Animer un jeu vidéo – avec Arthur Munoz

Le 18 avril 2024 sortait l’accès anticipé de No Rest for the Wicked, le nouveau jeu de Moon Studios, créateurs de la saga ORI. Laissant la licence de côté pour le moment, Moon se frotte à un nouveau genre et non des moindres, celui de l’Action-RPG, avec la volonté d’en bousculer les codes.

Deux semaines après la sortie, j’ai eu la chance d’échanger avec Arthur Munoz, qui assure le poste de Game Animator sur le jeu. L’occasion de revenir avec lui sur les ficelles de ce métier, sur son parcours, mais aussi discuter autour de ses projets les plus récents. En effet, rien que sur cette année 2024, Arthur a également travaillé sur Prince of Persia: The Lost Crown ou The Last Faith, metroidvania pixel art fortement inspiré par Bloodborne et Blasphemous. Si l’on remonte un peu plus loin dans son CV, c’est chez les français du studio Spiders qu’il a fait ses armes, notamment sur des projets comme Greedfall ou Steelrising.

Nous précisons que si vous souhaitez disposer de cette interview dans son intégralité et sous un format audio, une version podcast est à votre disposition sur le site.

Le métier d’animateur

Point’n Think: Merci d’être là Arthur. Comment vas-tu ?

Arthur: Bonjour, merci de me recevoir, ça va très bien. Je reviens de vacances, c’était la semaine dernière, là j’ai deux jours de travail, mais il y a un grand pont pour les prochains jours donc c’est du repos en perspective. Après la sortie de l’Early Access de No Rest for the Wicked, c’est un bon moment pour se reposer et faire le point sur les prochains mois à venir. Là, on est vraiment dans le moment où on se pose et on réfléchit à comment on va entreprendre les prochains travaux sur le jeu. Vu que c’est un Early Access, il y a encore beaucoup de choses à faire.

Je le disais en introduction, tu es Game Animator. Comment pourrait-on traduire ça en français et est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste ton travail exactement ?

Game Animator, ça veut tout simplement dire « Animateur de jeux vidéo » en français. C’est celui qui va animer des personnages pour le gameplay du jeu. Pour ceux qui ne connaissent pas du tout l’animation en général, c’est un peu comme un marionnettiste numérique 3D. On manipule les personnages en 3D grâce à des contrôleurs, on les manipule dans l’espace et dans le temps pour leur donner vie, leur donner une personnalité mais aussi des actions qu’on peut relier aux mécaniques du jeu en général.

Tu as bossé sur pas mal de projets cette année, trois jeux assez importants. Est-ce que c’est difficile de bosser sur autant de projets en même temps ?

Alors, ce n’est pas forcément parce qu’ils sortent en même temps qu’ils ont été faits en même temps. Beaucoup de jeux sont sortis à peu près au même moment cette année, c’est vrai. Il y a par exemple The Last Faith sur lequel j’ai travaillé, cela fait plus de deux ans que je suis dessus, mais de façon très sporadique. Vu que c’est un studio indé et qui n’a pas beaucoup de moyens, j’ai travaillé vraiment par petites touches quelques jours par-ci par-là pendant deux ans, donc ce n’était pas comme un projet où je suis à plein temps.

Je partage mon temps entre du plein temps et du partiel. Pour Prince of Persia, c’était aussi un projet sur lequel je travaillais en temps partiel. C’est vrai que j’ai des grosses journées en général, de 10-11 heures à peu près par jour, où je travaille sur plein de projets différents. Mais j’adore avoir une diversité de projets avec des styles différents d’animation et des styles de jeux différents, surtout des styles de jeux que j’aime aussi. C’est vrai que là, c’était vraiment un moment où j’ai bossé sur beaucoup de jeux que je pense très cools pour moi, selon mes goûts en tout cas. Et ça m’a fait vraiment très plaisir de participer à tous ces projets. C’est vraiment une espèce de consécration de bosser avec Moon, par exemple, qui est un studio que j’affectionnais par rapport à ORI. Prince of Persia, j’y ai joué quand j’étais petit. Ce sont vraiment des jeux qui m’ont forgé. Pour The Last Faith, c’était vraiment le côté pixel art qui m’attirait, travailler sur un jeu vraiment old school, avec une patte graphique unique et un style très Bloodborne. C’était vraiment un truc qui m’attirait beaucoup quand ils me l’ont proposé. Donc en général, quand on me présente des projets, je réfléchis à ce que j’ai vraiment envie de faire et comment je peux y consacrer du temps.

Le parcours d'Arthur
Le parcours d’Arthur

Est-ce que ça t’arrive de bosser sur de l’animation extérieure aux jeux vidéo ?

J’ai fait dernièrement le trailer de Greedfall 2 pour Spiders, avant Noël, pour que le trailer puisse sortir en février. C’était de la cinématique, mais ça reste dans la thématique jeu vidéo, forcément. Mais oui, toute ma carrière a été fondée autour du jeu vidéo. J’ai fait un tout petit peu de séries télé pour enfants. Mon premier job, c’était ça. Mais après, principalement, ce que je voulais, c’était travailler dans le jeu vidéo parce que c’était ce que je voulais faire à la base. Quand j’étais jeune, je jouais souvent, même beaucoup aux jeux vidéo. J’avais un PC, j’avais des consoles, je jouais avec des potes aussi. C’était vraiment un truc que je faisais principalement comme un hobby. Quand j’ai voulu passer dans le monde du travail, je me suis dit « qu’est ce que je pourrais faire pour avoir ce côté passion ? » Le jeu vidéo, c’est un truc dont je rêvais et je ne savais même pas si c’était possible quand j’étais jeune.

Justement, pour parler un peu de ton parcours, si un jeune venait te voir aujourd’hui et te disait vouloir être Game Animator, qu’est ce que tu lui conseillerais ? Comment ça s’est passé pour toi ?

