pure Data pour la programmation des sons et des outils. Cela m’a amené à utiliser un logiciel de théâtre appelé Isadora, du nom d’Isadora Duncan. Plus tard, j’ai utilisé Touch Designer, une branche en temps réel du logiciel Houdini, qui est populaire dans les nouveaux médias. Cet outil m’a permis de me familiariser avec les shaders et Python. Bien que je ne sois pas un grand programmeur, ces expériences ont facilité la transition vers Unity. La présence de Colin J. MacDougall, notre programmeur, a été essentielle ; je pouvais me concentrer sur d’autres aspects pendant qu’il s’occupait du codage.

PnT : J’ai remarqué sur ton portfolio que tu as travaillé dans différents endroits comme Vancouver, Hong Kong et Tokyo. Comment ces différents contextes culturels influencent-ils ton travail, non seulement dans le domaine des jeux vidéo, mais aussi en général ?

Remy : Les tournées et les représentations dans différents endroits vous permettent de voir comment les différents publics réagissent à votre travail. Par exemple, le public allemand est souvent très généreux en applaudissements par rapport à celui de Vancouver. Cette expérience immersive permet de comprendre le fonctionnement des différents théâtres et les aspects uniques de chaque ville. À Hong Kong, où j’ai également travaillé en tant que conservateur, j’ai ressenti un lien profond, étant donné les origines de ma famille dans cette ville. En travaillant à Hong Kong de 2015 à 2020, j’ai appris à connaître la scène artistique locale et la culture du travail, ce qui a été enrichissant. Chaque lieu offre une expérience riche qui influence subtilement mon processus créatif.

PnT: Ta première visite à Hong Kong était-elle liée à ton travail ou y étais-tu déjà allé pendant ton enfance ou ton adolescence ?

Remy : Ma famille ne souhaitait pas que je retourne à Hong Kong lorsque j’étais plus jeune, et ma première visite a donc eu lieu au début de la vingtaine. De 2015 à 2020, je m’y suis rendu fréquemment pour mon travail, ce qui m’a permis de renouer profondément avec la ville et sa culture.

PnT : Dans ta démarche artistique, tu explores les thèmes de l’automatisation et de la gouvernance algorithmique. Comment ces idées se manifestent-elles dans tes créations et quel message espères-tu transmettre au public à travers elles ?

Remy : Dans les performances que je créais, j’ai réalisé qu’il existait un terme dans le domaine des jeux vidéo qui correspondait bien à ce que je faisais : alt control, ou alternative controller works. Dans ces performances, j’ai utilisé une combinaison de diverses entrées matérielles, de logiciels et d’éclairages pour créer un environnement pour les artistes. Leur essence humaine interagissait avec ces structures algorithmiques et automatisées. Par exemple, dans l’une de mes œuvres majeures, des pianistes naviguaient dans ces systèmes algorithmiques qui leur demandaient de plus en plus de travail.

Algorithm work

Cela m’a fait penser au travail intense qu’endurent les musiciens et je l’ai mis en parallèle avec le travail exigé par les systèmes numériques. Si ces outils se sont démocratisés, offrant un accès plus large, cette démocratisation s’accompagne souvent de l’érosion de l’infrastructure de soutien. Mon objectif était d’explorer l’existence et l’essence de l’humanité au sein de ces structures. Il ne s’agissait pas seulement de savoir comment les humains existent dans ces systèmes automatisés, mais ce que cela signifie d’être humain dans de tels contextes. Il est intéressant de noter que malgré la sévérité de ces œuvres, elles mettent en évidence l’activité humaine et l’échec, nous encourageant à chérir ces aspects plutôt qu’à les punir. C’est un thème clé que j’envisageais à cette époque.

Algorithm work
Algorithm work

PnT : Je comprends maintenant pourquoi tu as une affinité pour Citizen Sleeper !

Remy : Oui, tout à fait. Il y a beaucoup de choses dans ce jeu, vous savez, l’examen de l’économie de l’emploi et la façon dont nous interagissons avec elle.

PnT : Cela ajoute beaucoup de contexte à ton travail. Pour en venir au jeu lui-même, peux-tu me dire comment est né Sunset Visitor ? As-tu eu l’idée du jeu en premier, ou as-tu créé le studio avant de proposer le jeu ?

Remy : Le jeu est définitivement passé en premier. Le studio est essentiellement né de la production. J’ai commencé à travailler sur le prototype vers mars ou avril 2020. À partir de là, j’ai commencé à l’envoyer à des éditeurs et, heureusement, nous avons trouvé un éditeur formidable en la personne de Fellow Traveler. Ils nous ont vraiment soutenu. En outre, nous avons obtenu un financement par l’intermédiaire du Fonds des médias du Canada. Cette combinaison de soutiens et de financements a été le contexte dans lequel la société a été créée. Ce n’est pas comme si nous avions créé une société et décidé ensuite de créer un jeu. Nous nous sommes immédiatement lancés dans la production. Maintenant que nous avons terminé ce jeu, nous prenons le temps de réfléchir à notre expérience plutôt que de nous replonger directement dans la production.

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Concept pour le logo de Sunset Visitor par Kodai Yanagawa

PnT : Comment 1000xRESIST lui-même a-t-il vu le jour ?

