Lettre à Paul Atréides | DUNE en jeux vidéo
Paul, il faut qu’on parle. T’es beau comme un cœur, t’es fort, t’es brave. Mais pour qui veut être libre, même la perfection est un fardeau. Tout ce que ta mère et Denis Villeneuve ont préparé pour toi, c’était pas le seul chemin. Il y avait d’autres itinéraires possibles.
Nous aussi, on est psychiquement augmentées, tu sais. On se souvient de ce que tu es devenu dans les mains de David Lynch. On se souvient du désespoir qui l’étreignait quand il a compris qu’il ne serait pas à la hauteur de son film. À ta hauteur, Paul. On sait aussi tout ce que tu aurais pu devenir, ô fils de Jodorowsky. On se plaît à te rêver psychédélique et surréaliste, messianique devant l’intangible. Ah, tu aurais bouleversé la galaxie.
Toi, tu choisis toujours le chemin obscur qui brouille les rêves en œuvres. T’étais pas mieux dans tes livres, dis ? Dans toute l’ambiguïté d’une page et de ses versets, là tu savais chevaucher des vers de sable sans détails. On savait pas trop comment tu montais dessus, on savait pas trop comment tu te battais. Mais on savait pas non plus à quel point t’étais déchiré à l’épice. On savait pas que tu étais si fort, si beau. On pouvait te détester un peu, dans tes petites tendances génocidaires.
Mais voilà, maintenant, t’es trop parfait. Moi aussi, j’ai envie de te suivre dans ta croisade pour le trône. Villeneuve, il t’a transporté dans sa petite esthétique rétro, lui qui aime tant viser la dune. Il y en a dans tous ses films, alors pourquoi il se priverait de désert ? Tout ce qu’il montre a une texture. L’image a un grain, comme on dit. Un grain de sable, dans la mécanique sans fluide. De folie, aussi. La tienne sûrement. Quel film !
Tu peux être content, Paul. T’as percé, comme un Kwisatz Haderach dans le cœur de tes ennemis. Tu seras empereur. Tu auras même ton jeu à toi. Dune Awakening, il s’appelle. Ils en ont sorti des trailers quand le deuxième film est sorti. Ah, ça envoie du lourd ! Un MMO, un survival, développé par Funcom, un studio finlandais vétéran du genre. Un jeu-monde, et Arrakis en co-star d’une planète aux deux lunes. C’est un monde ouvert, avec du sable fin dessus et des gros vers dessous. C’est le Dune dont on rêve, nous disent les communications autour du jeu. Elles nous racontent qu’on a toujours eu envie de déménager sur Arrakis, que ce sera super immersif, et j’ai bien envie de les croire. Ça a l’air beau, complet, parfait. Comme les films. Comme toi, Paul. Le slogan du jeu, c’est « From books to film to game ». Il y a même l’incroyable directeur de la photographie des films, Greig Fraser, qui vient taper la discute dans les trailers. Dune prend peu à peu ton visage, Paul Chalamet Atreide. Sur la page Steam, au milieu des images du jeu, ils ont mis un gros plan d’une figurine de toi.
Dune Awakening a vraiment tout pour être un jeu incroyable. Qui n’a jamais rêvé de faire du craft en enchaînant les rails d’épice pendant une traque des Harkonnens. Mais ton jeu me fait un peu penser au déjà oublié Avatar: Frontiers of Pandora. Sorti en fin d’année dernière, lui aussi il avait tout pour être incroyable, sauf de l’inventivité. Il était beau comme tout, plein de jolis paysages, de créatures bleutées, et de gros guns. Est ce que tous les jeux de licences ont vocation à se ressembler ? Je ne sais pas. Moi, j’ai confiance en toi. Je sais que tu feras d’Arrakis un paradis luxuriant. Lisan al Gaib ! En attendant, ton jeu, il a plein d’idées à revendre. Il dit qu’il sera aussi un jeu de survie politique, dans lequel il faudra se frayer un chemin d’intrigues pour s’élever. Il promet plein de manières de se tataner, de s’exploser, de se zigouiller. Tout ce qu’on est en droit de demander à un gros jeu à licence, donc. Un beau jeu, un jeu presque parfait.
