Game’n Breakfast : Blibloop & Doot
Bienvenue à toi dans ce deuxième épisode de Game’n’Breakfast( premier épisode ici) . Aujourd’hui, on s’attable avec Dorian (qui se fait aussi le porte-parole de Doriane), tout jeune développeur indépendant au parcours atypique. Il possède sans conteste une certaine sensibilité qui se traduit par son appétence pour les cosy games. Je l’ai découvert grâce à son jeu Minami Lane, qu’il m’aura, d’ailleurs, fourni gracieusement. L’interview s’est déroulé peu après la sortie du jeu, Doot (le pseudo de Dorian) était dans le rush du lancement et dans la surprise d’un succès inattendu. Ce n’est que son deuxième jeu en tant que dev indé et déjà, il se pose la question de la création d’un studio. Blibloop (Doriane) est même arrivée à saturation des sollicitations, il est temps, pour elle, de se concentrer sur les choses importantes, elle n’est donc pas présente et on ne peut pas lui en vouloir. Voici donc mon échange avec Dorian qui a conçu avec Doriane, si ça c’est pas un signe, un jeu beaucoup trop cute.

Big Bro’
Doot est dev indé depuis un an. Mais avant ça, il accumule les cordes à son arc. Il fait des études de statistiques, précédées par une prépa puis de l’architecture et enfin l’université pour les stats. Une fois le diplôme en poche, il est l’heure du premier choix professionnel : finance, assurance ou banque ? La décision est sans appel, rien de tout ça. Il se remémore ce stage, en L3, dans le milieu bancaire qu’il a détesté, parfois même à en pleurer en rentrant. La conclusion de cette mauvaise expérience est que ce domaine n’est pas pour lui. Mais Dorian fonctionne comme ça, en portes fermées, donc rien d’étonnant au final. Il aime les statistiques et les maths, ça c’est sûr, mais il vise un autre domaine, le jeu vidéo, surprise ! En sortant de la fac, il se met en tête de chercher un job grâce à un outil imparable, j’ai nommé France Trav… Google ! Il tombe sur l’offre d’une start-up qui fait de l’analyse de données pour des petits studios de JV. C’est ce qu’on appelle de la Data Science qui consiste à récupérer les données de tracking des joueurs/joueuses, si, si tu as signé les conditions générales, des applications mobiles dans ce cas-là. Le but est de proposer des modèles prédictifs sur la durée de l’intérêt des “clients”. A ce moment-là, c’est le nerf de la guerre. La start-up a l’idée de pousser le concept encore plus loin. Pour faire simple, ils veulent développer une sorte d’IA qui adapte le jeu en fonction du joueur pour l’inciter à rester. En gros, t’aimes les blocs rouges, tiens mange des blocs rouges. Le hic, c’est que les game designers ne sont pas chaud à ce qu’on touche à leur boulot, alors une IA… Avec le recul, Doot, maintenant designer, avoue que, au-delà du côté marrant du projet, ça risque de nuire à l’expérience de jeu. Dans cette toute petite boîte, il ressent un peu le syndrome de l’imposteur. Au bout d’environ un an, il décide de poser sa démission.
Il retrouve un boulot dans le même domaine, mais cette fois-ci dans le secteur de la grande distribution. Et là, le credo n’est pas le même, peu importe le produit tant que l’argent rentre. Mais au final, la fonction est la même : récupérer les données des clients, ici via le panier d’achat. Le connaisseur préconise d’ailleurs : “n’ayez jamais de carte de fidélité parce que ça sert, globalement, à pomper les données personnelles”. Proposer la bonne promotion au bon moment, 10% de réduc ou 10€ offerts pour 50€ d’achat, voilà le but. Cette fois, c’est carte blanche, tout peut-être essayé tant que le bilan financier est excédentaire. Le boulot titille l’éthique de Dorian, mais d’un point de vue analyse pure, c’est très intéressant. Un domaine de plus qui n’est pas le sien, démission again ! Retour dans le jeu vidéo dans une petite entreprise française, Ubisoft. Pendant trois ans, c’est encore de la data science, mais cette fois pour comprendre ce qui intéresse les gamers. Ici, l’analyse sert davantage à orienter les équipes créatives. La matière première est issue des réseaux sociaux, des questionnaires et des jeux eux-mêmes pour voir ce qui plaît ou non, dès le début d’un nouveau projet.