Remy : Cela fait un moment que je réfléchis et travaille sur l’idée des clones à divers titres, mais je n’ai jamais trouvé le bon débouché. J’ai vu l’opportunité de raconter de nombreuses histoires d’anthologie. J’ai été très inspiré par les courts métrages d’animation comme Adventure Time et Steven Universe, par leur capacité à manœuvrer dans leur univers et à raconter des histoires diverses. À l’origine, au début de la pandémie, je travaillais sur un autre projet, un jeu sur la vente au détail inspiré de mes expériences dans des endroits comme Best Buy.

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Mais c’est alors qu’est apparue la Canadian Emergency Response Benefit (CERB). Elle apportait un soutien financier aux personnes qui avaient perdu leur emploi ou qui ne pouvaient pas travailler pendant la pandémie. Il s’agissait d’un changement important, dont on nous avait dit qu’il serait difficile à mettre en œuvre, mais qui s’est produit du jour au lendemain. Ce changement soudain a été un choc et une source d’inspiration. Il m’a donné la stabilité nécessaire pour travailler confortablement sur le prototype, puisque tous les spectacles et concerts que j’avais prévus avaient été annulés à cause de la pandémie. Cette période de possibilité m’a conduit à passer du jeu de ventes au détail à 1000xRESIST, en visant un projet avec plus de potentiel et d’étrangeté.

PnT : Il est intéressant de voir comment un tel changement sociétal a influencé votre orientation créative. Tu as mentionné deux modes distincts dans ton travail : un examen critique du travail numérique et une fiction spéculative avec des éléments diasporiques. Comment concilies-tu ces deux visions ?

Remy : C’est quelque chose que je suis encore en train de comprendre. Ces deux modes, les critiques capitalistes acerbes et la fiction spéculative, ont également joué un rôle dans mon travail antérieur dans les arts du spectacle. L’introduction du CERB a été ressentie comme un saut rapide dans le futur, ce qui m’a orienté vers des projets plus spéculatifs. Les retombées du CERB, avec la tentative du gouvernement de récupérer les fonds, ont été décourageantes. J’ai eu l’impression de reculer par rapport à ce premier bond en avant. Cette oscillation entre progrès et recul est également présente dans la politique canadienne.

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Concept art par Kodai Yanagawa

PnT : En parlant d’influence culturelle, j’aimerais t’interroger sur l’identité de ton studio. Qu’est-ce que cela signifie pour Sunset Visitor d’être un studio canadien ayant un lien important avec la diaspora chinoise et hongkongaise ? Quelle importance cela revêt-il pour toi et pour le studio dans son ensemble ?

Remy : Pour clarifier, notre studio comprend des membres de diverses diasporas asiatiques, et pas seulement de Hong Kong. Par exemple, nous avons également des membres de la diaspora japonaise. Cependant, beaucoup d’entre nous, y compris moi-même et les deux écrivains, ont des liens avec Hong Kong. Pour moi, l’essentiel est d’aborder notre travail avec un haut degré de spécificité. De nombreux jeux abordent des thèmes généraux, souvent de manière fictive ou allégorique. Bien que cela soit valable, notre objectif est de parler du monde de manière spécifique et tangible. Cette spécificité est cruciale, non seulement pour nos projets actuels, mais aussi pour toutes les histoires que nous raconterons à l’avenir. Nous nous efforçons de maintenir ce niveau de détail et d’authenticité dans tous nos travaux.

PnT : Il est fascinant de constater à quel point vous mettez l’accent sur la spécificité dans votre travail. Comment cette approche façonne-t-elle l’identité et la production de ton studio, compte tenu notamment de sa composition diasporique ?

Remy : Reconnaître les différents aspects de nos origines diasporiques est crucial pour le studio. Cela nous donne une perspective unique et des expériences spécifiques que nous apportons dans notre travail. Souvent, plus une expérience est spécifique, plus elle peut devenir universellement relatable. Cette spécificité est importante pour nous, car elle correspond à notre objectif de créer quelque chose de significatif et de pertinent, plutôt qu’un simple produit commercial. Nous nous attachons à créer des jeux qui parlent de ces expériences et de ces histoires uniques. Cela ne fait peut-être pas de nous les meilleurs pour produire des jeux purement commerciaux, mais c’est quelque chose qui nous passionne et, nous l’espérons, dans lequel nous excellons.

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PnT : Tout à fait. Et cela m’amène à une autre question. D’après ce que nous avons vu, les membres de votre équipe viennent d’horizons artistiques divers : danse, théâtre, musique et arts visuels, y compris le vôtre. Comment cette diversité influence-t-elle le processus de développement de vos jeux ?

Remy : En fait, c’était un véritable défi. Il y a eu beaucoup de chocs culturels, étant donné que la moitié de l’équipe vient des arts du spectacle expérimentaux, tandis que l’autre moitié vient des arts visuels, des jeux vidéo et de l’animation. C’est ce mélange qui nous a permis de synthétiser quelque chose d’unique. Nous avons dû trouver un terrain d’entente parce que le vocabulaire que nous utilisons dans les différentes disciplines est différent. C’est comme avoir besoin d’une pierre de Rosette sans en avoir une. Naviguer entre ces différences culturelles entre les disciplines, la façon dont elles travaillent et ce qui les intéressent a été un véritable défi. Mais il est important d’avoir une diversité de pratiques, et pas seulement une diversité de personnes. Les différentes disciplines et industries ouvrent l’espace à différents types de personnes et de modes de pensée. Malgré les difficultés, nous avons eu de la chance car la moitié de l’équipe travaillait ensemble depuis longtemps, ce qui a facilité l’intégration des nouveaux membres qui ont apporté de nouvelles perspectives, en particulier dans les domaines de la CGI, de la programmation et de l’animation.

