The Art of Hades
Hades est un titre qui m’a profondément touché en tant que joueur. Un jeu porte étendard du jeu vidéo indépendant moderne, qui a surpris toute l’industrie par sa qualité de réalisation et son ingéniosité. Je me voyais l’ambition, d’un jour, de me poser et de parler pleinement de ce titre unique à mes yeux. J’ai longtemps réfléchi à comment ? Comment aborder un titre si généreux ? Un titre si complet et riche ? J’aurais pu parler de son gameplay fin et dynamique, aussi précis que satisfaisant ; de sa narration procédurale qui rend chaque run unique et intéressante, avec cette impression de progresser dans les relations en même temps que Zagreus en apprend plus sur lui-même, mais il n’en est rien.
C’est le format du Art Of qui s’est imposé de lui-même. Un Art of Hades qui me permet d’aborder les détails des inspirations artistiques qui ont mené à ce style graphique si radical et identifiable. Entre comics, peinture et sculptures, les artistes naviguent dans cette multitude d’influences afin de créer leur vision des enfers grecs. Ce format m’autorise aussi à proposer une plongée dans la mythologie grecque, au milieu de toutes ces histoires connues et reconnues qui nourrissent le récit de Hadès. Mais aussi de sa musique, dont la mélancolie et l’énergie bercent chaque session de jeu.
Installez vous confortablement sur votre klinê, car avant de regarder l’œuvre, je vais d’abord vous présenter les artistes.
Cet article spoile certains éléments du jeu.
historique du studio et genèse du projet :
L’histoire de Supergiant Games :
Supergiant Games est un studio de jeu vidéo américain fondé 2009 par Amir Rao et Gavin Simon, deux ex employés de EA Games, qui ont officié sur la licence Command and Conquer. Ils décident tous deux de quitter leur poste pour fonder leur propre studio, Supergiant Games. Ils seront rapidement rejoints par l’artiste Jen Zee, qui deviendra ensuite la directrice artistique du studio. Ils embauchent le musicien Darren Korb pour travailler sur leur tout premier jeu Bastion. Ils forment le cœur de l’équipe, et seront aidés par différents indépendants externes pour les aider dans le développement.
Bastion est un Action RPG sorti en 2011, il est édité par Warner Bros. Bastion donnera le ton quant à l’identité du studio, un gameplay action aux doux airs de hack and slash, un jeu en plan isométrique, une DA dessinée du plus bel effet, un gameplay aux petits oignons, un travail de doublage et musical de haut vol et une narration qui progresse avec l’avancée du joueur. Il sera un succès critique et commercial, récoltant notamment l’Awards de la meilleure musique de l’année chez IGN et Game Informer.
Ils poursuivent le travail accompli sur Bastion avec Transistor, qui sortira en 2015. Transistor est aussi un Action RPG en vue isométrique dans lequel vous incarnez Red, une chanteuse qui s’est fait voler sa voix par une engeance criminelle, le Process. Vous serez guidé et aidé par Transistor, votre épée ayant la faculté de parler, afin de récupérer votre voix. Le gimmick de Transistor est de proposer une pause active pour programmer un certain nombre d’actions et d’attaques à venir, elle donne une vraie dimension stratégique au système de combat. Le studio, avec ce projet, parfait son identité, le travail de direction artistique est poussé, la pâte graphique s’affine vers un aspect plus dessiné. La direction artistique marie à merveille les éléments de science-fiction des décors futuristes de la ville et son ambiance cyberpunk avec l’inspiration des peintres naturalistes tels que Klimt ou Mucha. On ressent leur influence sur le design des personnages et dans l’utilisation de la couleur, notamment du doré. Nous sommes guidés par la voix de Transistor ; le travail sonore, que ce soit les OST de Darren Korb décrites comme “electronic post-rock” ou les doublages, garantissent au jeu une identité forte. Mention spéciale à tous les petits clins d’œil et références au style retro-wave. Il sera nommé aux Video Games Awards pour le meilleur jeu indépendant et la meilleure bande originale, il gagnera aussi L’IGN awards de la meilleure direction artistique de l’année.
Ils enchaînent avec Pyre, c’est le jeu qui est le plus en rupture avec le travail auquel Supergiant Games nous a habitué. Pyre se présente comme un action-RPG, jusqu’ici rien de bien différent, mais qui intègre des mécaniques de jeux de sport et de visual novel. Dans Pyre, vous êtes un Reader, un Lecteur, vous vous réveillez dans les Bas-Fonds, un purgatoire du Commonwealth, une dictature qui interdit toute forme de lecture et qui brûle tous les ouvrages qui peuvent être découverts. La possession d’un livre est le crime capital, car terreau de pensées dissidentes et d’élévation des esprits. Les Bas-Fonds sont une peine ferme, à vie ; mais notre arrivée pourrait bien changer tout ça. Avec Pyre et son côté visual novel, Supergiant Games développe un grand nombre de personnages, ayant tous une identité marquée et une forte personnalité, prémisse du travail qui sera effectué sur le panthéon grec de Hades. Pour la première fois, Supergiant s’essaye au multijoueur. S’il sort seulement en local, il était pensé à l’origine pour être en ligne. Le mode multijoueur permet à deux joueurs de prendre le contrôle d’une équipe et de s’affronter aux cours de matchs. Pyre, tout comme ses aînés, a reçu un très bon accueil critique, avec en point d’orgue une nomination aux Games Awards de 2017 dans la catégorie du meilleur jeu indépendant de l’année.
La genèse de Hades :
Nous sommes en 2017, Pyre vient tout juste de sortir, Supergiant Games n’a pas encore d’idée pour son prochain jeu. En revanche, ils prennent une décision qui marque une première pour le studio, montrer leur processus de développement au public au travers d’une early access. Le public va avoir l’opportunité d’aider Supergiant à façonner et équilibrer son prochain titre.
L’équipe, alors composée d’une vingtaine de membres à l’époque, se réunit afin de déterminer quelle sera la suite pour le studio. Une chose est sûre, les atouts du studio Franciscanais devront être conservés et mis en valeur dans un tout nouveau type de projet. Greg Kasavin, alors creative director, a une idée en tête, créer un jeu qui inciterait les joueurs à y rejouer même après l’avoir terminé. C’était déjà une volonté exprimée avec Pyre, le nombre et la variété d’embranchements scénaristiques en sont un témoignage direct. Malheureusement, Greg Kasavin avouera lors d’une interview pour RockPaperShotgun ne pas avoir réussi à capter suffisamment les joueurs pour qu’ils enchaînent différentes parties.
Le genre du Roguelite est rapidement évoqué autour de la table. L’équipe convient que la répétition des boucles du genre s’adapte à leur structure narrative ouverte. Ils voient même une opportunité d’utiliser la narration pour faire de chaque run un moment unique.
Maintenant que cet embryon de jeu a un genre et une intention narrative, il faut lui trouver un cadre pour s’exprimer. Pour l’équipe, la mythologie grecque semble être l’écrin idéal pour cette histoire. Dans la foulée, naît l’idée d’utiliser les dieux grecs en tant que personnages, auxquels nous devons emprunter leurs pouvoirs. Dans son idée initiale, Hades est pensé comme un dungeon crawler, il prend place dans le labyrinthe de Minos qui abrite le célèbre minotaure. Ainsi, à chaque run, le labyrinthe prendrait une forme différente. Le but est d’arriver en son centre pour y affronter la bête thérianthrope. D’après Greg Kasavin l’idée de ce labyrinthe fonctionnait très bien pour l’aspect rogue, mais ce cadre les empêchait de développer l’histoire qu’ils voulaient raconter. Ils éprouvent aussi des difficultés pour créer un protagoniste qui leur convient. À l’origine, nous devions incarner cet orgueilleux Thésée, le nom du projet était même “Minos”. L’équipe n’est jamais parvenue à trouver le juste milieu entre le respect de la mythologie et sa réinterprétation. Le personnage étant jugé trop iconique et reconnu pour parvenir à le rendre intéressant. Kasavin, passionné de mythologie grecque, se replonge dans les écrits de Diodore de Sicile, d’Ovide, d’Hésiode, mais aussi dans différentes traductions de L’Iliade et L’Odyssée. C’est au détour de ses lectures qu’il fera la découverte d’un personnage qui deviendra le sien, Zagreus.