J’ai fait un cursus de cinéma d’animation après le bac général. J’ai passé trois ans dans une école de cinéma d’animation. C’est comme une école privée où tu payes l’année pour avoir une formation autour du cinéma. Tu as l’animation, la modélisation, le texturing, pour être un peu dans la 3D généraliste en gros. Mais quand tu sors de l’école, il y a peu d’opportunités où tu peux être généraliste. C’est plutôt très spécialisé dans les productions de jeux vidéo ou de cinéma. Donc moi, je me suis concentré sur l’animation parce que c’est ce que je préférais. Aujourd’hui, c’est vrai que c’est un peu différent parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont changé. Cela fait 15 ans que je fais ça et les écoles ont vraiment évolué en France.

Entrer dans l’industrie, c’est peut-être différent aujourd’hui que d’y rentrer il y a 15 ans. Donc je ne suis pas sûr d’être le meilleur conseiller. Après, je pense que pour entrer dans l’industrie du jeu vidéo, ce qui est bien c’est de montrer ce qu’on sait faire. Parce que principalement, les gens dans l’industrie ne regardent pas les CV, ils regardent plutôt les animations, les capacités de chacun. Des animations de personnages, des animations de combat, n’importe quoi. Mais en gros, si la personne voit ce que tu fais, elle va t’embaucher si tu es capable de faire ce qui est attendu.

C’est ce qu’on appelle des portfolios, c’est ça ? Dans lesquels tu montres un peu tout ce que tu sais faire ?

Ouais, nous, on appelle ça des « Demo reel » ou des « Show reel ». C’est un peu la vidéo qui montre l’étendue de tes capacités en animation, que ce soit en acting ou en body mechanics. C’est un peu les différents aspects que tu peux avoir en animation. Moi, je suis assez spécialisé body mechanics, tout ce qui est action, je vais bouger le corps pour des mouvements relatifs à l’action en général, pas trop de choses liées à l’acting. Mais bon, ça m’arrive d’en faire aussi parce que j’ai un peu tout fait en 15 ans.

Tu as bossé sur des cinématiques aussi, dans lesquelles il y a une forme d’acting…

Oui, énormément. J’ai bossé sur pas mal de cinématiques avec Spiders. On faisait tout, on faisait les cinématiques, le gameplay, on faisait aussi les rigs. Les rigs, c’est la partie où tu mets les squelettes d’animation dans ton personnage 3D. En gros, tu crées ton outil d’animation et c’est aussi un truc que je fais en général. Moins maintenant parce que je suis plutôt spécialisé en animation, en game animation. Sur des projets freelance, des fois on me propose de faire le rig et l’animation parce que ça va ensemble. C’est un truc qui colle bien dans une production de savoir faire les deux et les gens aiment bien avoir plusieurs casquettes sur un projet, ça permet d’avancer plus vite.

Le trailer de Greedfall 2, sur lequel Arthur a travaillé
Le trailer de Greedfall 2, sur lequel Arthur a travaillé

Est-ce que c’est un domaine dans lequel il y a encore beaucoup de codage, ou alors aujourd’hui ça a vraiment évolué et tu as des logiciels que vous utilisez tous, sur lesquels vous vous basez avec des assets que vous récupérez ? Comment ça se déroule exactement ?

Il peut y avoir du code pour certains riggers. Les riggers, ceux qui font les squelettes, ont parfois besoin de scripter des choses pour faire des outils, pour automatiser des processus, tout ça. Donc ça se fait. Moi, je ne suis pas du tout un rigger codeur. Je suis plutôt un rigger bidouilleur qui me débrouille avec ce que je sais faire. C’est ce que j’ai appris. Après, on a toujours ce côté où on évolue, on apprend des nouvelles choses et il y a des nouveaux outils qui sortent, qui nous permettent de faire des nouvelles choses un peu plus folles. Mais principalement, il faut savoir utiliser l’outil d’animation et en général c’est soit Autodesk Maya ou Autodesk 3ds Max ou Blender aussi maintenant.

Ce sont ces outils 3D qui permettent de faire, de modéliser, d’animer, de faire des animations d’effets spéciaux. Il y a plein d’outils maintenant qui sont plus « user friendly » on va dire, qu’il y a 15 ou 20 ans, où il fallait vraiment être un petit peu bidouilleur. Maintenant, il y a beaucoup d’outils qui se développent et c’est vraiment beaucoup plus simple, notamment grâce à Internet. Toutes les vidéos YouTube que tu peux trouver sur l’animation ou sur n’importe quel domaine, tu peux facilement trouver ton compte. Alors qu’il y a 15-20 ans, c’était vraiment compliqué de trouver un tuto, il fallait vraiment creuser les modes d’emploi des softwares de l’époque. C’était un autre temps.

On a parlé du fait que ton activité se faisait en freelance, comment ça se traduit exactement ? Est-ce que c’est toi qui vas aller postuler auprès des studios ? Est-ce que ce sont plutôt les studios qui viennent te chercher ?

Je suis resté chez Spiders douze ans quand même, mais à la fin de Greedfall, quand je suis passé en freelance, il y a vraiment un truc qui s’est créé à l’époque sur les réseaux et j’ai commencé à partager mon travail sur Internet. Je faisais des petites vidéos de dix secondes de moments de certains boss, ou certains ennemis que je faisais sur Greedfall par exemple. C’est là où beaucoup de gens m’ont approché, des followers aussi qui commençaient à suivre mon travail. C’était vraiment intéressant de voir ce truc monter d’un coup. C’est assez curieux d’essayer de comprendre pourquoi les gens s’intéressaient autant à ce que je faisais, c’est un peu étrange.

Puis Jason Shum, un ex-animateur de chez Blizzard, m’a contacté. Il avait créé sa boîte d’animateur freelance en Californie et il m’a dit « Arthur, j’ai vu ton travail, ça m’intéresse de te brancher sur un projet que j’ai en interne. » Sa boîte prête des freelances à des gros studios, pour commencer à travailler directement sur des prototypes et à faire partie de l’équipe. C’est vraiment comme du prêt d’animateur. À partir de là, il m’a mis en contact avec John Kim, qui était directeur de l’animation chez Lightspeed Studio, un nouveau studio de Tencent, qui crée une nouvelle IP. Ils venaient de créer cette boîte et ils n’avaient pas d’animateur, ils avaient juste le directeur d’animation, mais ils avaient besoin de renforts pour animer des trucs, pour commencer à prototyper, à animer des personnages qui pour l’instant étaient juste des mannequins.