PnT : Cette influence éclectique se ressent indéniablement dans le jeu. En ce qui concerne la direction artistique, j’ai remarqué des inspirations de Metropolis, en particulier dans la conception des androïdes, et de directeurs de la photographie comme Roger Deakins et le réalisateur Wong Kar-Wai. Peux-tu nous en dire plus sur tes influences artistiques et sur ta collaboration avec Kodai Yanagawa (directeur artistique) pour les graphismes du jeu ?

Remy : Oui, Kodai et moi nous sommes partagés le travail sur les cutscenes, qui se fondent parfois parfaitement dans le gameplay. Kodai a un talent unique pour insuffler de l’émotion dans ses dessins. Kodai est exceptionnellement doué pour insuffler de l’affect dans ses créations, une qualité qui frise le génie, à mon avis. Ce talent est évident dans les tenues détaillées des sœurs. Par exemple, lorsque j’ai donné à Kodai une consigne pour Knower, il s’agissait simplement de dire qu’elle est une sœur dans la bibliothèque. Kodai s’est inspiré de cette brève indication et a créé des personnages remarquables qui ont alimenté notre processus d’écriture. Cette dynamique de collaboration s’est également appliquée à d’autres personnages comme Fixer. Au départ, nous avions écrit des scénarios et des dialogues pour Fixer, mais lorsque Kodai a présenté son premier dessin, nous avons été tellement impressionnés que nous avons réécrit les conversations pour nous aligner sur sa vision.

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Concept art par Kodai Yanagawa

Sur le plan cinématographique, Roger Deakins et Christopher Doyle sont de grandes influences. J’ai eu la chance de rencontrer Christopher Doyle à Hong Kong, ce qui a été une expérience mémorable. Son travail dans les films de Wong Kar Wai et au-delà a considérablement influencé notre narration visuelle. Ce mélange d’influences nous a permis de créer un film à la fois cohérent et riche en diversité.

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Concept art par Kodai Yanagawa
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Concept art par Kodai Yanagawa

PnT : Il est intéressant de voir d’où viennent ces influences. Tu as mentionné des références à la science-fiction dans ton travail. Peux-tu m’en dire plus sur tes inspirations en matière de science-fiction et sur la façon dont elles ont façonné la narration du jeu ?

Remy : Oui, je pense que Star Trek est une référence importante pour moi. En fait, j’ai appris à parler anglais en regardant Star Trek et en jouant à des jeux vidéo comme Day of the Tentacle, Monkey Island et Indiana Jones. Ces expériences ont été fondamentales pour moi. Star Trek, en particulier la série des années 90, a eu un impact profond. Les épisodes de Deep Space Nine, comme The Visitor et Far Beyond the Stars, ainsi que Darmok et The Inner Light de The Next Generation, ont été particulièrement influents. Ces épisodes plongent profondément dans l’esprit humain et explorent ce que signifie être humain, ce que Star Trek des années 90 faisait exceptionnellement bien. Cette approche a considérablement influencé ma conception de la science-fiction.

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Par conséquent, une grande partie du jeu penche vers la science-fiction douce. Bien que nous tenions à ce que l’histoire soit interconnectée et complète, l’accent reste mis sur une perspective de science-fiction plus douce et plus centrée sur l’humain. Ce qui m’intéresse, c’est d’examiner la condition humaine, souvent sous l’angle du réalisme magique, plutôt que sous celui de la science-fiction pure et dure. Adventure Time, bien qu’elle ne soit pas traditionnellement considérée comme de la science-fiction, a également influencé ma façon de raconter des histoires. La série m’a rappelé que les récits peuvent être à la fois drôles et profonds. Elle montre comment on peut tisser des lignes temporelles multiples et des liens inattendus, ce qui a inspiré mon approche narrative. Le mélange d’humour et de profondeur d’Adventure Time a eu une influence cruciale sur ma façon de concevoir la narration dans le genre de la science-fiction.

PnT : En parlant de narration complexe, la conception narrative de votre jeu est dense et riche, avec différents personnages et différentes chronologies. Comment avez-vous structuré la narration pour qu’elle reste claire et complète ?

Remy : La structuration de la narration a été un véritable défi. Nous l’avons abordé en développant le jeu chapitre par chapitre, un peu à la manière d’un récit sériel. Nous terminions entièrement un chapitre avant de passer au suivant, ce qui nous a permis de maintenir la clarté et la cohérence du jeu. Cette approche épisodique, même si nous ne l’avons jamais publiée de cette manière, a été essentielle pour gérer l’intrigue complexe et le développement des personnages.

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PnT : Vous avez donc travaillé sur le chapitre dans le « bon » ordre ?

