1000xRESIST : L’héritage de la colère
Dans l’univers complexe et saturé des jeux vidéo contemporains, 1000xRESIST émerge comme une œuvre exceptionnelle, tissant un ensemble de thèmes aussi divers que la transmission du trauma, les dilemmes narratifs, l’aliénation culturelle, les influences artistiques et l’impact psychologique. Ce jeu se distingue par sa capacité à intégrer ces éléments dans une expérience interactive qui interpelle le joueur sur ses propres perceptions de la mémoire, de l’identité et de la responsabilité.
1000xRESIST se déploie dans un univers post-apocalyptique où la Terre a été ravagée par une maladie mystérieuse apportée par des entités extraterrestres appelées les Occupants. Au bord de l’extinction, l’humanité survit grâce à l’ALLMOTHER, une figure matriarcale qui a créé une société de clones d’elle-même. Ces clones, connus sous le nom de « Sœurs », vivent isolés dans un complexe souterrain nommé l’Orchard, sous la surveillance constante et parfois oppressive de l’ALLMOTHER, elle-même une figure complexe, à la fois rassurante et autoritaire. Elle incarne la fondatrice et la protectrice de cette nouvelle société, mais aussi son plus grand danger, maintenant ses “enfants” dans un état de dépendance et d’ignorance. Cette dualité soulève des questions sur la protection maternelle juxtaposée à un contrôle autoritaire. Le jeu explore de manière approfondie la transmission du trauma. Les péchés et les épreuves de l’ALLMOTHER, particulièrement ses expériences durant les émeutes de 2019 à Hong Kong, résonnent à travers les générations. Les Sœurs, bien qu’elles n’aient pas de souvenirs directs de ces événements, en ressentent les répercussions à travers des communions, des séances de mémoire collective orchestrées par l’ALLMOTHER. Les choix narratifs dans 1000xRESIST jouent un rôle crucial, posant des questions sur la nature de la liberté et du destin. Ces choix influencent de manière significative l’histoire et la structure sociale des Sœurs, mettant le joueur face à ses propres décisions et leurs conséquences.
Le thème de l’aliénation culturelle est également prégnant, explorant comment les individus et les communautés façonnent et refaçonnent leur identité face à l’effacement culturel et aux pressions à l’assimilation. En parallèle, les influences artistiques, allant du cinéma de Satoshi Kon à l’opéra visuel de Robert Wilson, enrichissent la texture narrative et visuelle du jeu, offrant une expérience riche et immersive. L’impact psychologique de 1000xRESIST est profond, plongeant dans les conséquences des traumas passés et des décisions présentes sur la santé mentale et l’équilibre émotionnel des personnages. Ce jeu ne se contente pas de poser des questions difficiles ; il invite le joueur à vivre les réponses de manière viscérale, transformant l’acte de jouer en une forme de catharsis et de réflexion profonde. Ce qui commence comme une lutte pour la survie dans un monde dévasté se métamorphose en une quête introspective sur le poids de l’héritage, la valeur des choix, et le pouvoir de l’art pour façonner la réalité.
Hekki Grace
Les séquences mémorielles, connues sous le nom de Communions, structurent les dix chapitres du jeu, qui s’étendent sur plusieurs siècles et mettent en scène des générations de personnages à travers le temps. Cependant, une révélation précoce dans le récit bouleverse la perspective du joueur : l’ALLMOTHER a menti. Initialement chargé de consigner fidèlement les actions de l’ALLMOTHER, le joueur, en tant que Watcher, endosse un nouveau rôle quasi-détective, s’efforçant de dévoiler les vérités blasphématoires enfouies dans les souvenirs de cette figure ancestrale. Chaque Communion du jeu est distinctement conçue autour d’une mécanique thématique qui enrichit l’expérience narrative (la première nous transporte dans un lycée et est extrêmement efficace pour donner le ton du jeu et nous faire comprendre ses mécaniques).
