Subnautica et l’obsession des profondeurs
Le début de l’année 2018 a été marqué par la sortie d’un de ces jeux qu’on ne voit pas vraiment venir et qui pourtant obtiennent quasi instantanément l’aura d’une œuvre culte. Dans le genre, récemment on peut penser à des titres tels que Hollow Knight ou encore Outer Wilds, deux jeux sortis de nulle part apparemment et qui ont en commun de venir de ce qu’on appelle la fameuse ‘scène indé’. Le jeu qui nous intéresse aujourd’hui peut aussi être considéré comme un jeu indé bien qu’il soit le fruit d’une équipe bien plus importante que celle des jeux cités plus haut, celle du studio Unknown Worlds, les parents de Subnautica. Il n’y a pas que la taille de son équipe de développement qui différencie Subnautica des autres ‘petits jeux’. Dans son cas, l’équipe d’Unknown World n’en était pas à son coup d’essai après le succès de Natural Selection 1 et 2, des jeux de tir et de stratégie dans un univers de SF qui semble cher au studio. De plus, si le grand public découvre Subnautica le 28 janvier 2018 à sa sortie, des milliers de joueuses et de joueurs avaient déjà pu se familiariser avec son univers et ses systèmes lors de l’accès anticipé du jeu débuté en 2014. Ces vétérans ont, par leur curiosité et leur soutien participé à l’élaboration de l’un des mondes les plus fascinants du jeu vidéo.
Un studio de développement expérimenté, quatre ans d’early access et quelques millions de dollars, voilà ce qui aura permis la naissance de 4546B, la planète-océan qui accueille les joueuses et les joueurs lors du crash du vaisseau spatial qui marque le début d’une aventure inoubliable, celle de Subnautica.
Avec le recul je pense pouvoir dire sans prendre trop de risques que Subnautica a été un jeu important pour notre média préféré, le jeu vidéo. Et, bien que la question ne puisse sans doute pas être répondue de manière définitive, si je devais tenter de mettre le doigt sur les raisons qui en font un jeu tellement à part, je pense que la réponse se trouverait là, tout en bas, dans les abysses de cet océan qui semble n’avoir de fond.
De Echo the Dolphin à Maneater, des jeux vidéo qui se déroulent dans un univers aquatique il y en a toujours eu et il y en aura certainement toujours, mais quelque chose me dit que depuis que Subnautica est passé par là, ces derniers semblent se multiplier de manière exponentielle. Un peu comme si ce jeu avait permis d’ouvrir les vannes tel un poisson pilote qui montre la voie pour que suivent toujours davantage de plongées et d’explorations sous-marines.
On pourrait décrire Subnautica en disant qu’il s’agit d’un jeu de survie, mais dans l’eau. Depuis le succès de Minecraft les expériences consistant à devoir récolter des ressources qui nous permettront de crafter divers outils et autres abris de fortune se sont multipliés. De The long Dark à The Forest en passant par Ark : Survival Evolved ou encore Don’t Starve, la formule a connu un réel engouement et fait aujourd’hui partie des genres les plus populaires, le récent succès controversé de Palworld n’est pas pour me contredire.
Comme tous les genres à la mode, le meilleur moyen de se démarquer consiste à reprendre des systèmes ayant fait leur preuve et à proposer un nouvel environnement original pour en exploiter tout le potentiel. Ainsi on a pu survivre au vide de l’espace, à une île peuplée de mutants cannibales ou encore au froid mortel du Grand Nord mais il faut bien avouer que la grande majorité des jeux de survie se contente trop souvent de reprendre des univers d’une banalité fatigante, apocalypse zombie on pense à toi. Un terrain de jeu sous-marin se présentait donc comme une originalité bienvenue, un vent de fraîcheur au milieu des centaines de propositions souvent trop convenues.
Dans mon parcours de joueur, je dois avouer que les jeux de survie n’ont jamais su me convaincre, les systèmes sont souvent trop obscurs pour moi et la fastidieuse collecte de ressources achève la plupart du temps de me décourager de poursuivre l’aventure. Sans vouloir trop m’avancer, je pense pouvoir affirmer que je ne suis pas le seul dans ce cas et pourtant je suis persuadé que parmi les millions de joueuses et de joueurs réticents à la survie, Subnautica a fait figure d’exception. La première force de Subnautica réside donc dans son univers original et surtout dans la manière dont il nous est présenté. Les premiers instants du jeu consistent à nous installer le contexte, un gigantesque vaisseau spatial dont nous étions passagers s’est écrasé sur 4546B, la fameuse planète-océan. Pas besoin de longues explications, nous nous retrouvons presque instantanément au contrôle de notre personnage rescapé du crash dans une capsule de sauvetage.