J’ai commencé à faire de la prévisualisation de gameplay, tu prévisualises ce que peut être le gameplay final juste en faisant de l’animation sans utiliser le moteur de jeu, vraiment juste en vidéo. Des fois, je fais des vidéos comme ça sur Internet où je montre ce que peut être un jeu juste en montrant des vidéos d’animation. Cet animateur là, avec qui je suis rentré en contact, John Kim, ça a été une super rencontre pour moi parce qu’il sortait de 20 ans de Naughty Dog, il avait travaillé sur Jak and Daxter, Uncharted, The Last of Us, et là, il venait de quitter Naughty Dog pour être Animation Director chez Lightspeed. J’ai donc passé deux ans à faire de la pré-production. On est vraiment dans un principe de recherche de style, de ce que peut être le jeu, des chemins que l’on peut prendre et on va un peu explorer tout ça pendant un certain laps de temps. Cela a duré vraiment extrêmement longtemps pour moi, parce que mes pré-productions précédentes, par exemple chez Spiders, c’était en général quelques semaines, quelques mois et là c’est passé à un an et demi, c’était un an et demi de pré-production à faire du prototype d’animation, de la prévisualisation…

Pour bien situer, Lightspeed c’est le studio qui est en train de préparer Last Sentinel, jeu dans un monde cyberpunk, c’est ça ?

Oui c’est ça. Une héroïne armée principalement d’un flingue et qui va combattre des espèces d’androïdes dans un Tokyo cyberpunk. Cela a été annoncé aux Games Awards en décembre. Quand on m’a raconté le pitch du jeu, j’ai vite été confiant. Puis de savoir que j’allais travailler avec ces gens là, c’était hyper intéressant pour moi, de changer d’univers et aussi de type de budget. Je suis passé du budget Spiders, qui est un peu du AA, à du AAA avec ces moyens un peu énormes, avec des gens qui sont capables de dépenser des mois et des mois d’animations qui ne seront pas forcément utilisées dans le jeu, juste pour de la recherche ou de la motion capture.

Le trailer d’annonce de Last Sentinel

Je rebondis sur ce que tu dis. Tu as bossé pour des studios français, là pour un studio étranger. Tu as vu du AA, du AAA. Cela t’a permis de voir des différences marquées au niveau des process, de l’organisation ?

Je dirais que c’est du cas par cas. Après les budgets, c’est sûr que ça change un peu la façon de planifier son travail. Parce que si on te donne un an et demi de pré-production, on a le temps d’explorer plein de choses différentes. Alors que sur un petit budget où il n’y a pas beaucoup de recherche, on va aller dans une direction et la première animation, ce sera en gros celle qui sera dans le jeu.

C’est vrai que c’est un confort de travail qui est énorme, mais c’est aussi quelque chose qui est difficile. Pour quelqu’un qui vient du AAA, de passer dans un truc indépendant où il va falloir beaucoup de temps pour développer une direction, c’est plus compliqué. Alors que si on vient de l’autre côté, c’est plutôt « Oh là, j’ai tout ce temps pour moi ». Je suis assez productif de base, mais là je vais pouvoir plus me lâcher.

Le jeu vidéo vit une période compliquée en ce moment avec beaucoup de licenciements. Comment tu te situes vis-à-vis de tout ça ? C’est peut-être un peu particulier pour toi vu que tu es freelance, mais tu as beaucoup d’amis et de connaissances dans ce milieu. Est-ce que c’est un contexte difficile à vivre ?

C’est sûr que ce n’est pas évident, au mois de janvier, on était dans le doute. Tout le monde se disait « Mais qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tout le monde se fait liquider comme ça ? En un claquement de doigts. » C’est vrai que c’est un truc assez flippant, tout comme la venue de l’intelligence artificielle dans nos métiers. Pourquoi remplacer les métiers créatifs alors qu’on devrait plutôt donner les métiers un peu chiants à l’IA pour nous faciliter la vie ?

Est-ce que dans ton secteur en particulier, l’IA peut représenter un danger ?

Il y a déjà des outils qui sortent comme le motion mapping, c’est un super outil pour faire des rendus d’animation. Tout est un peu pré-calculé au millième de seconde. Mais c’était un peu pareil avec la motion capture à l’époque, il y a 30 ans quand ça commençait à sortir, les animateurs flippaient en se disant « Oh là là, la motion capture arrive, les animateurs vont disparaître parce qu’on aura plus besoin de nous ». Mais au final, même si la motion capture est maintenant ancrée dans les productions, elle n’est pas utilisée partout parce qu’elle ne peut pas tout faire non plus. Des fois, on veut faire des mouvements un peu incroyables qui sont impossibles à réaliser pour l’IA. Mais c’est vrai que pour les jeux réalistes, c’est un gain de production énorme et ça coûterait bien plus cher de le faire à la main. En définitive, tant que les outils d’animation sont utiles et sont là pour nous aider plutôt que pour nous piquer nos jobs, ce sera plus intéressant.

Mais c’est vrai que c’est flou, parce qu’on ne sait pas toujours ce que ça va être ni à quoi ça va ressembler. On ne sait pas si on pourra se faufiler entre les mailles du filet ou pas, c’est une grosse incertitude, je pense, dans l’industrie. Je crois que c’est pire pour les gens qui font du concept art ou tous ces métiers artistiques où il faut créer, peindre, tout ça. Il y a quand même beaucoup plus d’avance sur ce côté-là que sur le côté animation.

Concept d'animation sur le premier Greedfall
Concept d’animation pour le premier Greedfall

Réaliser une animation

On a pas mal parlé de ton métier, mais surtout d’un point de vue extérieur, maintenant j’aimerais qu’on rentre un peu plus dans le détail, de ce que ça représente réellement de faire une animation. Est-ce qu’il y a des étapes clés, un schéma à suivre ? Mettons que je te dise de réaliser une animation de double-saut pour un personnage, comment ça se passe ?

