Hollow Knight : Silksong – De la suite dans les idées
Au moment où j’écris ces lignes, j’ai passé cinquante heures sur Hollow Knight: Silksong. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour compléter la trame principale, la totalité des quêtes annexes et obtenir un taux de complétion de 100 %. Au terme de cette aventure, je me sens éprouvé, mais aussi fasciné par le jeu que nous propose la Team Cherry après 6 ans de silence quasi-total. Partageant bon nombre de points communs avec son prédécesseur, Hollow Knight, l’œuvre tant attendue donne accès à un nouveau royaume, Pharloom, aux commandes de la mystérieuse Hornet tout juste libérée de la cage qui l’a conduit sur ces terres inhospitalières. Très vite, les différences se font sentir de par les mouvements plus aériens, une héroïne qui parle et des dégâts doubles. Il y a beaucoup de choses à dire sur Silksong et sûrement encore bien plus à découvrir dans les semaines et mois qui arrivent. En attendant, je vous propose mon point de vue sur cette suite.
Après avoir laissé décanter mon expérience, je me suis posé une question qui, au final, sera un peu le fil rouge de cette critique : est-ce vraiment une bonne idée de donner une suite à un jeu qui a rencontré un tel succès ? Je m’explique. Évidemment, la communauté de fans, grandissante de Hollow Knight, veut toujours plus de contenu. Il suffit de voir les théories et autres spéculations autour de l’histoire de Hallownest pour comprendre qu’un nouveau jeu trouvera son public, relancera la machine. On sait également que Team Cherry a dû couper pas mal de contenu dans le jeu, des objectifs du kickstarter, mais aussi des pans entiers qui ont trouvé naissance dans leurs têtes bien trop prolifiques. En ce sens, prolonger le monde de Hollow Knight va de soi. Le revers de la médaille est que l’on s’attend à ce qu’une suite soit encore plus généreuse en contenu, en gameplay, en maîtrise technique. Quand je dis “on”, je parle plus d’un phénomène de société qu’une attente des joueurs à proprement parler. Selon moi, tout le monde attendait beaucoup que ce soient les joueurs, les professionnels du jeu vidéo ou même ses créateurs. Et c’est peut-être le défaut de ce jeu, vouloir donner ce que l’on attend, c’est-à-dire plus. À l’instar d’un télescope au sommet de la cité des larmes, c’est au travers de cette lentille que je vous propose d’inspecter Hollow Knight: Silksong.

Évacuons la polémique rapidement, le jeu est difficile, bien plus que son grand frère. Comme je le disais, j’en suis ressorti éprouvé, car les moments de calme sont rares pour notre araignée. Les obstacles à franchir se font ressentir dès la première heure, et ce, sur les deux aspects du gameplay. Les combats sont exigeants avec des ennemis vifs et mobiles aussi bien à l’horizontale qu’à la verticale. Sans compter le grand nombre d’insectes volants que contient le bestiaire gigantesque. Il faudra donc être réactif et patient. D’autant que chaque coup encaissé engendre souvent deux points de dégâts sur les cinq masques de départ qui constituent notre barre de vie. Bien qu’accompagné d’un soin qui régénère trois masques, moyennant la totalité de la soie, la mana ou l’âme du jeu, nous en sommes réduits à pouvoir encaisser le plus souvent que trois coups. Afin de pallier cela, les masques, dont il faut récupérer quatre fragments pour gagner un point de vie, n’apporteront un véritable intérêt que par paire. En parlant de nos antagonistes, les premiers rencontrés, une fois la zone de tutoriel terminée, sont déjà agressifs, sautant, lançant des projectiles, dashant. Dès les premiers boss, il faudra être alerte et maîtriser son personnage. Le second point qui fait rager bon nombre de joueurs concerne le plateforming. En effet, les zones se voient dotées d’écrans entiers dans lesquels il est nécessaire de rebondir sur des éléments du décor pour éviter des piques acérées qui seront synonymes de dégâts, mais aussi de retour au point de départ de ce même écran. Cette maîtrise du “pogo”, qui était réservé au contenu annexe ou aux dernières heures de l’aventure du premier opus, se place en travers de la route principale, dès le début de l’aventure pour les plus explorateurs d’entre nous. Cerise sur le gâteau, cette animation verticale bien connue des fans est remplacée par un dive kick, trajectoire descendante oblique, obligeant à anticiper le point de chute avant de presser le bouton. Bien qu’il soit possible de changer ce set de mouvement via un système d’emblèmes après avoir progressé dans les premiers biomes, il aura fait pesté beaucoup de joueurs, même à la rédaction de Point’n Think. À cela, il faut associer un changement majeur dans cette suite. L’aventure ne vous conduit pas dans les profondeurs de Hallownest, le but de notre tisserande est de retrouver ces ravisseurs au sein d’une citadelle perchée au sommet du nouveau royaume. C’est donc la forme d’une ascension que prend notre aventure. Ce changement d’optique apporte donc une toute nouvelle “sanction” : la chute vertigineuse ! Associez donc le pogo exigeant à une chute (ou des piques) et vous obtenez la raison des cris de rage de pas mal de joueurs ou joueuses.