Remy : La structure épisodique nous a permis d’approfondir chaque chapitre et de comprendre ce qui était nécessaire avant de passer au suivant. Cette approche nous a permis d’expérimenter pleinement chaque partie du jeu, en veillant à ce que chaque chapitre soit développé de manière organique. Les jeux sont hautement expérientiels et incarnés, ce qui fait qu’il est difficile de les abstraire avec précision sans s’engager pleinement dans chaque segment. Contrairement à un quatuor à cordes, où un musicien expérimenté peut comprendre le morceau en lisant le manuscrit, la véritable essence d’un jeu n’émerge souvent qu’à travers l’interaction. C’est la raison pour laquelle le développement épisodique du jeu a été crucial : il nous a permis de découvrir les besoins de la narration au fur et à mesure que nous progressions. Par exemple, au fur et à mesure que nous développions des chapitres, la structure globale est devenue plus claire. Les cinq premiers chapitres reflètent les cinq suivants de diverses manières. Par exemple, le chapitre 6 présente un environnement plus ouvert similaire au chapitre 1, tandis que les chapitres 2 et 7 sont des expériences à la première personne. Ce reflet nous a permis de maintenir une structure cohérente tout au long du jeu.

PnT : Aviez-vous la fin du jeu en tête dès le début, même si vous le développiez de manière épisodique ?

Remy : Oh oui, nous avions une fin en tête, ainsi qu’une macro-structure générale. Cependant, au fur et à mesure que nous avancions, la narration évoluait de manière organique. Nous nous sommes souvent écartés de nos plans initiaux parce que nous voulions écouter ce que le jeu nous disait. Par exemple, le chapitre 7 s’est avéré très différent de ce que nous avions prévu, ce qui nous a amenés à repenser le chapitre 8.


Spoilers

PnT : Le chapitre 6 a laissé un impact significatif sur les joueurs, y compris moi-même. Ces chapitres abordent des thèmes difficiles, dont certains sont très violents. Est-ce que l’équipe s’est imposé des limites à la façon dont vous les avez abordés et dépeints ?

Remy : Nous n’avons jamais eu l’impression qu’il y avait des limites aux thèmes que nous pouvions explorer, mais nous avons été prudents et honnêtes dans notre représentation. Par exemple, nous avons discuté des scènes graphiques, telles que le hamster passé au micro-ondes et l’aveuglement de Watcher, pour nous assurer qu’elles n’étaient pas gratuites. Nous voulions traiter ces expériences difficiles de manière responsable. La mort de Watcher au chapitre 8 n’était pas prévue dès le départ. Il est devenu évident, après le développement du chapitre 7, que son personnage devait être profondément affecté par les événements. Nous voulions refléter le fait que les gens ne se remettent pas facilement d’expériences aussi traumatisantes.

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Concept art par Kodai Yanagawa

PnT : Le gameplay des segments de communion est assez unique. Comment avez-vous choisi cette structure, en particulier le mélange de systèmes en boucle et d’exploration plus traditionnelle ?

Remy : Tous les éléments de jeu traditionnels ont été introduits pour des raisons narratives. Nous avons fait très attention à ne pas inclure des éléments de jeu juste pour le plaisir. Le mécanisme de la « zipping », par exemple, a été inclus pour préfigurer l’existence d’une autre couche de communion. Elle était essentielle pour signaler aux joueurs qu’ils se trouvaient à l’intérieur d’une forme de simulation.

Le système de saut dans le temps a également été introduit pour raconter des histoires hors de l’ordre chronologique. C’est devenu un mécanisme de jeu fondamental que nous avons affiné au fil du temps. Par exemple, dans le chapitre 8, la désintégration de l’esprit de Watcher et les souvenirs chaotiques reflètent son état mental alors qu’elle était en train de mourir. Après le chapitre 1, nous nous sommes rendu compte de l’énorme effort nécessaire pour créer des espaces aussi vastes et exploratoires. Nous nous sommes donc adaptés en introduisant, dans les chapitres suivants, des environnements plus petits et plus ciblés, avec des lignes temporelles différentes. Cet équilibre entre la taille de l’espace et la complexité de la chronologie nous a permis de maintenir la cohésion narrative tout en explorant différentes dynamiques de jeu.

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PnT : Le processus d’itération semble avoir constitué une part importante du développement.

Remy : En effet, c’est ce qui s’est passé. Chaque itération nous a permis d’affiner le gameplay et la narration, en veillant à ce que chaque élément serve l’histoire que nous voulions raconter. Cette approche itérative a été essentielle pour créer une expérience cohérente et percutante pour les joueurs.

PnT : L’enregistrement des voix dans le jeu est exceptionnel, ce qui n’est pas quelque chose que l’on voit habituellement dans les jeux indépendants. Souvent, les voix dans les jeux indépendants sont soit absentes, soit moins soignées. Comment avez-vous réussi à obtenir des performances vocales d’une telle qualité ?

Remy : Dès le début, j’ai su que je voulais que le jeu soit entièrement vocalisé, car nous venons du monde des arts de la scène et nous avions confiance en notre capacité à contribuer dans ce domaine. Nous étions convaincus qu’un jeu à voix haute améliorerait considérablement l’expérience du joueur, et nous nous sommes donc fortement investis dans ce domaine.

PnT : Comment l’équipe a procédé pour choisir les acteurs vocaux et travailler avec eux pour obtenir ces performances ?

Remy : Nous avons fait preuve de beaucoup de discernement dans notre processus de casting. Nous avons cherché des interprètes capables de donner vie aux personnages de manière authentique. Certains étaient des acteurs professionnels, d’autres non, mais ils ont tous apporté une qualité unique à leur rôle. Travailler avec eux a été un processus de collaboration, en veillant à ce que leurs performances s’alignent sur la profondeur du récit.

PnT : C’est intéressant. Peux-tu nous en dire plus sur les casting et sur les difficultés que vous avez rencontrées ?