En général, il y a une première phase qu’on appelle le planning. À ce moment-là, on est dans la réflexion, dans la recherche, on ne va pas commencer à animer sans savoir ce qu’on veut faire. Là c’est bien puisque tu m’as donné un exemple, tu m’as dit « fais moi un double saut ». Donc, déjà, on sait ce qu’on veut et maintenant, il faut aller chercher plusieurs références. On peut aller chercher des références dans divers jeux ou même des « vidéos références », c’est-à-dire des vidéos réelles de personnes qui font des doubles sauts, même si ça va être un peu compliqué pour le coup. Mais pour d’autres actions, ce sera plus simple. Par exemple, si on me demande de faire une course ou une marche, on va aller chercher des vidéos références de l’action demandée. Avec le côté planning et le côté références d’animation, on peut commencer à poser les bases de ce que sera l’animation.

Puis vient ce que j’appelle le blocking, c’est-à-dire bloquer des frames, plusieurs images-clé d’une animation, souvent des poses extrêmes de ton animation, que tu vas mettre une par une, ce qui va créer un effet de mouvement saccadé. Cette animation de blocking, tu peux la proposer à ton équipe en leur demandant s’il faut modifier certaines parties, par exemple si le double-saut doit aller plus haut, s’il doit y avoir un flottement plus grand pour gérer le moment où l’on va appuyer sur la touche une deuxième fois, etc.

Chez Moon Studios, on a des processus qui se nomment L1, L2, L3. La L1, c’est vraiment la partie blocking. On est dans la discussion avec le designer pour savoir s’il est d’accord sur les principales keyframes de l’animation. Si on est d’accord sur les principales, on passe à la phase L2, où l’on va un peu plus peaufiner les mouvements, puis ça avance par itération. L’avantage c’est que même une animation très saccadée, tu peux déjà la mettre dans le jeu et la tester pour voir si elle va bien avec le reste et la faire valider par l’équipe.

Puis vient la troisième phase, la polish d’animation, où là on est vraiment dans le détail du peaufinage pour que ce soit le plus qualitatif possible. Voilà en gros les trois phases principales, tout en sachant que ces trois principaux éléments peuvent se diviser en 20 itérations. La première phase de blocking, on peut la changer plein de fois si ça ne va pas…

Exemple d'animation effectuée par Arthur dans The Technomancer
Exemple d’animation effectuée par Arthur dans The Technomancer

Est-ce que ça peut arriver, par exemple, que le directeur artistique arrive et te dise « Non, ça ne colle pas du tout à l’ADN du jeu, tu repars de zéro » ?

Oui, c’est possible. Après, avec l’expérience, on arrive à lire les intentions de l’équipe. Ils sont de toute façon en demande de notre expertise en tant qu’animateur, parce qu’on a vraiment l’habitude d’en créer des milliers. On connaît les références d’autres jeux, on connaît les références de n’importe quoi. Par exemple, si on commence à travailler sur un boss, quelqu’un va dire « Ah moi j’aime bien ce boss dans Elden Ring » ou alors « J’aime bien ce boss dans Devil May Cry. Qu’est-ce que tu en penses ? »

On va prendre des éléments de ce boss, un flow, un feeling que l’on veut retrouver et c’est comme ça que tu donnes des notes d’intention à tes animations. D’ailleurs, je pense que c’est le plus important quand tu commences à travailler une animation, la note d’intention. Qu’est-ce que veut faire ton personnage ? Si c’est un boss et qu’il veut tuer le joueur, il ne peut pas juste y aller tranquille, il faut qu’il fonce sur le joueur pour l’étriper.

C’est souvent quelque chose qui est oublié par les jeunes animateurs, le fait de se mettre dans le contexte de ce qui se passe dans le jeu. On est un peu isolé sur notre ordinateur à travailler sur l’animation sur notre fond tout blanc, là où il ne se passe rien. Il faut vraiment y mettre du contexte et ne pas perdre ça. Des fois, tu peux avoir une animation vraiment pas terrible, mais qui rend vraiment bien, parce qu’elle est dans le contexte du jeu. D’ailleurs, je trouve que FromSoftware sont très forts là-dessus, ils arrivent à faire des trucs un peu brouillons parfois, mais vu que c’est bien lisse dans le set d’animation, c’est tellement bien ficelé et bien dans le personnage que tu ne vas pas te focaliser sur le petit détail qui ne va pas en animation.

Rien que cette année, tu as bossé sur des projets de jeu plutôt 2D comme The Last Faith ou Prince of Persia, plus récemment sur No Rest for the Wicked, de la 3D en vue isométrique. Est-ce que faire de l’animation en 2D ou en 3D, ce sont deux choses complètement différentes ?

Oui, ça change pas mal de choses en général. On ne travaille pas l’animation de la même façon, que ton jeu soit en 2D ou en 3D isométrique ou en TPS. Là, récemment, j’ai fait des animations de jeux de combat, un peu à la Street Fighter, et c’est vrai que j’ai dû regarder pas mal de jeux de combat pour m’imprégner un peu des timings des personnages parce que c’était aussi en 2D, donc il faut vraiment s’imprégner des codes.

Pour la vue 3D isométrique de No Rest for the Wicked, c’est pareil. Elle est très écrasée pour l’animation parce qu’on voit les personnages de dessus et donc ce n’est pas du tout les mêmes silhouettes qu’on travaille d’habitude. J’ai plus tendance à travailler sur les silhouettes des jambes ou les bras, où tu peux vraiment voir les pleins, les vides, alors qu’en vue isométrique du dessus, ça écrase le personnage. Tu vois à peu près la tête, les épaules et les bras. Les jambes ne sont pas vraiment visibles et du coup ça force aussi à brancher tes neurones d’une autre façon. La vue 3D isométrique est très dure à gérer. Pour moi, en tout cas, c’est une des plus compliquées que j’ai faites parce qu’il faut tout exagérer. D’ailleurs, c’est un peu le truc du jeu, toutes les animations sont très très exagérées, très stylisées aussi. Quand le personnage tombe d’une certaine hauteur par exemple, il faut que quand il chute au sol, il y ait vraiment une espèce de rebond plus fort que d’habitude. Pareil pour les sauts, quand tu sautes, vu que la vue est isométrique, il faut sauter plus haut que prévu pour vraiment sentir que ton personnage décolle.