Selon Kasavin, Zagreus représente la page presque blanche idéale pour créer le protagoniste qu’il imagine. À part quelques lignes et un vague rapprochement à Hadès, il y a tout à écrire. L’équipe imagine alors l’histoire de Zagreus, ce fils d’Hadès essayant inlassablement de quitter les enfers auxquels il est lié. Après chaque échec, il revient au palais pour y subir les moqueries du maître des lieux. Les dieux de l’Olympe représentent un parfait moyen d’offrir différents bonus et avantages au joueur à chacune de ses tentatives. Ils permettent aussi d’ajouter une épaisseur supplémentaire à la narration, ils sont représentés comme cette grande famille dysfonctionnelle ou chaque membre à ses desseins et ses conflits. Tout cet univers semble décidément taillé pour le rogue lite.
Influences Artistiques
La direction artistique de Hades est un des éléments qui a fait le succès de la licence. Nous la devons à Jen Zee, directrice artistique de Supergiant Games. Jen Zee est une artiste et directrice artistique américaine qui travaille avec le studio depuis son tout premier jeu Bastion. Jen Zee a toujours été attirée par le jeu vidéo, elle doit sa vocation d’artiste au travail de Tetsuya Nomura, en particulier pour son travail de chara design sur la licence Final Fantasy. Si elle n’intervient qu’en tant que contractuelle sur le projet Bastion, son talent sera rapidement remarqué et récompensé d’un statut de directrice artistique dès le prochain projet de Supergiant, Transistor.
Concernant le jeu Hades, elle est avant tout responsable de la vision artistique qui porte l’entièreté du projet, du chara design et des environnements. Le reste de l’équipe de design s’est chargée du reste du jeu. Josh Barnett a travaillé sur les FX, les animations et l’UI Design, Joanne Tran sur les environnements, Paige Carter s’est occupée des modèles 3D, Thinh Ngo en tant qu’animateur et Camilo Vanegas sur l’animation et les modèles. En supplément, des artistes indépendants ont aidé à la production de tous les petits éléments restants tels que les icônes et les trophées.
Le Hellboy de Mike Mignola
La première chose que l’on remarque c’est ce style graphique assez radical du titre, très coloré et contrasté, proche du comics américain. Si le jeu a d’abord été envisagé avec un rendu plus proche de la peinture, c’est la technique de la plume et de l’encrage (pen and ink) qui sera retenue. Adopter ce style graphique était déjà une volonté de Jen Zee pour Pyre. En plus de proposer un rendu détaillé et des couleurs vibrantes, le temps consacré à chaque modèle est moindre en comparaison avec un travail de peinture. Dès les premiers visuels, nous ressentons toute l’inspiration de Jen Zee pour le travail de Mike Mignola, célèbre auteur de comics américain et reconnu, entre autres, pour son travail sur la série Hellboy. Il est passionné depuis toujours par les représentations de monstres et le gothique. Mignola se démarque par un dessin au trait, en ligne claire, prodige du clair-obscur et reconnu pour ces forts contrastes de couleurs, ces personnages aux formes anguleuses et les ambiances sombres qui se dégagent de ses œuvres. Y-a-t’il meilleure inspiration pour illustrer l’épopée infernale de Zagreus ? Il n’y a qu’à observer ces deux illustrations ci-dessous pour constater les similitudes de style.
Quand on les compare, on observe ce même dessin au trait, qui reste toujours de la même épaisseur, autant pour les contours que pour les détails. À l’inverse des dessins de Mignola, des zones de couleurs restent ouvertes, vous pouvez observer le trait discontinu au niveau du torse de Zagreus, entre sa peau et sa tenue. Le travail sur les ombres est similaire, on remarque cette utilisation du noir plein, parfois sur des parties complètes des personnages, il crée un fort contraste avec la couleur. Ces jeux d’ombres et de couleurs sculptent les volumes des personnages tout en faisant ressortir le moindre détail de leur design. C’est d’ailleurs une des principales raisons de l’utilisation du clair-obscur, rendre honneur aux volumes tout en ajoutant de la dramaturgie à l’image. Les personnages, nimbés de lumière, semblent surgir des ténèbres ou des enfers. Le noir vient accentuer chaque trait du visage, chaque mouvement du corps, il révèle l’état physique et émotionnel des personnages.
Le style de Mignola est aussi palpable dans la création des décors du jeu. Si l’on prend l’Asphodèle, il pourrait être directement tiré d’un décor de Hellboy. On retrouve la même grammaire graphique gothique, les statues imposantes, les colonnes, les têtes de mort, les flammes, les grands espaces nimbés d’une lumière rouge saturée. Le contraste fort des décors aide à mettre chaque détail en valeur, tandis que la palette de couleur limitée de l’ensemble assure de garder une grande cohérence visuelle. Le noir pur des ombres, déjà utilisé sur les personnages, est aussi appliqué dans les environnements. Regardez les images au-dessous, la manière dont le noir vient rehausser chaque couleur, autant dans le jeu que dans les planches de BD. La technique clair-obscur vient souligner l’ambiance horrifique des enfers. Le bord de chaque arène est plongé dans le noir total, de quoi rajouter un sentiment de mystère et d’oppression aux décors.
Fred Taylor
Fred Taylor est un peintre et concepteur d’affiches anglais né à Londres en 1875 et mort en 1936. Il étudie l’art à l’académie Julian à Paris puis à la Goldsmith College School of Art (Londre). Fred Taylor est un artiste très prolifique. Grâce à ses affiches, il a travaillé pour de nombreux clients prestigieux, la London North Eastern Railways (compagnie des métros de Londres) était son principal. Fred Taylor a réalisé près de 63 affiches pour les couloirs du métro londonien. Son style de représentation unique lui vaut de travailler pour l’armée anglaise, il réalise des camouflages et des tracs de propagandes destinées aux soldats anglais déployés lors de la Première Guerre mondiale. Ces affiches aux couleurs vibrantes devaient rappeler la beauté du pays aux soldats. Son travail de la couleur parvient à donner à la plus banale des scènes quotidienne un attrait certain. De quoi donner vie à l’extraordinaire quotidien des habitants des enfers.
On observe un trait de contour noir, ici irrégulier et non fermé, mais ce qui nous intéresse est l’utilisation de la couleur. Elle est travaillée en aplats, avec de grandes zones, les quelques ombres visibles sont faites avec des changements de ton de couleur, comme dans la direction artistique de Hades. On remarque cette utilisation du noir pur pour les ombres les plus contrastées. L’élégance certaine des personnages, notamment dans leur attitude, est aussi une inspiration pour les poses qui seront données aux différents dieux et demi-dieux que nous allons croiser. La représentation des scènes de vie est ici magnifiée dans un ensemble visuel dynamique et cohérent. Si l’on observe les scènes des affiches, elles semblent fourmiller de monde et de vie, à la manière des milliers d’âmes qui s’agitent sous terre. Les affiches de Taylor sont une rupture dans la représentation de la vie, loin de sa difficulté et de sa relative monotonie. Quand on représente la cuisine du palais d’Hadès, on représente une cuisine oui, mais une cuisine à la hauteur d’un dieu.
Yoji Shinkawa
Jen Zee est influencée par les designers japonais de renom, tels que Yoji Shinkawa. Il est né en 1971, un 25 décembre dans la province d’Hiroshima. Bercé par la télé et les productions de la Tatsunoko, il se passionne pour les animés comme Speed Racers, Demetan, Shurato ou Video Girl AI. C’est avec eux qu’il découvre les mécas au travers de séries comme Gatchaman (La Bataille des Planètes), Macross (Robotech) ou encore Evangelion. Les personnages aux proportions réalistes et aux légères inspirations comics des productions de Tatsunoko influencent son travail. Alors que tous rêvent de devenir mangakas, son dessin s’éloigne du style traditionnel et tendance de l’époque. Enki Bilal, dont il découvrira le travail lors de son adolescence, est une révélation. Il reprend la palette de couleur bleu-gris de l’auteur pour l’adapter à la série d’infiltration, Metal Gear Solid. Son style est en rupture avec le style plus flashy et coloré de l’époque. Son dessin réaliste à l’encre est caractéristique de l’artiste, il offre de forts contrastes et donne à ses personnages des poses très dynamiques. Il n’hésite pas à utiliser le noir plein pour sculpter chaque ombre et chaque volume. Le mot sculpté n’est pas anodin, beaucoup de références mythologiques utilisées pour créer les designs des personnages de Hades proviennent de statues. Ses personnages ont un aspect graphique très marqué qui va devenir l’identité de la série. Son dessin est vivant, s’approche du layout, il a tendance à évoquer les formes plutôt que de les dessiner. Cette approche lui permet à la fois d’avoir des dessins très détaillés tout en donnant une certaine légèreté au personnage. Ce style graphique offre une relative iconisation des personnages, ils ne semblent pas vraiment humains mais quelque chose d’autre, plus noble, plus beau. C’est un mode de représentation qui sied parfaitement à des dieux.