Dès le lycée, il a envie de faire des jeux vidéo, mais la rengaine est toujours la même, le JV n’est pas un vrai métier. En plus de ça, il y a encore peu de temps, ce n’était pas aussi facile d’accès. L’arrivée des tutos et des logiciels open sources a révolutionné le milieu. Dorian est satisfait de son parcours, car il faut avoir le dos solide pour se lancer en indépendant, surtout dans le JV. Je n’ai pas besoin de vous refaire un topo sur l’état catastrophique des emplois dans le secteur. Donc revirement de situation, Doot passe d’un milieu professionnel très porteur, dans lequel il y a du boulot à chaque coin de rue, au développement où tu dois batailler pour te faire une place. Et puis, il ne faut pas se leurrer, il est toujours plus confortable de se lancer dans un nouveau projet avec de la trésorerie en poche. L’idéal est de bien se préparer avant de se jeter dans la fosse aux lions, ça ne garantit pas le succès, mais le stuff est bien meilleur.
Ce rêve bleu
près trois ans chez Ubisoft, l’idée commence vraiment à le travailler. Ce n’est pas la boite idéale, mais il y a quand même gagné des connaissances, humaines et techniques, et affiné ce qu’il voulait faire. La période Covid passe par là, comme beaucoup, Dorian prend du recul et se dit qu’il ne veut plus continuer ainsi. Dorian ne veut pas partir sans une nouvelle corde à son arc. Retour aux études pour un an et demi, c’est la formation issue du partenariat entre les Gobelins et l’ENJMIN. Ce mastère spécialisé “designer d’expériences immersives, interactives et ludiques” n’est pas centré sur les jeux vidéo, le thème est vraiment le jeu au sens large : jeux de plateau, expériences interactives, etc. Dorian avait la possibilité entre plusieurs formations, mais c’est vraiment celle-ci qui l’a attiré, car plus courte, mais aussi moins spécialisée, comme expliqué plus haut. Le but est de s’ouvrir un maximum de possibilités pour cette nouvelle carrière.

Appel au serveur : Ecole de JV
Les écoles de jeu vidéo pullulent en France depuis plusieurs années, la liste est longue comme le bras avec des enseignements variés aussi bien en contenu qu’en qualité. La plupart sont privées, donc chères, sinon très sélectives. Je n’ai pas la prétention de pouvoir te faire une liste de celles-ci encore de t’indiquer qu’elles sont les bonnes et les moins bonnes, lesquelles ont les meilleurs contacts dans l’industrie. Avant de se lancer, il est important de se renseigner au maximum, de chercher les projets de fin d’études voir prendre contact avec d’anciens élèves. Je vais tout de même parler dans les grandes lignes des deux citées ici.
Gobelins Paris est une école publique consulaire fondée en 1963 et dépendant de la chambre de commerce et d’industrie de Paris qui propose des formations autour de l’image au sens large. Photographie, cinéma, animation, design, communication et bien sûr jeu vidéo. Tu n’es donc pas sur un établissement consacré au JV, mais pluridisciplinaire, ce qui peut être une force comme une contrainte. Les prérequis vont du bac au master et il est donc de bon ton de bien réfléchir avant de s’orienter vers un de leur cursus.
L’école nationale du jeu et des médias interactifs numériques (ENJMIN) est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche situé à Angoulême. Cette fois, tu es vraiment sur un enseignement axé sur le jeu vidéo et qui touche plusieurs branches de métiers : game design , conception sonore et graphique, management, marketing et j’en passe. Les diplômes vont de la licence au doctorat en passant par la validation des acquis. Les candidats sont nombreux, les places restreintes, mais les lauréats ont rarement du mal à se faire une place dans l’industrie.
