Loan Verneau, Creative Lead chez Mobius Digital sur Outer Wilds
Ce texte est une retranscription narrative de l’interview de Loan Verneau, disponible en podcast sur Point’n Think.
Ça y est, le week-end est là. Vous vous réveillez un tout petit peu plus tard que d’habitude, encouragé par les gazouillis matinaux d’oiseaux postés sur cet arbre que vous avez vu grandir en même temps que vous, toute votre vie. La fraîcheur matinale s’engouffrant par la fenêtre ouverte vous tire rapidement de la torpeur du réveil, tandis que la luminosité déjà bien installée force vos paupières à prendre leur temps avant de vous laisser observer la chambre. Mais cette dernière, vous la connaissez, c’est chez vous. Vous vous levez donc et partez d’un pas décidé vers le petit-déjeuner qui vous attend dans la cuisine. La porte de la chambre ouvre sur un couloir rectiligne, au bout duquel se trouve ladite cuisine. Les yeux clos, le pas encore hésitant, vous avancez au rythme de vos bâillements, lorsque soudain, BLAM. Vous vous cognez sur quelque chose de dur, posté en plein milieu du corridor. Vous levez les yeux pour voir ce que votre corps vient de heurter. Il n’y a rien. La douleur sur le front, elle, est pourtant bien là. Vous tendez la main en avant, qui ne rencontre que le vide, bousculant les particules invisibles qui s’y agitent dans l’indifférence générale. Ébloui par la lumière du soleil qui illumine les murs blancs de la pièce, vous fermez les yeux quelque temps, tout en continuant de chercher du bout des doigts ce que vous avez pu percuter. C’est à cet instant que vous la sentez. Une paroi, fraîche comme de la pierre. Surpris et sentant l’inquiétude monter, vous rouvrez les yeux, mais rien n’a changé. Le couloir, la lumière, le chant des oiseaux, la cuisine au fond. Immédiatement, vous faites une nouvelle fois tomber vos paupières puis tendez les bras en avant : le mur est toujours là. Cet objet n’existe que lorsque vous ne le regardez pas ! Bizarrement, vous êtes davantage intrigué que terrifié. En faisant danser la paume de vos mains sur la façade invisible, vous ressentez les aspérités qui la parcourent, comme des sillons entortillés sur eux-mêmes. Le plus étrange reste la matière : la surface ressemble à de la roche, mais à la fois lisse et rugueuse. Elle semble malléable et rigide à la fois, comme si ce n’était qu’un amalgame de roches éparses. Et ça, sur la droite, cette excroissance ? Une poignée. Oui, ce mur est en fait une porte. Vous devez rêver, il n’y a aucune autre explication possible. Vous rouvrez les yeux et retrouvez ce bon vieux couloir. Finies, les bêtises, il est l’heure de manger. Vous avancez et passez à travers la porte qui ne de toute façon n’est pas là. La journée va être longue, quelques rendez-vous, sans PORTE oublier le garagiste, et acheter PORTE quelques trucs à manger. Ce soir, une bonne PORTE série, et au PORTE lit. PORTE.
PORTE !
D’un coup, un seul, vous faites demi-tour, le phénomène est trop incroyable pour ne pas laisser votre curiosité sur le bord de la route. Vous dépassez l’endroit où devrait se trouver l’anomalie, vous fermez les yeux, inspirez un grand coup et cherchez la poignée de vos mains. Elle est toujours là. Vous la saisissez. Elle est aussi lourde qu’un paquebot échoué sur la rive et aussi légère qu’une plume de colibri. D’un geste délicat mais assuré, vous la baissez. Un bruit semblable à deux roches qui se frottent l’une contre l’autre résonne dans le couloir. Vous tendez la main en avant, la porte a disparu. Le cœur bât à la chamade. Le sang danse dans les veines. La respiration saccadée soulève vos épaules. Vous faites un pas en avant et ouvrez les yeux.
Vous voilà dans une drôle de pièce, dont le sol, les murs et les plafonds sont en bois. Mais avant de contempler le bric-à-brac qui y traîne un peu partout, vous vous retournez : la porte est toujours là, ouverte, menant au couloir si rassurant. Vous n’y comprenez rien mais vous vous dîtes qu’en cas de danger, vous pourrez toujours faire demi-tour à tout moment. Vous prenez alors le temps d’inspecter la pièce. La première chose qui attire votre attention, c’est un buste, forgé dans la même matière rocheuse qui semble constituer la porte. Le buste révèle un visage enjoué, un jeune homme aux cheveux courts, semblant mis en joie par un quelconque événement. Son sourire le rend immédiatement attachant. Une plaque est posée devant ce buste, vous vous en approchez alors pour la lire.
Loan Verneau
Alien né sur une terre si lointaine que son nom ne vous évoque rien, Loan est directeur créatif chez Mobius Digital Games. C’est très jeune, à treize ans seulement, que Loan a su qu’il voulait travailler dans l’industrie du jeu vidéo. Détenteur d’un Master en Média Interactif à l’USC en 2013, c’est pendant ses études qu’il avait déniché une place auprès d’un acteur imposant du média avant d’apprendre, un mois à peine avant la fin de son cursus, que l’équipe qui lui était promise allait être réduite. Sans job et sous le poids d’un visa s’apprêtant à expirer, le destin s’est permis de jouer une main de poker surprenante en permettant à Loan de faire la rencontre d’Alex Beachum, le futur fondateur de Mobius Digital. Cherchant à créer son propre studio de développement indépendant, Alex et Loan s’entendirent très rapidement sur la manière de concevoir un jeu vidéo, partageant ainsi une philosophie de game design commune. Alex avait eu un parcours atypique, touche-à-tout, en passant par la création d’effets spéciaux auprès d’ILM ou même en devenant acteur. Mais son rêve, c’était bel et bien de créer un jeu vidéo, ce jeu qui hantait ses pensées depuis tant d’années. La rencontre avec Loan fut l’élément déclencheur de cette aventure. Pour se convaincre des talents de son futur associé, Alex lui proposa de créer quelques prototypes pour jeux mobile. Parmi les propositions, une idée fut choisie, Loan devenant le premier membre officiel de l’aventure Mobius Digitial, et ce petit jeu mobile leur première production.