Le Maniérisme
Le maniérisme (ou “manierismo” en italien) est un mouvement artistique qui s’étend du début des années 1500 jusqu’au début des années 1600. Il marque une rupture avec l’art humaniste de la Renaissance. Le maniérisme se détache de l’idéal de représentation des corps et de la maîtrise de la perspective. Un groupe d’artistes, réunis autour de Jules Romain, cherchent à casser l’exactitude des proportions et l’harmonie des couleurs pour créer des sentiments nouveaux. Si la rupture se fait dans la construction des toiles même, les maniéristes citent des peintres de la Renaissance comme Michelangelo ou Raffaello. Les maniéristes s’emparent des mêmes thèmes classiques, mais cherchent à représenter les corps à la manière des postures des statues. Les œuvres maniéristes présentent différentes caractéristiques qui se retrouvent dans les représentations de Hades. On constate une déformation du corps avec la célèbre “ligne serpentine” (“Figura Serpentinata”), caractérisée par la forme de S données aux corps. Une exagération des formes et une recherche constante du mouvement (comme dans l’art de l’antiquité grecque). Ils utilisent des tons de couleurs acides et crus, inspirés par le travail de Michel-Ange sur la Chapelle Sixtine. Enfin, c’est un art de la citation, du symbole, qui s’adresse à un public lettré et cultivé. Ce maniérisme se retrouve dans les poses des personnages du jeu, cette “douceur langoureuse” qui déborde des corps des œuvres maniéristes est reprise pour illustrer les dieux et demi-dieux des enfers.
Le maniérisme concerne aussi l’architecture, il sera une influence pour la représentation du Palais de Hades. Le maniérisme en architecture va, lui aussi, à rebours des codes de l’architecture de la haute Renaissance. Il délaisse l’harmonie des espaces pour des ornements plus exubérants, présents en très grand nombre.
Les poteries
Dans le style graphique de Hades, ce dessin aux traits avec autant de contraste, évoque également l’art de la Grèce antique, plus particulièrement le travail de poterie.
Comme vous le constatez, nous retrouvons dans les ornements de ces vases, deux des éléments principaux de la direction artistique de Hades. Tout d’abord les traits de contours, régulièrement blancs, réalisés avec un trait régulier et d’une grande finesse. Ces mêmes traits sont utilisés pour ajouter des détails aux personnages. Ensuite, c’est ce contraste saisissant entre cette couleur ocre des corps et les noirs profonds du fond qui est similaire. Les personnages semblent surgir des poteries, comme flottants à leur surface. C’est aussi en s’inspirant des représentations faites sur des poteries que Jen Zee s’inspire pour créer les personnages du jeu. La couronne de Lauriers de Thésée par exemple est une référence à une de ses représentations sur des vases.
Le nu grec
La première référence évidente pour Jen Zee quant à l’élaboration des personnages est, vous vous en doutez, les vestiges bien réels que nous avons découverts de la Grèce antique. L’inspiration viendra notamment des statues, plus particulièrement des nus grecs. Ces statues, aussi imposantes que gracieuses, sont un témoignage du culte du corps dans la Grèce antique, la célébration du corps étant d’ailleurs le principal sujet de l’art Grec tout entier. Les artistes travaillent avec cette idée omniprésente de le représenter en mouvement, l’élan du discobole en est le parfait exemple. Le nu est un sujet récurrent dans la société grecque, à tel point qu’un mot comme gymnase tient son étymologie du mot “nu”, car oui en Grèce antique, on fait du sport nu. Rien de tel que l’effort pour admirer la perfection des corps.
Du latin gymnasium, du grec ancien γυμνάσιον, gumnásion, lui-même issu de γυμνός, gumnós (« nu »).
Les statues représentent soit des sportifs dans le cadre de leur pratique, soit des scènes mythologiques, soit les dieux eux-mêmes. Quoi de mieux que le divin pour évoquer la perfection ? Dans Hades, nous remarquons cette influence à chaque rencontre avec un des habitants de l’Olympe. Ils sont beaux, charismatiques, expressifs ; nous dévoilent juste ce qu’il faut de leur corps pour cerner toute la perfection physique de leur être, en bref, ils en imposent !
Regardez les, ils en deviennent presque intimidants de beauté, de grâce et d’assurance. Jen Zee s’est assurée de créer une identité forte pour chaque personnage, elle puise dans les représentations connues de ces derniers et intègre ses influences au style graphique choisi. Le design final étant un mélange du réel et des inspirations de l’artiste. Pour créer l’identité de chacun d’eux, elle leur donne d’abord une dominante chromatique, le jaune pour Zeus, le violet pour Dionysos ou le rose pour Aphrodite… De cette manière, ils sont rapidement différentiables en plus de leur donner un ton visuel. Prenons Zeus par exemple, sa couleur dominante est le jaune, elle est synonyme d’ego, de puissance, de connaissance et de chaleur dans ses aspects positifs ; et de traîtrise, de mensonge et de supercherie dans ses significations plus négatives. Des traits qui correspondent à merveille au caractère du roi de l’Olympe. De la même manière, Poséidon se voit attribuer la couleur bleue, signe de sagesse, de vérité et de fidélité mais aussi symbole de la mélancolie, elle sera perceptible dans chacune de ses paroles. La simple couleur évoque toute la dualité dans le caractère de ces êtres divins et pourtant si humains. Le travail dans leur pose et attitude correspond aussi à l’image que l’on s’est tous créés : Ares, fier, droit, déterminé dans son armure rutilante, Hermès léger comme l’air, les yeux rivés sur sa destination, qui semble passer en un battement d’ailes. Je parlais de mouvement, il semble littéralement bondir en un pas, entre la pose et la perspective du modèle, un grand dynamisme s’en dégage.
Jen Zee est parvenue à trouver des petits éléments visuels rappelant le rôle ou le statut de chaque dieu. Ainsi Zeus voit le bas de sa barbe terminer en forme de nuage rappelant son statut dans l’Olympe. Dionysos est habillé d’un motif de léopard, animal qui lui est rattaché dans de nombreuses représentations. Chaos qui tient une terre miniature entre ses doigts et on peut observer une galaxie d’étoiles dans la chevelure de Nyx. La barbe de Hadès prend logiquement la forme du symbole des enfers, le Sigil des morts. Il symbolise le bident qu’il utilise comme arme. Quant à Aphrodite, son design est basé sur le tableau de la Naissance de Vénus de Botticelli. La déesse de l’amour est représentée nue, debout, simplement vêtue de quelques mèches de ses cheveux dont les extrémités forment des cœurs. Autant de petits détails qui enrichissent les illustrations, leur confèrent un petit supplément d’âme tout en ancrant les personnages dans notre imaginaire.
Choix Artistiques
Impression enfers brûlants
Si vous vous demandez ce qui rend la direction artistique de Hades si particulière, le petit truc en plus qui vient donner toute la force de son identité au jeu, sachez qu’il vient de la couleur. Des highlights tout d’abord. Les highlights sont les lumières d’ambiance qui vont venir épouser la silhouette des personnages et des éléments du décor. Dans Hades, les couleurs utilisées pour ces lumières sont très vives, parfois acidulées. Observez le vert sur les cheveux de la furie Alecto, ou encore l’orange présent sur la main de Zagreus.
L’autre élément qui vient parachever le charme de ce style graphique, c’est une utilisation de touches de couleurs saturées qui viennent casser les grandes zones d’aplats de couleur. Ce travail de la couleur en touche peut nous évoquer les tableaux impressionnistes. Dans les peintures des grands maîtres de l’impressionnisme, on remarque des tons de couleurs qui ne se retrouvent pas dans les scènes réelles. Ces touches contribuent à donner l’impression de la scène. Dans le jeu, les petites touches de couleurs finissent d’apporter du dynamisme à l’ensemble du rendu. Elles se retrouvent autant sur les personnages que dans le monde du jeu. Je peux aussi citer l’utilisation de la lumière, particulièrement les halos hexagonaux animés autour de celles-ci, comme l’un des détails caractéristiques de la direction artistique de Hades.