De cette grosse année, il ressort avec des contacts qui touchent au ludique au sens large. Lui s’est plutôt axé sur la programmation d’autres sur l’artistique. Il est toujours en contact avec pas mal de membres de sa promo, toujours prête à s’entraider. En tant qu’indé, surtout en si petite équipe, tous les coups de main sont bons à prendre. La formation est courte et le programme vaste, alors la plupart des choses sont survolées, mais il y avait pas mal de mise en pratique, par exemple, le projet de fin d’année était de réaliser un dossier CNC. Le Centre National du Cinéma et de l’image animée est un établissement public sous la responsabilité du ministère de la Culture qui a pour but, entre autres, de soutenir des étapes de créations (écriture, développement, production, distribution, exploitation et exportation). Pour compléter ce dossier, il faut un prototype, un bilan prévisionnel, une ébauche marketing, un calendrier de production, etc. Mais le point important est l’alternance, car oui, en plus de ça, il faut bosser. Dorian a réalisé son stage chez Homoludens sur le jeu Blooming Business : Casino. Au programme, gestion de casino et animaux mignons, le projet n’a pas trouver son public, preuve qu’il est dur de se démarquer du reste. Une fois le diplôme en poche, c’est enfin le début de l’aventure indé !
The other one
L’autre membre du studio est Blibloop, aussi connue sous le nom de Doriane. Et oui Dorian et Doriane, nés à deux semaines d’écart, partenaires dans la vie et dans la création. Elle était dans l’analyse marketing, mais le ras-le-bol s’installa. Elle recherche un métier dans lequel les clients profitent directement de ce qu’elle produit, idéalement couplé à son envie créative. Elle dessine en amateur et en autodidacte. Pour la petite histoire, on remonte à la fameuse époque Covid, one more time, Blibloop cherchait un pin’s Zelda (Wind Waker), mais ne trouve rien. Comme on est jamais mieux servis que par soi-même, elle commence à se renseigner sur la méthode de production des pin’s. Résultat : produire un seul exemplaire, c’est un peu le bordel. Peu importe, elle se dit qu’elle va en commander plusieurs exemplaires et en donner autour d’elle. Une fois la centaine de pins en poche, elle se rend compte que ça fait beaucoup à distribuer, elle ouvre donc une boutique en ligne sans prétention. Et ça marche ! Elle design un second modèle, puis un troisième, un quatrième, un cinquième et la boutique prend de l’ampleur. Elle finit par se dire que c’est le moment de saisir l’occasion et de quitter son boulot chez Ubisoft (tiens, tiens, ce serait pas le lieu de la rencontre ? ). Elle réussit à négocier une rupture conventionnelle. Et c’est une réussite, elle réussit à vivre de ses créations. Je sais que tu es impatient alors voici la boutique : blibloop.com.
Dorian commence l’aventure de dev indé. La boutique de Doriane prend tellement d’ampleur que le côté créa se voit supplanté par l’administratif, fuck ! Et vu qu’elle veut vraiment se consacrer au dessin. Ils font des game jams ensemble (j’en dis plus sur les jams dans l’interview de IndieKlem). Être graphiste sur un jeu, c’est faire que du dessin donc logiquement l’idée de lancer un projet ensemble commence à germer. Sur le jeu qui deviendra Minami Lane, intervient aussi Zakku, ancien ingénieur. Doot et lui se sont rencontrés durant la fameuse formation aux Gobelins, il est aujourd’hui musicien, compositeur et sound designer dans le monde du JV. Il est freelance, il a d’ailleurs fait le son sur le premier jeu de Doot (on y revient plus tard).