On emprunte l’échelle de secours pour sortir et constater que l’océan nous entoure de tous les côtés, à perte de vue. L’immense carcasse fumante du vaisseau spatial fait office de seul élément perturbateur à l’horizon. Pas le choix, il faut se jeter à l’eau. Et la magie opère alors instantanément. Les récifs situés autour de la capsule sont absolument merveilleux de beauté. Le sable clair, les coraux aux formes nouvelles et les divers poissons tous plus colorés les uns que les autres nous accueillent au son d’une musique qui nous invite à l’aventure. Nous passerons sur les détails du gameplay mais je pense qu’il est important de souligner un point. Subnautica est un jeu extrêmement accueillant. La fameuse capsule de sauvetage est pourvue d’un appareil qui va nous permettre de fabriquer tous les outils nécessaires à l’exploration et on va rapidement avoir accès à divers moyens de se déplacer plus rapidement et surtout plus profondément. On est loin des systèmes souvent beaucoup trop âpres des jeux de survie. En réalité, tout en donnant l’illusion de nous donner une liberté de mouvement infinie dans son open-world, Subnautica va en réalité nous indiquer un chemin tout tracé à grand renfort de signaux de détresse venus d’autres capsules. Ces balises nous tiennent par la main pour que l’on tombe bien sur les plans du prochain outil dont on va avoir besoin, mais il le fait si discrètement qu’on a toujours l’impression de tout découvrir par soi-même.
En ce sens, je n’ai pas peur d’affirmer que Subnautica est moins un jeu de survie qu’un genre de Metroidvania semi-linéaire avec des éléments de survie. Pas étonnant qu’il ait su plaire au plus grand nombre, y compris aux réticents à la survie dont je fais partie. J’irais même plus loin en affirmant que Subnautica n’a peut-être même jamais réellement eu l’intention d’être un jeu de survie puisqu’il propose avant de lancer une partie le choix de jouer sans les limitations que sont la faim et la soif, deux systèmes inhérents au genre et qui constituent une difficulté supplémentaire qui est plus chronophage qu’autre chose, empêchant de plonger droit au but, vers ce que Subnautica a vraiment à proposer : un Mystère à résoudre.
Rapidement au travers des biomes allant du plus magnifique au plus terrifiant, l’on va découvrir des éléments qui semblent ne pas avoir leur place dans cet environnement naturel. Des constructions architecturales, des portails, des câbles d’alimentation qui semblent tous être le fruit d’une civilisation inconnue. On va soudain réaliser que la surface n’est pas recouverte entièrement d’eau en faisant la découverte d’une première île et des ruines d’une installation abandonnée. D’autres humains auraient donc vécu sur cette planète avant notre arrivée ? Ces éléments d’histoires nous sont fournis petit à petit sans véritable explication tels des indices, des morceaux d’un fil d’Arianne que l’on va devoir suivre pour espérer toucher du doigt la vérité et peut-être un jour quitter cette planète qui, au fil de l’aventure est de moins en moins accueillante.
La vraie force de Subnautica ne réside pas dans ses systèmes, il est certain que les joueuses et joueurs qui sont fan de survie et les apprentis architectes enthousiastes à l’idée de construire la meilleure base sous-marine ont adoré y jouer mais je reste persuadé que le cœur du jeu réside dans les secrets qu’il nous veut nous dévoiler, les mystères qu’il nous invite à résoudre.