La logique de la diversité
Les designs du panthéon grec font preuve d’une grande diversité, c’est une volonté de l’équipe de faire intervenir cette diversité dans la représentation des dieux. Elle se veut à l’image de la grande civilisation cosmopolite grecque. De l’Egypte à l’ouest de l’Inde, en passant par le nord de l’Arabie et la Perse, les différentes ethnies au sein de cette grande civilisation y sont représentées. C’est une manière d’exprimer visuellement le long héritage culturel grec et l’influence du panthéon égyptien sur les déités de l’Olympe. Cette diversité découle aussi de la volonté de représenter des dieux universels, oui, ils sont les dieux de la Grèce antique, mais leur domination est établie sur le monde. Pourquoi devraient-ils être à l’image des Grecs uniquement alors que leur royaume ne s’arrête pas aux frontières de l’espace aérien grec ?
Ainsi, Athéna est représentée comme une femme à la couleur de peau foncée, Hermes, lui pourrait venir de l’est de l’Asie, Eurydice est une belle femme noire dont la coupe afro est représentée par des branchages et leur feuillage. Kasavin considère les dieux de la Grèce antique, non pas comme les dieux des Grecs, mais comme les dieux les plus puissants du monde à l’époque de la Grèce antique.
La mythologie derrière Hades
Situer le jeu dans la Grèce antique, c’est aussi l’occasion de réinterpréter parmi les plus grands mythes de l’époque. Les scénaristes de Supergiant Games parviennent à intégrer ces mythes à l’histoire du jeu d’une manière remarquable. Il est intéressant de comprendre comment l’équipe s’est approprié les grands mythes. Personnages et légendes vont sans cesse croiser le chemin de Zagreus. Ces héros mythiques, ces histoires tragiques, elles serviront à la fois d’inspiration, mais aussi d’avertissement pour Zagreus. Nous allons voir au travers de différents exemples comment, entre respect et création, Supergiant s’en est emparé.
Hadès
Hadès (en grec ancien : ᾍδης ou Ἅιδης / Háidēs), Dieu des morts et roi des enfers, donne son nom au jeu et est le père de Zagreus. Dans le jeu, Hadès est un personnage acariâtre, représenté toujours à son bureau, travaillant sans relâche à sa tâche de Dieu des morts. Il est froid avec tous les personnages excepté Perséphone. Cette description correspond à celle faite du dieu pendant l’Antiquité. Un dieu qui inspire la peur et la pénitence, de par le funeste destin qui nous concerne tous. Il était si craint que certains euphémismes furent employés pour le désigner, Polydegmon (“celui qui reçoit beaucoup”) ou encore Plouton (“le riche”). Le jeu fait plusieurs fois référence à ces noms en mentionnant l’incommensurable richesse de Hadès, une âme le nomme même “Dieu des Riches”. Ces surnoms proviennent de son statut de roi des enfers, tout ce qui est sous terre lui appartient. Donner le nom de Hadès au jeu est une intention directe de provoquer la peur.
C’est un respect total du mythe, il n’y a pas besoin d’y toucher car il sert parfaitement le propos du jeu.
Nyx
Nyx (en grec ancien Νύξ / Núx) est une divinité primordiale, elle est l’incarnation même de la nuit. Elle est née de Chaos avec Gaïa, Tartare et Erèbe. De ces divinités primordiales, naîtront les dieux de l’Olympe. Cette ascendance se remarque dans les différents dialogues du jeu entre Nyx et Hadès. Il y a peu de références dans la mythologie de Nyx, Supergiant en a fait la mère adoptive de Zagreus et la mère de tous les enfers. Elle chérit Zagreus comme ses propres enfants, après tout, c’est elle qui insuffle la vie au corps mort-né de notre prince, elle fera de son mieux pour le conseiller dans son aventure.
Supergiant profite du vide dans la légende de Nyx pour entremêler le mythe à sa fiction. C’est une manière habile d’obtenir un personnage à la fois reconnu et qui remplit aussi une fonction purement fictionnelle.
Charon
Charon (en grec ancien : Χάρων) est un des enfants de Nyx, il est le célèbre passeur du Styx, son devoir est de transporter les âmes défuntes dans le royaume des morts. Dans le jeu il a la même fonction, en plus de tenir les différentes boutiques présentes dans les enfers. C’est un symbole des oboles qu’il reçoit en guise de paiement pour le transport des morts. Dans la tradition grecque, l’obole est placée sur la langue du défunt. Charon inspirait la crainte dans l’antiquité, cette crainte se retrouve parmi les personnages des enfers, et même les dieux, Poséidon le qualifie de “dérangeant”, tandis que même Cerbère s’en tient éloigné. Dans le jeu, il est un personnage peu loquace, qui ne s’exprime que par des grognements sans sens. Cet aspect de son caractère est une idée du Studio, certainement afin de rendre le personnage plus mystérieux encore, mais aucune référence mythologique vient appuyer ce choix.
Ici, du mythe, découle une fonction purement vidéoludique, à savoir la boutique, mais qui trouve un fondement logique dans la mythologie du personnage.
Hypnos et Thanatos
Respectivement les incarnations du sommeil et de la mort, Hypnos (en grec ancien Ὕπνος / Húpnos) et Thanatos (en grec ancien Θάνατος / Thánatos) sont étroitement liés, Nas ne disait-il pas que le sommeil est le cousin de la mort ? Dans la mythologie grecque, ils sont frères jumeaux, tous deux nés de Nyx. Ils travaillent en équipe, le vase peint “Le corps de Sarpedo” le suggère, il est peint d’après un passage de l’Iliade dans lequel les deux frères ramènent le corps de Sarpedo dans son village natal pour y être inhumé. Dans le jeu, la dynamique est différente, Thanatos est concerné par son rôle et déterminé à accomplir sa tâche, tandis que Hypnos préfère taper sa meilleure sieste au lieu de travailler. Les personnages du jeu décrivent Hypnos comme ennuyant et tire-au-flanc, Nyx s’inquiète parfois de savoir si son fils remplit bien son devoir. Thanatos va même jusqu’à préférer le destin de Zagreus et ses morts continuelles plutôt que d’être Hypnos. Cette différence de personnalité entre les deux frères donne un aspect comique à leur relation et leurs échanges. Pour Thanatos, sachez qu’il n’a jamais été représenté avec une faux, c’est un héritage de notre vision de la faucheuse. Les deux frères sont un bon exemple pour comprendre comment Supergiant Games entrecroise les différentes mythologies à des éléments inventés de toute pièce pour créer des personnages intéressants pour le jeu tout en restant cohérent avec leurs mythes. Ils s’amusent avec le caractère du personnage d’Hypnos afin de le rendre plus intéressant, plus attachant et créer de l’humour dans ses interactions avec d’autres personnages.
Achille et Patrocle
Achille (en grec ancien Ἀχιλλεύς / Akhilleús), est peut être le héros grec le plus connu et Patrocle (en grec ancien Πάτροκλος / Pátroklos ou Πατροκλῆς / Patroklễs), sont un autre exemple dans la manière qu’a Supergiant Games de jouer avec la mythologie. Leur histoire complète étant narrée dans L’Iliade et l’Odyssée, le studio décide d’écrire l’après pour nos deux fiers combattants. Pour revenir brièvement sur leur histoire, Achille et Patrocle sont deux amis, ou amants, selon les différents écrits. Patrocle est mort durant la guerre de Troie. Il est tombé au combat face à Hector, en se faisant passer pour Achille, qui refusait alors de combattre. Ce dernier, pris d’une rage vengeresse, fit déferler sa colère sur les Troyens et tua Hector, leur prince, afin de venger son ami. Ces événements mèneront ensuite à la mort d’Achille lui-même. Dans le jeu, qui choisit la relation romantique entre les deux hommes, nous allons vivre tous les remords des deux compagnons. Achille s’en voudra toujours de la mort de Patrocle et de son destin après la mort, coincé dans les enfers. C’est aussi du fait d’Achille, qui, dans son accès de colère, a tardé à s’occuper du corps de son ami. Si dans l’Odyssée, Achille se retrouve dans le pré de l’Asphodèle, dans le jeu, il habite la maison d’Hadès. Zagreus servira d’intermédiaire entre les deux hommes et sera le moteur de leur pardon mutuel. Les scénaristes ont la bonne idée de poursuivre leur histoire dans la mort, un beau moyen de véhiculer tout l’héritage mythique des personnages tout en y ajoutant leur propre conclusion.