Le grand bain
On revient un poil en arrière. Le premier jeu de Dorian s’appelle Froggy’s battle, son titre solo (enfin, on est rarement vraiment solo dans un projet). Là aussi, Blibloop l’a aidé, notamment à appréhender le dessin sur tablette graphique, elle a aussi fait deux, trois assets du jeu. Les musiques viennent d’une bibliothèque libre de droit. En fait, il pensait que le jeu ferait un flop, mais que nenni, il vend plusieurs milliers d’exemplaires qui lui permettent de faire un don au compositeur. Le but est de faire un jeu plus conséquent que les nombreuses productions de jams qu’il a fait et surtout de sortir un titre sur Steam pour se sentir légitime de se présenter comme développeur indépendant. Il voulait vraiment comprendre ce que c’est que de faire un jeu de A à Z. Dorian s’estime chanceux de ne pas rêver de grandeur, loin de lui l’envie de créer un triple AAA ou un RPG de 250 h, ce qu’il veut, c’est produire pleins de petits jeux. On ne le dira jamais assez, quand on veut se lancer dans le dev, il faut commencer petit, très petit. Les premiers jeux se cassent les dents, prennent quatre fois le temps prévu et n’ont aucune visibilité, alors autant faire dix titres rapidement pour se faire la main et montrer ce que tu peux proposer. D’autant plus, et surtout en étant solo, la motivation est très fluctuante, c’est fun au début, cool à la fin, mais entre les deux il y a souvent des moments difficiles. Dorian est plutôt dans le design par soustraction. En gros, plus le projet avance, plus il aura tendance à enlever des mécaniques et du contenu pour offrir une expérience de jeu plus pure. Et puis, il y a les moments de doute, quand tu es face à ton écran, que tu te dis que tu bosses sur un truc pourri, c’est plus facile de s’accrocher pendant un mois pour boucler que se dire qu’il reste un an. Le jour où tu veux vraiment te lancer dans quelque chose de plus conséquent, tu as l’expérience et les contacts gagnés sur les premiers projets que tu n’avais pas avant.
Dorian n’en serait sans doute pas là sans toutes les personnes qui l’ont soutenu dans la commu du gamedev et surtout sans Doriane qui a toujours été là, un soutien moral sans faille et une aide précieuse. Elle a fait le trailer de Froggy’s battle, qui au final a fait plus de 7000 ventes, bien au-dessus des prévisions. C’est un bon chiffre pour un premier jeu, mais ce n’est pas pour autant qu’il est rentable pour le moment. Si tu veux plus d’infos, il existe un post mortem de Froggy’s battle (disponible ici en anglais) dans lequel Dorian partage son ressenti sur le projet et pleins d’autres choses.
Appel au serveur : financement
Parlons un peu pognon parce qu’on se dit que 7000 copies vendues c’est la richesse, et bien non ! Je vais ici te parler rapidement des chiffres que j’ai pus trouver concernant les indépendants (pour parler financement plus largement voici un super podcast here!).
Revenons à nos piécettes. Déjà, il faut savoir que la plupart des ventes se font sur les périodes de soldes. Me regarde pas comme ça, je sais que tu achètes quand tu reçois le mail Steam. Puis les ventes se faisant à l’international, 1 Bath ne vaut pas 1 Euro (0.025 si tu veux le chiffre) et chaque pays y va de sa taxe. Ensuite, les insatisfaits (environ 10 %) se font rembourser. Au tour de Steam de se servir à hauteur de 30 %. Le développeur se fait payer en dollars donc la banque se fait plaisir en prenant une taxe de change pour les passer en Euros. Et c’est enfin à l’Etat de prendre son impôt, un peu plus de 20 % (ça dépend du statut de l’entreprise) et là ça tombe dans la poche du dév. Donc, là déjà, les 10€ (pour faciliter les calculs) tombent environ à 4 €. Enfin, il faut donner leur part aux éditeurs, prestataires, collaborateurs. Au final sur les 10 € du jeu, on termine autour des 2, 3 € sans compter matériel, facture, etc.
Je te donne juste en dessous une vidéo de Doc Géraud (interview PnT juste là) qui a fait un retour très complet sur un de ces premiers jeux.
Faire un jeu, en tout cas quand tu veux en vivre, ce n’est pas facile. L’argent ne rentre pas pendant que tu développes, mais surtout ce sont beaucoup de choses à faire. Derrière le métier, se cache tout un tas de casquettes, certaines que tu vas adorer, d’autres que tu devras faire à contre-coeur, la communication sur les réseaux par exemple. En tous cas, c’est ce que Dorian apprécie le moins, mais s’il le faut, très bien, ça représente environ 25 % d’un projet. Surtout parce que sur les RS, tu ne maîtrises rien, dieu algorithme décide de ton avenir et malheureusement, c’est la principale méthode pour faire connaître ton jeu. Un jour, ça marche, le suivant, tu es dans le vide total et tu ne sais pas pourquoi, car tu n’as rien changé.
