Found Footage & Folk Horror
Le folk horror et le found footage semblent, à première vue, appartenir à des sphères esthétiques distinctes : l’un est enraciné dans un passé mythique où les croyances anciennes se manifestent à travers les paysages et les rituels occultes ; l’autre, dans l’immédiateté frénétique de l’image brute, captée à la volée, où le spectateur se trouve projeté dans une horreur qui semble se dérouler en temps réel. Mais c’est précisément dans cet écart apparent que réside leur complémentarité essentielle. Car ce que l’on oublie souvent, c’est que le folk horror ne s’attache pas tant à une époque particulière qu’à un certain état d’esprit. Il s’intéresse aux strates profondes du temps, à ce qui persiste sous la surface moderne des choses, à l’irruption de l’archaïque dans le quotidien. Et le found footage, avec son esthétique brutale, ses caméras tremblotantes et sa captation approximative, devient un outil idéal pour révéler ces strates enfouies, ce non-dit qui hante le présent.
Il ne s’agit pas simplement d’une question de forme, mais d’une question d’expérience sensorielle. Le found footage, popularisé par des œuvres telles que The Blair Witch Project en 1999, s’approprie les codes de l’immersion réaliste pour revisiter ceux du folk horror, mettant en scène des individus ordinaires confrontés à des forces qui les dépassent et qui résonnent avec l’écho du sacré oublié. La caméra subjective, tremblante et précaire, transforme le spectateur en témoin direct des événements, le forçant à partager l’angoisse des personnages, à ressentir avec eux l’incertitude du terrain, l’étrangeté des lieux, et surtout, la menace invisible mais palpable qui les entoure. Comme si, en filmant à la volée, sans la maîtrise d’un cadre bien défini, les protagonistes révélaient involontairement des dimensions cachées du réel, une nature habitée par des forces obscures, que l’œil humain seul ne pourrait percevoir.
Et si le found footage amplifie ce sentiment d’immersion, il n’est pas, à lui seul, suffisant pour capter l’essence profonde du folk horror. C’est là qu’intervient l’analog horror. Ce dernier, né d’une nostalgie pour les supports technologiques obsolètes – cassettes VHS, bandes magnétiques, enregistrements audio dégradés – renoue avec une dimension que le numérique a fait disparaître : l’idée que la technologie elle-même peut être hantée. Là où le found footage ancre le spectateur dans l’immédiateté de l’action, l’analog horror le plonge dans un passé altéré, un temps à la fois familier et déformé. Cette déformation, cette altération des images et des sons, agit comme une forme de corrosion du réel : elle révèle des failles, des distorsions, des vérités oubliées que le monde moderne tente de dissimuler sous le vernis d’une technologie toujours plus performante et aseptisée. La peur ne réside pas seulement dans ce que l’on voit ou entend, mais dans le support lui-même. La texture visuelle des images analogiques – ces pixels gros comme des grains de sable, ces lignes de défilement qui troublent l’image, ces parasites sonores qui altèrent les voix – devient l’instrument par lequel l’horreur se manifeste. Ce n’est plus une simple question de captation brute comme dans le found footage, mais une question de transformation pernicieuse du médium : les appareils analogiques semblent possédés, hantés par des forces qui échappent à l’entendement. Les vidéos sont des reliques maudites, vestiges d’un passé jamais révolu, où la technologie, au lieu de rendre le monde plus intelligible, devient un miroir déformant, amplifiant l’inconnu et l’indicible.
Cette continuité entre le found footage et l’analog horror se retrouve également dans le jeu vidéo, où ces deux formes s’unissent pour proposer une nouvelle expérience de l’horreur. Les jeux vidéo contemporains, notamment ceux qui s’inspirent du folk horror et de l’analog horror, exploitent cette nostalgie technologique et cette immersion sensorielle pour plonger le joueur dans des univers où l’invisible est toujours à l’affût, prêt à surgir au détour d’un écran brouillé ou d’un enregistrement radio corrompu. Dans des jeux comme Blair Witch (2019) ou Fears to Fathom, l’analogique devient une métaphore des failles de la réalité : le joueur ne contrôle plus seulement son avatar, mais manipule des supports technologiques qui trahissent leur propre vulnérabilité. Les sons sont distordus, les images fragmentées, et c’est à travers ces fragments, ces brèches dans le flux digital, que surgit l’horreur.