Pour ce dernier exemple, nous voyons qu’ils intègrent l’entièreté du mythe en le poursuivant au travers de leur propre histoire.
Vous avez maintenant une vision un peu plus précise sur les différentes manières dont Supergiant Games a construit son histoire autour de la mythologie. Si vous souhaitez en apprendre plus sur l’entièreté des mythes dans Hades, Orphée et Eurydice, les dieux Olympiens, Sisyphe ou encore les Furies, je ne peux que vous conseiller l’excellente vidéo “The Mythology behind Hades” de Ludiscere (lien ici) qui m’aura servi de principal support pour toute cette partie.
Zagreus, héros Grec
Chara Design
Si nous ne devions étudier qu’un seul personnage, le design de Zagreus serait l’exemple idéal. Mettons à l’honneur notre héros, fils d’Hadès et de Perséphone. Zagreus est la parfaite page presque blanche que Supergiant se fit un honneur de remplir.
Je l’ai dit précédemment, Zagreus était à l’origine Thésée, sachez qu’il conserve néanmoins quelques détails de designs créés à l’origine pour ce dernier. La couronne de Lauriers par exemple, à l’origine attribuée à Apollon :
Elle représente le destin victorieux de notre jeune fils des enfers, à l’image de la victoire de Thésée sur Asterios, le minotaure. Il hérite aussi d’une épaulière massive qui le caractérise, les designs de Thésée la dessinent en forme de tête de Taureau, celle de Zagreus reprendra les trois crânes du Cerbère, symbole de son infernale origine. Dans son caractère, il hérite de toute l’assurance et la détermination de son prédécesseur.
Quand on s’attarde un peu plus sur le design de Zagreus, beaucoup d’éléments nous en disent plus sur le caractère du personnage, à commencer par son hétérochromie.
Si les yeux sont le reflet de l’âme, ceux de Zagreus trahissent une personnalité, à l’image de sa famille olympienne, polarisée. Un sentiment d’amour, de passion mais aussi de colère et de rébellion, brûle d’un feu inextinguible dans son œil droit rouge sang. L’incandescence apparente de cet œil laisse penser que les sentiments de Zagreus sont au bord de l’explosion, ils s’infiltrent au travers de son enveloppe charnelle. Son œil gauche, lui, est révélateur de son improbable destin, il brille du vert de l’espoir, mais aussi du vert de l’échec. Un symbole direct de la tâche qui l’attend dans l’apparente impossibilité de son infernale odyssée. Son œil droit, le rouge, est hérité de son père tandis que le gauche brille du même vert que les yeux de Perséphone, sa mère.
Un autre élément de son design mérite notre attention, ce sont ses pieds. Les pieds de Zagreus sont incandescents, des flammes sortent de sa plante de pieds quand il marche. Vous me direz que ça vous parait assez normal pour le fils de Hadès, là aussi c’est une marque directe de l’affliction qui touche Zagreus. Ces flammes sont le lien de Zagreus avec les enfers, la chaîne qui le lie à son père et à son destin dans le monde souterrain.
Si ses pieds le relient à son père, son exact opposé, soit ses cheveux, le rattachent à sa mère, Perséphone. Quand on regarde Zagreus de bas en haut, son design représente sa destinée toute entière. Un demi-dieu aux pieds ardents qui le lient aux morts et à Hadès, son père ; mais aussi un demi-humain ayant hérité de la force de vie de sa mère Perséphone, qui cherche désespérément sa raison d’exister à la surface. Le corps de Zagreus représente le lien, un pont entre mort et vie, un pont entre enfer et surface, mais aussi un pont entre les différents personnages qui croisent notre route.
Ne nous arrêtons pas qu’au design de Zagreus, en observant son épée, Stygius, nous remarquons sur sa lame six runes distinctes illuminées de vert. Elles représentent chacun des six dieux Olympiens de la première génération : Poséidon, Héra, Hestia, Hadès, Zeus et Déméter. Que les runes apparaissent sur l’arme de Zagreus représente les bienfaits comme source de sa puissance. Le pommeau de l’épée, fait d’émeraude et de rubis est un rappel direct aux yeux du héros et à sa personnalité toute entière : la passion, l’espoir et la colère guident sa lame.
Mythologie d’un personnage
Parmi tous les personnages du jeu, Zagreus occupe une place particulière. Son propre mythe étant très peu développé, Supergiant Games va puiser dans les mythes de la Grèce antique pour écrire son héros. Le jeu s’amuse parfois avec l’origine floue du personnage, Thésée allant même jusqu’à lui dire :
“He’s but a nameless, long forgotten minor god born of the depths, and bound to stay in them”
“Il n’est qu’un dieu mineur sans nom, oublié depuis longtemps, né des profondeurs et condamné à y rester”
Thésée
Le Dieu du Sang
Dans le codex du jeu, il y a une note à propos de Zagreus qui est intéressante concernant son mythe. C’est dans la rubrique de Thanatos, il dit de Zagreus :
“My thought is that the master’s son must be the God of Blood ; of Life.”
“Je pense que le fils du maître doit être le Dieu du sang et de la vie.”
Cette pensée n’est pas absurde, dans le sens où, dans la mythologie grecque il n’y a pas de Dieu qui incarne la vie ou le sang. Cette déduction de Thanatos prend du sens quand on regarde le contexte de Zagreus dans l’histoire du jeu. Le sang, ici, peut être interprété de manière littérale comme d’une façon plus symbolique.
Littéralement, Zagreus est le seul dieu de l’univers du jeu à saigner rouge, Alecto y fait notamment souvent référence en appelant le prince ‘Redblood”. Hadès va même qualifier cette particularité “d’aberration”. Sachez que dans la mythologie, les dieux ne saignent pas. Lorsqu’ils sont blessés ou tués, leur corps rejette de l’ichor, qui est communément d’une couleur dorée. L’or faisant référence au pouvoir et à l’immortalité dans les mythes grecs, en témoignent la toison d’or de Jason ou les pommes du jardin des Hespérides. Ce sang rouge fait de Zagreus un mortel, rien d’illogique dans la mesure où sa mère, Perséphone, est elle-même une demi-mortelle.
D’une manière plus conceptuelle, le sang peut représenter la famille. Après tout, Zagreus part à la recherche de sa mère et de son origine à la surface, créant par la même occasion des liens avec les autres membres de sa famille Olympienne. Greg Kasavin qualifie lui-même les dieux comme “Une grande famille dysfonctionnelle”. Zagreus apporte du lien et des relations plus apaisées entre les différents personnages. Il finit même par réconcilier son père avec le reste des olympiens.
Et si le dieu du sang et de la vie était en fait le dieu de la renaissance ? Après tout, nous sommes dans un roguelite, Zagreus passe son temps à mourir, puis renaître. De plus, le jeu nous apprend qu’au départ Zagreus était mort-né, c’est Nyx qui insuffle à nouveau la vie dans le corps du nourrisson. Il est un héros qui a appris à mourir avant de vivre.
La Tragédie Grecque
La tragédie grecque est une représentation théâtrale de l’Athènes antique qui connaît son apogée pendant le Ve siècle avant J.-C. À l’origine, ces représentations étaient religieuses. La tragédie s’est transmis à nous par le travail de trois auteurs majeurs, Eschyle, Sophocle et Euripide. La tragédie prend une place de choix dans la société athénienne et servira d’inspiration pour un grand nombre d’auteurs dans les siècles qui suivront. La presque totalité des tragédies que nous connaissons aujourd’hui sont basées sur des mythes connus, les autres relatent des faits historiques. La récurrence des mythes et des histoires fût un problème lors des célébrations, le public connaissait déjà les tenants et les aboutissants de chaque pièce. Les auteurs imaginent alors des actions ou des événements qui viennent bousculer le fil du récit, la péripétie. Aristote, théorise la péripétie dans la Poétique. Il la décrit de la manière suivante :
“un changement en sens contraire dans les faits qui s’accomplissent […] selon la vraisemblance ou la nécessité.”
La péripétie vient créer de la surprise dans les histoires, elle change des situations connues pour en faire quelque chose de nouveau, la péripétie incarne quelque part une première réinterprétation des grands mythes grecs. C’est cette capacité à renouveler les mythes qui va faire de la tragédie un art majeur de la Grèce antique.
En interprétant les mythes grecs, en bousculant les connaissances établies de ces mythes et en créant des rebondissements dans son histoire, nous pouvons dire que Supergiant reprend la tradition des auteurs du passé pour nous offrir une véritable tragédie grecque moderne.