Les murs en bois de la salle sont constellés de tableaux accrochés dans un apparent désordre, mais partageant une étrange spécificité : tous sont vides. En effet, des cadres en bois de différentes couleurs enferment cette même roche que celle qui compose la porte ou le buste. Autour du buste, des sabliers de formes diverses sont posés sur plusieurs guéridons, égrenant leur sable (ou toute matière que cela puisse être) dans l’indifférence générale. La pièce est extrêmement silencieuse, le chant des oiseaux n’est plus qu’un souvenir lointain, et seuls le bruit de vos pas faisant grincer le sol vient briser le calme ambiant. Vous avancez lentement vers la droite, naviguant entre les guéridons et leurs sabliers, tout en jetant régulièrement un œil vers la porte : elle est toujours là, toujours ouverte. L’un des guéridons ne supporte pas un sablier, mais un couteau-suisse, accompagné d’une plaque descriptive. Intrigué, vous la prenez et la lisez.
Dans un studio de développement au nombre d’employés relativement modeste (moins d’une quinzaine pour Mobius), et bien que chacun ait un rôle assigné dans l’organigramme de la société, en réalité tout le monde touche un peu à tout. Loan a commencé comme directeur créatif, mais aussi comme game designer principal, tout en manageant parfois le reste de l’équipe. Outre les postes officiellement décrits pour des questions de conformité, sur le terrain, chacun touchait à tout. Après avoir travaillé sur une paire de jeux mobile, lorsque le projet Outer Wilds a débuté, l’équipe a bien évidemment eu un grand nombre de transformations. Par exemple, Loan a parfois fini par s’occuper de tâches incombant autrement au producteur. Grâce à ses études et l’expérience accumulée, quand il n’y avait personne de disponible pour s’acquitter d’une tâche pouvant recourir à ses talents, Loan se chargeait du travail en retard. Si bien que le directeur créateur créatif fût rapidement connu sous un drôle de sobriquet : le couteau-suisse.
Vous reposez la plaque et soudain, dans un grondement étrangement lourd et discret à la fois, le plafond s’est mis à glisser sur le côté. Au-delà de la pièce en bois dans laquelle vous vous trouvez, la voûte céleste, une toile d’ébène clairsemée d’astres de toutes les couleurs, de nébuleuses et d’étoiles tournant les unes autour des autres. La toile universelle, dans sa beauté et son horreur, vous rappelant le petit point que vous êtes. Le banjo de la mélodie emblématique d’Outer Wilds résonne alors dans la salle. Plus incroyable encore, et contre toute attente, la lumière stellaire fait apparaître quelques inscriptions sur les tableaux vides qui constellent la pièce. Vous vous dirigez avec enthousiasme vers le plus proche.
Un petit schéma ouvre le texte qui vient d’apparaître : il représente la Rocaille, une petite lune bien connue des amateurs d’Outer Wilds. Vous vous demandez comment ces différents astres ont pu être conçus, comment créer un « design de l’exploration », comment pousser la curiosité des joueurs ? Selon Loan, c’est un travail conjoint entre les directeurs créatifs. La philosophie principale égrenée par le jeu consiste à concentrer la majorité du travail sur le détail, mais attention, pas partout. Il a fallu affiner les zones d’intérêt, tout en délaissant volontairement les zones n’apportant aucun indice de progression ou tout autre élément d’importance. Il faut attirer les joueurs vers des zones qui offrent du contenu, que ce soit du texte, des mécanismes ou des indices sur la progression générale au sein du titre. Il faut trouver comment guider les joueurs de manière intuitive. Sur Rocaille, la Lune est relativement petite, et ne brille que par une poignée de zones dignes d’intérêt. Entre ces zones, le vide, des textures lisses sans accrocs, aucune ruine ou élément capable d’attirer le regard. Seul le vide subsiste. Le vide et donc, cette petite tour au loin, qui dépasse de l’horizon, et dont la présence attire obligatoirement l’intérêt. La construction des planètes est pensée pour une seule chose : mettre le contenu en avant, de manière naturelle. Par extension, les open worlds doivent mettre leur contenu en avant, mais là où un jeu Ubisoft remplira sa carte de marques à cocher les unes après les autres, dans une routine capable de devenir ennuyante pour une frange du public, Outer Wilds met son contenu en avant par le regard et l’exploration. Beaucoup d’open world modernes sacrifient la curiosité pour ce contenu, et offrent des expériences capables de devenir obsessives : il FAUT vider telle zone de son contenu, non pas en le découvrant, mais en enchaînant les emblèmes posés sur une carte. Ceci fonctionne pour une catégorie de joueurs, qui veulent tout simplement jouer à un jeu vidéo, mais il n’y a pas forcément d’aspect ludique au-delà de la boucle de gameplay qui se répète alors ad nauseam. De plus, le contenu d’Outer Wilds n’est pas offert sur un plateau. Souvent, des indices y mènent petit à petit, de manière à permettre aux joueurs de savoir où aller. Les textes donnent des indices sur les endroits susceptibles de contenir des indications liées à un objectif précis, l’environnement émule des situations déjà croisées par les joueurs pour faire naître chez lui une prise de conscience, des choses comme ça. Le jeu repose ainsi sur des balises, lesquelles déclenchent la curiosité chez le joueur, qui est ensuite guidé, étape par étape, vers la suite de l’intrigue qu’il est en train d’explorer. Il a fallu énormément de playtests et de changements, insignifiants ou énormes, pour arriver au résultat final.