Tant qu’à parler d’inversement du chemin à parcourir, parlons donc du level design. Ce chemin vers les hauteurs est en réalité un chemin de pèlerinage vers la citadelle, notre destination. Et c’est un peu la forme que prend notre voyage, une alternance de région à traversées et de quelques étapes qui seront des lieux de repos et de commerce. Chaque région est articulée entre arènes de combat, salles de boss et phases de plateforming. Même si zone secrète et raccourcis sont bien au rendez-vous, le back-tracking (retour en arrière) est moins agréable de par les parties qui demandent autant d’agilité à l’aller qu’au retour. Autre point à noter, la répartition des bancs. Pour rappel, ce mobilier sert de point de sauvegarde et de restauration, comme les feux de FromSoftware. Leur placement ne facilite pas l’expérience du joueur car souvent très éloigné des passages compliqués, ce qui demande d’être précautionneux sur le trajet pour appréhender les nombreux essais, résultant de la difficulté, dans les meilleures conditions. Certains passages sont même exempts de ces points stratégiques conduisant à plusieurs minutes de trajets. Il est important de préciser que les sections que j’évoque se trouvent sur la route principale et non dans des zones annexes comme l’on pouvait trouver dans Hollow Knight. Je noterai également quelques tentatives de nouveautés, parfois peu claires, voire brumeuses, qui auraient, peut-être, mérité d’être plus mises en lumière.

Nous arrivons à ce qui est, selon moi, le point fort de la saga : la direction artistique. Sur ce point, Team Cherry n’a pas été avare. Ils ont livré un travail minutieux et inspiré. Chaque environnement possède une identité propre comme dans le premier épisode, mais avec les curseurs poussés à fond. Toujours dessinée à la main, la végétation est touffue et grouille de vie. Tous les joueurs se souviendront de la fin de la zone de tutoriel, Hornet courant tandis qu’un groupe de “papillons” s’envole. Les climats plus arides ou civilisés ne sont pas en reste avec tout un tas de détails capables de satisfaire les amateurs de contemplation. Cette variété ne se fait pas au détriment de la cohérence. Une fois l’intégralité de Pharloom découverte, c’est une véritable civilisation qui s’offre à nous, un monde entier. Chaque élément fait sens et propose une narration environnementale pour toute personne avide de lore. La maîtrise de la parallaxe, technique permettant l’illusion de profondeur, est telle que l’on sent le monde vivre, avec son lot de dangers, durant notre exploration. Les insectes, même issus de la même espèce, reflètent la strate sociale dans laquelle ils vivent. Les habitants de Bonebottom ne se mélangent pas avec ceux de la citadelle. De cette manière, on ressent la progression dans ce qui devient également notre pèlerinage, qu’on le veuille ou non. Là où le chevalier répond à un appel mystérieux de manière viscérale, Hornet se fixe le but de comprendre ce qu’il se passe au lieu de s’éloigner de Pharloom. Notre personnage est animé d’une véritable volonté propre, d’une envie d’en découdre quoi qu’il en coûte.
Si l’histoire qui nous mène en ces terres hostiles est bien plus accessible dans ce second opus, le lore, lui, reste cryptique. Des zones secrètes, plus ou moins grandes, dévoilent, à ceux qui savent les voir, des informations qui, une fois regroupées, ouvrent la porte à de nouvelles théories sur l’univers conçu par Team Cherry. On retrouve ce thème de la croyance et de la corruption si chère au jeu de 2017. Même si la teinte orangée n’est pas à l’œuvre dans cette contrée, on ressent très vite que la population d’insectes qui l’habite est scindée en deux. D’un côté ceux avec qui l’on peut parler, à noter que Hornet a du répondant, de l’autre ceux qui paraissent dénués de raison et qui vous sautent dessus dès qu’ils vous voient. Si une même espèce peut appartenir aux deux camps, le bestiaire reste énorme avec beaucoup plus de bêtes volantes dans cette itération forçant un gameplay plus aérien. Le monde étant plus civilisé, plus habité, moins sur le déclin, la vie y est abondante avec plusieurs individus qui se déplacent comme Sherma qui séduira bon nombre d’entre nous. Nous y trouverons de véritables bêtes, des pèlerins, des travailleurs, des explorateurs à l’identité forte et attachante. Chaque créature s’adapte à son environnement allant des chaleurs de la roche fondue aux dorures d’une citadelle, symbole de supériorité, et possède un ensemble de mouvement qui lui est propre. Hornet devra donc s’adapter à chacun d’entre eux avec son aiguille et ses outils. Ces derniers sont la grosse nouveauté du jeu, ils offrent un panel de possibilités et de combinaisons larges. Associés aux différents emblèmes et aux nouveaux “charmes”, il est possible de se construire un véritable build afin de faire face aux nombreux défis qui se mettent en travers du générique de fin. Les plus curieux trouveront, d’ailleurs, des synergies redoutables. Et ils ne seront pas de trop comme nous l’avons vu plus haut. C’est donc tout un arsenal qu’il faudra maîtriser si l’on souhaite profiter pleinement du gameplay mis au point par les développeurs. Le jeu propose également, comme tout bon Metroid-like, son lot de compétences augmentant la force de frappe, mais aussi la mobilité en combat ou en dehors. En somme, on prend la recette de Hollow Knight et on la revisite pour tenter de faire mieux. Seul petit bémol, certaines améliorations arrivent tardivement dans l’aventure ce qui empêche une véritable fluidité dans le sentiment de progression.