No Rest for the Wicked et sa vue isométrique
No Rest for the Wicked et sa vue isométrique

Dans le même ordre d’idée, faire une animation de combat, animer un boss, c’est aussi très différent comme approche ?

En tant qu’animateur, le plus important, c’est la lisibilité. Notre travail, c’est de donner l’information aux joueurs qu’il se passe quelque chose. Il faut que le joueur comprenne que l’ennemi est en train de préparer quelque chose et qu’il va te lâcher une méga patate dans la tête. J’aime bien appeler ça des beats, comme en musique, ça fait un rythme. En gros, quand tu vois un personnage prendre la pose d’anticipation avec le poing en arrière, il faut que tu gardes cette pause pendant minimum 5-10 images, donc à 30 images par seconde, ça fait à peu près un tiers de seconde. Pour que le joueur ait le temps de lire la position de l’ennemi et de se dire « ah là, il va me lancer un truc, il faut que je bouge». Il ne faut pas rester sur cette position trop longtemps, sinon c’est trop facile, mais il ne faut pas non plus basculer trop vite sur la prochaine animation, sinon ce sera trop dur. C’est tout un travail d’équilibriste.

C’est aussi un travail d’équipe que tu fais. Quand tu as fini une animation, est-ce qu’il y a quelqu’un qui repasse par-dessus pour peaufiner quelque chose, pour agrémenter ?

Ça dépend des projets et des outils à disposition des studios. Chez Moon par exemple, ils viennent de mettre au point ce qu’on appelle les « Heat Reactions », ça a été intégré dans l’Early Access. Quand tu frappes un ennemi, il fait un mouvement en réaction, et cette animation, c’est un truc procédural. Normalement, c’est à nous de faire ces animations, on fait une animation de mec qui se prend un coup. Mais là, pour le jeu, on a un VFX artist qui savait faire des animations de réaction procédurale. Cela crée un effet de rebond quand tu frappes l’ennemi, ce qui se ressent beaucoup sur le premier Boss d’ailleurs, parce qu’il est énorme. Tu as toutes ses pattes qui sont bien ancrées dans le sol et ses grands mouvements de bassin, avec par-dessus toute la physique des vêtements, des accessoires, ce qui va créer un effet très vivant. Pour le coup, quand tu le touches, tu sens vraiment que tu le touches, c’est parfait quoi.

Le premier boss de No Rest for the Wicked
Le premier boss de No Rest for the Wicked

À l’image d’un directeur artistique qui serait inspiré par un artiste en particulier ou d’un scénariste qui serait inspiré par un bouquin, est-ce qu’en tant que game animator, tu es inspiré par des œuvres en particulier, des choses qui t’ont marqué dans ton enfance ou même plus récemment ?

Oui, complètement, je suis un gros fan d’animation japonaise. Ça doit se voir, je pense, un petit peu… Ou de jeux japonais, en général, les Devil May Cry, les jeux FromSoftware. J’ai aussi passé beaucoup de temps dans mon enfance à jouer à God of War ou à Shadow of the Colossus. C’est des gros jeux qui m’ont vraiment influencé quand j’étais jeune, qui m’ont donné envie de travailler dans le jeu vidéo.

J’ai été aussi influencé par beaucoup de mangas, de BD, de comics américains. Je me nourris d’ailleurs de ça, en tant qu’animateur, c’est une source inestimable de poses, de moments vraiment cools, où tu vas vraiment t’imaginer des choses et t’inspirer de tous ces grands trucs. Dragon Ball, quand j’étais petit, je regardais ça avec des grands yeux en me disant, c’est incroyable. De toute façon, dans mon adolescence, je passais mon temps, soit à lire des mangas, soit à jouer à des jeux vidéo, soit à dessiner, je ne faisais que ça.

Est-ce qu’aujourd’hui tu as encore le temps de jouer un peu ? Quel est le dernier jeu qui t’a fait kiffer ?

Hades II
? Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps, le premier m’avait vraiment scotché. Je me suis dit, je vais l’acheter, je vais jouer 10 minutes… J’ai joué une heure et demie…

J’ai moins d’opportunités  pour jouer parce que j’ai des enfants et forcément ça prend beaucoup de temps. Avec ces grosses journées de travail, c’est vraiment difficile de me poser et de jouer. Mais si je dois citer un jeu c’est Inside. À chaque fois que je pense à un jeu préféré, il ressort dans ma tête, il m’a tellement marqué. En termes d’animations, il est très sobre, c’est juste un petit garçon qui avance et qui traverse des obstacles. Il y a ce twist dans le jeu qui est tellement incroyable au moment où il se transforme, plus une grosse partie d’animation procédurale qui est vraiment incroyable. C’est vraiment un jeu que j’adore.

Puis il y a Shadow of the Colossus et The Last Guardian qui m’ont vraiment bluffé. D’avoir animé une bestiole aussi grosse avec un petit garçon qui le suit et qui a plein d’interactions avec elle et le décor. Ce qui est cool, c’est que tu as des studios qui mettent vraiment l’accent sur l’animation en première ligne, sur le devant de la scène. C’est aussi ce que j’aime chez Moon Studios, ils sont très portés sur l’animation et c’est vraiment un truc qu’ils veulent pousser au maximum parce que c’est dans leur ADN. Ils ont envie de transporter beaucoup d’émotions et d’atmosphères grâce à ça.

Sur Hades, en termes d’animation, qu’est-ce qui te fait kiffer exactement ? Qu’est-ce qui t’impressionne ?