Found Footage et Folk Horror : une rencontre inévitable
Le found footage s’impose comme une réponse contemporaine à l’angoisse ancestrale du folk horror, en apportant une nouvelle dimension d’immersion et de réalisme. Là où le folk horror classique construisait un imaginaire de terreurs rurales, ancrées dans des croyances et des rituels oubliés, le found footage propulse le spectateur au cœur de cette horreur, sans médiation, sans filtre. Il fait éclater la distance traditionnelle entre l’observateur et le récit, en nous immergeant directement dans les paysages isolés et mystérieux qui sont le terrain de jeu du folk horror. C’est une horreur intime, vécue à travers les yeux d’un témoin qui, comme nous, vacille devant ce qui échappe à la compréhension.
Cette approche réaliste, si elle trouve son apogée dans le cinéma, a également trouvé un écho puissant dans le jeu vidéo, où le joueur devient non seulement spectateur, mais acteur de cette immersion. Des jeux comme Blair Witch ou Outlast utilisent la caméra subjective pour recréer cette sensation d’un monde où l’horreur se déploie à travers des rituels oubliés et des pratiques occultes qui semblent enfouies dans les replis de la réalité. La caméra que l’on tient, que l’on manipule, devient notre seul lien avec le monde extérieur, mais aussi l’instrument qui révèle ce qui devrait rester caché. L’isolement n’est plus seulement géographique, il devient mental et sensoriel. La forêt qui nous entoure, la noirceur qui s’étend, tout devient vecteur de peur, et ce qui était autrefois un simple décor se mue en une menace tangible, imminente.
Dans ce croisement, une puissance particulière réside dans ce qui est tu, dans ce qui échappe à nos sens. Le folk horror, par essence, joue sur le non-dit, sur l’invisible. Ses terreurs ne sont pas exposées frontalement, mais distillées dans l’atmosphère, dans des murmures de rituels oubliés et des traces de présences invisibles. C’est un genre qui prospère dans l’ombre, qui convoque des forces que l’on ne voit jamais pleinement, mais que l’on ressent partout. Le found footage amplifie cette dynamique en créant une expérience où ce que l’on voit est constamment limité, obstrué, voire corrompu par des interférences visuelles ou sonores. Là où la caméra semble être notre fenêtre sur la réalité, elle devient aussi l’outil qui nous en éloigne, en cachant plus qu’elle ne montre.
Cette esthétique du non-visible crée un espace où l’horreur grandit dans l’imagination du spectateur ou du joueur, laissant la peur se nourrir de l’incertitude et du mystère. Dans des œuvres comme Slender: The Arrival, ce sont les interférences des caméras, ces déformations soudaines et inexpliquées de l’image, qui intensifient la peur de l’inconnu. L’apparition d’un signal brouillé ou d’un son déformé suffit à suggérer la présence d’une entité hostile, même si elle demeure cachée à nos yeux. C’est dans cette absence, dans cette dissimulation que l’angoisse atteint son paroxysme. Plus que la vision de la menace, c’est son esquive qui terrifie : l’horreur est là, tapie dans l’ombre, prête à surgir sans jamais se révéler entièrement. Le joueur, ou le spectateur, est forcé de remplir les vides avec ses propres craintes, rendant l’expérience d’autant plus personnelle et troublante.
Cette peur du non-visible, que l’on retrouve au cœur du folk horror, s’inscrit dans une tradition où le monde moderne, rationnel, est constamment confronté aux mystères plus anciens et insondables du folklore. Les interférences des caméras dans le found footage symbolisent cet affrontement : d’un côté, la technologie, censée capturer et maîtriser la réalité ; de l’autre, des forces archaïques, échappant à toute tentative de contrôle ou d’explication. C’est cette fracture entre la rationalité contemporaine et les mystères du passé qui fait vibrer l’essence du folk horror. Dans ce contexte, les phénomènes invisibles ou à peine perceptibles se manifestent comme des fissures dans le tissu de la réalité moderne, rappelant que l’horreur ne peut être pleinement saisie ou comprise.