Remy :

Le casting a consisté en un mélange d’auditions et de contacts avec des artistes que nous connaissions déjà grâce à nos relations dans le domaine des arts du spectacle. L’un des défis consistait à s’assurer que les voix correspondaient au ton émotionnel que nous voulions transmettre. Il a fallu une direction attentive et parfois plusieurs prises pour obtenir la bonne interprétation. Cependant, le fait d’avoir une bonne relation avec les acteurs nous a aidés à surmonter ces difficultés.

Je tiens à saluer l’un de nos collaborateurs, N. Tan, qui a sélectionné la majorité des prises ! Ce fut un processus long et laborieux.

PnT : Les voix de votre jeu sont incroyablement authentiques et captivantes. Vous avez mentionné le fait que vous avez travaillé avec un groupe diversifié d’interprètes. Peux-tu nous expliquer comment vous avez abordé la direction des voix et l’écriture pour obtenir des performances aussi naturelles ?

Remy : Absolument. Pour la voix off, nous savions dès le départ que nous voulions des personnages entièrement vocalisés. Notre expérience des arts du spectacle nous a donné confiance dans ce domaine. Nous avons travaillé avec un mélange d’artistes, y compris des acteurs de cinéma, des acteurs de théâtre, des danseurs et même des personnes n’ayant pas reçu de formation formelle. L’un des aspects essentiels de la direction vocale est l’écriture. Nous nous sommes efforcés d’écrire des dialogues qui laissaient aux acteurs suffisamment d’espace pour interpréter et apporter leurs propres nuances aux répliques. Cette approche a permis aux acteurs de nous surprendre, ainsi que les joueurs, par leurs performances.

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PnT : Comment avez-vous veillé à ce que les performances des acteurs restent authentiques, en particulier lors de la transition entre le jeu de scène et le jeu vocal ?

Remy : Il s’agissait de trouver de l’honnêteté dans leurs performances. Aux acteurs habitués au théâtre, nous avons rappelé qu’ils n’avaient pas besoin de projeter leur voix comme ils le feraient sur scène. Au lieu de cela, ils pouvaient se concentrer sur la subtilité et la nuance, que le microphone pouvait capter. Cet ajustement a souvent donné lieu à des performances surprenantes et impressionnantes. Nous avons également enregistré par épisodes, ce qui a permis aux interprétations des acteurs d’influencer l’écriture des épisodes suivants. Ce processus itératif a permis de créer une représentation plus dynamique et plus authentique des personnages.

PnT: L’enregistrement épisodique semble avoir ajouté un élément de découverte pour les acteurs. Quel a été l’impact sur leurs performances et sur la narration globale ?

Remy : Sans aucun doute. L’enregistrement par épisodes signifiait que les acteurs, comme leurs personnages, ne savaient pas ce qui allait se passer ensuite. Cette approche a permis de préserver la fraîcheur et l’authenticité de leurs performances, en reflétant les incertitudes et les évolutions des personnages. Elle a ajouté une couche d’authenticité, car les acteurs ont découvert le parcours de leurs personnages en temps réel, tout comme le ferait le public.

PnT : Pour en venir à l’univers du jeu, il présente une vision complexe et inquiétante de l’avenir. Comment l’équipe a développé ce cadre, à la fois visuel et narratif, en partant de la quasi-destruction de l’humanité ?

Remy : Nous voulions situer l’histoire suffisamment loin dans le futur pour qu’elle ne soit pas familière et que les joueurs aient à reconstituer l’histoire de ce qui s’est passé. Ce cadre lointain nous a permis de créer un microcosme unique où nous avons pu explorer des thèmes spécifiques en profondeur. Bien que l’avenir dépeint soit inquiétant, nous avons inclus des éléments qui pourraient sembler presque idylliques, comme marcher dans le Orchard. Ce contraste met en évidence la complexité du monde que nous avons construit et invite les joueurs à s’engager dans le récit à plusieurs niveaux.

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Concept art par Kodai Yanagawa
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Concept art par Kodai Yanagawa

PnT: Cette distance par rapport au présent semble renforcer la nature spéculative du récit. Comment les événements du monde réel, tels que les manifestations de Hong Kong, ont-ils influencé les thèmes et le cadre du jeu ?

Remy : Je m’intéresse depuis longtemps à l’intégration de Hong Kong dans la fiction spéculative, même avant ce jeu. Nous avons constaté un manque de science-fiction faisant référence à la diaspora de Hong Kong ou à Hong Kong elle-même, malgré l’influence architecturale de Hong Kong sur des œuvres emblématiques telles que Blade Runner, Stray et Ghost in the Shell. Le cyberpunk emprunte souvent à l’esthétique de Hong Kong, mais il est rare de voir des histoires sur la diaspora hongkongaise dans ces récits futuristes.

Plusieurs facteurs contribuent à cette lacune, probablement pour des raisons infrastructurelles et économiques. Toutefois, certains projets émergents s’attaquent à ce problème, comme un film d’animation en cours de réalisation à Hong Kong qui s’appelle Dragon’s Delusion et un jeu indépendant intitulé Name of the Will. La diaspora hongkongaise se demande constamment si elle a un avenir, notamment en raison des incertitudes politiques actuelles. Cette incertitude s’étend à la survie de la langue et de la culture. Ces préoccupations ont alimenté notre intérêt pour l’intégration d’histoires spécifiques à Hong Kong dans un contexte de science-fiction lointain, explorant les thèmes de l’identité et des perspectives d’avenir.

