Elise Rochefort : Senior Level Artist chez Larian Studios
Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Elise Rochefort, Senior Level Artist chez Larian Studio, pour un entretien exclusif. Depuis ses débuts pionniers dans les années 2000 à Québec, jusqu’à son rôle actuel dans la création de niveaux pour le très acclamé Baldur’s Gate 3, son parcours est une véritable source d’inspiration. Lors de cet entretien, Elise partage avec nous son cheminement professionnel, ses premiers pas dans l’univers des jeux vidéo après une formation en beaux-arts, et ses réflexions sur l’évolution de son métier. Elle nous raconte également les défis et les satisfactions de son travail chez Larian, où la passion et l’innovation sont au cœur de chaque projet. Découvrez comment Elise a su mêler créativité artistique et exigences techniques, et laissez-vous inspirer par ses précieux conseils pour les aspirants Level Artists.
Point’n Think : Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel dans l’industrie du jeu vidéo et comment tu es devenue une Level Artist ? On voit par exemple que tu as commencé par les beaux-arts avant de bifurquer vers les jeux vidéo, comment cette orientation s’est-elle faite ?
Elise Rochefort : J’ai débuté ma carrière dans l’industrie du jeu vidéo en janvier 2000. On peut dire que je fais partie des artistes pionniers en jeu vidéo à Québec et aussi l’une des premières femmes à travailler dans ce domaine. À l’époque, on devait représenter seulement 5-6% des employés ! Je vous raconte…
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été captivée par les jeux vidéo. À l’âge de mes 12 ans, j’ai reçu une Atari pour mon anniversaire et plus tard, notre famille s’est équipée d’un ordinateur Commodore 64 sur lequel j’ai pu explorer une panoplie de jeux vidéo. Cela me passionnait. Mes amies n’étaient pas aussi enthousiastes que moi pour jouer. Ce que je comprenais mal vu que moi, cela me divertissait énormément.
Pendant mes études, j’aurais aimé m’orienter vers l’informatique, car je désirais travailler sur ordinateur, mais les opportunités dans ce domaine étaient limitées dans mon école à cette époque. Les options étaient bien moins nombreuses qu’aujourd’hui ! Étant de nature créative, je me suis naturellement dirigée vers les arts et j’ai terminé à l’université avec un baccalauréat en Enseignement des Arts Plastiques
Une fois diplômée, j’ai décidé que je préférerais quand même mieux travailler sur un ordinateur et je ne me voyais pas enseigner dans des écoles pendant 25 ans. Je me rappelle qu’on pouvait voir des publicités pleine page dans les journaux annonçant de nouveaux cours pour réaliser des effets spéciaux au cinéma. En voulant m’inscrire, la personne au téléphone m’a parlé d’un cours en phase de développement, qui n’était pas mentionné dans le journal : un cours en jeux vidéo !
J’ai été enthousiasmée par cette idée ! Je ne savais même pas qu’il était possible de travailler sur des jeux vidéo à Québec ! J’ai sauté sur l’opportunité, je me suis inscrite et j’ai passé l’entrevue. Ce n’est que bien plus tard que quelqu’un m’a appris qu’il y avait eu plus de 500 candidatures pour ce cours « expérimental ». À l’époque, je n’avais pas réalisé la chance que j’avais eue d’avoir été sélectionnée. Pour moi, il suffisait de s’inscrire, de passer l’entrevue et le tour était joué !
Alors voilà, je me retrouve la seule fille au sein d’un groupe de 30 élèves. Nous avions été installés dans le sous-sol d’une compagnie de jeux vidéo nommée Behaviour Interactive. Nous étions un peu comme des cobayes, testant ce nouveau programme que certaines institutions envisageaient éventuellement d’offrir dans leurs écoles. Ce cours, bien qu’il ne débouchait sur aucun diplôme officiel, nous offrait une formation complète, de la conception à la réalisation d’un jeu vidéo, encadrée par quelques employés de Behaviour qui descendaient tour à tour dans le sous-sol pour nous enseigner leur spécialité. Les cours « officiels » de formation en jeux vidéo ont fait leur apparition dans les écoles quelques années plus tard.
