Final Fantasy VII : le véritable ennemi, c’est nous
Tout commence et tout finit
Scène d’ouverture. Une jeune femme observe des éléments anciens sur le mur, elle tient un panier de fleurs. La caméra s’éloigne, nous permettant de constater qu’elle est dans une rue bondée, où circulent voitures et autres véhicules. Plus la vue s’élargit, plus nous pouvons constater que nous sommes dans une ville gigantesque, tentaculaire, faite de tuyaux, de bâtiments et d’une tour centrale d’où s’échappent des fumées vertes et blanches. Vous l’aurez probablement reconnu : nous sommes dans la cinématique d’ouverture de Final Fantasy VII, en 1997.
Le titre s’affiche à l’écran, avec la cité en fond, nous permettant de nous imprégner de cette architecture circulaire. Une forme qui va revenir à de nombreux moments, évoquant tantôt le cycle qui se poursuit, le cercle que l’on brise pour s’extraire d’un paradigme, le danger venu du ciel.
La suite de cette première cinématique vient d’ores et déjà rompre l’équilibre. La fréquence des images, passant d’une vue quasi fixe puis redescendant doucement vers la ville à un train qui roule frénétiquement, en gros plans sur ses roues et les mécanismes qui le dirigent, rompt le rythme préétabli. Que la première image de ce train un gros plan sur ses roues en mouvement, élément rond faisant écho à la forme de la cité, n’est pas anodin, bien au contraire. La seconde image, l’avant du train éclairant vers la gauche, est loin d’être mise là par hasard : en composition artistique, dans la bande dessinée, le cinéma, tous les arts visuels, regarder vers la gauche peut être interprété comme un regard vers le passé. Ce train, élément technologique s’il en est, représentant autant l’avancée technique que la pollution et la destruction de la nature par ses moyens de combustion, avance, dès les premières minutes de jeu, vers le passé. Il représente ce que le jeu va petit à petit nous distiller à force d’images fortes et de combats, à force de symbolique plus ou moins subtile et d’un propos fort sur l’écologie et la préservation de la planète. Ce train, c’est la fin d’un monde qui s’ignore encore et qui fonce vers un passé désormais révolu. C’est aussi un thème récurrent dans l’ensemble du jeu, Barret y faisant référence à de nombreuses reprises, filant la métaphore du train comme de la persévérance, de l’engagement qu’il a vis-à-vis de la planète et de ses amis.
Le fait que les images de ce train se superposent à celles de la ville est aussi lourd de sens : d’une certaine façon, cet enchaînement fait le lien entre les deux éléments, d’autant que l’image avance vers la tour centrale avant de dévier de sa route et de plonger vers un quartier situé juste derrière. Choisir de faire passer la caméra devant la tour Mako, devant ce qu’elle ne représente pas encore (mais que vous comprendrez après quelques minutes de jeux) vous donnent déjà énormément d’éléments sur ce qu’il va se passer, sur les enjeux de Final Fantasy VII, sur la construction tant de son propos que de ses personnages.
Nous passerons sur l’inscription du train, ce “ムカ百式九” qui semble évoquer la marque ou la localisation du véhicule. Car l’image n’est que très rapide, pour ensuite plonger dans le quartier où va se dérouler notre histoire, sur le quai de ce même train fraîchement arrivé. La première chose que l’on remarque, sur ce quai, ce sont les deux silhouettes en manteau rouge qui jure avec le reste du décor. Le contraste vient d’un environnement aux teintes de vert sombre, de gris et de marron, par rapport à ces deux silhouettes rouges. Ce sont d’ailleurs leurs vêtements que l’on voit en premier, avant même de distinguer l’arme qu’ils ont au côté, grise, qui se fond presque dans le reste du décor. Plusieurs personnages sortent du train, mettent hors d’état de nuire les gardes avant de fuir le quai.
Nous n’allons pas continuer à analyser l’intégralité des cinématiques du jeu, encore qu’il y aurait énormément à dire. On pourrait, par exemple, évoquer les différences colorimétriques du groupe Avalanche lors de sa première apparition : des teintes saturées, des éléments visuels qui tranchent avec le reste du décors ou des personnages présents.
Ce qui apparaît ici, c’est la présence de l’intégralité des éléments nécessaire à la compréhension de son intrigue. La cinématique s’ouvre sur Aerith (même si on ignore encore son nom) et son côté décalé par rapport à ce qui l’entoure : avec son panier de fleurs et son intérêt pour une ancienne fresque, elle représente ici la nature. L’enchaînement des plans, vue de face, puis en contre-plongée de façon à ce que la caméra “se fasse rouler dessus” par les voitures, puis en plongé pour prolonger l’effet d’écrasement dans l’immensité de la cité vise à étouffer lea spectateurice, à lui faire ressentir la dominance de la ville, de la technologie qu’elle représente. Le rappel de la couleur rouge, que ce soit pour la robe d’Aerith ou pour la combinaison des gardes, a une connotation forte : au Japon, le rouge est une couleur importante, représentant le sacré (et donc ici le glissement entre la nature sacrée et la technologie qui le devient), mais aussi le sacrifice de soi (Aerith, en rouge, annonce-t-elle d’autres événements ?). Dans un registre beaucoup plus terre-à-terre, la réapparition du rouge en fin de cinématique nous rappelle aussi la présence de cette femme que l’on a vu au tout début et que l’importance et la longueur des images sur la ville et le train nous a presque fait oublier.