Le Héros Grec
La Figure du héros grec est un des mythes les plus connus et repris au travers des âges. Mais qu’est-ce qu’un héros grec au juste ?
Pour commencer, les héros grecs ont toujours une part humaine. Ils sont pour la grande majorité des demi-dieux, un de leur parent étant humain tandis que l’autre étant de l’ordre du divin. Achille, par exemple, à la déesse Thétis comme mère et Pélée, un simple mortel, comme père. Certains mêmes, comme Œdipe, ont leurs deux parents qui sont humains. D’avoir des parents humains permet d’ancrer le récit de ces héros dans le réel. En leur donnant un lieu d’origine bien défini, les citées profitent alors de l’aura du héros, elles deviennent des lieux de culte et de pèlerinage. Il n’y a pas de héros sans quête héroïque ou sans grande créature à affronter. C’est une des autres constantes dans les histoires des héros grecs, après tout, on ne mesure l’héroïsme qu’à la hauteur de la tâche que le héros accomplit. On trouve dans le folklore nombre de bêtes impressionnantes, sphinges, sirènes, hydre, lion de Némée, sanglier d’Erymanthe… Ces créatures représentent un fardeau pour les populations, un fardeau dont le héros viendra les libérer. La quête, ou l’épreuve, du héros a une origine divine. Qu’ils les affrontent ou qu’ils les assistent, les dieux seront toujours de la partie, ainsi Héraclès est poursuivi par Héra après l’adultère de Zeus, Ulysse poursuit Poséidon pour se venger de lui et Persée est assisté d’Athéna. Enfin, le héros grec possède toujours une compétence particulière qui fera sa renommée. On peut citer la force physique d’Héraclès, l’intelligence d’Ulysse qui échappe aux Sirènes, mais encore la simple capacité de réflexion d’Œdipe face à l’énigme de la sphinge.
Penchons-nous sur notre héros maintenant, né d’un dieu et d’une demi-déesse, il affronte perpétuellement tous les monstres des enfers ainsi que des personnages et des créatures mythiques. Dans son épopée infernale, il est assisté de nombreux dieux qui viendront lui offrir leurs dons. Zagreus incarne bel et bien la figure du Héros Grec.
Représenter les enfers
Comme vous le savez, le monde souterrain est notre terrain de jeu, une attention particulière a été placée dans la création de chacune de ses régions. Dans la mythologie, les enfers sont parcourus par cinq fleuves infernaux, trois d’entre eux sont visibles dans le jeu, le Styx bien évidemment, le Phlégéthon et le Léthé. Sa géographie aussi inconnue que changeante était le lieu parfait pour toutes les épreuves qui attendent notre jeune prince. La seule indication que nous avons est celle de sa profondeur, Hésiode estime que le fond des enfers est aussi éloigné de la terre que le ciel et qu’il faudrait 9 jours et 9 nuits de marche pour en atteindre le fond. Le monde est divisé en cinq parties distinctes. Au plus profond se trouve le palais d’Hadès qui sera le point de départ de toutes nos tentatives de fuite. Ensuite, juste au-dessus, c’est le Tartare, l’endroit le plus sombre des enfers selon Homère. A l’étage supérieur, l’Asphodèle, puis les Champs Élysées avant d’atteindre la dernière étape avant la sortie, le Temple du Styx. Pour créer chaque zone du jeu, Jen Zee explique être en étroite collaboration avec Greg Kasavin. Artistes et scénaristes travaillent afin de déterminer plusieurs éléments essentiels. Tout d’abord, quelle est l’histoire de cette zone afin d’en déterminer un ton. Ensuite, l’équipe réfléchit à la palette de couleur qui pourra retranscrire au mieux le sentiment que doit nous évoquer le lieu. Concernant la représentation des enfers vous allez voir qu’il y a de nombreuses descriptions et œuvres sur lesquelles l’équipe a pu se baser. Le monde souterrain et sa carte ont des similitudes avec la représentation des enfers que dresse Sandro Botticelli en réalisant les Cercles des Enfers.
Le palais d’Hadès
Si l’on considère la mythologie, aucune véritable mention d’un palais d’Hadès n’est à relever. C’est à postériori dans des peintures et des textes que des représentations seront faites d’un palais. La mythologie indique que Hadès loge dans une partie des enfers proche des Champs Élysées, et donc de la sortie des enfers. Une différence avec le jeu qui le place en son fond. Dans le jeu, il est décrit comme une maison bien fournie qui loge bon nombre de résidents. Il est aussi dit que le palais existait sous une autre forme avant que le Maître des lieux ne s’y installe. Pour sa représentation, sa partie principale reprend le plan d’un temple avec son bassin de sang qui fait office de Pronaos (entrée), puis vient un long couloir bordé de colonnes, le Naos et ensuite le bureau de Hadès est l’Adyton, la partie dédiée aux offices religieuses du temple. Sur les côtés, nous trouvons les parties dédiées à l’habitation, des chambres, une cuisine et des bureaux. Le palais de Hadès est à l’image de son surnom de ‘le riche”, il est orné d’une multitude de gemmes, autant de rappels des richesses que renferme le sous-sol de la terre. L’intérieur est richement décoré, des moulures, des dorures, des fioritures tapissent chaque surface du palais. Un grand nombre de statues et de tapis habillent les murs. Sa construction et sa décoration riche viennent de ce qu’on appelle le maniérisme post parthénonien, qui rassemble les constructions grecques érigées après le Parthénon. Une pièce est dédiée à l’exposition de cratères cinéraires typique de la Grèce antique.
Le Tartare
Le Tartare est la zone la plus profonde et la plus sombre du monde souterrain, elle est réservée aux âmes mauvaises pour y vivre un châtiment éternel. C’est ici qu’on trouve les dieux ayant trahi les olympiens, Sisyphe, Ixion et bien d’autres qui ont osé défier les dieux. Tartare était avant tout une divinité primordiale des abysses qui est un enfant de Chaos, il personnifie le lieu. Une explication quant au manque de cartographie du lieu mais aussi à son mouvement incessant. Le Tartare est bordé du Styx, ce fleuve qui donne sa presque immortalité à Achille, et symbole de la haine. Le Tartare est une représentation plus moderne et occidentale que l’on se fait de l’enfer. Dans le jeu, il est semblable à la description mythologique qu’il en est faite. Un lieu aride et figé, fait de lacs de soufre et de poix bouillonnants et entourés par une rivière de feu. Jen Zee fait le choix du métal pour habiller l’espace, il renvoie cette image froide et inerte que les textes suggèrent. La palette de couleur va de gris froids à des verts acidulés, comme pour rappeler la pourriture nauséabonde des âmes bloquées ici pour l’éternité. Le Tartare symbolise le châtiment éternel et la justice divine. Les représentations faites du Tartare, par Brueghel notamment, témoignent de l’ambiance chaude et suffocante du lieu.
L’Asphodèle
L’Asphodèle est la seconde région des enfers que l’on traverse. C’est l’équivalent du purgatoire, un lieu où les âmes, ni bonnes, ni mauvaises, résident. C’est la plus grande partie du monde souterrain car réservée au commun des mortels. Aussi appelée champ de l’Asphodèle ou prairie de l’Asphodèle, Homère la mentionne à plusieurs reprises dans l’Odyssée. Elle tire son nom de la fleur d’asphodèle qui tapisse les étendues des champs. Elle est parfois aussi appelée prairie des cendres (qui est presque un homonyme en grec antique), ce surnom lui est donné à cause du fleuve infernal enflammé qui la traverse, le Phlégéthon (littéralement Φλεγέθων, le Flamboyant). Son feu liquide est fait pour empêcher les damnés de fuir les Champs des Châtiments. L’Asphodèle étant réservé aux âmes banales, ne croyez pas tout de même qu’y rester est une partie de plaisir, l’atmosphère y est ardente, à tel point Zagreus avoue avoir parfois du mal à y respirer. Dans le jeu, l’Asphodèle se présente comme des étendues fleuries d’asphodèles, fragmentées par les bras de feu du Phlégéthon. C’est dans cette zone que vous ferez la rencontre d’Eurydice, seul amour d’Orphée et morte après une morsure de serpent. La zone apparaît comme cramoisie, faute aux crues du fleuve qui est mentionné par Zagreus pendant l’aventure. Ici la zone est faite de rouges et de violet lui donnant cet aspect de terre brûlée. Le peu de toiles y faisant référence, dépeignent une véritable fournaise. Cette zone est la plus empreinte d’une ambiance infernale telle qu’on l’imagine.