Je préfère en général des jeux pas très jolis mais bien animés, plutôt que jolis mais pas bien animés. Le premier n’était pas si fou que ça en termes d’animation. Ce qui m’impressionne, c’est le flow du jeu. C’est que tu peux passer ton temps à jouer à ce jeu pendant des heures et ne pas te lasser, c’est comme une drogue. Ce qui m’intéresse en tant que Game Animator, c’est de créer ce flow chez le joueur. L’animation de Hades est bonne mais elle est très hachée, c’est très « pose to pose », mais tout est super dynamique et super réactif. Dès que tu cliques, ton personnage réagit au quart de tour et tu es vraiment dans le contrôle. C’est très important en animation de gameplay d’avoir le joueur qui reste dans le contrôle à tout point de vue.

Dès que tu déconnectes le joueur du personnage par une erreur d’animation de flow, tu détaches le joueur de son avatar et tu perds cet état de flow. Un des fondamentaux de l’animation de gameplay, c’est le fil. Si tu détaches ton personnage de ton joueur, il le ressent et va se rendre compte qu’il est chez lui sur son canapé, en train de jouer à un jeu vidéo, alors que c’est l’inverse que tu veux.


Les projets récents

J’aimerais maintenant qu’on entre un peu plus en détail sur certains des derniers projets sur lesquels tu as travaillé. On va se concentrer sur l’année 2024, ce sera déjà pas mal et ça tombe bien, puisque j’ai eu la chance de jouer aux trois jeux sur lesquels tu as pu bosser.

Débutons avec Prince of Persia The Lost Crown, que j’avais laissé de côté, que j’ai repris dernièrement et terminé. Je le considère déjà comme l’un des plus grands jeux de cette année, j’ai vraiment été bluffé. Est-ce que tu veux nous parler un peu de ton travail sur le jeu ?

J’ai été contacté par le producteur du jeu en 2022. Il m’avait demandé si je voulais travailler sur leur projet, à la base, je ne savais pas ce que c’était. On a fait un petit meeting où il m’a dit que c’était Prince of Persia. Je faisais deux jours par semaine à peu près sur le projet, et j’étais principalement connecté à deux choses : les attaques spéciales et les finish moves du héros. Donc c’était majoritairement entre les boss et le joueur, ou alors les animations d’attaque que le joueur peut lancer à certains moments pour déchaîner ses pouvoirs.

J’étais en connexion avec le principal animateur du projet, qui me donnait les pitchs, qui me donnait les informations majeures pour que je puisse avancer. C’était vraiment un job d’exécutant, en gros on me disait « t’as ça dans ta scène, il doit faire ça et t’as tant de secondes à peu près. » Mais t’es libre de faire ce que tu veux avec les personnages pour que ça colle avec la DA et le style d’animation, proche de l’animation japonaise. J’ai pu jouer avec ces caméras dynamiques, avec ces poses hyper fortes et vraiment taper dans des gros impacts où tu sens que ça fait mal…

J’allais justement te demander si tu t’étais inspiré de Dragon Ball ?

Évidemment. On discutait de références de ce genre-là, on échangeait des références Dragon Ball, même des jeux de combat japonais comme Guilty Gear où ils ont des super attaques ultimes. Tu as la caméra qui passe en mode dirigé où c’est vraiment de la mise en scène, où tu vas devenir un peu le super-héros pendant quelques secondes.

Quand on s’attaque à une licence comme Prince of Persia, il y a des références, on est forcément inspiré par ce qui a aussi été fait avant. Est-ce que tu as réussi à prendre ça en compte ? Est-ce que ça a été une aide ou une difficulté supplémentaire ?

Oui, j’avais joué au tout premier quand j’étais petit. J’avais joué aux Sables du Temps aussi. C’était il y a quoi ? 20 ans ? Je pense que ce sont aussi des références inconscientes des fois. Quand on travaille, on crée des choses et on ne se rend même pas compte que ça ressemble à tel truc qu’on a vu avant. Forcément, quand tu vas travailler sur Prince of Persia, tu connais l’historique de cette licence. Après, je pense que ce jeu s’est vraiment détaché parce que c’est un Metroidvania, avec une nouvelle direction artistique et d’animation qui ne sont pas reliées aux anciens projets. C’est bien d’avoir sa propre identité à développer.

J’ai vu récemment qu’ils faisaient un nouveau Rogue Prince of Persia , là c’est pareil, on a encore une identité complètement différente et tu peux voir qu’ils ont vraiment travaillé cet aspect.

Prince of Persia The Lost Crown, jeu dans lequel Arthur a principalement travaillé sur les finish moves et les attaques spéciales
Prince of Persia The Lost Crown, jeu dans lequel Arthur a principalement travaillé sur les finish moves et les attaques spéciales

Avant de passer sur No Rest For The Wicked, parlons de The Last Faith, un jeu qui allie 2D, pixel art, phase de plateforme et phase de combat, qui lorgne plus du côté d’un Bloodborne et d’un Blasphemous. Un projet peut-être un peu moins ambitieux qu’un Prince of Persia. Comment as-tu vécu l’expérience et si tu veux nous en dire un peu plus sur ton travail pour Kumi Souls, qui était derrière le jeu ?

The Last Faith, c’est deux frères qui font un jeu ensemble à la base, ils sont italiens et ils m’ont contacté sur ArtStation , ils m’ont demandé si je voulais faire certains des combats de boss du jeu. Majoritairement des grosses créatures qui prennent tout l’écran. En pixel art, c’est très compliqué de garder les volumes pour ne pas que ce soit trop plat ou trop joli. Mon travail, c’était vraiment de créer le modèle 3D à partir d’un concept art qu’il m’avait envoyé. Créer le modèle 3D, créer le squelette d’animation et créer les animations pour le jeu.

Ils me donnaient des documents pour que je sache ce que le boss allait faire, l’esprit, les références. Ils avaient beaucoup de références de FromSoftware, ça se voyait qu’ils aimaient beaucoup Bloodborne donc ce n’était pas caché. Cela a demandé beaucoup de discussions et de planifications pour savoir ce qu’on allait faire parce que le pixel art c’est quelque chose de très compliqué.