Autre chose que Dorian vit parfois difficilement, les playtests. Il ne nie pas que c’est super important et aidant, mais malgré lui, c’est un peu la déprime. Faire essayer son jeu en phase de développement permet de s’assurer que tout avance dans le bon sens et de rectifier le cas échéant. On demande aux gens de pointer du doigt ce qui ne va pas, mais ça reste des personnes qui critique un travail dans lequel il s’investit énormément. Clairement, quand tu es sous pression, que la réalisation d’un projet de vie dépend de ce jeu, t’es un peu à fleur de peau. Et Doot le manifeste par une petite déprime post-playtest. Mais l’expérience au global est vraiment positive, c’est très cool de faire des jeux. Froggy’s Battle, c’est vraiment le brouillon, mais c’est surtout l’éclate. Dessinez des “patates”, leur faire faire n’importe quoi et créez du fun ! C’est un peu comme le gamin qui ramasse des branches pour faire une cabane dans les bois, ça ressemble à rien, ça tient à peine debout, mais c’est ta cabane. Bon, il faut avouer que Dorian et Doriane sont plutôt doués dans ce qu’il font. Et puis ce sentiment d’avoir réalisé un truc, d’avoir appris quelque chose, de gagner en savoir-faire, n’est ce pas un des meilleurs sentiments ?
Il faut se dire que faire un jeu, c’est faire beaucoup de choses et que clairement, on ne peut pas tout maîtriser. L’objectif est plutôt de toucher un peu à tout, de faire en sorte que l’ensemble tienne et qu’il soit cohérent : être moyen partout et ne rien laisser en chemin. Il faut connaître ses limites, par exemple, si faire de la 3D est un calvaire et bien, fais de la 2D. Et il y a toujours des astuces pour arriver à ce qu’on veut. Et puis, il faut s’économiser, c’est un marathon, pas un sprint. Il peut être bon de se prévoir des horaires de travail, de garder ses week-ends et quand c’est vraiment dur, de prendre des vacances. Attention à la période rush de fin de projet. Et une fois que tu arrives au bout, la grosse pause est obligatoire pour se ressourcer et pouvoir repartir avec des idées neuves pour la suite, l’esprit a besoin de s’aérer.
Et bien sûr, gagner véritablement sa vie avec le jeu vidéo, c’est très rare donc clairement le chômage est le financeur numéro 1 des dév indé en France. Donc, si tu veux pouvoir jouer à plein de pépites, vote à gauche. Dorian s’est donné deux ans pour se consacrer à 100 % à ses projets, en gardant en tête qu’à terme, il devra peut-être retrouver un boulot plus classique. Mais au moins, ce n’est pas l’argent qui le pousse pendant ces deux ans, il peut vraiment faire ce qu’il veut. Le plan est le suivant : un petit jeu, une pause pour apprendre d’autres choses, un jeu, une pause, etc.

Ramen et Osen
On arrive donc sur le second projet : Minami Lane qui fait suite à plusieurs game jam que Dorian et Doriane ont faites ensemble. Ils ont notamment fait la Ludum Dare d’octobre 2022 avec Zakku, ce qui a donné un jeu de light management en vue isométrique, on sent que quelque chose pointe le bout de son nez. Ils sont arrivés 11ème sur 1700 (et 4ème en art). Blibloop se dit que c’est peut-être le moment de se lancer dans un jeu plus important avec Doot. Mais, il sort à peine de Froggy’s battle, c’est la période de repos. Et puis, en septembre 2023, la décision est prise. Doriane veut faire un break avec sa boutique et Dorian veut commencer un nouveau jeu, ils se donnent, alors, trois mois pour pondre quelque chose. Le jeu doit être bouclé en décembre, la période de Noël étant importante pour la vente de pins. En soi, ils voulaient juste voir ce que ça pouvait donner de travailler ensemble. Dorian est dans une sorte de panne créative, ça tombe bien, c’est le domaine de Doriane, même si les décisions se prennent à deux. On va dire que c’est elle qui donne l’impulsion et ils finalisent à deux. Blibloop lance l’idée du jeu de gestion et le duo choisit une ambiance cozy (c’est leur truc, les jeux chill). Doriane voulait s’entraîner sur l’isométrique donc ce sera la DA du jeu.