Cette fascination pour les secrets des profondeurs n’est pas nouvelle, on pourrait remonter jusqu’à la légendaire Atlantide et dans le cas de Subnautica, on ne sera pas surpris d’apprendre que Charlie Cleveland, le directeur du jeu, est un grand admirateur du travail d’un certain James Cameron. Les premiers succès du studio Unknown Worlds, les 2 opus de Natural Selection sont ouvertement inspirés entre autres du film Aliens et c’est évidemment la fascination pour The Abyss, le chef d’œuvre de Cameron selon moi, qui est à l’origine du projet qui donnera naissance à Subnautica. Cette obsession contagieuse pour les profondeurs est presque universelle et elle est aisément compréhensible. Nous sommes une espèce curieuse et créative, ainsi nous cherchons sans arrêt à poursuivre l’étendue des connaissances et, dans le même temps, nous créons de toutes pièces des univers entiers qui alimentent le champ infini de la fiction. La majorité des univers de science-fiction tendent à se diriger naturellement vers les possibilités sans fin qu’offre l’espace et de la même manière, lorsque l’on parle de découvrir les secrets que notre univers à encore à offrir, on pense à la conquête spatiale. On a souvent la fausse impression que nous connaissons déjà trop bien notre propre planète et que le futur, tant en termes de découverte que de fiction ne peut pas se passer sur Terre. Et s’il se passait sous la surface de l’Océan ?
Dans son film documentaire Aliens of The Deep, James Cameron nous propose de plonger au plus profond des Abysses pour y faire la rencontre de créatures qu’on croirait tout droit sorties d’un roman de SF tant elles n’ont rien en commun avec les espèces auxquelles nous sommes habitués. Ils sont là les vrais Aliens, pas à des années-lumières peuplant de lointaines planètes, ils sont tout simplement en dessous de nous, menant une existence dont nous ne savons encore que très peu de choses. Dans le film de Cameron, on apprend également que de nombreux programmes d’exploration spatiale font des tests réguliers de leurs appareils dans les fonds océaniques avant de les envoyer dans l’espace tant les abysses sont ce qui se rapproche le plus en termes d’environnement d’une autre planète.
Ainsi, à sa façon, sous ses airs de jeu de survie aquatique, Subnautica permet en réalité à tout un chacun de partager un peu de cette fascination universelle pour les fonds marins et leurs mystères.
A travers tout le mois d’avril, vous avez pu au fil des pages de ce Kaléidoscope tenter de déchiffrer d’anciennes cartes menant aux ruines antiques de civilisations oubliées. Vous avez exploré les couloirs humides d’une cité engloutie et vous êtes émerveillés face à son architecture si particulière. Que ce soit à bord d’un frêle esquif ou depuis les rivages de l’océan, vous êtes partis à la rencontre des créatures qui peuplent le monde du dessous, des poissons qui serviront de repas aux dieux cosmiques que l’on préfèrerait ne pas tirer d’un trop long sommeil. Enfin, vous avez plongé dans les eaux mystérieuses d’une planète inconnue sans savoir quels secrets vous alliez pouvoir y découvrir.
La thématique que nous souhaitions explorer dans cette newsletter était ‘L’eau’, nous aurions pu vous présenter les défis techniques auxquels les développeurs font face pour modéliser cet élément précis dans les jeux vidéo. Nous aurions pu nous pencher sur la problématique bien plus tangible des besoins en eau des serveurs toujours plus gourmands qui permettent, entre-autres, aux jeux multijoueurs de tourner à plein régime 24h/24. Ou alors, nous aurions pu aborder le cas des jeux de survie dans lesquels il est souvent nécessaire de consommer de l’eau pour satisfaire une jauge de soif, Subnautica n’échappant d’ailleurs pas à la règle. Pourtant, et ce sans avoir eu besoin de se concerter, Loudic, Béné, Julien et moi-même nous sommes tournés vers les mystères que les abysses gardent tels de précieux secrets.
En prenant l’exemple si parlant de Subnautica, mon intention était de démontrer que les fonds marins exercent sur les humains une attraction inépuisable, une fascination qui peut pousser un esprit sain à la démence. De Lovecraft à Jules Verne, de James Cameron à Wes Anderson en passant par Tintin et le Commandant Cousteau, nombreuses sont les personnalités plus ou moins fictives à s’être abandonnées aux profondeurs. Je suis personnellement sujet à la Thalassophobie, la peur panique des profondeurs. Venir à bout des profondeurs a donc été une épreuve mais le jeu m’a tant obsédé qu’il m’a été impossible de détourner mon attention pendant les dizaines d’heures que j’ai passées sous l’océan. Et si je crains toujours les Abysses, j’ai bien peur que Subnautica m’ait moi aussi contaminé. Les fonds m’attirent, il faut que j’y retourne.