The Pixel Hunt #3 | À la Recherche d’un éditeur

Dans ce 3e entretien avec The Pixel Hunt, nous revenons avec Florent sur les 3 derniers mois de la production du projet Gaïa. On y aborde notamment la conception de son prototype pour la recherche d’un éditeur ainsi qu’un autre projet parallèle. 


Point’n Think : Bonjour Florent, merci de prendre le temps de discuter avec nous aujourd’hui. J’ai vu récemment quelques nouvelles de The Pixel Hunt. Est-ce que tu travailles sur un deuxième projet en parallèle du projet Gaïa ?

Florent Maurin : En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Nous ne développons pas deux projets majeurs en parallèle. Tout remonte à Enterrement, mon amour. À la fin de ce projet, je me suis rendu compte qu’il serait intéressant pour le studio d’avoir toujours deux initiatives en cours. Cela nous permettrait de diversifier nos efforts créatifs, mais aussi de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier.

Cela dit, ces projets ne sont jamais de la même envergure. Pour moi, il est clair que je n’ai pas la bande passante pour être en lead sur deux productions majeures en même temps. Et puis, ce n’est pas toujours pertinent non plus d’un point de vue créatif. Parfois, c’est bon d’être en coproduction sur un projet, où on peut apporter de l’expérience et du soutien sans avoir à porter tout le poids des décisions créatives seul. C’était le cas, par exemple, avec Inua: A Story in Ice and Time, que nous avons co-produit avec IKO.

PnT : C’est intéressant d’entendre cette distinction entre leadership créatif et coproduction. Comment as-tu pris la décision de t’impliquer dans ce nouveau projet dont tu parlais récemment ?

Florent : Ce projet est né d’une collaboration avec un ami développeur indépendant, qui m’a contacté il y a environ un an et demi, deux ans. Il avait une idée très personnelle, un projet qui lui tenait à cœur, mais il ne voulait pas monter un studio pour le réaliser. Il n’avait pas d’intérêt pour la partie business, ni pour la gestion des contrats, des plannings, de la facturation… Bref, tout ce qui relève de l’administratif.

Ce qui l’intéressait, c’était uniquement la partie créative. Il voulait avoir l’espace pour se concentrer là-dessus sans se préoccuper des aspects plus opérationnels. Moi, ça m’a tout de suite parlé. L’idée d’aider un ami à concrétiser son jeu tout en jouant un rôle plus en retrait, mais tout aussi crucial, m’a séduit. Je lui ai donc proposé de l’accompagner, en m’occupant de la gestion de la prod et en lui apportant des feedbacks créatifs quand nécessaire.

PnT : Parlons maintenant de ton autre projet, Gaïa. Où en es-tu dans le processus de production ? As-tu déjà terminé un prototype ?

Florent : Oui, nous avons finalisé un premier prototype en juillet dernier. Ensuite, on a commencé à le montrer à droite et à gauche, notamment à la Gamescom, et les retours ont été plutôt encourageants. Cela dit, après avoir discuté avec des partenaires potentiels et réalisé quelques tests utilisateurs, on a décidé de peaufiner encore le prototype.

Nous avons mené une première série de tests en juillet avec une douzaine de personnes. Ce n’est pas un grand nombre, bien sûr, mais cela nous a donné des retours qualitatifs intéressants. Grâce à ces retours, on a identifié quelques ajustements à faire pour rendre l’expérience plus fluide et plus engageante. À notre retour de la Gamescom, j’ai donc contacté notre développeur principal, Davidé, et on a passé quinze jours à intégrer ces changements. Maintenant, nous avons une version beaucoup plus aboutie du prototype, et je recommence à contacter des partenaires potentiels pour la suite.

PnT : Le prototype que tu montres, est-ce une version complète ou plutôt une simple note d’intention à ce stade ?

Florent : C’est définitivement plus qu’une simple note d’intention, mais ce n’est pas encore une version complète non plus. Le prototype montre les mécaniques principales du jeu, le feeling général, et donne une idée du ton de l’écriture, qui reste un élément clé pour nous chez The Pixel Hunt. On essaie toujours de pousser l’écriture à un niveau élevé, et je pense que ce prototype le reflète bien. Bien sûr, il y a encore des choses à améliorer, mais pour un premier aperçu, je suis assez content.