Finalement, je n’ai jamais terminé mon cours. J’en étais à entamer ma deuxième session en janvier 2000, lorsque Behaviour Interactive m’a proposé de me joindre à eux en tant que « textureuse » pour l’un de leurs trois nouveaux projets qui allaient bientôt commencer en production. Il faut dire que les effectifs spécialisés pour travailler dans l’industrie du jeu vidéo étaient encore très rares à l’époque. Et voilà, je me suis retrouvée en tant que principale textureuse sur un jeu intitulé « Bugs Bunny and Taz: Time Busters ». Trois autres artistes de mon groupe nous ont rejoints quelques mois plus tard après la complétion de leur cours pour venir travailler sur les autres projets en parallèle.
PnT : Qu’est-ce qu’un textureur ?
Elise : Pour définir le rôle d’un ‘textureur’, un poste qui a presque disparu du jeu vidéo de nos jours, il faut se remettre à l’époque où nous travaillions sur la PlayStation 1. Sa mémoire et ses performances étaient bien plus limitées que celles de nos consoles actuelles. Le textureur est celui qui dessinait dans Photoshop les textures 2D représentant les matériaux et les couleurs nécessaires, qu’il appliquait ensuite sur les polygones des modèles 3D pour habiller le niveau, les personnages et les objets. Petite anecdote, contrairement à aujourd’hui, Photoshop ne permettait qu’un seul « undo » à cette époque, et nous devions dessiner avec la souris, pas de tablette, pas de crayon tactile…!
Les textures dessinées étaient toujours de forme carrée, majoritairement en 64 pixels, que nous devions ensuite convertir en 4 bits pour sauver de la mémoire avant de les importer dans le jeu. Cependant, étant donné que la conversion réduisait considérablement la qualité graphique de la texture, (le 4 bits ramenait la texture en 16 teintes seulement), nous dessinions dès le départ nos textures en niveaux de gris pour préserver autant de détails que possibles. Ensuite, nous appliquions ces textures une par une sur chaque polygone des modèles 3D qui étaient exclusivement créés par les modeleurs.
Pour tout le « hub », l’endroit central où le personnage revenait constamment pour passer d’une mission à l’autre, nous n’utilisons qu’environ 500 polygones, et pour les personnages, environ 30 à 50 polygones. Nous évitons autant que possible les triangles dans la modélisation, car cela déformait les textures ‘carrées’. Tout le décor statique était fusionné en un seul objet. Pour colorer et éclairer nos environnements, nous utilisions les « vertex » auxquels nous attribuions des couleurs. L’éclairage dynamique était réservé uniquement aux personnages animés et à quelques objets interactifs et en mouvement. À cette époque, j’aimais bien plaisanter en disant aux gens que sans moi, le monde serait gris !
PnT : Peux-tu revenir avec nous sur ton arrivée chez Larian ?
Elise : Je suis arrivée chez Larian le 1er juin 2015. Un de mes collègues avait entendu parler de cette compagnie belge qui venait s’implanter à Québec et m’en avait parlé. Intriguée, je me suis renseignée à leur sujet sur internet et j’ai vu qu’ils avaient remporté des prix pour leurs jeux. Ça m’a semblé être une compagnie solide avec des gens passionnés qui visaient à faire des jeux de qualité. J’ai donc décidé de postuler.
Cependant, mon entrevue s’est déroulée au printemps, 2 à 3 mois avant l’ouverture officielle du studio de Québec. À cette époque, Larian n’était pas encore dans l’édifice actuel. Ils avaient loué un local non loin où ils pouvaient passer les candidats en entrevue. C’était un peu intimidant, car mon entrevue s’est passée avec les têtes dirigeantes de la compagnie qui étaient de passage à Québec pour préparer l’ouverture du nouveau studio. Parmi eux, il y avait Swen, le fondateur de Larian, le directeur artistique et le directeur du studio. De plus, l’entrevue se déroulait en anglais, une langue dans laquelle je ne suis pas très à l’aise à l’oral. Heureusement, ils étaient tous très sympathiques et l’entrevue s’est bien déroulée. Après deux entretiens et après avoir réalisé des tests de conception de niveaux de jeux, j’ai été embauchée.
À l’époque, nous étions le quatrième pays dans lequel Larian ouvrait un studio. Et, quand je suis entrée, nous n’étions que 13 employés à Québec et… j’étais la seule femme du groupe, encore… Aujourd’hui, nous sommes plus de 70 employés à Québec et plus de 450 répartis dans 7 pays dans le monde. Et, il y a plusieurs femmes dans la compagnie maintenant. Ce qui est particulier chez Larian, c’est que tous les studios travaillent simultanément sur le même jeu, ce qui signifie que la production du jeu avance 24 heures sur 24 !