Pendant ce temps, dans un autre monde…
1997 est une année étrange. Une année où s’entrechoque deux événements dans deux milieux en apparence opposés, mais qui résonnent l’un par rapport à l’autre. En janvier d’abord, avec la sortie de Final Fantasy VII. Et en décembre de la même année, à Kyoto, avec la COP3 (que l’on connaît aujourd’hui comme étant la COP21), étape importante qui voit la signature du Protocole de Kyoto visant à réduire, entre 2008 et 2012, d’au moins 5% par rapport au niveau des années 1990 les émissions de six gaz à effet de serre. Si l’on sait que le projet de Final Fantasy VII a débuté dès 1994, il est intéressant de noter la résonance de ces deux événements, la même année, sur des sujets qui se font échos.
Bien entendu, on pourrait penser qu’il ne s’agit que de coïncidences. 1995, un an après le début du projet FF7, un rapport sur le réchauffement climatique entraîne la tenue du sommet et la création du Protocole. Ce document précise que “l’étude des preuves suggère une influence détectable de l’activité humaine sur le climat planétaire”. Mais bien qu’il s’agisse en partie de coïncidence, cela reste révélateur d’une préoccupation globale : celle d’une planète qui suffoque, que l’on étouffe d’activités humaines, que l’on use jusqu’à sa substantifique moelle. Celle de notre Terre, pas spécifiquement de Midgard.
On pourrait en effet voir des coïncidences partout. Mais cette préoccupation, bien réelle, commence à émerger dans les esprits de tous : le réchauffement et la crise climatique sont bien présents, les scientifiques alertent, montrent, tentent de trouver des solutions. Malgré la signature du Protocole de Kyoto, ils sont souvent peu écoutés dans les médias, ou alors l’impact de leur parole est amoindri par d’autres nouvelles, des temps de parole discutables, etc. Dans cette optique, n’est-il pas logique de jouer, le temps d’une aventure, des éco-terroristes assumés qui ne veulent qu’une chose : libérer la planète de l’emprise de l’humain, lui permettre de respirer de nouveau, de vivre en harmonie ?
AVALANCHE et Gaïa
Final Fantasy VII, c’est bien entendu l’histoire de Cloud, mais aussi et surtout celle d’AVALANCHE, un groupe présenté comme étant des résistants, des protecteurs de la planète, voulant détruire la Shinra, entreprise responsable de l’exploitation de l’énergie Mako, énergie vitale de la planète. Dans un premier temps, le jeu vous raconte une histoire : celle d’une société étouffée par une technologie utilisée dans des optiques injustes, mettant sur la sellette les plus pauvres, entraînant des disparités sociales et financières. Comme souvent dans des contextes de dystopie, les protagonistes sont ceux qui vont résister, se battre, tenter de fuir ou de changer le modèle en place pour plus d’équité. Ici, en plus de la révolte de classe, il existe une strate supplémentaire, directement visible et plus importante que toutes les démarches révolutionnaires engagées : sauver la planète.
Et cela est visible dès la toute première seconde de jeu : vous débarquez sur un quai de chargement gardé, avec pour optique de détruire/arrêter/neutraliser une centrale à mako. Rien que le terme de “centrale” est lourd de sens : aucun doute possible, le lien avec d’autres types de centrales, bien “terrienne” n’est pas à faire car il est dans l’esprit de tous. Les mentions suivantes font elles aussi échos : l’énergie mako qui est en fait l’énergie des morts, les mentions du fleuve de la vie…
Le jeu fait le parallèle entre la nature et la technologie, l’asservissement et l’exploitation de la planète qui, elle, est vivante et sans défense. Cela fait d’ailleurs échos à une véritable théorie, l’hypothèse Gaïa, par le climatologue James Lovelock, publiée en 1979 dans La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa. L’hypothèse, controversée et largement discutée, explicite que la planète serait une sorte de super-organisme vivant (nommé Gaïa en lien avec la déesse grecque personnifiant la Terre). S’il serait long d’expliciter l’hypothèse Gaïa et ce qu’elle implique pour la Terre, elle a été présentée et représentée dans de nombreux objets culturels suite à sa publication, dont Final Fantasy VII. Dans le jeu, le cycle des vies, la personnification de la planète comme un organisme complexe souffrant de l’exploitation de la Shinra et autres thèmes récurrents au jeu sont directement en lien avec l’hypothèse Gaïa. Et Final Fantasy VII est loin d’être le seul, puisque dans les impacts culturels de la théorie on compte aussi bien des romans d’Asimov que de Scott Card, des films de Shyamalan ou James Cameron.