PnT : Il y a un équilibre délicat à trouver dans un prototype pour un jeu narratif. Comment décides-tu quelles parties du jeu inclure ?

Florent : Oui, c’est vraiment un équilibre délicat, surtout quand le jeu repose beaucoup sur l’histoire. Dans le cas de Gaïa, il y a une dimension RPG assez marquée. On a donc tenu à montrer les systèmes de points et les mécanismes de skill check pour illustrer comment les décisions du joueur influencent l’histoire. Il fallait aussi rendre le road trip palpable, puisque c’est l’essence même du jeu : tu passes beaucoup de temps à conduire, tout en ayant des conversations importantes en parallèle.

Ce qui est intéressant, c’est de montrer cette dualité : d’un côté, tu es sur la route, et de l’autre, tu es dans ces interactions très personnelles qui façonnent l’expérience narrative. Nous voulions vraiment capter cette ambiance dans le prototype, même s’il est encore loin d’être aussi complet que la version finale le sera.

Même si le jeu ne lorgnera pas du côté du JRPG, il y a une forte volonté d’emprunter certains codes du RPG traditionnel.

PnT : Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées lors du développement du prototype avec le reste de l’équipe ?

Florent : Une des remarques récurrentes que nous avons reçues lors des playtests, c’est qu’il manquait un enjeu fort dès le début. Certains testeurs nous ont dit qu’ils avaient du mal à être complètement accrochés sans une tension immédiate. C’est intéressant, car je n’écris pas naturellement dans cette logique d’action rapide. J’aime prendre le temps de poser les personnages, de développer leur complexité, avant de les confronter à des situations difficiles. C’est un peu ce que nous avions fait avec The Wreck.

Cependant, dans un monde où la compétition pour capter l’attention des joueurs est féroce, je comprends que cette approche puisse parfois sembler trop lente. C’est une des choses sur lesquelles nous réfléchissons en ce moment : comment intégrer des éléments qui créent de la tension plus tôt dans le jeu, sans trahir notre vision narrative globale.

PnT : Le jeu aborde aussi des thèmes écologiques. Est-ce difficile de traiter ces sujets sans tomber dans les clichés ou dans une narration trop simpliste ?

Florent : Oui, c’est toujours un défi. On ne veut pas tomber dans l’idée du héros qui sauve la planète à lui tout seul, ce qui est souvent le cas dans les jeux vidéo, surtout les RPG. Au lieu de ça, on veut raconter l’histoire d’une personne qui vit dans notre monde et qui fait face à ces crises d’une manière plus réaliste. Le défi est donc de trouver le juste milieu : montrer l’impact de ces enjeux sans sur-dramatiser ni tomber dans le mélodrame.

PnT : En parlant de la recherche d’un éditeur, comment abordes-tu cette étape ? As-tu déjà des contacts en tête ?

Florent : Oui, après une décennie dans cette industrie, on a bâti un bon réseau de contacts. Mais aujourd’hui, le marché est extrêmement compétitif, surtout pour les éditeurs. On cherche des éditeurs qui ont une affinité naturelle avec notre style de jeu, des éditeurs qui comprennent et apprécient les jeux narratifs comme les nôtres.

Certains éditeurs sont plus généralistes, avec des catalogues très divers, mais pour nous, il est essentiel de trouver un éditeur qui a déjà une expérience solide dans les jeux narratifs ou expérimentaux. Il n’y en a pas beaucoup, mais ceux qui existent sont sur notre radar, et nous sommes en discussion avec plusieurs d’entre eux.

Un autre aspect important de la recherche d’un éditeur : la négociation du contrat.

PnT : Quelles sont tes attentes principales vis-à-vis d’un éditeur ? Est-ce que l’autonomie créative est un critère important pour toi ?