Les Champs Élysées
Pour faire simple, les Champs Élysées sont l’équivalent de notre paradis Judéo-chrétien. Les Champs Élysées accueillent les plus grands héros de la Grèce antique. Homère et Hésiode les décrivent comme un lieu où le printemps est éternel, avec une multitude de fleurs et d’oiseaux. Un lieu paisible où les âmes ayant recueilli les faveurs des dieux peuvent vivre en paix avec la nature. Les Champs Élysées sont bordés par le fleuve infernal du Léthé, le fleuve de l’oubli (Λήθη / Lếthê, « oubli »). Les âmes peuvent venir y boire son eau afin d’oublier tout de l’enfer et d’être ainsi réincarnées. Les poètes décrivent le Léthé comme un fleuve calme et paisible, un fleuve d’huile qui s’écoule lentement et en silence. Dans le jeu, les Champs Élysées apparaissent comme une zone bien plus lumineuse et vivante. Pour les représenter, l’équipe fait le choix d’employer des couleurs entre le vert et le bleu, choix qui ne sont pas anodins. Le vert représente la nature, l’espérance et la vie tandis que le bleu ici, évoque le calme, l’ordre et la fraîcheur. La palette de couleur est radicalement différente des deux autres régions précédentes pour marquer la rupture qu’incarne ce lieu avec le reste du monde souterrain. Les Champs Élysées, que ce soit dans les textes ou les peintures, sont décrits comme un lieu verdoyant et harmonieux, presque édénique.
Le Temple du Styx
Le temple du Styx ne fait l’objet d’aucune mention concrète dans la mythologie grecque. On peut le considérer comme le point d’entrée des enfers. Un des éléments qui vient raccrocher la mythologie est la présence du Cerbère qui veille à ce qu’aucun humain ne pénètre dans le monde souterrain et à ce qu’aucune âme ne le quitte. Dans la mythologie, le Cerbère est le gardien des enfers. Il existe de nombreuses représentations de la créature, mais aucune ne nous permet de visualiser un temple. Dans le jeu, le temple semble être un amalgame du palais de Hadès avec son architecture mélangeant les inspirations gothiques et maniéristes avec le métal présent dans le Tartare. La zone est décorée d’une magnifique fresque représentant le Cerbère.
Un bestiaire infernal
Les enfers sont peuplés des pires créatures que la mythologie peut imaginer. Qu’elles soient des créations du studio ou qu’elles fassent écho à des créatures bien connues des mythes, elles méritent notre attention.
Créatures fictives
La majorité du bestiaire est une création du studio pour les besoins du jeu. Elles trouvent malgré tout leur signification dans l’univers. Les misérables, par exemple, sont un groupe d’esprits peuplant le Tartare. Leur forme est déterminée par la raison de leur présence dans les tréfonds des enfers. Ainsi, les voleurs et autres scélérats se transforment en brutes misérables tandis que les meurtriers prennent la forme de roublards. Certains autres misérables, comme les Cendropodes, proviennent d’un amalgame d’âmes malicieuses. Il y a aussi les Exaltés, ces âmes héroïques d’anciens guerriers parcourant les Élysées. Liées à leurs armes dans la mort, elles cherchent sans cesse le combat, afin de revivre, peut-être, le frisson de leur ultime victoire.
L’amalgame
Cet ennemi est une création de Supergiant Games, mais elle trouve son origine dans les mythes de la Grèce antique. Dans le jeu, l’amalgame est représenté par une boule lumineuse rose flottant paisiblement dans les airs. Des papillons volent à sa proximité et n’hésitent pas à attaquer Zagreus quand il s’approche. Ce sont précisément ces papillons qui nous intéressent. Pour les Grecs, les papillons sont associés à la déesse de l’âme, Psyché. Elle symbolise la transformation de l’âme humaine. Le terme grec ψυχή (psuchè) peut en effet être traduit par « âme » ou par « papillon ». Dans la légende, Psyché est condamné par Aphrodite à voler des fragments de la beauté de Perséphone. Psyché, en ouvrant le coffre contenant le précieux fragment, tombe dans un sommeil profond. Zeus, touché par son histoire, lui accorde l’immortalité. Elle renaît sous forme de déesse aux ailes de papillon, métamorphosées d’humaine à déesse, de mortelle à éternelle.
Les Érinyes
Les Érinyes ou Furies viendront essayer de stopper Zagreus à la sortie du Tartare. D’après Hésiode, les Furies sont les filles de Gaïa et du sang corrompu d’Ouranos mutilé. De nombreuses origines leur sont données, mais sachez que les traditions Orphiques (courant religieux) les décrivent comme les filles de Hadès et Perséphone. L’Iliade mentionne aussi un attachement au monde souterrain. Nous ne connaissons pas leur nombre exact mais Virgile en dénombre trois : Mégère (Μέγαιρα / Mégaira, « la Haine »), Tisiphone (Τισιφόνη / Tisiphónê, « la Vengeance ») et Alecto (Ἀληκτώ / Alêktố, « l’Implacable »). Elles sont une personnification de la malédiction, elles poursuivront l’être maudit dans la vie et dans la mort s’il le faut. Elles sont représentées comme des femmes ailées ayant des serpents pour cheveux et armées de fouets et de lanternes vertes. Du sang coule parfois de leurs yeux. Les Érinyes sont grandement représentées dans l’art, ces illustrationsservent de base à la création des Furies dans le jeu. Elles perdent leur chevelure de serpent mais conservent le lasso et toute leur pugnacité.
Lernie
Ah Lernie, ce bon vieux Lernie qui nous bloque le passage à la sortie des prés de l’asphodèle. Lernie n’est autre que l’Hydre de Lerne, celle que Hercule fait tomber au combat lors de l’accomplissement du deuxième des 12 travaux qui lui ont été confiés par Eurysthée. L’Hydre alors vaincu atterrit dans les enfers, complètement décharnée depuis qu’elle a baigné son corps dans le fleuve de feu, le Phlégéthon. Depuis, Lernie attend patiemment devant l’entrée des Champs Élysées afin qu’aucune âme ne vienne troubler ce lieu sacré.
Thésée et Astérion
Le duo nous attend à la sortie des Champs Élysées. Quoi de plus noble que le plus grand roi d’Athènes et tombeur du minotaure comme adversaire. Thésée règne aujourd’hui sur la partie supérieure des enfers et s’est lié d’amitié avec son ennemi d’autrefois, Astérion. Il s’est même porté garant auprès du maître des enfers pour accueillir son ami aux Champs Élysées. Si Thésée est un protagoniste ennuyeux aux yeux de Greg Kasavin, il devient, avec son arrogance légendaire, un parfait antagoniste. Thésée et Astérion attendent Zagreus dans une arène des Champs Élysées où les ombres viennent admirer les combats. Il existe là aussi, de nombreuses œuvres dépeignant notre héroïque duo, vases, peintures, sculptures.
La Rhapsodie des ténèbres
Pour les musiques et les doublages, Supergiant Games travaille avec l’auteur-compositeur Darren Korb, et ce, depuis Bastion. Darren Korb est un spécialiste des instruments à cordes grattées, dans son répertoire, il maîtrise, la basse, la guitare, la harpe et la mandoline. En plus ,il joue du piano, de la batterie et même de l’accordéon. Dès Bastion, son travail est plusieurs fois nommé et vainqueur dans différentes cérémonies.
Doublages
Hadès est un jeu qui porte une attention toute particulière à ses doublages. Chaque personnage est merveilleusement interprété par les différents acteurs qui travaillent avec le studio. Chaque voix, chaque tirade, soulignent avec brio le caractère de nos dieux et déesses. Hadès avec sa voix puissante et caverneuse impose crainte et respect, Morphée et sa petite voix nasillarde semblent toujours sortie du sommeil, Achille dégage une grande sérénité et une grande noblesse quand il s’exprime et Nyx semble s’exprimer avec une voix presque éthérée. Zagreus lui, après quelques essais infructueux avec des acteurs, est doublé par Darren Korb lui-même. Il incarne parfaitement ce fils des enfers, aussi blasé de ses multiples défaites que galvanisé après chacune de ses victoires. Zagreus est un héros touchant, empli de craintes, de faiblesses et de questionnements. La voix et le ton employés tapent toujours juste, que ça soit après la défaite contre le minotaure et le fameux “Blasted ghost minotaur” prononcé avec un certain détachement ou quand il s’agit de rembarrer une fois de plus Thésée. Les échanges entre les personnages en deviennent très vivants et crédibles.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur le travail de doublage fait pour Hadès, je vous conseille le 3e épisode des documentaires de Noclip “ Hades – Developing Hell” (lien ici)
Le Métal comme inspiration
Le travail sur la musique de Hades a été un défi pour Darren Korb, la grammaire sonore du jeu est très éloignée du travail habituel du compositeur. Pour Bastion par exemple, il propose un son doux, plus atmosphérique, un genre qu’il qualifie lui-même de trip-hop acoustique. Pour Transistor, guitare oblige, il travaille sur une sorte de post-rock électronique qu’il habille avec des instruments qu’il qualifie “du vieux monde” comme de l’accordéon ou de la harpe. Avec Hadès, le défi est de taille, il doit faire sonner les enfers, et rien de mieux que chercher des influences dans le métal pour y parvenir.