Le found footage devient le miroir de cette lutte entre l’ancien et le nouveau, entre ce que l’on sait et ce que l’on refuse de voir. Le spectateur ou le joueur est constamment pris au piège dans cet entre-deux, oscillant entre le confort de la technologie moderne et la terreur des forces ancestrales qui la subvertissent. Les caméras, tout comme les rituels occultes du folk horror, ne sont plus des outils de maîtrise, mais des artefacts imparfaits, révélant à demi-mots l’horreur enfouie sous la surface du visible. Cette tension entre le visible et l’invisible, entre la modernité et le folklore, confère au found footage et au folk horror une puissance unique, où chaque interférence devient une porte entrouverte vers l’inconnu, chaque absence une invitation à la terreur.
Entre tradition et modernité (oui j’ai osé)
Un thème central émerge avec force : le conflit entre la modernité et l’ancien, la technologie contemporaine face aux forces immémoriales. Cette lutte se manifeste dans la confrontation entre des outils conçus pour capturer la réalité — caméras, enregistreurs — et des rituels ou croyances qui échappent à toute rationalité moderne. Ce choc crée un malaise profond, amplifié par l’incapacité de la technologie à saisir ou contrôler l’horreur ancienne qu’elle rencontre.
L’intrusion des appareils modernes dans des territoires où les traditions ancestrales règnent encore est au cœur du folk horror. Là où les rites séculaires reposent sur des cycles naturels, sur des codes qui échappent à l’entendement contemporain, la présence de caméras ou de téléphones portables devient presque incongrue. Ce décalage, cette présence inadaptée, ne fait qu’intensifier le sentiment de menace. Le found footage capte cette intrusion en temps réel, exposant le spectateur à un monde qui s’effondre sous le poids de ce que la technologie ne peut comprendre. L’espace rural ou rituel devient hostile, non pas seulement parce qu’il est inconnu, mais parce qu’il résiste activement aux tentatives de documentation moderne. Il refuse d’être enfermé dans les codes contemporains.
Un exemple comme Hereditary (bien que non found footage) incarne parfaitement ce conflit, en illustrant la manière dont l’héritage ancien, représenté par des pratiques occultes et des croyances familiales ténébreuses, submerge le confort apparent de la vie moderne. Les protagonistes, en tentant de rationaliser ou d’ignorer cet héritage, finissent inévitablement dévorés par ce qu’ils ne peuvent comprendre. Dans le found footage, cette confrontation est encore plus tangible : la caméra, loin d’être une barrière protectrice, devient un témoin impuissant de la chute des personnages dans un abîme de terreurs anciennes.
Le jeu vidéo Outlast, par exemple, utilise ce principe à merveille. La caméra du protagoniste, qui devait initialement servir à documenter les événements étranges d’un asile, se révèle rapidement inutile face aux forces incontrôlables qu’il affronte. L’outil technologique, censé capter et éclaircir le mystère, ne fait que montrer l’horreur sans jamais la dompter. La lumière infrarouge, les zooms rapprochés, tout cela devient ridicule face aux rites occultes et à la violence d’un mal qui précède l’ère des caméras. Ici, la modernité, représentée par cette technologie portable, échoue à comprendre ou à combattre ce qui relève d’un autre temps, d’une autre logique.
Ce conflit entre tradition et modernité est une révélation que certaines forces, aussi anciennes soient-elles, n’ont jamais disparu. Elles ont été reléguées aux marges du monde moderne, dissimulées dans les recoins des forêts, des montagnes, des villages oubliés, là où les caméras tremblantes osent à peine s’aventurer. Le found footage, en s’appuyant sur cette opposition, montre à quel point la technologie moderne est souvent impuissante, non seulement à comprendre, mais à capturer les rituels et les forces qui habitent encore ces espaces reculés.