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Par exemple, un épisode de Star Trek : Deep Space Nine, intitulé Far Beyond the Stars, m’a profondément influencé en montrant que la science-fiction peut aborder directement des questions réelles telles que la race, au lieu de s’appuyer uniquement sur des allégories. Cette approche directe a démontré que la fiction spéculative pouvait s’attaquer de front à des questions contemporaines importantes, une perspective que nous avons reprise dans notre travail.

PnT : La conception narrative du jeu est dense et riche, superposant de nombreuses couches de lecture sur le jeu et de nombreux dialogues. Nous vivons une histoire cohérente, composée de plusieurs personnages, de plusieurs époques et de souvenirs entremêlés, et pourtant elle reste très claire et compréhensible, une prouesse d’écriture. Dans quelle mesure la structure du récit a-t-elle été un défi pour l’équipe ?

Remy : Bien sûr, le processus créatif a été très itératif et collaboratif. Nous avons commencé par faire passer le casting aux acteurs avant de finaliser le scénario, en utilisant de faux scripts pour comprendre les personnages. Cela nous a permis d’écrire en pensant aux voix des acteurs, créant ainsi une narration plus cohérente et plus dynamique. Notre objectif était de construire un monde à la fois riche et crédible, où chaque élément, des personnages aux décors, contribue à l’histoire globale. Nous nous sommes inspirés de diverses sources, notamment d’événements réels et de la fiction spéculative, pour créer un récit qui soit à la fois captivant et stimulant.

PnT : C’est formidable d’entendre l’impact du jeu sur les joueurs, surtout avec des thèmes aussi profonds que la famille et la perte. Plus généralement, le jeu traite également de la transmission, du savoir, des souvenirs, du chagrin et des traumatismes. En particulier, nous comprenons que Allmother est la source de toutes les sœurs et qu’elles ont toutes une part d’elle ou auront besoin d’avoir une part d’elle pour pouvoir aller de l’avant et briser ce cycle de domination/révolution.

Remy : Dans le jeu, nous voulions explorer la façon dont les traumatismes et les souvenirs ancestraux façonnent les individus. C’est un aspect que l’on retrouve de plus en plus souvent dans les médias modernes, qu’il s’agisse de livres ou de jeux vidéo. On reconnaît de plus en plus que le traumatisme des ancêtres peut influencer les décisions, les comportements et même la façon d’être de chacun. Cette idée nous a profondément touché et ma famille en a beaucoup discuté.

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PnT : C’est un thème fascinant. Aviez-vous l’intention de faire réfléchir les joueurs sur ce qu’il faut conserver pour les générations futures, en particulier dans la fin du jeu ?

Remy : J’y pense souvent, surtout avec l’un des écrivains, Pinky. Nous discutons de la façon dont certains comportements, que nous considérons comme faisant partie de notre identité culturelle, découlent souvent de la pauvreté. Par exemple, le fait de conserver de petits morceaux de nourriture ou d’autres habitudes frugales n’est peut-être pas nécessaire dans notre situation actuelle, plus privilégiée, mais nous les adoptons quand même. Ce comportement peut également être observé dans d’autres cultures. Un ami polonais m’a raconté que son père conservait beaucoup de fruits frais, et un célèbre joueur de hockey russe de Vancouver a un jour essayé d’acheter une épicerie entière parce qu’il était submergé par l’abondance.

Ces comportements sont transmis de génération en génération, parfois sans que nous en comprenions pleinement l’origine. Ils peuvent être bons, mauvais ou neutres et soulèvent des questions sur ce à quoi nous devons nous accrocher et sur ce que nous devons laisser tomber, en particulier en tant que membres de la diaspora.

En Amérique du Nord, la société met davantage l’accent sur la guérison. Si la guérison est indubitablement une bonne chose, elle nous pousse parfois à effacer des aspects de nos comportements culturels qui peuvent sembler négatifs. Or, ces comportements sont des héritages de nos expériences et de notre histoire. Il s’agit d’un dilemme complexe : devons-nous conserver des comportements potentiellement nuisibles parce qu’ils font partie de notre identité, ou devons-nous les abandonner dans l’intérêt de la guérison ?

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Nous n’avons pas de réponse claire. Il s’agit d’un processus continu qui consiste à faire des choix actifs chaque jour. Il s’agit également de transformer ces comportements en quelque chose de nouveau et de positif sans perdre l’essence de notre héritage. Cette question est particulièrement cruciale pour la diaspora, qui s’efforce de conserver son identité unique tout en évitant d’être homogénéisée dans un creuset.

Ces thèmes sont explorés dans le jeu, en particulier dans la section finale du chapitre 10. Les joueurs sont confrontés à des choix difficiles sur ce qu’il faut retenir et ce qu’il faut laisser tomber, reflétant ainsi les décisions complexes auxquelles nous sommes confrontés dans la vie réelle. Par exemple, le fait d’affronter les parents dans le jeu, bien qu’il se déroule 1 000 ans après leur époque, suscite toujours un lien profond et une compréhension de leurs expériences. Le jeu invite les joueurs à décider quelles parties de leur héritage ils souhaitent conserver, soulignant ainsi la nature nuancée et permanente de ces décisions.