À l’origine, le métal se caractérise par une dominance de batterie et de guitare électrique avec une rythmique puissante. C’est un genre apparu dans la fin des années 60 et qui depuis, a sans cesse évolué. Il trouve ses influences dans l’énergie du rock, le lyrisme de la musique classique et la mélancolie du blues.
Alors pourquoi cette musique illustre si bien les enfers ? Si l’on ne considère que l’aspect musical, le métal emploie des intervalles dissonants, dont le triton. Il faut savoir que le triton avait été exclu de toute la musique médiévale, car jugé comme disgracieux. Certains moines ont baptisé le triton comme “Diabolus in Musica”, le diable dans la musique. C’est après cette dénomination que ces intervalles ont été associés au diable dans l’inconscient collectif. De nos jours, ces dissonances tonales ont tendance à évoquer un sentiment malaisant ou même maléfique. On peut ajouter à ça toute l’iconographie sataniste utilisée par les groupes de métal, dans leurs noms, dans leurs pochettes d’album et même dans leurs morceaux.
Dans un autre aspect, le métal semble particulièrement adapté au jeu Hades. Nous l’avons dit précédemment, Hadès est une tragédie grecque moderne, le jeu doit lui aussi montrer sa théâtralité. Le métal et les concerts de métal sont réputés pour être très théâtraux, il n’y qu’à regarder une vidéo d’un concert de Rammstein pour le constater. Performances pyrotechniques, mise en scène grandiose, costumes exubérants, narration de scène théâtrale, tout y est.
Dans ses thèmes, le métal correspond aussi à ceux évoqués par le jeu. Le métal, à l’image du récit de Hadès, parle d’amour, de solitude mais aussi de violence et de mort. Il en demeure que le message du métal n’a pas vocation à être nihiliste, il fait un état des lieux, parfois sombre, de la réalité.
Ce morceau, No Escape, est un exemple parfait qui résume bien le travail de Darren Korb sur la bande originale du jeu. C‘est un morceau définitivement métal, avec une grosse présence de la batterie et de la guitare, auquel il a ajouté une mélodie de mandoline. À partir de la 45e seconde nous avons même une envolée lyrique qui rappelle l’influence du classique sur la musique métal.
La partition de la mélancolie
Si on enlève les morceaux inspirés du métal, le reste des musiques sont empreintes d’une profonde mélancolie. Comme une ode aux tragiques destins des personnages qui habitent les enfers. Un personnage vient cristalliser ce sentiment, Orphée. Dans le jeu, Orphée est le musicien du palais d’Hadès. Après sa malheureuse tentative de sauver Eurydice de la mort, il s’est retrouvé au service du seigneur des enfers, séparé de sa chère et tendre. C’est à de multiples reprises, que nous entendrons toute sa douleur et sa tristesse résonner dans les murs du palais. Un morceau particulier a attiré mon attention, Lament of Orpheus.
Paroles :
“Hear, oh gods, my desperate plea
To see my love beside me
Sunk below the mortal sea
Her anchor weighs upon me
Fasten her tether unto me
That she may rise to sail free
Don’t, don’t look back
Close enough that light we can see
My doubt betrays the better of me
Glance to the stern is all it would be
That anguished shade shall haunt me
Ever on
Calm seas
Winds alee
But now the squall’s upon us
We’re foundering
Drowning
Don’t look back
Don’t look back
Don’t look back
Don’t look back
Don’t look back”
Cette musique est une jolie synthèse du travail de Supergiant Games, elle fait le lien entre l’habillage sonore du titre et l’importance de la mythologie dans la création de l’univers. Dans cette lamentation, Orphée met tous ces regrets dans les paroles et la mélodie. Il crie son désespoir à l’ensemble du monde, comme s’il espérait, qu’un jour, Eurydice puisse l’entendre.
Telos
J’espère que vous avez maintenant une vision plus précise de l’énorme travail artistique du studio. De leur manière de digérer ces nombreuses influences artistiques pour créer un style graphique détonnant et cohérent. Que ce soit des statues antiques ou des comics américain, la direction artistique de Hades forme un tout riche et créatif avec une identité marquée. Les scénaristes de Supergiant Games ont su jouer avec la mythologie pour proposer une histoire nouvelle, pleine de rebondissements, de sentiments et de grandes figures, sans oublier de paraître authentique. Elle assume son riche héritage et ses codes pour nous délivrer une remarquable tragédie grecque moderne.
L’early access de Hades II étant disponible depuis quelques mois, il n’est pas impossible que vous m’entendiez parler à nouveau de la licence, peut-être sous une autre forme. Sachez en tout cas, tout comme Supergiant Games, que je n’en ai pas terminé avec les enfers.
Sources
Bounthavy Sulivey – bounthavy.com – Yoji Shinkawa, directeur artistique de Metal Gear Solid
https://bounthavy.com/yoji-shinkawa-directeur-artistique-de-metal-gear-solid/
Justin Massongill – blog-playstation.com – Inside the Artwork: An Interview With Yoji Shinkawa (11-02-2019)
Inside the Artwork: An Interview With Yoji Shinkawa – PlayStation.Blog
Alex Wiltshire – rockpapershotgun.com – How Hades plays with Greek myths (17-08-2021)
How Hades plays with Greek myths | Rock Paper Shotgun
MCV Staff – mcvuk.com – Behind the art of Hades (07-06-2021)
Behind the art of Hades: « We value artistic integrity and excellence in artistic craft at Supergiant, however we’re first and foremost a game design-led team. » – MCV/DEVELOP (mcvuk.com)
Animation 2d FX – Game Art, La direction artistique de Hades – 2022
(2) GAME ART: La Direction Artistique d’Hades – YouTube
Xavier Mauduit, Florence Gherchanoc, Stéphanie Wyler et Valérie Huet – Épisode 1/4 : Nu comme un Grec, se dévêtir dans l’Antiquité – Podcast Le Cours de l’Histoire – 52 min (20-06-2022)
Nu comme un Grec, se dévêtir dans l’Antiquité : épisode 1/4 du podcast Tous à poil ! Histoire de la nudité | France Culture (radiofrance.fr)
Thierry N. – les-docus.com – Couronne de laurier : d’où vient cette tradition ? (20-07-2024)
Couronne de laurier : d’où vient cette tradition ? (les-docus.com)
Luke Plunckett – kotaku.com – The Art of Hades (22-10-2020)
The Art Of Hades (kotaku.com)
Natalie Clayton – rockpapershotgun.com – Supergiant artist goes behind-the-scenes on building a god in Hades (20-10-2020)
Supergiant artist explains how to build a god in Hades | Rock Paper Shotgun
Ashley – criticalvideogamestudies.com – Character Designs in Hades and What Makes Them So Great (08-10-2022)
Character Designs in Hades and What Makes Them So Great – CVGS (criticalvideogamestudies.com)
mrpech – phylacterium.fr – Dessiner l’indescriptible : Lovecraft et les auteurs de bande dessinée – Mignola (20-12-2015)
Dessiner l’indescriptible : Lovecraft et les auteurs de bande dessinée – Mignola | Phylacterium
stylecomics – lescomics.fr – L’art et le style de Mike Mignola – Dans l’antre de la folie graphique ! (03-06-2022)
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Courtney Ehrenhofler – techraptor.com – Separating Myth and Fiction: The World of Hades (05-10-2020)
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Rachael Fiddis – dualshockers.com – The Art of Hades Showcases the Talent That Went Into This Beautifully Vibrant Game (23-10-2020)
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Ludicere – The mythology behind Hades – 2021 – 3H33
(2) La mythologie derrière Hadès – YouTube