À peine êtes-vous arrivé à la fin de la lecture de ce tableau que toutes les inscriptions qui y étaient gravées s’amenuisent jusqu’à disparaître. Vous remarquez à travers ce processus que ce n’est pas une simple écriture, mais chaque lettre, chaque signe, est en fait gravé dans la roche de la « peinture », qui se rebouche d’elle-même. Entre ce tableau et le suivant, une affiche sur le mur, la seule de la pièce. Elle représente la jaquette d’un vieux jeu vidéo que vous connaissez, un jeu d’aventure clairsemé d’énigmes en tous genres. Ce jeu, c’est Myst. Une plaque comme celle déjà croisée plus tôt est elle aussi fixée au mur. Vous la lisez.
Outer Wilds est l’un des premiers jeux à avoir été défini comme étant un knowledgevania. Ce mot-valise se repose sur un genre du média baptisé metroidvania, lui-même constitué de morceaux de titres de deux sagas culte : Metroid et Castlevania. Ces deux jeux sont connus pour être des action/aventure non-linéaires, dans lesquels les joueurs progressent au sein d’un environnement plus ou moins labyrinthique, et doivent dénicher des capacités pour améliorer les possibilités d’exploration de son personnage et donc pouvoir explorer davantage de zones du jeu. Le knowledgevania est une évolution de ce système de progression : désormais, ce ne sont plus les découvertes d’objets ou de capacités qui permettent d’avancer plus loin dans le jeu, mais la découverte de connaissances. Un ancêtre de ce sous-genre plutôt récent dans la courte histoire du média est donc Myst, que Mobius
revendique comme une référence assumée pour Outer Wilds, allant jusqu’à qualifier ce dernier de « Myst dans l’espace ». Une autre référence ayant eu son rôle à jouer dans l’expérience est un épisode de la saga The Legend of Zelda ayant fortement marqué Alex : Wind Waker. Il est aisé de comprendre son amour pour le jeu, vu l’emphase qui y est mise sur l’exploration. Il le faisait de manière assumée et totale, et ce bien avant le diptyque Breath of the Wild/Tears of the Kingdom. Dans Wind Waker, il y a ce musée, tenu par un photographe, dans lequel sont exposés des clichés d’îles parsemant le monde maritime du jeu. Alex a été ébloui par ce concept, de simples images criant aux joueurs « tu vois ces îles, elles existent ! », invitant donc à les retrouver. À explorer. Selon eux, ces photos sont comme des fenêtres sur le monde qu’il sera ensuite possible d’explorer et de découvrir. Au tout début de la pré-production d’Outer Wilds, avant même que le projet ne prenne la direction qui sera conservée (une boucle temporelle), Mobius a songé à articuler son jeu autour d’expéditions à préparer en amont. Choisir l’équipement à emporter, les ressources pour survivre lors du voyage, Loan cite Spelunky en termes d’inspirations. Finalement, Alex et ses confrères ont souhaité mettre l’expédition elle-même en avant, et non sa préparation. Il fallait que le fait même d’explorer SOIT le but, l’objectif du jeu. Tous les membres de l’équipe sont de grands fans à la fois d’exploration à grande échelle (la NASA) mais aussi à échelle humaine, notamment avec les nombreuses randonnées qu’ils apprécient tout particulièrement. Ce n’est ainsi pas un hasard si le jeu s’ouvre sur une séance de repos auprès d’un feu de camp et d’un compatriote, à griller des marshmallows et à partager des anecdotes. Outer Wilds a donc souhaité conjuguer cette exploration à échelle réelle, à une expédition repoussant les limites de l’univers et de l’espace. Durant les premières itérations de la boucle de gameplay, Mobius a compris qu’un jeu d’exploration permettant de débloquer des bonus, des objets ou des compétences n’avait pas d’intérêt par rapport à l’objectif qu’ils s’étaient fixé : assouvir la curiosité. Ajouter des améliorations permettant de rejoindre de nouveaux lieux, briserait la philosophie du jeu. Le seul outil pouvant permettre d’aller plus loin devait se cantonner à ce qu’il a toujours dû être : la curiosité. Les connaissances accumulées en jeu ne servent ainsi qu’un but, le même que celui cité précédemment : assouvir cette curiosité. C’est une idée à la fois très forte mais aussi arrivée incroyablement tard durant le développement. C’est à partir de cet instant que le véritable défi a commencé.
Au-dessus de toi, dans l’espace infini qui remplace le plafond de la pièce, tu assistes à un ballet incroyable. Des comètes traversent le crépuscule éternel, filant devant des planètes qui entrent en collision et libèrent un maelström de couleurs que tu n’avais jamais vues. Les nébuleuses tournent sur elles-mêmes, tandis que certaines étoiles s’allument alors que leurs voisines s’éteignent. Un vertige d’horreur et de majesté te saisit. Comment tous ces astres peuvent-ils coexister ? Tandis que tu demandes toujours si tu es en plein rêve, tu t’approches du tableau suivant, sur lequel les sillons constituant les mots du prochain paragraphe commencent à percer la roche.