PnT : Comment est-ce que tu définirais le travail d’un Level Designer ?
Elise : Le Level Designer est un peu comme l’architecte spatial des environnements dans un jeu vidéo. En collaboration avec les scénaristes, il conçoit les niveaux en intégrant tous les éléments et mécaniques de jeu nécessaires pour servir l’histoire. Cela comprend entre autres, la disposition des lieux, des éléments de jeu, le relief du terrain, les obstacles majeurs, l’éclairage de base, etc. Il doit aussi tenir compte de diverses contraintes telles que le système de collision et le comportement de la caméra. Durant cette première étape, les niveaux sont testés, modifiés et améliorés pour assurer un bon rythme entre les différentes situations et une navigation fluide et instinctive pour le joueur. Une fois que le niveau est fonctionnel et que son design est approuvé, il passe aux mains des Level Artists comme moi pour l’habillage, autrement dit, la décoration.
PnT : Comment est-ce que tu différencies un Level Designer et un Environment Artist ?
Elise : Bien que la répartition des tâches puisse varier d’un rôle à l’autre et même se chevaucher un peu, le Level Designer se concentre sur la conception et la fonctionnalité des niveaux, tandis que l’Environment Artist est celui qui habille et décore le niveau.
Chez Larian, les modeleurs 3D sont aussi placés dans la catégorie ‘Environment Artist’ même si plusieurs d’entre eux ne touchent jamais les niveaux. Ils créent les objets et matériaux qui enrichissent la bibliothèque d’objets qui serviront à la décoration des environnements. Puis, on est deux trois à se concentrer exclusivement sur la décoration des niveaux. On est placé dans la catégorie Level Artist dans les crédits.
Mais il est vrai que certains font du 3D et de la décoration, d’autres font de la décoration et un peu de level design comme moi. On porte souvent plus d’un chapeau. On profite souvent des périodes creuses en début d’un nouveau projet pour développer autre chose qui nous tente. Comme moi. Durant la grosse production, je fais peu de modeling, car la déco des niveaux m’occupe à temps plein, mais, en début de projet, quand c’est plus tranquille, je me pratique à faire un peu plus de modeling 3D. Je suis libre de concevoir de petits objets pour le jeu à venir et c’est comme ça que j’ai créé la fameuse ‘poutine’ qui s’est retrouvée dans DOS2, mais qu’on peut aussi retrouver dans BG3 ! Ce petit élément a fait sourire les joueurs et elle a même fait une sorte de buzz dans les médias ! Elle a été mentionnée dans un couple d’articles en ligne ! Quand j’ai vu ça, ça m’a fait rire. Je me suis dit, eh bien, cette poutine est plus célèbre que moi ! Mais tout était parti d’une blague que je faisais avec un collègue à l’époque. On s’était dit, tiens, ça serait drôle que je fasse une poutine et de la mettre dans le jeu car c’est un mets typiquement québécois. Je me demandais si ça allait passer mais, personne ne s’y est opposé ! Evidemment, je lui ai donné un petit ‘look’ médiéval pour qu’elle s’intègre bien au jeu !
PnT : Quels sont le processus et la méthodologie pour concevoir un niveau ?
Elise : D’abord, en collaboration avec les auteurs, l’équipe de designers décide quels lieux seront nécessaires pour situer l’histoire. Ensuite, chaque designer crée dans notre éditeur de jeux le plan 3D de son niveau et y positionne les lieux principaux, met en place un éclairage de base, ajuste les distances et essaie de créer un parcours intéressant et dynamique qui amènera instinctivement le joueur vers les différentes situations et éléments du gameplay. Souvent, il y a une première décoration sommaire pour donner des indications pertinentes sur chaque endroit du niveau. Ce processus est testé, modifié et ajusté plusieurs fois avant l’approbation par le directeur design ce qui mène à l’étape suivante : la décoration.
En parallèle, la direction artistique fait de son côté des recherches pour définir le style qu’on donnera à ces niveaux. En début de projet, les artistes sont encouragés à participer à ces recherches visuelles et à apporter leurs idées qui pourraient être intéressantes. Beaucoup de recherches sur le net sont faites et des concepts dans le style recherché sont demandés à nos illustrateurs. Certains artistes commencent à créer des objets pour le nouveau projet en cours et d’autres réalisent des tests de décoration pour les environnements.