1000xRESIST est une exploration de la manière dont le temps est perçu et structuré par ceux qui vivent entre différentes cultures et époques. L’un des personnages principaux du jeu est une immigrante canadienne originaire de Hong Kong. Elle est confrontée au racisme et gère des sentiments complexes envers ses amis. Il y a aussi un personnage qui lutte avec sa propre identité et ses insécurités, les répercutant sur son amie, ce qui est une grande partie de son trauma d’immigrante – un trauma intergénérationnel de sa famille, qui se répand dans la société qui se forme autour d’elle dans le futur. L’équipe de Sunset Visitor, composée d’artistes performeurs, a dû réorienter son énergie créative du théâtre et de la danse vers le développement de jeux vidéo. « Nous tentions de traiter notre chagrin de ne pas pouvoir faire ce à quoi nous avons consacré la majeure partie de notre vie, » confie Remy Siu (creative director du jeu), exprimant une nostalgie palpable pour le contact humain perdu pendant les confinements. Je vous invite aussi chaudement à découvrir plus en avant ma longue interview avec Remy Siu juste ici.
L’impact des actions de l’ALLMOTHER sur les générations est profond et complexe. Chaque décision qu’elle prend, chaque secret qu’elle garde, résonne à travers les Sœurs, façonnant leur compréhension du monde et leur propre identité. Le trauma n’est pas seulement dans les événements passés mais aussi dans leur révélation continue (ou non) à travers les communions. Ces communions sont des expériences spirituelles et psychologiques intenses où les Sœurs vivent les souvenirs de l’ALLMOTHER comme s’ils étaient les leurs. Cela inclut tout, des scènes de sa vie antérieure à Hong Kong, marquées par la lutte et la résistance, jusqu’aux premiers jours de l’apocalypse. Ces souvenirs ne sont pas passifs ; ils sont vécus avec une intensité émotionnelle qui peut être traumatisante, surtout lorsqu’ils révèlent des vérités douloureuses sur l’origine de leur existence et les sacrifices faits en leur nom.
Le mécanisme de la communion est crucial non seulement pour la préservation de l’histoire commune, mais aussi pour l’exploration des thèmes de la mémoire et du trauma. Il sert de pont entre le passé de l’ALLMOTHER et le présent des Sœurs, offrant un aperçu unique des cycles de souffrance et de survie qui se répètent à travers les générations. Cette transmission de mémoire soulève des questions essentielles sur l’impact des traumas hérités et sur la manière dont ils façonnent les communautés et les individus. 1000xRESIST offre une réflexion profonde sur la nature humaine, la résilience et les liens indélébiles qui unissent le passé au présent. Ce jeu ne se contente pas de raconter une histoire de survie ; il questionne la manière dont nous portons, transformons et transcendons les traumas de ceux qui nous ont précédés.
Six to One
Dans 1000xRESIST, l’exploration des thèmes de l’émigration et de l’aliénation culturelle se manifeste de manière poignante à travers l’histoire personnelle de l’ALLMOTHER et les expériences vécues par les clones. Ces éléments ne sont pas seulement des fragments de l’arrière-plan narratif, mais des forces actives qui façonnent les motivations des personnages et le développement de l’intrigue.
L’ALLMOTHER, figure centrale du jeu, porte en elle les cicatrices et les leçons de son histoire d’émigration de Hong Kong. Cette partie de son passé est cruciale pour comprendre non seulement ses motivations pour créer une société clonée isolée mais aussi la manière dont elle façonne cette société. Les souvenirs de l’oppression, des luttes pour la liberté et des échecs cuisants qu’elle a vécus lors des tumultes politiques à Hong Kong sont imbriqués dans sa vision du monde et dans les lois qu’elle impose dans l’Orchard.