Le récit collectif et la création de nouveaux mythes
Dans le folk horror comme dans le found footage, un phénomène se répète, presque inévitable : la naissance et la propagation des mythes. Le folk horror, enraciné dans des traditions orales et des légendes anciennes, nous montre comment les histoires, transmises de génération en génération, acquièrent une force presque tangible, modelant le réel selon leurs contours terrifiants. De la même manière, le found footage, par son format supposément authentique et documentaire, réinvente ce processus dans un cadre moderne. Il recrée la façon dont les légendes et les récits d’horreur se propagent, non plus dans les cercles restreints des villages ou des familles, mais à l’échelle planétaire, via les réseaux numériques. Le mythe devient viral, partagé à la vitesse d’une connexion internet.
Le found footage nous montre comment ces récits, une fois capturés par une caméra, se détachent de leurs sources, deviennent autonomes, s’amplifient, mutent, se propagent. Ce que le folklore traditionnel effectuait au sein de petites communautés fermées, où les légendes se tissaient autour des rituels saisonniers, des chants ou des contes narrés au coin du feu, le found footage le reproduit dans l’espace fluide et infini des plateformes numériques. Les vidéos deviennent des artefacts d’un nouveau type, des fragments de récits qui s’échappent des mains de leurs créateurs pour vivre leur propre existence, leur propre expansion. C’est ainsi que naissent les mythes modernes, non plus autour de figures tutélaires et locales, mais dans l’anonymat et la viralité.
Prenons l’exemple de Marble Hornets et du mythe de Slender Man, où cette propagation de la peur devient quasiment incontrôlable. D’abord confiné aux cercles des creepypastas, Slender Man s’est rapidement transformé en un mythe moderne, alimenté par une série de vidéos virales qui, comme les récits oraux d’antan, ont multiplié les variations, les ajouts, les détournements. Le mythe, désormais hors de contrôle, se réinvente à chaque nouvelle itération, chaque nouvelle vidéo, chaque nouveau récit. Ce processus de recréation perpétuelle, où la légende s’adapte aux nouvelles générations, est le moteur même du folk horror. Le found footage opère en tant que témoin et vecteur de cette mutation : la caméra, pourtant supposée capter une vérité brute, devient un outil de transmission du mythe, contribuant à son ambiguïté et à son envergure. Le found footage reproduit ainsi la logique du folk horror, où la terreur naît souvent du poids des traditions et des récits anciens. À l’image des contes de villages où l’on prévient les enfants de ne pas s’approcher d’un certain bois ou d’éviter certains rituels oubliés, les vidéos virales recréent un espace où l’invisible et le non-dit se transmettent de manière insidieuse. Ce n’est plus la voix du vieux sage ou de la grand-mère qui porte la légende, mais la vidéo floue, tremblante, dont on ne sait jamais si elle capte quelque chose de réel ou si elle est le fruit d’une manipulation. Et cette ambiguïté est au cœur de l’efficacité du found footage.
Dans Marble Hornets, cette ambiguïté devient une arme narrative. L’horreur ne réside pas uniquement dans la figure du Slender Man, mais dans la manière dont les vidéos elles-mêmes, diffusées sans explication, sèment le doute et la paranoïa. Chaque vidéo devient un fragment d’une réalité insaisissable, un morceau d’un puzzle que le spectateur tente, en vain, de reconstituer. Ce procédé fait écho à la structure des légendes rurales du folk horror, où chaque génération transmet des bribes de récits, des fragments de vérité partielle, que le village entier tente de comprendre et d’assimiler.
C’est là toute la puissance de ces deux genres. À travers les vidéos documentaires du found footage, comme à travers les contes terrifiants du folk horror, se rejoue cette vieille mécanique de la création de mythes. L’horreur devient collective, elle ne se vit plus seulement dans l’espace clos d’un film ou d’un jeu vidéo, mais se poursuit dans l’esprit du spectateur, et surtout, dans sa volonté de transmettre à son tour l’histoire. Ainsi, le mythe s’enrichit, s’élargit, se répand. Le found footage devient le nouveau folklore, l’instrument de cette transmission virale, où la peur elle-même se transmet plus vite que l’image. Le récit collectif, qui faisait autrefois trembler les villages à la lueur d’un feu, circule désormais en ligne, alimentant la grande machine des légendes contemporaines.