Puis, une fois que les niveaux sont fonctionnels et approuvés, les level artists peuvent commencer la décoration. Au tout début, on fait le tour du niveau avec le level designer pour obtenir le plus de détails possibles sur ce qui s’y passe ; l’histoire, les besoins du gameplay, les espaces de combat, etc. On discute aussi avec le directeur artistique pour connaître ses directives et on brode avec tout ça en complétant avec nos propres idées.
PnT : Comment collabores-tu avec les autres membres de l’équipe de développement, tels que les concepteurs de niveaux, les concept artists et les programmeurs ?
Elise : Avant de commencer un niveau, je parle avec le directeur artistique qui me donne ses directives et souvent j’ai à ma disposition des références visuelles ou des dessins provenant de nos très talentueux concept artists qui m’aident à comprendre la direction que cela doit prendre. Puis, je fais la “visite guidée” avec le level designer car il connaît tous les détails de ce qui se passe dans son niveau et le bout d’histoire qui s’y déroule et cela m’aide beaucoup à situer les choses et à orienter ce que je vais faire pour la déco. Je parle ensuite avec les scripteurs pour connaître leurs besoins pour placer leurs éléments de gameplay. Tout cela se fait en ligne, car la plupart des personnes à qui j’ai affaire sont dans d’autres pays, mais, étonnamment, on s’arrange assez bien malgré les fuseaux horaires très différents.
Quant aux programmeurs, nos discussions avec eux sont souvent à propos des bugs à régler quand on travaille dans l’éditeur de jeu, mais aussi lorsqu’on a des requêtes d’outils à y ajouter ou des requêtes pour des éléments nouveaux qu’on aurait besoin pour améliorer l’esthétique dans le jeu comme des effets de lumière ou de réflexion ou des mécaniques de jeu intéressantes, etc. Et, dans le dernier cas, souvent, la réponse est non… On ne peut pas faire ça… Lol.
On blague un peu avec ça, mais ce n’est souvent pas de leur faute. Les programmeurs travaillent fort et doivent s’armer d’ingéniosité pour contourner maints obstacles et contraintes de la console pour nous permettre d’ajouter des possibilités visuelles incroyables et de s’assurer que tout continue de fonctionner parfaitement à la fin. Leur vie est un parcours sans fin de problèmes à résoudre ! De toute façon, sans les programmeurs, il n’y aurait tout simplement pas de jeu. Ils travaillent sans relâche du début à la fin d’un projet. Ils sont tout simplement, le cœur de l’engin !
PnT : Quelles compétences artistiques et techniques sont essentielles pour exceller en tant que Level Artist dans l’industrie ?
Elise : Alors, pour le côté artistique, une formation en art ou en graphisme constitue un gros atout. Car même si on travaille sur des jeux vidéo, il est bien de comprendre les principes de base du langage plastique comme les lignes directrices, l’équilibre dans la composition, l’utilisation de la lumière, savoir harmoniser les couleurs, etc. Aussi, un bon sens de l’observation du monde qui nous entoure est nécessaire pour créer des environnements visuellement logiques et crédibles, même si souvent cela s’applique à des mondes fantastiques. Aussi, pour bien aiguiser son sens critique et artistique, je conseille de regarder ce que d’autres artistes font ailleurs. Que ce soit des jeux vidéo ou des illustrations, du 3D, plus on en voit, plus notre sens critique se développe et cela nous permet aussi de nourrir son imaginaire. Il y a tellement de choses incroyables et inspirantes sur le net, on est chanceux aujourd’hui d’avoir accès à cette bibliothèque d’idées infinie alors, profitez-en !
Donc, il faut être créatif et minutieux, mais aussi méthodique et aimer un certain côté technique. Car, une fois qu’on maîtrise l’utilisation de l’éditeur de jeu, il faut être capable de créer des environnements inspirants tout en respectant les contraintes techniques, les limites de performance, l’histoire, le gameplay et le game design. Une bonne connaissance du modelage 3D est aussi généralement requise, car il est fréquent de devoir créer, modifier ou adapter nous-mêmes les objets 3D pour les intégrer harmonieusement dans nos niveaux.
PnT : Peux-tu nous décrire une journée typique de travail en tant que Level Artist sur Baldur’s Gate 3 ?