La mémoire culturelle de l’ALLMOTHER ne survit pas seulement à travers ses récits personnels mais est également incarnée dans les rituels, les symboles et les enseignements qu’elle transmet aux Sœurs. Cette transmission n’est pas sans perte ni transformation — la mémoire devient mythologie, façonnant l’identité collective des clones d’une manière qui est à la fois une répétition et une recréation du passé de l’ALLMOTHER. Ce processus illustre la persistance, mais aussi la mutation de la mémoire culturelle lorsqu’elle est transplantée dans un nouveau sol. Les clones, bien que génétiquement identiques, développent des identités distinctes, façonnées par leur environnement, mais aussi par les mémoires qu’ils partagent à travers les communions. Cette dualité entre leur nature clonée et leur aspiration à l’individualité crée un terrain fertile pour des conflits identitaires internes. Chacune des Sœurs lutte pour comprendre qui elle est dans le contexte d’une histoire partagée qui est intime et en même temps étrangère. Cette quête d’identité est exacerbée par le fait que leurs souvenirs ne sont pas uniquement les leurs mais incluent les réminiscences de vieilles luttes hongkongaises pour la liberté et l’autonomie, insufflant une dimension politique à leur crise personnelle.
Le jeu explore ces conflits à travers des interactions narratives, des décisions prises lors des communions, et même des éléments de gameplay qui permettent au joueur de choisir comment les clones interprètent et agissent sur leurs souvenirs. Ces moments de choix ne sont pas seulement des bifurcations dans l’intrigue ; ils sont des expressions de la lutte pour l’autodétermination dans le cadre d’une culture imposée.
L’aliénation des Sœurs de leur propre histoire et de la société humaine plus large est une thématique centrale dans 1000xRESIST. Cela est rendu palpable à travers la manière dont le gameplay isole le joueur, souvent confiné à l’Orchard ou à des espaces clos de mémoire. Le design du jeu, avec ses espaces confinés et ses communions, reflète et renforce le sentiment d’aliénation, faisant écho à la distance émotionnelle et culturelle que ressentent les Sœurs par rapport à leur propre héritage et identité. Dans cette partie du jeu, 1000xRESIST ne se contente pas de raconter une histoire d’aliénation ; il la fait vivre au joueur, utilisant chaque élément du design narratif et ludique pour immerger le joueur dans l’expérience des personnages.
There is an us with a pattern we are threading
L’analyse psychologique et culturelle du jeu de Sunset Visitor nous plonge profondément dans les complexes interactions entre identité, mémoire, et aliénation, mettant en lumière la manière dont ces forces modèlent les personnages à travers le prisme de la théorie de la double conscience de W.E.B. Du Bois. Cette théorie, initialement conçue pour articuler l’expérience spécifique des Afro-Américains, trouve une résonance étonnante dans le contexte des clones de 1000xRESIST, eux-mêmes naviguant entre divers héritages et identités imposées.
W.E.B. Du Bois décrit la double conscience comme une sensation de toujours voir sa propre identité à travers les yeux des autres, de mesurer son âme avec le ruban d’un monde qui regarde avec amusement et mépris. Dans 1000xRESIST, cette dualité est vécue par les clones qui portent non seulement leur propre conscience mais aussi celle de l’ALLMOTHER à travers les communions. Ce partage de mémoire oblige les Sœurs à se débattre avec deux visions du moi : leur existence en tant qu’individus et leur rôle prédestiné dans la société clonée. Les Sœurs, analogues aux descendants d’immigrés, se confrontent à une lutte pour la préservation de leur héritage culturel dans un environnement qui favorise l’homogénéité et la conformité. Cette lutte est rendue palpable à travers leur interaction quotidienne avec les enseignements de l’ALLMOTHER, qui tentent d’uniformiser leur expérience tout en supprimant les spécificités de leur héritage hongkongais. Cela reflète l’expérience des immigrants qui doivent souvent naviguer entre l’assimilation dans une nouvelle culture et la préservation de leur identité culturelle originale.