Le souvenir exact est difficile à retrouver, mais dans l’idée, beaucoup de discussions et d’échanges d’idées. Le schéma est le suivant, Doriane lance une idée et Dorian réfléchit à comment épurer et encore épurer, de plus en plus petit. Puis c’est le déclic, après deux heures à réfléchir comment réduire la gestion d’un village, ce sera de la gestion de rue. Ça colle parfaitement avec la 2D isométrique, pas forcément besoin de tourner dans une rue. Et puis, si tu ajoutes l’ambiance japonaise, l’image vient directement en tête. La petite rue cozy du japon, ça parle à beaucoup de monde. So, let’s go ! Et pour la musique, c’est une évidence, Zakku sera de la partie, il fait deux morceaux de musique pour le jeu. Le budget musique était restreint donc, ce sera d’abord 500 €, puis au final 700 € (les modifs de dernière minute), donc il y a des concessions de faites. L’un des deux morceaux est une reprise d’une musique composée pour la jam. Même musique, même équipe, quand je disais que cette jam annonçait un truc. Le second morceau a été proposé à un autre studio qui ne l’a pas retenu, il a été entièrement retravaillé pour Minami Lane. Faire du neuf avec du vieux, d’où les tarifs plus que raisonnables. La musique dans le JV est aussi un domaine dans lequel pas mal de gens veulent percer, au point que Doot a reçu des propositions de travail non rémunéré. Mais clairement, il ne veut pas faire travailler les gens sans les payer. Et puis Zakku, c’est un pote, c’est toujours bien de faire bosser les potes, surtout quand ils bossent aussi bien. On notera, en plus, les différentes variations de la musique en fonction de ce qui se passe à l’écran, vraiment cool.
Une fois le concept défini, que le développement avance, arrive le moment des playtests. Et comme vu plus haut, Dorian ne le vit pas forcément bien sur le moment, mais il apprécie tout de même d’avoir des retours pour améliorer le jeu. Le game design, c’est un peu l’art de faire des hypothèses et ensuite les testeurs permettent de savoir si tu vas dans la bonne direction et que tu fais un bon jeu. Il faut bien sûr prendre le temps d’analyser tout ça, parce que bien sûr, l’avis dépend de la personne et que tous les changements mis en avant ne sont pas toujours bons à prendre. Ce qu’ils ont fait c’est un mois de pré-prod, playtest, un mois et demi de prod, playtest, encore un mois de prod, Steam Next Fest (playtest grandeur nature), puis 2 semaines de finalisation et sortie du jeu. Dorian trouve que ce rythme marche bien, les playtests leur permettent de décider de la suite du projet. Il va sans doute le reproduire pour les prochains jeux. Les tests sont un peu des checkpoints pour faire un état des lieux et ne pas s’attarder sur des trucs qui ne fonctionnent pas. Pour dire, au début, il y avait une mécanique de roguelike sur la sélection des bâtiments, sans mission, ce sont les playtests qui ont permis d’arriver au jeu actuel.
A ce moment-là, ils partent sur une estimation de mille ventes. Ils font leur max, mais savent très bien qu’arriver à toucher du monde, c’est pas si facile. En décembre 2023, un peu de hype se crée autour du projet, des créateurs de contenu commencent à parler du jeu. Les posts sur les réseaux commencent à accumuler les likes, merci la direction artistique de Doriane. Les premières vidéos de gameplay sortent, la presse japonaise et thaïlandaise boost la page Steam, les wishlists commencent à prendre de l’ampleur. Puis Gamergirlgale, influenceuse cosy gaming, repartage une vidéo de Minami lane, et hop, encore des wishlists.