Elise : Quand j’arrive, je mets mes données à jour, car le jeu est en perpétuel développement. Ensuite, le matin, on a un appel vidéo avec notre équipe. Dans mon cas, c’est principalement avec les designers et les autres artistes de niveaux. On appelle ça un ‘SCRUM’. Bien sûr, nous sommes dans des fuseaux horaires différents, mais nous réussissons bien à nous synchroniser malgré tout ! On y discute de nos tâches quotidiennes, on donne et reçoit les messages importants et on discute des problèmes ou obstacles rencontrés s’il y a lieu, pour essayer d’y remédier le plus rapidement possible avant de poursuivre notre journée de travail.
Après cela, je travaille mon niveau toute la journée. J’ai souvent des échanges en ligne en cours de route avec les designers et les scripteurs quand j’ai besoin de précision ou de rétroaction sur ce que j’ai mis en place pour m’assurer que mon niveau répond toujours aux besoins et contraintes de chacun.
À la fin de la journée, chaque artiste, toutes spécialités confondues, affiche des images de l’avancement de son travail dans un canal ‘SCRUM’ qui est visible par toute l’entreprise. Cela nous permet d’avoir une vision d’ensemble de tout ce qui est réalisé chaque jour et parfois, de commenter. Mais cela nous permet aussi de nous féliciter et de s’encourager mutuellement ! Une petite tape dans le dos, de temps en temps, ça fait du bien et ça permet de garder la motivation !
PnT : Comment ton expérience en tant que Level Artist sur d’autres projets de jeux vidéo a-t-elle influencé ton approche de Baldur’s Gate 3 ? Étais-tu familière des deux premiers opus et des autres jeux de Larian ?
Elise : Non, personnellement, je n’avais jamais joué aux précédents jeux de Baldur’s Gate ou de Larian avant de commencer avec eux. Mais ayant toujours travaillé sur des environnements fantaisistes dans mes projets précédents, j’avais déjà beaucoup d’intérêt et d’affinités pour ce style. Aussi, ayant travaillé sur DOS2, cela m’a donné une bonne pratique pour ensuite travailler sur BG3 qui est du même genre graphique.
Ce qui est différent chez Larian, contrairement aux autres compagnies où j’ai pu travailler avant, c’est qu’on a une certaine liberté pour créer, développer et ajouter nos propres idées dans nos environnements. On ne fait pas qu’exécuter aveuglément ce que le DA voudrait, mais chacun est invité à apporter ses idées et à participer au processus du développement créatif. J’ai donc une certaine liberté pour faire mon travail. A la fin, si mon environnement est beau, immersif et intéressant à parcourir, c’est dans la boîte ! Dit comme ça, cela peut sembler facile, mais pour atteindre un haut niveau de qualité, cela peut prendre des semaines, voire des mois pour peaufiner un environnement, surtout s’il est très grand. Chaque élément ou détail est soigneusement placé à la main. Je dirais qu’environ 20 % du temps est consacré au premier habillage d’un niveau et 80 % du temps, aux itérations et améliorations.
PnT : Est-ce que tu as l’habitude de jouer à des jeux de rôles et, si oui, cette expérience t’est-elle utile dans ton travail ? Et comment cela t’inspire ?
Elise : J’ai énormément joué à différents types de jeux toute ma vie. Pas exclusivement des jeux de rôles, mais de toute sorte. Plus on en voit, mieux c’est, non ? Alors je dirais qu’ils ont tous contribué à mon évolution et à me garder à l’affût des nouvelles possibilités qu’on peut exploiter.
Quand j’étais petite, je ne comprenais pas comment on ”faisait” des jeux vidéo et ça me fascinait au plus haut point. C’était mystérieux comme de la magie. Mais maintenant, même si je connais les coulisses d’un jeu vidéo, la magie opère toujours sur moi. Chaque année, il sort des jeux époustouflants, vraiment beaux et intéressants que ma passion est constamment renouvelés. Et parfois, je me surprends encore à dire, mais wow, comment est-ce qu’ils ont fait ça !? C’est un domaine créatif et passionnant dont je ne me lasserai jamais, je crois. Comme on dit… » Trouve quelque chose que tu aimes faire, et jamais tu ne travailleras de ta vie ! “
PnT : Quels sont les aspects les plus gratifiants de ton travail en tant que Level Artist sur un projet aussi ambitieux que Baldur’s Gate 3 ?