La dualité culturelle est explorée dans le jeu à travers les personnages qui expriment différents degrés d’assimilation et de résistance à la culture clonée. Certains personnages, comme Principal, adoptent complètement les normes et valeurs de l’ALLMOTHER, tandis que d’autres, comme Fixer, montrent des signes de rébellion et de nostalgie pour un passé qu’elles n’ont jamais vécu personnellement, mais ressenti à travers les communions. La dualité culturelle entraîne un stress significatif pour les personnages, souvent manifesté par des troubles psychologiques tels que l’anxiété, la dépression, et un sentiment d’aliénation profonde. Ces manifestations psychologiques sont habilement représentées dans le jeu, où les joueurs peuvent observer les effets de l’aliénation sur le comportement et les choix des personnages.
L’influence de Satoshi Kon
L’empreinte de Satoshi Kon, un virtuose de l’animation japonaise réputé pour ses explorations complexes de la psyché et de la réalité, se fait ressentir de manière indéniable dans la conception narrative et esthétique de 1000xRESIST. Connue pour ses œuvres telles que Perfect Blue, Millennium Actress, Paranoia Agent et Paprika, où la frontière entre fiction et réalité est constamment brouillée, la méthode de Kon influence profondément ce jeu, nous plongeant dans un univers à la fois familier et étrangement déroutant.
1000xRESIST, à travers ses séquences de communions et ses révélations graduelles, nous interpelle sur la nature de ce qui est réel et perçu, nous forçant à questionner non seulement nos sens mais aussi nos convictions sur les personnages et le monde que nous parcourons. Comme dans Perfect Blue, où la protagoniste navigue entre des scènes de sa vie réelle et des hallucinations, nous sommes souvent pris dans un tourbillon de subjectivité, où la vérité est fluide et insaisissable. Les personnages du jeu, similaires à ceux de Kon, sont confrontés à des identités qui sont imposées et choisies, réelles et reconstruites. Cette lutte pour la définition de soi dans un monde où les souvenirs peuvent être manipulés évoque directement des films comme Paprika, où les personnages oscillent entre différents niveaux de réalité et de rêve. La structure narrative du jeu doit beaucoup à l’approche de Kon, où la ligne entre la réalité et l’illusion est constamment floue. En intégrant cette incertitude dans le tissu de son récit, le jeu crée un espace narratif où chaque élément peut être interrogé, chaque souvenir scruté pour sa véracité, forçant ainsi les joueurs à participer activement à la construction du récit, une méthode que Kon utilisait pour impliquer émotionnellement son public.
La façon dont Kon déconstruisait la réalité pour révéler des vérités psychologiques et émotionnelles profondes trouve son parallèle dans 1000xRESIST, qui utilise ses révélations et son gameplay pour explorer des thèmes de mémoire, de trauma et d’identité. Les techniques de déconstruction sont essentielles pour les deux créateurs, permettant une exploration plus profonde des états intérieurs de leurs personnages et, par extension, de leurs publics ou joueurs.
Réminiscences d’Iris
1000xRESIST ne se contente pas d’explorer les intrications de la mémoire et de l’identité, mais plonge également dans les tumultueuses eaux de la lutte contre l’oppression. Cette thématique se déploie à travers des dynamiques de pouvoir complexes et des actes de résistance qui ne sont pas seulement des éléments de l’intrigue mais des expressions profondes des conflits internes et externes que vivent les personnages.
L’histoire d’Iris commence par ses souvenirs de vie avec ses parents, migrants ayant fui Hong Kong après la fin des manifestations pro-démocratie de 2019. Ils quittent leur foyer en quête de sécurité et d’une nouvelle existence, loin de la persécution politique, de la violence étatique et de l’emprisonnement. Au fil du jeu, plongé dans les souvenirs d’Iris, le joueur explore les impressions qu’elle a de l’expérience de ses parents et leurs récits de vie en tant que réfugiés politiques et migrants dans un pays nouveau et inconnu. Dans une scène de flash-back au milieu du jeu, les parents d’Iris réfléchissent sur leur passé alors qu’ils se trouvent au milieu des dévastations causées par les Occupants. Sa mère se demande si les sacrifices en valaient la peine.