Quand on fait du pixel art dessiné plutôt qu’automatisé c’est plus complexe. Par exemple, dans Dead Cells, on va générer du pixel à travers une vidéo, ce qui est plus simple t’as juste à appuyer sur un bouton. Alors qu’en dessinant au pixel, ça peut te prendre une journée pour faire une image de ton animation. Si je fais une animation de trois secondes et qu’il y a quinze images par seconde, tu fais le calcul ça fait vraiment beaucoup de dessins à faire.


C’est intéressant ce que tu nous dis, ça veut dire que le pixel art dans Dead Cells n’est pas du tout le même que le pixel art dans The Last Faith ?

Non, d’ailleurs, il y a même un truc entre pixel artists, où en gros, si tu ne fais pas du pixel aux bons ratios, tu ne fais pas partie de la bonne caste, en quelque sorte. Le pixel art en vidéo, c’est un peu considéré comme du blasphème. Cela grésille un peu, y a un côté brouillon, ça fait du bruit comme sur les vieux écrans, tu vois les pixels qui bougent tout le temps.

Concept de boss sur The Last Faith
Concept de boss sur The Last Faith

Quand on bosse sur un projet comme ça, que la ressemblance à Bloodborne est assumée, tu sais que ton travail va être scruté. Est-ce que c’est quelque chose de difficile à appréhender, cette peur de faire moins bien ou différemment que le maître du genre ?

Le maître est difficilement détrônable de toute façon. Chez FromSoftware, ils réitèrent à chaque projet avec tout un panel de monstres et de boss. Ils les ajoutent à chaque fois dans leurs nouveaux jeux parce qu’ils partagent les animations, les modèles. À chaque fois, ils font un peu le même jeu en grandissant un petit peu leur univers, en grandissant leur bestiaire.

Tu ne peux pas avoir un bestiaire de 100 boss comme ça du jour au lendemain, même si tu commences un jeu, vu le temps que ça prend de créer un boss, eux ça fait peut-être quinze ans qu’ils font des bestiaires à gogo. Donc là, sur The Last Faith, l’idée c’est de garder le scope indie, c’est vraiment un jeu indépendant parce qu’il y avait peut-être moins de dix personnes qui travaillaient sur le jeu. En général dans ces petites boîtes, des petites structures comme ça, c’est très spécialisé et chacun fait plusieurs choses en même temps. Là, je faisais la modélisation, le rig et l’animation sur le même truc, donc c’est très polyvalent. Pour ce qui est de la pression, je ne me la mets pas trop puisque je me dis qu’on va se faire plaisir, qu’on va faire un truc qui nous plaît. En général, quand tu prends des références que t’aimes bien, tu sais que tu vas te faire plaisir.

Le truc avec les animations de pixel art c’est qu’on avait le droit de faire peut-être moins de 5 ou 6 animations pour un boss. Ça a l’air ridicule, mais avec ça t’es censé faire une espèce de combat avec un comportement de boss qui essaie de t’attraper de loin, de près, il peut se tourner, il peut sauter…

Rien qu’avec ça, tu dois donner assez d’intention pour que ça ressemble à quelque chose. Alors que dans des gros jeux AAA, le boss fight va avoir des centaines d’animations juste pour se déplacer et pour attaquer. C’est vraiment pas du tout le même scope entre ces jeux indés et ces gros jeux. Je ne me suis même pas posé la question de savoir si j’allais faire à peu près l’équivalent d’un Bloodborne ou d’un Elden Ring, ce sont plus des références. Pour moi, ces jeux existent et on est à côté et tout le monde coexiste. Tout le monde s’inspire de tout le monde et cela crée des mélanges qui parfois donnent des trucs très cools.

Concept d'animation sur The Last Faith
Concept d’animation sur The Last Faith

Pour finir, on est obligé de revenir sur ton projet le plus récent, No Rest For The Wicked. Pour le resituer, c’est sorti en accès anticipé le 18 avril. C’est le nouveau jeu de Moon Studios, les créateurs de Ori. C’est un jeu qui emprunte à la fois des éléments de Souls-like, de jeux de survie, de Diablo-like également. Un jeu qui ambitionne de faire évoluer la formule Action-RPG.

Comment s’est passée la sortie de l’Accès Anticipé pour vous ? Est-ce que ça évolue bien ? Comment ont été vécus les retours des joueurs ?

Cela s’est bien passé je pense et cela nous a permis de respirer un bon coup en livrant le jeu aux joueurs. On a eu un pic de 30 000 joueurs en simultané dans les jours qui ont suivi la sortie. Quand il y a beaucoup de retours, forcément il y a son lot de reviews négatives, ce qui arrive toujours avec les Early Access. Heureusement, il y a eu plein de petits patchs pour améliorer le jeu, pour que les gens aient de meilleurs retours, qu’ils soient plus satisfaits. C’est vrai que c’est toujours un peu dur d’avoir cette douche froide des joueurs. Mais c’est un Early Access, donc forcément, on sait qu’il y aura des problèmes.

Dans l’ensemble, on était très contents parce que c’est vraiment un grand moment pour Moon. Je pense que ça faisait six ans qu’il était en développement. Pour certains membres de l’équipe qui étaient là depuis très, très longtemps, ça doit être un grand moment. Moi, j’étais là depuis un an et deux mois. Je suis vraiment arrivé en fin de production, même si la production continue là encore et toujours. Je pense que tout le monde est content et soulagé de sortir le titre et de voir tout l’aspect positif du jeu, que tout le monde aime les combats.

J’ai fait pas mal de ce qu’on appelle les attaques de runes. Ce sont les attaques spéciales que l’on peut installer sur son arme. J’en ai fait une cinquantaine, je crois, en un an, et beaucoup d’animations de combos sur les armes aussi. Beaucoup de boss fights bien sûr. Moon n’est pas une très grosse structure, c’est 80 personnes, ils ne font pas partie des plus gros studios, ce qui implique que beaucoup de gens sont très occupés sur pas mal d’aspects différents du jeu. Du coup, quand je travaille sur un aspect et que j’attends que quelqu’un puisse intégrer l’animation, rajouter des effets de sons ou des effets spéciaux, je passe sur autre chose en général. Tout s’enchaîne vraiment très vite. Ces derniers mois, j’ai été impressionné de voir la force qu’ils ont chez Moon. Je pense que c’est aussi parce qu’ils ont beaucoup de seniors dans l’équipe, des gens qui ont 15-20 ans d’expérience dans le jeu vidéo. Ce sont vraiment des experts dans leur domaine, que ce soit les mecs des effets spéciaux, les programmeurs ou les animateurs de cinématiques aussi. C’est vraiment incroyable. J’ai une équipe d’animation qui est vraiment folle.