PnT : La narration du jeu incite en effet à une profonde réflexion. Un autre aspect intéressant est le choix de se concentrer principalement sur les personnages féminins. Peux-tu m’en dire plus ? Peut-on considérer 1000xRESIST comme un jeu queer ?

Je pense que, dans une certaine mesure, c’est ainsi que nous voyons les choses, et il est clair que d’autres s’en rendent compte aussi. Notre récit nous a naturellement conduits dans cet espace, notamment sous l’influence d’Iris et de Jiao, qui précèdent la prémisse et l’influencent de manière significative.

Nous avons adopté les idées d’autres artistes queer avec lesquels nous avons collaboré et avec lesquels nous sommes amis, en particulier le concept de « queering form ». Il s’agit de repenser et de décentrer les formes traditionnelles, en s’éloignant des récits monolithiques. Cette approche est également liée à la spécificité culturelle de notre jeu. Nous voulions décentrer l’individualisme, ce qui correspond à une critique d’Eurogamer qui a souligné que notre jeu n’avait pas été réalisé avec le « white gaze ». C’est d’autant plus important que les trois auteurs que nous sommes sont originaires de Hong Kong, de Malaisie ou de milieux mixtes.

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Concept art par Kodai Yanagawa

Comme l’indique l’article d’Eurogamer, les thèmes de notre jeu sont nés de la convergence de plusieurs facteurs simultanés. Nous avons délibérément choisi de limiter le nombre de personnages masculins, seuls quelques-uns étant présents, comme le père, et des figures du passé, comme ceux qui portent des combinaisons de protection contre les matières dangereuses. Dans l’une des fins du jeu, il y a une inclusion subtile qui n’a pas encore été largement reconnue. À la fin du jeu, pendant l’épilogue où vous parlez à futur Blue, il y a une transmission radio d’un vaisseau ou de quelque chose appelé  » Ephemeral « , avec la voix d’un homme. Je vais m’arrêter là et voir si les gens comprennent ce que cela peut signifier pour l’avenir des sisters et l’état du monde au-delà de l’Orchard.

PnT : Il s’agit d’une histoire mystérieuse avec de nombreux rebondissements. Aviez-vous l’intention, dès le départ, d’intégrer ce type d’histoire dans le jeu ? Quels concepts ou mécanismes ont été utilisés pour renforcer cette relation entre les souvenirs et le présent d’une manière qui soit significative pour les joueurs ?

Remy : Je veux dire par là que nous n’avons jamais eu l’intention de classer strictement le jeu dans le genre policier ou de créer une œuvre de fiction dans ce genre. Au contraire, notre approche a été influencée par la science-fiction et la fiction spéculative que je trouve particulièrement efficaces. Ces genres contiennent souvent un élément de mystère qui vous ronge, quelque chose à la périphérie que vous ne comprenez pas entièrement et qui vous oblige à chercher des réponses.

Dans les médias traditionnels, on retrouve ce genre dans les vieux épisodes de Star Trek ou de La Quatrième Dimension, ou dans les nouvelles de l’âge d’or de la science-fiction. Ces récits présentent des scénarios qui suscitent des interrogations, parfois en résolvant le mystère, parfois en le laissant planer. Parmi les exemples plus contemporains, on peut citer des séries comme Lost, Severance et The Leftovers, où le mystère est au cœur de l’attrait de l’histoire, et qui sont souvent décrites comme des séries « puzzle box ». Toutes les séries de Damon Lindeloff en fait.

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L’influence de ces œuvres a façonné notre approche narrative. Nous n’avons pas cherché à créer un mystère policier strict, mais plutôt une histoire où les joueurs n’ont pas toutes les réponses à un moment donné. Cette incertitude maintient l’intérêt et la curiosité des joueurs, ce qui reflète ma propre expérience en tant qu’audience de ce type de médias. Par exemple, lorsque j’ai joué à Nier, j’étais tellement absorbé par les mystères du jeu que j’ai dû arrêter de travailler. Le besoin de comprendre ce qui se passait dans le jeu prenait le pas sur tout le reste.

PnT : Il est fascinant de voir comment chaque élément est imbriqué pour soutenir le récit global. Peux-tu nous expliquer comment les derniers chapitres résument ces thèmes ?

Remy : Les derniers chapitres sont conçus pour faire la synthèse. Les joueurs sont confrontés à des choix qui reflètent l’aboutissement de leur voyage et les thèmes que nous avons explorés tout au long du jeu. Le point culminant implique de prendre des décisions sur les aspects du passé à conserver, ce qui renvoie directement aux thèmes de la mémoire, du traumatisme et de l’héritage culturel. Il s’agit d’affronter le passé et de décider comment il façonnera l’avenir.

PnT : Le jeu semble s’inspirer de diverses influences thématiques, notamment des éléments post-apocalyptiques et cyberpunk, mais surtout du Hope punk, je pense. Peux-tu nous parler de la façon dont ces thèmes sont intégrés dans la narration ?

Remy : Oui, je pense que nous sommes influencés par de nombreuses sources différentes, même s’il n’y a pas eu de mouvement spécifique qui nous a guidés directement. Nous nous sommes inspirés de diverses œuvres et de leur approche de la narration et du développement des personnages. Il est intéressant que tu mentionnes Hope Punk car, à la réflexion, ce thème résonne avec ce que nous voulions réaliser. Même si le jeu a été décrit comme « constamment sombre », ce qui est vrai dans une certaine mesure, notre objectif était de laisser les joueurs avec un sentiment d’espoir tangible. Il ne s’agit pas nécessairement d’un sentiment d’espoir typique concernant l’avenir, mais plutôt d’un espoir affectif qui inspire l’action. Certains joueurs ont mentionné que le jeu leur avait donné envie d’écrire ou de créer quelque chose d’artistique, et c’est ce genre d’espoir que nous voulions évoquer.