Dans Outer Wilds, et contrairement à ce que des gens ont pu avancer, les différents objets stellaires ne sont pas sur des rails. Nous n’avons pas placé Sombronces ou Léviathe sur des lignes invisibles et circulaires, avant de régler leur vitesse, leur rotation et les lancer en orbite autour du Soleil. Même si bien entendu nous trichons parfois, essentiellement pour des raisons mathématiques ou de gameplay, les différents corps célestes interagissent selon les forces que nous avons codées. Dans le musée sur la première planète, il est possible de trouver une petite vitrine contenant des boules censées réagir à la lune de la planète, en se déplaçant. Et bien ce n’est pas un mouvement simulé et programmé, c’est bel et bien une réaction à l’influence de la Lune locale. Les règles physiques sont simulées dans ce petit système solaire. Dans l’un des prototypes de départ sur lequel travaillait Alex, l’idée était de voir s’il était possible d’avoir un vaisseau spatial, de grimper dedans et de voler vers la planète la plus proche juste pour voir si techniquement parlant c’était possible. À cette époque, nous travaillions avec le moteur de développement Unity 4. Quand Mobius a fait ces tests, tout marchait incroyablement bien. Puis est arrivée la nouvelle version du moteur, Unity 5, et avec lui cet outil appelé PhysX censé gérer, comme son nom l’indique, la physique. C’était une catastrophe, car ce nouveau modèle rendait impossibles certaines collisions avec des objets creux. Par creux, cela veut dire pas entièrement plein. Sablière par exemple n’est pas une boule pleine sur laquelle marcher, elle est remplie de galeries, corridors, et même d’une ville souterraine. Pour Unity, Sablière est un objet vide. Il n’était donc plus possible de gérer la collision entre le vaisseau et les planètes. Ça a été un défi majeur, qui a mis à l’épreuve beaucoup de membres couteaux-suisses de l’équipe, car ils voulaient à tout prix conserver ce concept clef. Il fallait aussi avoir un aspect simulation, il leur fallait un monde vivant. Ce que font beaucoup d’open world, comme Red Dead Redemption II par exemple, évidemment. Ce jeu (incomparable en termes de budgets) exploite une myriade d’outils pour rendre son monde vivant, mais Loan aussi souhaitait que l’univers d’Outer Wild paraisse en vie. Mobius a donc, plutôt que simuler la vie, simuler l’univers. Grands nerds scientifiques comme ils se décrivent eux-mêmes (Alex est fan de physique quantique, Loan de physique planétaire et stellaire par exemple), ils ont décidé d’exploiter à la fois leurs passions et leurs connaissances pour rendre hommage à la science, tout simplement. Le tout à travers ce seul concept de curiosité poussée à 100%. Ainsi, Outer Wilds ne consiste pas seulement à placer des planètes sur des rails. Et finalement, Loan confesse que mettre en place des forces a été plus simple que créer des rails. Mettre en place des forces, c’est très joli, mais des forces qui gèrent un système capable de rester stable, c’était une autre paire de manches. Toutes les simulations finissaient par partir dans tous les sens au bout d’un temps donné. Il a donc fallu tricher, ce qui a donné naissance à deux concepts. Premièrement, bien des forces sous forme de lignes de codes régissent le système solaire, ces forces sont localisées aux astres qu’elles supportent. Par exemple, la gravité d’une planète n’aura jamais aucune influence sur un astre voisin. La seule exception résidant dans le lien qui raccroche les lunes à leurs planètes mères (ce qui explique le déplacement des boules dans la vitrine du musée). Deuxièmement, et c’est ainsi qu’est née l’une des idées les plus inoubliables du jeu, en limitant l’existence du système dans le temps, il n’y avait plus aucune chance que celui-ci finisse par se disloquer au bout d’une période donnée. C’est ainsi que l’idée d’un reset au bout de 22 minutes est arrivée.
Un crépitement se fait entendre derrière vous. Les sabliers se sont mis à briller, les petits guéridons qui les soutiennent ne sont plus là, les ustensiles flottant dans les airs et tournant autour d’une nouvelle plaque. Des cyclones semblent encercler la pièce, et des ronces sont apparues autour du buste central. Bizarrement, vous vous sentez toujours en sécurité, et la porte menant au petit-déjeuner est toujours non loin, prête à vous aspirer en cas de danger. Vous lisez donc la nouvelle tablette.