« À quoi bon ? » demande-t-elle. Son père répond : « Ce n’était pas juste une question de gagner. Si nous restions silencieux, si nous ne nous défendions pas, ils diraient que c’est ainsi depuis toujours… que c’est ce que les gens voulaient. Non. Ils ne peuvent pas dire cela. Car il restera dans l’histoire que nous avons résisté farouchement. Que nous nous sommes battus pour un avenir différent, jusqu’à ce que nous ne puissions plus. Cet héritage vit en nous. »
La colonie d’Iris vit dans un immense vaisseau caché au fond de l’océan. Ces clones n’ont jamais vu la surface, ni d’autres humains vivants. Pourtant, ils héritent encore du souvenir de Hong Kong, de l’affection pour cette ville, des réflexions sur le fait de savoir si partir était la bonne décision. Ils héritent des rêves fragmentés d’Iris, de ses pensées sur son foyer, ses parents, d’où elle vient. Grandir avec des parents migrants signifie vivre dans une étreinte inconfortable de vieux rêves et de souvenirs plus anciens. Lorsque des parents quittent les pays où ils sont nés, ils laissent souvent quelque chose derrière eux. Souvent, ils deviennent étrangers à leurs familles, à leurs propres parents, aux maisons où ils ont grandi, aux quartiers qu’ils connaissaient, à leurs systèmes de valeurs, à leur religion, à leurs dieux. Leurs enfants vivent alors ces souvenirs de perte de manière indirecte, comme des souvenirs d’un souvenir. Ces mémoires ne nous appartiennent pas nécessairement, en tant qu’enfants de migrants, mais nous ne pouvons nous empêcher de les garder à l’esprit. Nous feuilletons les albums photo de famille, nous regardons les vidéos de maisons montrant des rues et des horizons familiers ; nous y reconnaissons un sentiment de chez nous, rendu légèrement étrange par notre distance.
Tout comme ses parents quittent Hong Kong et tout ce qu’ils connaissent, Iris choisit de quitter son foyer, de se détacher de ses parents oppressants pour rejoindre les soldats et scientifiques gouvernementaux qui l’emmèneront vers le laboratoire sous-marin où elle sera étudiée et éventuellement clonée. Finalement, elle court volontairement dans les bras des Occupants extraterrestres, qui lui promettent de l’émanciper de ses parents, mais à un prix. Elle continuera à vivre, mais au sein d’une éternité de traumas non-traités, dans une sorte d’animation suspendue, ne grandissant pas, ne progressant pas, mais regardant en arrière, pour toujours.
Nous finissons tous par répéter au moins certaines des erreurs de nos parents. C’est inévitable. Nous grandissons de bien des manières similaires, avec beaucoup des mêmes modèles ancrés, et pourtant nous pensons que, cette fois-ci, nous ferons les choses différemment. Le jeu nous enseigne que pour véritablement grandir, pour devenir quelque chose de séparé et de nouveau, nous devons laisser nos souvenirs dans le passé. Iris est hantée par des souvenirs non traités, et ses clones le sont également. Elle propage cette hantise comme une infection. Les souvenirs deviennent vestigiaux, cancéreux, grandissant et se multipliant, alourdissant leurs hôtes. Les Occupants n’agissent pas par hostilité. Ils détruisent involontairement les humains en les séparant de leurs souvenirs, qui continuent à exister dans une stase sans mort. Mais la mémoire, comme la vie mortelle, est censée s’estomper. Elle est enrichie parce qu’elle est quelque chose que nous devons activement saisir, comme les fils éphémères d’un rêve nous échappant alors que nous quittons nos lits. La vie est précieuse parce qu’elle est momentanée et fugace.
Comprendre mon héritage
Au cœur des conflits historiques, nous trouvons des histoires de résilience et d’identités fragmentées. Le récit des Harkis, pris dans les turbulences de l’après-guerre d’Algérie, incarne profondément ces thèmes de lutte et d’abandon. Cette réalité historique, marquée par le rejet et la souffrance, trouve un écho particulier dans les vies des descendants, dont les mémoires familiales portent les stigmates de ces événements déchirants. En explorant ces thèmes à travers le prisme de 1000xRESIST, un jeu qui entremêle les fils de la mémoire collective et de la résistance personnelle, je me trouve confronté à mon propre héritage, chargé de douleur, mais aussi de leçons potentielles sur l’identité et la guérison. Ce qui suit est une exploration de la manière dont ce jeu m’a aidé à articuler et à comprendre les échos de ces mémoires dans ma propre vie.