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L’un de nos plus grands désirs en tant qu’artistes est de créer quelque chose qui inspire les autres à créer. La description du jeu en tant que Hope Punk est donc logique. Nous voulions transmettre un sentiment d’espoir qui motive les gens à créer des choses, même si l’histoire elle-même comporte des moments d’ambiguïté ou de sinistrose. Ce sentiment de vide qui pousse à créer est quelque chose qui me touche profondément en tant qu’artiste. Lorsque je me sens vide, la création est ma façon de combler ce vide.

PnT : C’est un message puissant. Comment as-tu personnellement vécu cet équilibre entre le vide et la plénitude tout au long du développement du jeu ?

Remy : C’est un sentiment que je recherche dans toutes les formes d’art. Qu’il s’agisse de cuisine, de littérature ou d’une ville, je suis constamment à la recherche de ce moment d’émerveillement. C’est comme le nexus dans Star Trek Generations, où vous essayez toujours de vous positionner pour ressentir ce sentiment d’émerveillement. En créant ce jeu, il s’agissait de créer un espace où les joueurs pourraient ressentir ce mélange de vide et d’inspiration, les poussant à créer quelque chose qui leur soit propre.

PnT : Qu’est-ce que tu espères que les joueurs vont retenir de cette œuvre ?

Remy : Il est intéressant de se voir poser cette question maintenant que le jeu est sorti et que les gens ont eu l’occasion de s’y intéresser, alors qu’avant sa sortie, nous n’avions aucune idée de l’accueil qu’il recevrait. Je ne veux pas donner de réponse spécifique car je ne veux pas dicter ce que les joueurs doivent retenir du jeu. Cependant, j’ai quelques espoirs. Tout d’abord, j’espère que le jeu marchera bien pour que nous puissions continuer à créer des jeux. Plus important encore, j’espère que d’autres jeux axés sur la diaspora pourront être créés. Il y a plus de jeux qui se concentrent sur la diaspora. Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à l’émergence de jeux axés sur les expériences diasporiques, tels que Thirsty Suitors, Venba et d’autres. Et même avant cela, les jeux d’Analgesic Productions.

J’espère que nous continuerons à voir davantage de jeux qui s’intéressent à ces expériences diasporiques. J’ai vu un post sur co-host où quelqu’un disait avoir l’impression de ne pas être le « bon type d’Asiatique » pour s’intéresser à faire ce type d’oeuvre, et c’est quelque chose que j’espère que les gens ne sentiront plus à l’avenir. Je veux qu’à l’avenir, il y ait suffisamment d’œuvres traitant de ces diverses expériences pour que personne n’ait l’impression qu’une seule œuvre doive représenter toute la diaspora. La diaspora n’est pas un monolithe ; il existe d’innombrables poches d’expériences et d’histoires qui n’ont pas encore été racontées. J’espère qu’à l’avenir, nous aurons une multitude d’histoires racontées dans des jeux et d’autres médias, ce qui permettra aux membres de la diaspora de trouver celles qui les touchent particulièrement. J’espère que nous parviendrons à un point où chacun pourra trouver une œuvre qui parle vraiment de son expérience unique.

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PnT : C’est un objectif admirable. Ressens-tu le poids de la représentation de ces récits ?

 Oui, c’est une responsabilité que je ne veux pas assumer à 100 % et que je ne devrais pas assumer. Je veux voir une explosion d’histoires racontées de diverses manières, et c’est pourquoi j’encourage les autres à se joindre à nous. Bien sûr, il est très difficile de réaliser un jeu, c’est toujours un miracle qu’un jeu existe. C’est encore plus difficile lorsque nous essayons de raconter ce type d’histoires. Mais j’espère que cela deviendra monnaie courante dans les jeux.

Si vous regardez sur itch.io, vous verrez qu’il y a déjà beaucoup de travaux de ce genre. Mais je parle de jeux qui bénéficient d’un financement et de studios qui peuvent se développer autour de ces récits, quelque chose qui va au-delà des projets de solo devs (ce qui ne veut pas dire que cela ne devrait pas exister aussi). Cela ne s’applique pas seulement aux histoires des diasporas asiatiques, mais à toutes les histoires diverses. J’espère voir apparaître une variété de récits.

Il est intéressant de noter que ce phénomène est plus susceptible de se produire dans les jeux que dans les films. Nous le constatons déjà dans la littérature, où les obstacles à la distribution et à la création sont moindres. Le cinéma, en revanche, est très cher à produire, même au niveau indépendant, et il est extrêmement difficile de le distribuer de manière significative. J’espère donc vraiment que les jeux deviendront un support où les créateurs diasporiques pourront laisser libre cours à leur imagination d’une manière qui ne serait pas possible dans les films ou d’autres médias. C’est à ce genre de jeux que je veux jouer. Je veux faire l’expérience de rencontrer quelque chose d’entièrement nouveau pour moi, une perspective que je n’avais pas envisagée et que je ne peux pas vraiment connaître en raison de ma position, et qui n’avait pas été explorée jusqu’à présent dans les jeux.

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