Le but assumé de chacune des planètes majeures du jeu était de créer des systèmes dynamiques et uniques. Au tout début du projet, avant même l’idée de créer une boucle temporelle, le jeu était linéaire dans le temps, certains événements se déclenchant à des points précis de cette chronologie. L’idée de la boucle a découlé de ce concept, couplée avec la chute inéluctable du système solaire évoqué précédemment au bout d’un plus long moment. Le constat était simple : si une planète se disloque avec le temps, alors il devient impossible de retrouver des indices présents plus tôt, avant les premiers signes de son effondrement. La boucle temporelle répondait à ce problème. Et emmenait avec elle une nouvelle question : pourquoi cette boucle existe-t-elle ? L’équipe aurait souhaité avoir davantage de transformations liées à la progression du temps, mais au final ce n’était pas vraiment aussi important par rapport à l’expérience de jeu globale. En réalité, ces transformations servent un but bien plus intéressant : faire comprendre au joueur que, contrairement à d’autres jeux, il n’est pas le centre de l’univers. Il n’est qu’un grain de sable. C’est l’espace là-dehors, lève la tête et vois les étoiles, régies par des forces qui dépassent l’entendement. Il ne fallait absolument pas mettre un point de vue autocentré sur le joueur, ce qui serait entré en contradiction avec le fait d’explorer et de comprendre des forces insaisissables. Tu n’es pas le centre de ton monde, ton monde n’est pas le centre du système solaire, qui n’est pas le centre de la Voie Lactée, qui n’est qu’une galaxie parmi des millions et des millions. L’objectif ici est de faire comprendre au joueur (à l’individu ?) qu’il n’est qu’un visiteur. L’âtrien doit survivre à quelque chose qui le dépasse. En ce qui concerne les planètes, Sablière a rapidement émergé des brainstorming : unduo de planètes sablier dans un jeu temporel, c’était à la fois évident et poétique. Cravité est née pendant le prototype et pourtant finalisée plus tard durant le développement. Durant la première version, des météores venaient la détruire et des morceaux de la planète flottaient dans l’espace. Sombronces aussi a été conceptualisées très tôt, et les autres sont venues progressivement. Et puis c’est surtout l’évolution de ces planètes qui a évolué au fur et à mesure de l’avancée du projet. Par exemple, Âtrebois devait avoir de plus en plus de geysers actifs tandis que la boucle s’écoulait, mais au fil du temps, il n’y avait pas beaucoup d’intérêt, et les développeurs ont préféré s’attarder sur les transformations qui avaient du sens tout en modifiant drastiquement l’exploration. Il fallait donner cette sensation que l’univers s’en fiche de toi, et continue sa ronde sans que tu sois là. Par exemple, si tu laisses ton vaisseau sur le chemin de la tornade à Sablière pendant que tu vas te promener, ton vaisseau sera transporté sur l’autre partie de la planète, sans toi. Ces forces te dépassent complètement. La boucle a aussi beaucoup aidé d’un point de vue de la gestion de la mémoire des différents supports. En ne simulant que des zones limitées dans l’espace (là où se trouve le joueur) et le temps (22 minutes), cela permettait de placer un reset évitant d’accumuler trop de données. Il a bien sûr fallu jouer avec le code, enlever une texture sur une planète lointaine, charger celles qui sont proches, ne jouer tel son que quand le joueur veut explicitement l’écouter, etc. Derrière le rideau, c’est toujours imparfait, il y a toujours une fuite. Mais la boucle empêche ça justement.
Sur le dernier mur de la pièce, se tient une fresque. Elle représente toutes les planètes d’Outer Wilds mais à ses extrémités il y a surtout des portraits des Nomaï. C’est assez déstabilisant car peu importe où vous vous trouviez dans la salle, ils semblent vous suivre du regard. La fresque est bien entendu accompagnée d’une nouvelle plaque de texte, luminescent cette fois.
Créer une civilisation disparue a été compliqué, car de nos jours, beaucoup d’histoires (qu’elles soient de la science-fiction ou pas) exploitent ce qui est devenu un cliché. Un peuple oublié, entouré de mystères, dont ne subsistent que quelques reliques et ruines, témoins de leur existence passée. Pour les Nomaï, la première inspiration fait écho aux randonnées si prisées par les membres de Mobius Digital. C’est en visitant des parcs nationaux dans le Sud-Ouest des États-Unis, mais aussi des déserts au Mexique ou des canyons isolés, que l’idée de représenter des ruines dans le jeu sous cette forme a surgi. La sensation, selon Loan, de tomber sur des ruines pluri-centenaires lors d’une randonnée est indescriptible. L’idée derrière la création des Nomaï a beaucoup évolué avec le temps, car le studio cherchait à s’éloigner des stéréotypes. Les développeurs ne voulaient pas faire des Nomaï une race froide et distante, orgueilleuse, mais au contraire souhaitait en faire des êtres compréhensibles, parfois drôles, parfois emplis de doutes et donc, par extension, paradoxalement assez proches. Une personne de l’équipe était chargée d’écrire les journaux, et donc de donner une personnalité à chaque intervenant, en créant même une espèce d’humour, à la fois attendrissant et dépassé, afin de faire des Nomaï des êtres palpables. Le but était de faire comprendre que les Nomaï étaient finalement des êtres comme vous et moi, confrontés à un événement extraordinaire, qui ont vécu il y a une éternité, curieux et fascinés par le monde, qui ont tout donné pour tenter de comprendre l’univers. Les Nomaï avaient en eux ce côté positif. À ce sujet, la première version du village était différente : le joueur était confronté à des habitants qui avaient une vision négative de l’exploration spatiale. Les play test ont été un désastre, l’ambiance du village était si morose qu’elle coupait les élans des joueurs. Au contraire, il fallait les rendre curieux. C’est ainsi que la grande passion des âtriens est devenue l’exploration spatiale, jusqu’à y ériger un musée. Il fallait ainsi entourer le joueur de gens curieux, pour le rendre curieux. Comme il a fallu l’entourer de personnes éprouvant de l’empathie, pour que lui aussi ressente les mêmes choses. La zone de départ est devenue une bulle en accord avec les motivations du joueur. Finalement, les Nomaï sont des gros geeks de leur époque, qui font des blagues malgré les événements auxquels ils sont confrontés. Avec cette idée générale en tête, Mobius Digital a créé une civilisation qui souhaitait s’insérer dans le monde, et non l’envahir, l’exploiter ou le détruire. Les Nomaï avaient de l’empathie pour ce système, et notamment pour ces petites bêtes aquatiques auxquelles elles ne voulaient pas laisser un monde détruit par leur folie ou leur ego. Les Nomaï ne disparaissent pas à cause de leurs actes ou pour avoir bravé un interdit, ils finissent comme tout le monde, parce que la fin est inéluctable, peu importe la forme qu’elle prendra.