Florent : L’autonomie créative est cruciale, bien sûr. Mais dans le secteur des éditeurs indépendants, la plupart du temps, ils ne cherchent pas à interférer dans la création. Leur intérêt réside dans le fait de laisser le développeur suivre sa vision. Cela dit, il est important de trouver un éditeur qui comprend le marché des jeux narratifs, et qui peut vraiment nous aider à positionner le jeu face au bon public.

J’aimerais aussi qu’un éditeur soit prêt à s’engager sur la partie marketing et à réfléchir avec nous sur comment atteindre des publics qui ne se considèrent pas nécessairement comme des joueurs. C’est un domaine que j’aimerais explorer davantage. Il y a encore un énorme potentiel pour les jeux comme les nôtres de toucher des gens qui ne se définissent pas comme des joueurs réguliers.

PnT : Ce côté communication est souvent un point sensible pour les développeurs indépendants. Qu’est-ce qui te semble le plus difficile dans cet aspect du développement d’un jeu ?

Florent : La communication, c’est un métier à part entière. Beaucoup de développeurs indés essaient de s’en charger eux-mêmes, mais c’est très compliqué. On peut vite tomber dans un cycle où on s’investit dans la com’, puis on retourne à la production, et finalement on perd l’élan initial. C’est pourquoi il est essentiel de trouver un éditeur qui maîtrise cet aspect et qui peut réellement amplifier notre message.

PnT : Est-ce que tu recherches également un éditeur qui peut t’accompagner sur le plan technique, par exemple avec des retours sur le jeu en développement ?

Florent : Oui, je trouve toujours très utile d’avoir des retours réguliers de la part de l’éditeur. C’est essentiel pour garder une perspective extérieure et s’assurer que le projet avance dans la bonne direction. Quand un éditeur est vraiment impliqué, ça peut faire une énorme différence.

Cela dit, il est aussi important de trouver l’équilibre. Parfois, certains éditeurs sont tellement absents pendant la production que ça devient problématique. Il y a des histoires où les studios envoient des builds et ne reçoivent quasiment aucun retour avant qu’il ne soit trop tard. C’est pour ça que je privilégie les éditeurs qui savent trouver le juste milieu entre liberté créative et soutien actif.

PnT : Tu mentionnais que certains éditeurs peuvent être trop absents pendant le processus de développement. 

Florent : C’est vrai que parfois, certains éditeurs deviennent trop absents, même après avoir signé un contrat. Tu leur envoies des builds et tu te demandes s’ils les ouvrent vraiment. C’est déstabilisant, surtout si tu avances sans retour critique. Ce manque de feedback peut entraîner des erreurs de direction qu’il est trop tard pour corriger. Cela peut vraiment nuire à un projet si l’éditeur n’est pas assez impliqué.

PnT : En parlant de The Wreck, la réception critique a-t-elle eu un impact sur la manière dont tu abordes tes nouveaux projets ? Est-ce un atout pour attirer de nouveaux éditeurs ?

Florent : Gagner un prix comme l’Apple Design Award en juin dernier, c’est clairement quelque chose que nous mettons en avant. Ça aide à passer les premières étapes avec les éditeurs, ne serait-ce que pour ouvrir un pitch deck et le considérer sérieusement. Mais bien sûr, cela ne garantit pas de signer un deal. À la fin de la journée, les éditeurs veulent surtout des jeux qui se vendent bien. Si tu n’as pas des millions de ventes à ton actif, les prix et la reconnaissance critique peuvent t’aider à te démarquer, mais ça ne remplace pas les chiffres de vente.

PnT : Que fait l’équipe en attendant des réponses d’éditeurs ?

Florent : C’est là que d’avoir deux projets en parallèle prend tout son sens. Pendant que nous attendons des retours sur Gaïa, nous pouvons continuer à travailler sur l’autre projet qui est déjà en milieu, voire en fin de production. Si jamais nous devons envisager de downscoper Gaïa pour continuer seuls, nous le ferons. Mais pour l’instant, nous attendons de voir si nous pouvons obtenir le financement nécessaire pour réaliser le projet tel qu’il est conçu.

Florent a un petit message pour vous !

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