Pyrénées, le divin enfant
Le pyrène, c’est un composé chimique de formule C₁₆H₁₀. Il est produit par la combustion de matières organiques, et fait partie des substances toxiques présentes dans la fumée de cigarette. Substance que je ne risque plus d’inhaler, puisque j’ai arrêté la cigarette. Plusieurs fois. En parlant d’addiction, il y a un genre de jeu dont j’ai du mal à me passer.
Pour le meilleur et pour le Spire, j’ai deckbuildé plus souvent qu’à mon tour. Il y a un truc avec les cartes qui me botte, rebotte et dix de der. Dans ma famille, les belotes, batailles et autres réussites, c’était sacré. Quand j’étais gosse, j’aimais déjà taper le carton et empiler des couleurs et des figures comme si ma vie en dépendait. À la cour de récré, on faisait s’affronter le Dragon-Blanc-aux-Yeux-Bleus et Dracaufeu selon des règles savantes qui consistaient la plupart du temps à lancer la carte le plus près possible d’un égout sans qu’elle n’y tombe. Quoi de mieux que des dragons pour ce genre d’envolée millimétrée ? Et puis un jour, j’ai fini par me lasser du solitaire de Windows, et de Magic en Hearthstone, en passant par le Gwent, j’ai continué à jouer aux cartes.
Autant dire que depuis l’apparition de Slay the Spire, je les ai tous essayés, ces roguelites remplis de jolies illustrations encartées. Il y en a tellement eu que des jeux magnifiques firent pâle figure, et restèrent sans grande gloire. Nadir, Roguebook ou Wildfrost ont eu des allures de triple As du genre, en suivant autant que possible sa structure typique.
Nadir
D’autres ont réussi à s’en démarquer, comme pour utiliser l’archer-type et le dévoyer. Parmi mes préférés, Inscryption et Griftlands, des petits bijoux narratifs qui exploitent à merveille tout ce que des cartes peuvent susciter de récits.
Mais de deckbuilder en deckbuilder, à force de croiser les variations infinies des mêmes mécaniques, j’ai vite fini par être fatigué, dégoûté, écœuré de ce genre qui finit par déposer dans ma gorge comme les saveurs âcres du tabac froid que laisse la dernière clope de la journée. Vous ai-je dit que j’avais arrêté de fumer ?
Pour le meilleur et pour Pyrène, j’ai replongé dans la création de deck. Le jeu du petit studio Two Tiny Dice réussit à renouveler le gameplay du genre tout juste assez pour que je sois piqué ♠ de curiosité. On choisit des héros et leurs pouvoirs, on construit un deck et ses reliques.
Cette fois-ci, le terrain de jeu importe. Les cartes s’affrontent sur des plateaux qu’on parcourt, comme autant de zones à traverser. Il faut gérer des provisions et l’endurance, marqueurs des efforts mis en œuvre pour traverser les étendues sauvages. La diversité des améliorations est colossale, et je croise, dans les magnifiques territoires graphocartés de Pyrène, tant de petits personnages, marchands de reliques ou jeteurs de mauvais sorts, qu’à tout moment je m’attends à y trouver un vendeur de tabac.
Le gameplay est donc excellent, dans un genre où l’excellence du gameplay est devenue banale. On compose et recompose des mécaniques qui combottent entre elles à l’infini, on devient invincible ou fébrile dans l’adversité. On avance.
L’équilibrage est parfois un peu aux fraises. C’est comme si Pyrène nous demandait sans cesse de trouver ses failles pour, à la manière d’un Vampire Survivors, triompher dans des débauches de pouvoirs invincibles. Je ne crois pas avoir terminé une seule run sans être une sorte de guerrièr~e invincible taillant, indolent~e, son chemin dans les rangs des monstres. Mais à vrai dire qu’importe, car Pyrène a bien d’autres aspects qui vaille le coup d’épée.
Car Pyrène, c’est la fille-reine de légende qui a laissé son empreinte partout aux Pays Basques. On la retrouve en gravure antique donnant naissance à un serpent. On entend surtout son nom dans de vieilles traditions orales faites de souvenirs séculaires et de sauvetages anthropologiques. Elles racontent que Héraclès aurait pris ses RTT en Espagne, et qu’il les aurait mises à profit pour séduire Pyrène, la fille du souverain local.
Mais même les congés payés ont une fin, car le Front Populaire n’avait pas encore décrété les vacances à la plage pour toustes, ni le NFP l’interdiction de bosser dans le détroit méditerranéen. La guerre détroit faisait donc encore rage, faisant inlassablement s’affronter le genre humaine et le travail. Hercule cessa donc de poireauter et repartit aux Travaux, laissant son amour derrière lui. Mélodrame greco-romain oblige, Pyrène s’enquit du bel Hercule et se perdit dans la sauvagité de la nature pour partir à sa recherche. Quand notre héros revint, c’en était fini de la belle qu’il pleura sûrement un peu. Il laissa éclater sa peine et, dans un élan de retenue et de délicatesse, lui érigea un petit tombeau qu’il nomma les Pyrénées.
Cette histoire est-elle celle du jeu vidéo qui en comparaison de la légende est un éponymne à la joie ?
Non.
Aurais-je connu l’histoire de Pyrène si je n’avais pas joué à l’éponnant vidéoludie ?
Certainement pas.
Ni celle d’Herensuge, le dragon qu’abritent les montagnes qui entonnent l’écho-o des rugissements de la bête-ête ascète-ète.
Jamais je n’aurais su identifier les adorablement horribles Idittus, démons gobelins farceurs qui, je l’espère, ne hulotteront jamais à mes oreilles ailleurs que dans mes cauchemars.
Je n’aurais pas pu cueillir d’Eguzkilore, ni reconnaître en son étymologie la fleur de la divinité du Soleil. Les hermines seraient restées des belettes, les ours des mammifères alpins, et jamais au grand jamais je ne serais parvenu à insulter mon petit frère de kabroi.
Comme dans la vraie vie, les histoires se croisent et se complètent. Saviez-vous qu’on parlait un peu le Sibérien dans les Pyrénées, et que des légendes basques se racontaient jusqu’en Mongolie ? Pyrène a le très grand mérite de traiter les mythes comme ce qu’ils sont : des gloubiboulgas amalgamés de cultures rassemblées qui s’enrichissent continuellement et se réinterprètent sans cesse.
Pyrène m’a plongé dans un bouillon de légendes et de cultures enracinées dans des territoires que je n’ai jamais approchés. Il m’a donné envie de les connaître, ces petits grands récits qui n’ont pas l’envergure policière des mythes nationaux. Chaque petit bout de mythe vient s’ajouter aux autres dans un joyeux syncrétisme. Dans le jeu, les légendes basques et pyrénéennes sont unifiées et défilent ensemble, les habits sont grecs ou romains, les bâtiments celtes ou gaulois.
C’est aux côtés de ces vieilles légendes que vous irez vous balader. Vous passerez d’un bois enchanteur aux montagnes escarpées, peuplées d’un bestiaire inépuisable. Vous reconstruirez un village dérangé par les monstres, apprendrez à connaître les plus et moins irascibles ou attachants personnages de ces Pyrénées fantasmées. Des récits bien humains attendent des héros aussi courageux qu’ordinaires.
Je vous laisse découvrir tout ça.
Moi, j’ai du folklore de potassium à ingérer, et de l’air frais de Pyrène à inhaler. Promis, demain j’arrête !
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Jül