Et cerise sur le gâteau, quelques jours plus tard, c’est Wholesome Games qui les contacte. C’est un peu une référence dans le milieu du jeu cosy. Matthew, le fondateur, leur dit qu’il aimerait bien partager une vidéo du jeu sur leur site. Dorian prépare donc un trailer pour la communication du jeu. Matthew leur propose davantage d’aide surtout sur le marketing. Dorian et Doriane avaient déjà été contactés par des éditeurs mais pas toujours très clean et surtout, ils tiennent à leur indépendance. Ils étaient donc méfiants, mais après de longues discussions, un accord est trouvé. Le deal ? En échange d’un petit pourcentage des revenus (petit, car ce n’est pas un éditeur) Wholesome gère le marketing, le contact des créateurs de contenu et le conseil sur la page Steam. Et là, c’est l’explosion des wishlists (environ 48 000) et c’est le nerf de la guerre ! A ce moment-là, on est peu de temps après la sortie, donc trop tôt pour avoir un retour complet. Mais quelque temps plus tard, Dorian, fidèle à lui-même, sort un post-mortem, que tu trouveras ici pour connaître la fin de l’histoire complète. Mais pour spoiler, ils sont plus que satisfait de l’aventure et c’est l’heure de la pause avant de relancer un projet (c’est faux ! Au moment où j’écris ces lignes Doot bosse sur la localisation du jeu).
Connecting…
Comme d’habitude, pour conclure la rencontre, je pose la question : si tu devais citer un jeu qui t’as marqué, lequel ce serait ? Et là, aucune hésitation, c’est Kind Words qui est cité. Le second opus est en cours de dev. C’est plus une expérience qu’un jeu, selon les dires de Dorian. Le concept est basé sur l’envoi de lettres, tu en reçois et tu en envoies, sur fond de musique Lo-Fi et esthétique cosy. Le contenu de ces courriers est réconfortant et bienveillant, tout simplement, des good vibes. Ce sont des sensations que Doot essaie de retranscrire dans ces créations et c’est une franche réussite dans Minani Lane. Il aime toutes ces notions positives comme l’entraide. Le bon représentant est Journey, dans lequel toutes les interactions entre joueurs ne peuvent être que positives et on vit un voyage incroyable avec des inconnus dans un environnement sublime. De plus, il est impossible de communiquer, impossible d’être méchant, le jeu te pousse à la gentillesse pour créer un “lien”. Dans Kind Words, c’est tout l’inverse la liberté d’expression est totale, mais l’ambiance te met dans un mood où tu n’as pas envie d’être désagréable. Dorian a même rencontré le développeur du jeu, Popcannibal, qui lui a confié que son inspiration est la Lo-Fi girl sur youtube (d’ailleurs le design initial vient de la ville de Lyon). Dans la communauté de cette chaîne, les commentaires sont tous bienveillants, les thématiques graves sont abordées, mais les gens sont dans le soutien continu. Le développeur a essayé, avec succès, de reproduire cette ambiance et c’est une leçon de game design pour Dorian. Dans l’idée, on peut aussi citer Spirit Farer, dont le thème principal est la mort, mais l’ambiance est tellement safe que l’on s’en saisit d’une tout autre manière.
This is the End
On arrive à la fin de l’entretien et on a exploré tout un panel d’émotions avec Dorian. Et, je pense que c’est pour ça qu’on aime le jeu vidéo, c’est un média qui arrive à nous faire ressentir tout un nuancier de choses de bien des manières : le gameplay, la narration, l’ambiance. Bon nombre de joueurs sont friands de ces sentiments, de cette immersion 2.0, au-delà de mouvoir ton personnage, c’est un vrai partage d’émotions. J’espère que ce nouvel épisode t’aura plu, que la découverte de Dorian et Doriane, de leur vision du jeu indépendant, t’en aura appris davantage sur ce monde trop méconnu. De notre côté, on se retrouve bientôt pour le numéro 3 qui aborde un autre aspect du JV toujours sur Point’n Think.
Jouez bien, jouez fun, jouez Indé.
Doot : https://twitter.com/doot_dodo
Blibloop : https://twitter.com/blibloop
Minami Lane : https://store.steampowered.com/app/2678990/Minami_Lane/