Pour intégrer tout cela à la diégèse du titre, Team Cherry propose une autre innovation, le système de quête ou, comme elles sont nommées, de souhaits. Les PNJ pourront vous confier les leurs directement ou via des panneaux placés à cet effet à des points stratégiques. Il y en a pour tous les goûts : du farming, de la chasse, de la livraison… La qualité y est plutôt inégale allant du sans intérêts à l’élément de lore passionnant, en passant par le simple tutoriel. Personnellement, j’y regrette les rencontres inopinées durant l’exploration, toujours présentes mais plus anecdotiques. On y perd cette immersion, ce besoin de se rappeler de chaque insecte pour mener à bien la tâche qui nous est donnée. Les récompenses sont souvent de simples perles, la monnaie du jeu, ce qui perd de son intérêt quand on a débusqué un spot de farm ou que l’on débloque des quêtes infinies distribuant ces sphères minutieusement gravées. Il aurait été préférable d’en réduire le nombre pour leur donner une place bien plus importante et une véritable narration.

Dernier point que j’aborderai dans ce papier, qui ne se veut pas exhaustif, car au final, le véritable avis est celui que chacun se fait manette en main, est la musique. Toujours avec l’oreille de Christopher Larkin, qui reproduit ici l’exploit de donner à Silksong une OST de grande qualité.. On retrouve dans la première partie de l’aventure une composition mêlant tout un tas d’instruments, mais surtout créant une atmosphère qui colle parfaitement avec ce que nous avons sous les yeux des profondeurs d’une caverne à la montagne glaçante en passant par la verdure luxuriante. Au fur et à mesure du pèlerinage des sonorité plus cléricales entre en scène à l’image de ces grosses cloches qui, une fois actionnées, teinte au son des premières notes du Dies Irae ou Prose des morts. Cette séquence, qui a trouvé place dans des messes du Requiem, saura avertir tous ceux qui en connaissent le message. L’arrivée à la citadelle marque l’apparition de chants presque monastiques donnant le ton du domaine dans lequel nous pénétrons, en quelque sorte une annonce que nous sommes loin d’avoir tout vue. On sent directement qu’ici la musique (de la soie) fait plus qu’accompagner l’image, sans elle les lieux perdraient leur fonction, leur spiritualité, leur grandeur. Il en résulte, pour ma part, une sensation d’une bande originale inégale, moins marquante que celle de Hollow Knight.
Pour résumer tout ça, je dirais que les deux compères qui constituent la Team Cherry, Ari Gibson et William Pellen, ont fait beaucoup plus que pour leur premier jeu. Autant le travail sur la direction artistique apporte une vraie plus-value, autant le reste manque peut-être de limites. Comme ils l’ont dit dans l’interview accordée à l’ami Jason Schreier pour Bloomberg, l’absence de frustration chez les joueurs leur tenait à cœur. A tel point que Silksong est sans doute trop la suite de Hollow Knight. Je ne recommanderai à personne de jouer à ce jeu sans avoir fait le premier tant certaines mécaniques doivent être maîtrisées pour éviter le rage quit aux commandes de Hornet. La frustration par le “manque” cède sa place à la frustration par le “trop”. Ne vous y trompez pas, c’est un excellent jeu avec énormément de qualité, mais j’ai la sensation qu’ils n’ont pas su s’arrêter. À l’heure ou l’accessibilité devient un critère de qualité, les Australiens ne semblent même pas y avoir pensé. La faute peut-être également au fait de travailler à huis clos, surtout lorsque l’on voit le petit nombre de playtesters défiler pendant le générique de fin. Je noterai trop de challenge, trop de quêtes, trop de collectables. On pourrait parler des fragments de carapaces, ressources nécessaires à recharger des outils, qui manquent dès que l’on consomme beaucoup à force de devoir recommencer des combats difficiles. C’est un très bon titre qui frôle l’excellence sans l’atteindre, car il veut trop en faire. Il mérite amplement ses années d’attente et toutes les louanges qui lui sont faites. Une bonne gestion du scope est importante dans une production ainsi que des playtests solides et réguliers. Espérons que les membres de la team, qui a réussi à faire planter toutes les plateformes qui vendent Hollow Knight: Silksong, alors qu’ils n’ont que deux jeux à leur actif, prennent en compte les remarques qui leurs sont faites. Ce qui est certain, c’est que c’est un studio avec de grosses capacités, d’excellentes idées et une motivation infinie. Nous savons qu’ils planchent déjà sur de futurs DLC. Vivement leur prochaine disparition qui, peut-être, sera synonyme d’un nouveau projet.