À cet instant, et la surprise vous fait sursauter, le buste s’anime et se tourne vers vous. Il se met à attendre, comme si vous deviez lui dire quelque chose. Mille questions vous traversent l’esprit, la première moitié se demandant qu’est-ce qui se trame ici, la seconde entièrement dédiée à Outer Wilds. Un peu hésitant, mais curieux d’en apprendre davantage sur ce jeu absolument unique, vous lui demandez ce qui a été le plus complexe à mettre en place.
Tout ! Il rit. De la naissance de l’idée jusqu’à la sortie du jeu sept ou huit ans après, en passant par l’extension qui a demandé une nouvelle poignée d’années d’efforts, sans oublier les patchs et autres correctifs, chaque journée dévoilait problèmes et surprises. L’une des plus surprenantes est lorsque nous avons compris que le public n’avait pas forcément les mêmes connaissances que des geeks scientifiques comme nous. Des joueurs ne comprenaient pas trop la différence entre un système solaire et une galaxie par exemple. Quand on fait un jeu sur l’espace, ceci érige forcément directement une barrière. On a donc compris qu’il fallait expliquer plusieurs concepts initiaux avant de partir sur des idées plus poussées, et c’est en partie à cela que sert le musée dans la première zone de jeu. On savait qu’il faudrait expliquer des concepts comme le Big Bang, et surtout de manière assez correcte, tout en parlant de la mort de l’univers. Nous n’avons pas pu parler de tout ce qui nous passionne évidemment, mais avons fait notre maximum pour rendre intelligibles les concepts nécessaires à la progression dans le jeu. Vous savez, notre univers va continuer à s’étendre, l’espace entre les objets augmente, de manière exponentielle avec le temps, il arrivera un point où il n’y aura plus de chaleur, plus de lumière, seulement de la matière inerte éparpillée sur des distances incalculables. Pour faire comprendre tous les concepts essentiels au jeu, nous avons retravaillé le village presqu’une dizaine de fois. Pendant sept ans, nous découvrions de nouvelles problématiques du même genre.
Après ces paroles, le buste s’éteint, ferme les yeux, et descend lentement sous le sol. Quelques secondes après, le socle sur lequel reposait cette copie de Loan remonte à la surface, mais le buste a disparu. À la place, une lanterne, finement sculptée, éteinte, a pris sa place. Bien sûr, une nouvelle plaque est présente, accrochée à l’une de ses extrémités par une chaîne. Vous continuez votre lecture.
Avant même qu’Outer Wilds ne soit disponible, la possibilité de créer une extension a été évoquée par l’équipe et l’éditeur. C’était une option tout à fait viable, non seulement en termes de thématiques mais aussi tout simplement financiers. Le travail sur l’extension en tant que tel n’a pas débuté avant qu’Outer Wilds ne soit GOLD (c’est-à-dire finalisé, prêt à être commercialisé), mais quelques graines étaient déjà plantées parmi l’équipe. Le plus important était de s’aligner sur le thème du jeu, la curiosité. Et donc, Mobius s’est rapidement demandé quelle était la question à laquelle ils pourraient répondre durant une seconde aventure intégrée au jeu. Qu’est-ce qui pourrait accrocher les joueurs ? Rapidement, les regards se sont tournés vers la civilisation la plus mystérieuse, les Nomaï. Pourquoi avaient-ils perdu le signal de l’Œil une fois arrivés dans ce système solaire ? Une des suggestions proposées par l’équipe consistait à pointer le fait que désormais les voyageurs étaient trop proches dudit signal, et donc que celui-ci était capté de tous les côtés. Impossible de le localiser dans ces conditions. C’était une réponse qui en termes narratifs se tenait, mais qui pour les directeurs créatifs ne résonnait pas assez avec le propos du jeu. Ainsi, ils ont planché puis trouvé une autre réponse : créer l’antithèse des Nomaï. Parfois, la connaissance et le savoir peuvent effrayer. Alors pourquoi ne pas créer une civilisation terrifiée par le signal, qui aurait volontairement dissimulé l’Œil. Deux points de vue s’opposaient ainsi, le signal ayant été caché par cette nouvelle civilisation qui à cause de lui avait vécu une expérience traumatique. Il fallait ici cacher le savoir, le rendre inaccessible. Pour retranscrire ce traumatisme, l’extension n’a pas hésité à basculer dans l’horreur, que ce soit dans l’atmosphère ou dans certaines mécaniques de gameplay. Et c’est finalement un sujet qui se lie à merveille avec les randonnées, ces moments nocturnes comme celui qui ouvre le jeu, pendant lequel les promeneurs s’échangent des contes horrifiques et autres légendes urbaines faisant frissonner. Une fois l’idée validée, il ne restait que quelques mois avant la sortie d’Outer Wilds. Les équipes ont passé des appels en urgence pour modifier quelques lignes de code et laisser la porte ouverte à cette extension, Echoes of the Eye.
Le piédestal sur lequel elle reposait entame une nouvelle descente sous le sol, alors sans réfléchir vous saisissez l’artefact par la poignée située au-dessus. Dès l’instant où vous vous en emparez, la lanterne s’illumine soudain, projetant une lumière aux quatre coins de la pièce. Enfin, de lumière, c’est vite dit. La lanterne projette en fait de l’obscurité. C’est très étrange car vous pouvez toujours voir ce qui se terre dans son rayon, mais tout y est sombre, comme plongé dans une nuit à la lune discrète. Plus étrange encore, vous constatez que cette lumière de ténèbres fait apparaître de nouvelles inscriptions sur les tableaux de la pièce. Tout ceci n’a pas plus de sens qu’auparavant, mais à ce stade, qu’importe, vous vous approchez du texte le plus proche et reprenez votre lecture.