Elise : L’engouement pour la sortie d’un nouveau Baldur’s Gate a été incroyable ! Même pendant la phase de développement, nous pouvions ressentir la fébrilité des fans à travers leurs commentaires en ligne. On aurait dit que c’était nous qui fixions la date de Noël cette année ! Alors savoir que les joueurs ont eu du plaisir à parcourir les environnements que j’ai fait dans BG3 aura été très gratifiant pour moi. Et depuis sa sortie, je reçois personnellement des messages de ‘fans’ pour me remercier ou me féliciter pour mon travail sur BG3. C’est très agréable et valorisant !
PnT : Qu’est-ce qui explique le succès énorme de Baldur’s Gate 3 ?
Elise : Pour expliquer ce succès, je dirais d’abord, que chez Larian, ce sont des gens passionnés qui créent des jeux pour d’autres gens passionnés. Notre boss, Swen, a toujours adoré ce genre de jeux et il s’investit toujours totalement dans le développement de nos projets. Il a fondé cette compagnie motivé par le fait qu’il veut créer des jeux qu’il aimerait lui-même jouer alors sa priorité a toujours été de garantir la meilleure expérience possible aux joueurs et c’est devenue la philosophie de notre entreprise. On se dit, quant à mettre autant d’efforts, auss bien le faire jusqu’au bout et faire l’extra mile que souvent d’autres ne font pas. C’est trop d’efforts pour baisser les bras à la fin. Travailler si fort pour finir par sortir des titres moyens ou médiocres ? Non, c’est pas pour nous.
Chez Larian, on se permet donc de repousser la date de sortie d’un jeu si le niveau de la qualité escompté n’est pas encore atteint. Je n’ai jamais connu ça dans les autres compagnies pour lesquelles j’ai travaillé. Les dead-lines ailleurs étaient toujours dans le béton. Et quand le jeu sortait, les critiques ne manquaient pas de nous remettre sur le nez ce qu’on savait déjà… Et c’était navrant de se le faire remettre dans la face. On se disait qu’on avait juste eu besoin de cette petite extension de plus pour régler les dernières choses… Mais non. Tout le monde le sait, le temps c’est de l’argent et c’était pas vraiment nous, l’équipe en production, qui décidions. Heureusement, chez Larian, on peut goûter cette satisfaction du travail bien fait. Le temps de production s’en trouve plus long, vrai, mais à la fin, c’est satisfaisant d’obtenir un résultat dont tout le monde est fier et, ça fait aussi le bonheur des joueurs !
Donc, sortir le jeu sur Steam en « Accès Anticipé » quelques années avant sa version finale, s’est avérée une stratégie payante. Cela nous a permis d’interagir en permanence avec la communauté des joueurs, de prendre le pouls, de recueillir leurs réactions, leurs suggestions et leurs critiques, afin d’améliorer chaque aspect du jeu qui demandait une attention particulière. Et il semble qu’on s’en soit bien sortis ! Avec toutes ses récompenses remportées, on peut affirmer que Baldur’s Gate 3 a su répondre aux attentes des fans, et même de les surpasser ! Ce jeu offre d’expérimenter une aventure personnalisée unique, sans précédents, avec des possibilités infinies, des idées novatrices et des surprises qui ont largement contribué à son succès phénoménal. Je suis très fière d’avoir contribué à ce projet et je peux maintenant me vanter d’avoir enfin pu travailler sur le « Meilleur jeu de l’année ». C’est un bel accomplissement pour chacun d’entre nous !
PnT : Quels conseils donnerais-tu aux aspirants Level Artists qui souhaitent entrer dans l’industrie du jeu vidéo ?
Elise : Si vous êtes artiste-né, créatif, passionné, mais aussi que vous avez une aisance avec des aspects plus techniques et structurés, c’est certainement un domaine qui vous plairait. C’est un peu comme faire une peinture animée en 3 dimensions ! Mais il faut aussi avoir certaines aptitudes personnelles comme aimer travailler en équipe, être proactif, être critique, mais aussi savoir accepter la critique, s’adapter aux changements et aux contraintes, etc. Il faut aussi comprendre que, dans le domaine du jeu vidéo, il est normal qu’on soit amené à refaire son travail plusieurs fois pour différentes raisons, il faut l’accepter… Donc, patience, humilité et désir de se surpasser. C’est la game !