Les Harkis, auxiliaires musulmans engagés par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, ont trouvé une fin de conflit en 1962 teintée de précarité. Abandonnés par la France lors des accords d’Évian, beaucoup ont été exposés aux représailles du nouveau gouvernement algérien. Ceux qui ont pu fuir en France se sont souvent retrouvés dans des camps de transit sous conditions déplorables, ostracisés et méprisés tant par leur pays d’accueil que par leur patrie. C’est dans ce contexte historique lourd que s’inscrit le récit de ma propre famille. En tant que descendant de Harkis, confronté aux récits de rejet et de lutte durant la guerre d’Algérie, j’ai longtemps lutté pour comprendre et exprimer la colère et la confusion héritées de mon grand-père et des siens. Rejetés par la France comme par l’Algérie, ils ont été confinés dans des camps, en attente d’une décision d’un gouvernement qui semblait indifférent à leur sort. Ce passé, marqué par l’injustice, est un fardeau de mémoires que je ne savais comment aborder.
1000xRESIST a surgi dans ma vie comme un espace permettant d’explorer ces sentiments complexes, tout en me fournissant un langage pour les articuler. Avec ses thèmes de mémoire collective, de transmission du traumatisme et de lutte contre l’oppression, ce jeu a trouvé un écho profond en moi d’une manière inattendue. Il m’a permis de voir des parallèles entre les luttes de mon passé familial et les récits des personnages du jeu, qui combattent leurs propres histoires imposées et manipulées. La souffrance de l’ALLMOTHER et la résistance des Sœurs contre les souvenirs cherchant à définir leur identité et leur destin m’ont aidé à mieux comprendre la dualité de ma propre identité. Le mécanisme de communion m’a particulièrement touché, illustrant comment nos vies sont façonnées par des histoires que nous n’avons pas personnellement vécues, mais qui sont inscrites dans notre identité. La rébellion des Sœurs contre Iris m’a offert une métaphore de ma propre quête pour me réconcilier avec, et peut-être redéfinir, l’héritage de colère laissé par mon grand-père. Cela m’a fait réaliser que cette colère ne doit pas me définir, ni limiter ma capacité à construire quelque chose de positif à partir des cendres du passé.
La résonance des thèmes du jeu avec des problématiques sociales actuelles, comme la lutte contre l’oppression et la quête d’identité, a renforcé mon sentiment de connexion à une communauté plus large qui lutte également pour la reconnaissance et la justice. Cela m’a apporté un sentiment de solidarité et d’espoir, une prise de conscience que, bien que nos histoires soient marquées par la tragédie, elles sont également emplies de résilience et de potentiel de guérison. Jouer à 1000xRESIST a été une expérience cathartique, une manière d’explorer mon héritage. Ce jeu m’a offert un miroir dans lequel je pouvais non seulement me voir en tant que porteur d’un passé douloureux, mais aussi en tant qu’acteur capable de façonner un avenir différent. 1000xRESIST situe le noyau d’espoir dans un avenir plein de compromis et d’échecs. Il nous montre comment les mouvements de protestation peuvent échouer, comment le capitalisme et le pouvoir d’État feront de leur mieux pour nous écraser. Mais il nous montre aussi que fuir, s’échapper dans un fantasme, enveloppé dans les bras d’un passé éternel et irréel, n’est pas une façon de vivre. Nous devons accepter le passé comme étant révolu, tout en comprenant que nous en emporterons toujours une partie avec nous lorsque nous avancerons vers un avenir incertain.
Sources
https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/les-harkis-de-lalgerie-la-france
https://shs.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97?lang=fr