Lorsque le financement d’un jeu passe par une campagne communautaire et participative, il existe ce qui s’appelle des paliers. Chaque palier correspond à un objectif de somme et, s’il est atteint, il débloque l’avantage associé à ce même palier : comme un personnage jouable supplémentaire, un boss caché, des objets, etc. Concernant Outer Wilds (passé par la plateforme FIG), il existe un palier qui mettait en avant une planète invisible. En fait, il aurait été possible de la voir uniquement en la prenant en photo, grâce à l’appareil qui a trouvé son chemin jusque dans la version finale du jeu. Il y aurait eu un morceau de cette planète sur Âtrebois, ce qui aurait lancé cette série de quêtes, bien qu’on ne puisse pas vraiment parler de quêtes en ce qui concerne Outer Wilds. Cette planète invisible aurait été quelque chose qui aurait survécu à l’univers précédent, mais pour des raisons techniques et de rythme de jeu, l’idée a été abandonnée, malgré l’utilisation de concepts similaires via l’appareil photo. En ce qui concerne Echoes of the Eye, il y avait cette idée de plateformes recouvertes de dômes, qui enveloppait la zone, puis disparaissait. Selon le fait que le dôme soit présent ou non, il changeait le cycle en cours, alternant le jour et la nuit, révélant de nouvelles choses suivant la version en cours d’exploration. Mais le twist, c’est qu’au bout d’un moment le joueur comprend qu’il n’y a pas de cycle jour/nuit, mais qu’il existe en simultané ces deux versions des plateformes. Le dôme transporte le joueur sur la partie assombrie ou éclairée, parties qui sont en réalité l’une sous l’autre. Cette idée de faire croire au joueur qu’il a compris quelque chose alors qu’il a été guidé sur une mauvaise piste, c’est une idée reprise dans l’extension, via les rêves/la simulation. Il y a énormément de pistes qui ont été abandonnées, car on ne pouvait pas tout mettre. Toutes ces pistes explorées ont cependant permis de trouver les bonnes versions à intégrer dans le jeu. En réalité, c’est quelque chose de très important pour Mobius, chaque membre a le droit et doit s’exprimer pour partager des idées. C’est en regroupant les suggestions de chacun que le jeu peut avancer. Il y avait des réunions exclusivement dédiées à ces partages d’idées, et même si dans les 100 idées du mois, aucune n’était bonne, ce n’était pas grave, car les mauvaises idées aident à comprendre pourquoi elles ne fonctionnent pas et comment faire pour les faire fonctionner. Cet aspect communautaire est essentiel chez Mobius Digital.
Lorsque vous pointez la lanterne d’obscurité sur les tableaux suivants, ce ne sont plus des paragraphes de textes qui apparaissent, mais des couvertures de magazines issues de la presse spécialisée jeux vidéo ! Outer Wilds par-ci, Outer Wild par-là, encensé, acclamé, adulé. Des qualitatifs à la pelle, des récompenses, des GOTY, tout y passe. Il ne manque plus qu’un feu d’artifice. Et puis zut, tout est possible ici non, alors allons-y ! Des explosions de couleurs illuminent le ciel nocturne, de toutes parts. Une salve d’applaudissements résonne d’on ne sait où, tandis que les étincelles colorées qui se succèdent au-dessus de vous reflètent leurs teintes sur vos joues. Hypnotisé par ce spectacle saisissant, vous réalisez cependant que tout ceci prendra bientôt fin, et qu’il faudra bien finir par rentrer à la maison. En attendant, vous vous approchez des planches de magazines, devant lesquelles se trouve une sorte de minuscule bassin rectangulaire, pas bien profond, disons même pas cinq petits centimètres. Juste assez pour se démarquer du reste du sol de la pièce. En posant le pied dans cette cavité, voilà que l’environnement autour de vous s’effondre sur lui-même, vous laissant seul, face aux étoiles qui vous submergent de toutes parts. Il vous faut quelques instants pour réaliser ne pas être aussi seul que ce que vous croyiez, et aperceviez une forme holographique à quelques pas devant vous. C’est Loan, qui vous adresse directement la parole.
« Si vous demandez comment je me sens à l’orée du second grand projet de Mobius Digital, je vous répondrai : demandez-moi dans quatre ou cinq ans ! Soyons honnêtes, nous avons une chance extraordinaire d’avoir une communauté aussi incroyable. Je ne dis pas ça comme ça, pour la comm’ ou pour flatter autrui, mais notre communauté est vraiment saine, généralement très accueillante envers les nouveaux venus. Mais surtout, et c’est assez rare pour le souligner, elle fait très très attention à ne rien divulguer, à ne pas gâcher l’expérience des autres. C’est une communauté qui prend soin d’elle-même. C’est extraordinaire, on n’aurait pas pu demander mieux. Ça nous tient tellement à cœur à nous et notre éditeur. Un des objectifs initiaux, quand on a commencé à plancher sur notre projet suivant, c’est qu’on espère avant tout que ce sera quelque chose qui plaira à la même audience. Comme les gens peuvent s’en douter, surtout après l’extension, il ne faut pas s’attendre à ce que l’on fasse la même chose. Outer Wilds a été fait, on ne pourra pas le refaire. Ni autrement, ni différemment. Refaire la même chose serait une déception (à la fois pour les fans mais aussi en termes créatif). Nous allons faire quelque chose de différent. On espère aussi faire quelque chose qui touchera les gens. On va prendre des risques, ça plaira à une partie des gens, d’autres seront déçus, et nous nous en excusons par avance. Mais ce sera unique. On essaye aussi d’améliorer l’accessibilité. Bref, on touche à tout, on veut explorer de nouveaux domaines et proposer un challenge capable de stimuler les joueurs et leur capacité de compréhension. On veut qu’ils arrivent dans une posture mentale qui leur permette d’apprécier le jeu, tout en comprenant comment avancer, en déterminant quelles sont les règles, afin de trouver la solution aux problèmes qui les assaillent. Le tout en mettant sur le devant de la scène, comme toujours, cet appétit pour la curiosité. Au début, Outer Wilds était un jeu difficile, mais grâce aux patchs nous avons réussi à le rendre plus accessible, plus logique pour un plus grand nombre de personnes. Pour ce travail nous avons des exercices récurrents de théâtre interactif. C’est ce qui donne une identité à notre petit studio, nous avons une magnifique équipe créative dans laquelle nous puisons nos forces. Nous ne sommes pas bridés par les postes de chacun, comme dit précédemment, tout le monde peut faire un peu de tout. Mais en réalité, appliquer cette diversité est un concept qui demande beaucoup d’efforts pour s’y tenir. Chacun a envie d’avancer la partie qui lui est dédiée, c’est dur de passer à autre chose, mais c’est aussi un atout, car ça permet d’emmener constamment des regards neufs sur les différentes situations. Par exemple, c’est difficile pour un game designer d’être ouvert à d’autres idées, qui ne viennent pas de lui, et qui peuvent changer l’expérience globale du jeu ! Pourtant, chacun fait de son mieux dans cette idée de partage. Et cette idée de théâtre improvisé nous aide à comprendre le ressenti des autres membres de l’équipe.