Je travaille avec l’ancien Lead Animator de Guerilla, qui a fait tous les Horizon pendant 12 ans. On travaille ensemble tous les jours. J’ai aussi un autre Game Animator qui s’appelle Brendan Body. Avant, il était plutôt dans l’animation de films d’effets spéciaux comme Pacific Rim ou Harry Potter. Il a fait plein de films comme ça pendant 20 ans, maintenant il fait du jeu vidéo avec nous. Donc c’est vrai que travailler avec des gens qui ont une telle expertise sur le sujet, que ce soit pour l’animation, mais aussi pour le jeu vidéo, c’est un plaisir.

No Rest for the Wicked a lancé son accès anticipé en Avril, sa version finale sortira courant 2025
No Rest for the Wicked a lancé son accès anticipé en Avril, sa version finale sortira courant 2025

Le jeu a quand même été unanimement reconnu pour sa DA, pour ses animations très claires et d’une grande qualité. Des choses en particulier qui t’ont inspiré pour l’animation de No Rest ?

Quand je suis arrivé sur le projet, j’ai été bluffé parce que ça faisait déjà cinq ans qu’ils développaient le jeu. Quand j’ai fait l’entretien avec le Lead Animator, il m’a montré le jeu, les animations, le bestiaire et j’ai été bluffé par la qualité des animations. Je me suis dit ok, on va faire des animations en keyframe, ce n’est pas de la motion capture, ce ne sont pas des mouvements enregistrés par un cascadeur ou un acteur, tout est fait à la main.

C’est vraiment un truc que Moon a envie de communiquer, que tout est fait à la main, tout est très porté par l’équipe artistique. Je ne veux pas dire qu’il n’y a rien d’automatisé, mais en tout cas rien n’est fait sans la patte d’un humain. C’est vraiment le truc qu’on a envie de pousser au maximum. Les cinématiques, elles sont toutes faites par des animateurs qui viennent de Disney, de Sony ou d’Arkane. Ça se voit d’ailleurs dans le jeu quand on lance les cinématiques. Pareil pour les éclairages, la mise en scène. Tout est super polish. Ce qui m’a vachement inspiré, c’est de voir le travail qui a été accompli avant mon arrivée. Je me dis, maintenant je vais prendre le relais et essayer de suivre un peu la même direction artistique. Après, j’ai toujours en tête ces références que j’aime. À chaque fois, je ramène mes références de FromSoftware quand je suis dans mes réunions avec les animateurs de Moon, je leur dis « Regardez dans Bloodborne, ils ont fait comme ça. C’est comme ça qu’ils construisent un set d’animation »

Il y a beaucoup de personnalité dans les projets de FromSoftware et c’est un truc que j’essaye de garder en tête. Il y a des gens qui essaient de pousser l’industrie vers le haut, dont tu peux t’inspirer pour essayer de changer ça avec eux.

J’en parlais dans ma review sur l’accès anticipé, j’ai trouvé les animations absolument magnifiques, mais d’un autre côté je les ai parfois trouvées un peu répétitives d’un ennemi à l’autre ou d’un boss à l’autre. Je me doute bien qu’on ne puisse pas non plus créer mille animations par ennemi, néanmoins est-ce qu’il y a des leviers sur lesquels on peut jouer pour faire en sorte que le joueur n’ait pas l’impression que chaque ennemi serve à chaque fois la même animation, le même pattern ?

Oui, c’est un truc que j’ai aussi relevé en y jouant. Mais oui, quand tu fais un jeu, tu dois penser à la production et combien tu peux te permettre de donner pour une animation, parce que tu dois aussi en créer d’autres et créer un bestiaire et tout ça se construit au fur et à mesure. Si un ennemi fait tout le temps la même chose, ça peut être bien d’un point de vue game design, parce que si tel ennemi a tout le temps cette façon de bouger, tu le reconnais quand ça arrive, mais ça peut avoir ses limites.

Exserv (créateur de contenus sur Youtube) a indiqué dans sa review que le boss des égouts faisait tout le temps la même chose, en gros tu peux jouer sur sa RNG pour qu’il fasse tout le temps le même mouvement. C’est hyper intéressant comme retour parce qu’effectivement, ça rend le combat complètement chiant. En tant que joueur, tu te dis que si tu fais ça, tu vas gagner facilement. Tu trouves un peu un défaut dans le combat, dans la mécanique, la logique de construction. Après, c’est au combat designer de Moon de chercher un moyen de casser ce comportement mécanique.

C’est un peu un entre-deux, un travail d’équilibrage, pour savoir à quel moment tu penses que c’est trop facile ou trop mécanique et donner un peu plus d’organique dans le combat et plus de complexité aussi. L’Early Access est là pour ça et faire en sorte que le jeu évolue dans le bon sens.

On vous souhaite en tout cas toute la réussite possible dans les mois qui viennent, on suivra ça avec attention évidemment. C’est la fin de cette interview, merci Arthur pour le temps que tu m’as accordé et d’avoir partagé tout ça aujourd’hui, j’espère que tu as passé un bon moment ?

Merci à toi, c’était très sympa de partager ces petites coulisses du jeu vidéo, merci pour tout et à bientôt.

No Rest for the Wicked continue sa route et son accès anticipé depuis un peu plus d’un mois maintenant et à l’heure où j’écris ces lignes, un premier patch majeur devrait pointer le bout de son nez. J’espère que cet article vous aura permis de découvrir le métier de Game Animator, en plus de vous avoir donné envie de découvrir les projets récents ou futurs d’Arthur Munoz.

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