Faut-il se battre pour sauver la planète ? Pour se sauver ?
Par bien des aspects, Final Fantasy VII interroge : faut-il se battre, adopter des techniques proche de la guérilla urbaine, jouer des (éco)terroristes pour sensibiliser les joueurs ? Est-il “politiquement correct” de mettre en avant des profils révolutionnaires pour sensibiliser au sort de la planète ? Si Final Fantasy VII interroge par certains côtés, par d’autres, le propos est clair : jouez, explorez, questionnez-vous. Parce qu’au fond, nous ne jouons pas Barret, le chef révolutionnaire d’AVALANCHE. Nous incarnons, en premier lieu, Cloud, un ex-SOLDAT devenu mercenaire, qui découvre, lui aussi d’une certaine façon, ce qui se trame derrière les agissements de ses anciens employeurs. Le choix de déporter le regard, de donner au joueureuse le rôle de “découvreur” de certains événements, de lui donner la possibilité de s’insurger face à son écran est beaucoup plus révélateur et efficace que de lui proposer d’incarner un protagoniste déjà convaincue de son combat.
Nous en revenons à ce que nous évoquions sur les révolutions dans le jeu vidéo : faire découvrir et proposer, laisser lea joueureuse décider de ce qu’iel envisage pour l’avenir et peut-être lea pousser à une réflexion qui s’étend au-delà des frontières de son écran. Nous l’avons vu au début de cet article : même la mise en scène fait état de cet écrasement technologique, de cette oppression. Les images, sans forcément que ce soit explicité avec du texte, nous donnent ces impressions diffuses mais bien présentes que quelque chose ne tourne pas rond. Le texte, l’imagerie d’AVALANCHE, vient ensuite nous le confirmer.
Mais a-t-on seulement le recul nécessaire pour analyser la pertinence du propos du jeu ? La réponse est simple : bien sûr. Parce que le propos est plus que jamais d’actualité en 2020 lors de la sortie de Final Fantasy VII Remake, qu’aujourd’hui encore, les rapports du GIEC sont alarmants, que leur parole n’est pas entendu, que les gouvernements stagnes ou peinent à prendre les décisions qui s’imposent. Si l’hypothèse Gaïa, elle, est largement discutée et contestée par la communauté scientifique, le résultat est malheureusement le même : nous étouffons, nous cuisons à petit feu du réchauffement climatique. Les journaux se font même l’écho de cette ironie : VICE titre, en 2019, “L’ironie écolo de Final Fantasy VII tient toujours en 2019” ; Usbek & Rica, en avril 2020, “Éco-terrorisme, manipulation génétique : retour sur Final Fantasy 7” ; en avril 2019, Le Monde demande “Les jeux vidéo peuvent-il sensibiliser à la cause écologique ?” en prenant pour exemple FF7 ; et ce n’est qu’un échantillon.
Preuve que le jeu et son propos ont durablement marqué, au-delà de réactiver les débats à la faveur de la sortie du remake.
Et maintenant ?
Final Fantasy VII fait partie de ces titres cultes, que l’on connaît pour y avoir joué, pour avoir peut-être vu les films, lu les romans, ou simplement que l’on a découvert en discutant, ici et là, d’écologie, de jeux vidéo, de titres qui ont marqué. C’est peut-être pour ce statut un peu particulier de “jeu culte” que son propos est autant important. Mais c’est surtout grâce à son écriture, aux différents pas de côté que le jeu nous pousse à faire et fait lui-même, dans l’imagerie qu’il déploie ou simplement dans l’utilisation subtile de références visuelles qu’il tire tout son impact.
Aujourd’hui sans doute plus encore, la représentation d’un groupe d’éco-terroristes que l’on ne diabolise pas, que l’on suit tout du long, que l’on accompagne et dont on souhaite, en temps que joueureuse, la réussite, est important : cela permet de questionner et de faire réfléchir.
Après tout… « Quelqu’un doit protéger cet enfant, cette planète. » (Cid)
Sources
- Horizons Climatiques – Rencontre avec 9 scientifiques du GIEC, d’Iris-Amata Dion et Xavier Henrion chez Glénat
- Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_Ga%C3%AFa
- VICE : https://www.vice.com/fr/article/9kx557/lecologisme-provocateur-de-final-fantasy-vii-sonne-mieux-que-jamais-en-2019
- Le Monde : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/04/01/les-jeux-video-peuvent-il-sensibiliser-a-la-cause-ecologique_5444352_4408996.html