Je pense que l’envie d’avoir des jeux plus contemplatifs et orientés vers l’exploration a toujours été là. J’espère qu’Outer Wilds démontre qu’il est possible de se concentrer sur cet aspect, car au final ce n’est que ça ici : Outer Wilds n’est que de l’exploration. J’aimerais que ce domaine devienne un pilier plus important dans le jeu vidéo, toute l’équipe adorerait voir davantage de jeux du même genre, et je pense que nous sommes loin d’être les seuls. Breath of the Wild a déjà montré que c’était possible dans les jeux grand public (note de la rédaction : sans oublier Elden Ring, Tunic, Animal Well, etc.), alors nous aimerions en voir encore et encore, à la fois dans les jeux triple A mais aussi dans la scène indépendante. À titre personnel, je joue souvent à des AAA mais je me fatigue assez rapidement, car ces jeux en open world sont en fait paradoxalement extrêmement dirigistes. C’est un drôle de constat, car pendant un moment, les jeux n’étaient pas assez testés et s’avéraient assez durs, avec des phases explicatives pas très claires. Puis, disons pendant l’époque qui entourait la sortie de Skyward Sword dans les années 2010, tout était au contraire trop testé, mais la réponse aux problématiques évoquées lors de ces phases de doutes étaient toujours la même : placer le joueur sur des rails. Et maintenant on a des conseils à chaque étape de la progression (note de la rédaction : des UX saturées d’information, des marqueurs, des objectifs clairement écrits, etc.) ou des personnages qui donnent les réponses aux énigmes quand un joueur est trop lent dans sa progression. Et à l’opposé de ce spectre on a eu Dark Souls (qui est aussi une inspiration assumée de notre jeu, Dark Souls qui a d’ailleurs un level design absolument magnifique). Ces jeux-là, soit t’es bon, soit tu ne le finis pas. Il y a donc une sorte de jeu de ping-pong entre trop d’accessibilité et pas du tout, et je pense qu’Outer Wilds montre qu’il peut exister un juste-milieu. Ne pas indiquer la direction tout en la suggérant, avoir un design à la Dark Souls sans sacrifier l’accessibilité. C’est ce vers quoi nous aimerions tendre. En l’état, Outer Wilds n’est pas aussi accessible que ce que l’on souhaitait de base, mais mon espoir c’est de voir les gens continuer à réfléchir à ces problématiques et explorer cette facette du game design : comment donner aux joueurs la liberté d’explorer leur propre chemin, sans les punir quand ils ne savent pas quoi faire.
Faire Outer Wilds nous a fait partager plusieurs débats au studio, l’un d’entre eux portant sur nos croyances personnelles quant à l’univers. Personnellement je pense que l’univers est infini, mais ce n’est pas le cas d’Alex pour qui la notion d’infini est abstraite, et ne peut exister physiquement. Je ne pense pas qu’il existe quelque chose au bout de l’univers, mais Alex aurait une réponse différente. »
Le dernier mot prononcé, l’hologramme disparaît en même temps que le décor de cette étrange cabane surgit du néant, comme s’il n’avait jamais bougé. Une force écrasante vous attire vers la porte, comme si tout le poids du monde vous poussait délicatement vers la réalité. Vous balayez la pièce rapidement du regard, contemplant une dernière fois son charme surréaliste, en vous demandant qui vous a mené ici et pourquoi. Les inscriptions sur les tableaux commencent à se dissiper, les étoiles s’éteignent tandis que le plafond reprend doucement sa place initiale, et un frisson vous parcourt le dos dès l’instant où vous passez l’étrange porte. Le couloir rassurant est là. Vite, il faut noter tout ce que vous venez de voir et d’apprendre, il faut immortaliser cette expérience, d’autres que vous ont peut-être vécu la même chose. Vous courrez vers le pot à stylo dans l’entrée et tiens, qu’est-ce que vous faites là ? Vous avez dû mal dormir pour réussir à vous lever jusqu’au couloir sans même être complètement réveillé. Vous vous sentez bien ce matin, comme quand chaque chose est à sa place. La journée s’annonce radieuse, il est l’heure de prendre un bon petit-déjeuner.