On ne sait pas encore quand Dune Awakening sortira. D’ici là, tu attendras avec nous cette adaptation de Dune comme si c’était la première. Ah, d’ailleurs il fallait que je t’en parle. En fait, un jeu Dune, il y en a déjà un. Dune : Spice Wars est un jeu de stratégie qui est sorti fin 2023, développé par Shiro Games, un studio bordelais. Moi, ça fait un moment que je les adore. Ils avaient sorti Northgard, et ça faisait un moment que j’avais pas pris autant de plaisir sur un RTS. Ça faisait un moment que la formule n’avait pas été aussi renouvelée, simplifiée. Finis les tutos à rallonge sur internet, les boutons sur chaque touche du clavier et de la souris. Finies les interfaces bordéliques. Northgard, c’est mon petit RTS cosy, presque wholesome. Et puis tu leur as demandé un jeu à ton honneur, un jeu au moins aussi complexe que ton destin, qui raconterait un peu des événements du premier film de Villeneuve. Il faut dire qu’Arrakis est le théâtre rêvé de joutes d’influences, le cadre idéal pour un jeu de stratégie.
Ils l’ont fait. Tu l’as ton jeu, Paul. Il est merveilleusement complexe, avec des courbes pour suivre le cours de la bourse, des espions chez les fremens, des assassins envoyés chez les Harkonnens, des ogives nucléaires bien au chaud. Dune: Spice Wars prend quelques libertés avec les romans. Toutes les maisons se disputent le contrôle d’Arrakis. Maintenant, elles sont cinq à se battre. Ils ont sorti un DLC, pour la sortie de ton film. Qui contrôle Dune, contrôle l’épice. Qui contrôle l’épice, contrôle l’empire. Alors il faut récolter l’épice, construire son conglomérat au milieu du désert, négocier avec les fremens ou les contrebandiers. C’est bien, c’est beau. Pour un jeu de stratégie, on y trouve tout un soin du territoire assez rare dans le genre. La planète est donnée à voir, dans ses reliefs et ses tempêtes. Son aridité fait de l’eau la ressource la plus essentielle. Les dunes de ce Dune sont dessinées avec tout un soin qui fait d’Arrakis un peu plus qu’un terrain de jeu.
Dune: Spice Wars est un bon jeu de stratégie. Il mêle les héritages RTS et 4X des Starcraft et Civilization tout en apportant les petites innovations de Northgard. Le résultat est déconcertant pour les vétérans du genre, mais si rafraîchissant qu’on lui pardonne volontiers ses petites imperfections. Paul, tu peux être fier de ce jeu. Moi, je reste un peu triste d’y retrouver si peu de la simplicité de Northgard. C’est quand même marrant que ce qu’on a retenu de Dune, ce sont les intrigues politiques, la bataille pour le trône. Tout cet univers qui crie sa mise en garde contre le colonialisme, qui raconte le poids du pouvoir sur ceux qu’il gouverne, il n’en reste qu’un formidable parc d’attractions à renouveler sans cesse. Eh Paul, t’étais pas mieux quand on pouvait douter un peu de toi ?
Il y avait bien longtemps, dans les temps immémoriaux des années 1990, d’autres jeux Dune avaient vu le jour. À une époque où les adaptations en jeu d’univers de fictions étaient toujours, ou presque, médiocres, ces jeux Dune avaient été bel et bien extraordinaires. Ce sont eux qui avaient inventé cette uchronie arrakienne, dans laquelle les maisons nobles se battent pour le contrôle de la planète. Dans ces jeux venus d’une époque où Timothée Chalamet n’était pas encore né, on contrôle pour la première fois les unités à la souris. On récolte pour la première fois des ressources qui permettent les productions de bâtiments. En bref, on découvre pour la première fois le RTS tel qu’on le connaît aujourd’hui. Chaque fois qu’on joue à des jeux de stratégie, il y a donc un peu de Dune dans leur ADN. La généalogie des Warcraft, Starcraft, Age of, elle commence avec Dune. Avec toi, Paul. Dans une belle ironie, l’obsession de tous ces jeux pour l’expansionnisme et l’exploitation à tout prix des ressources, elle venait dès le début de l’univers qui avait su le mieux critiquer l’accaparement des terres, l’impérialisme et la démesure du pouvoir.
Car Dune n’était pas voué à devenir un space opera. Les ajustements intimes d’un jeune tyran face à la montée malgré lui de ses pouvoirs, comme monte le fanatisme dans le peuple qu’il manipule, ça n’était pas forcément une invitation à en faire un spectacle euphorisant. Mais l’épice doit être récoltée, et la licence essorée. Alors les attractions continueront à fleurir, chaque fois plus ambitieuses et merveilleuses. Paul, tu continueras à nous tourner la tête comme une bouffée d’épice. Tu seras beau partout, et jamais contesté. Mahdi ! Prophète malgré toi, peut-être, mais prophète tout de même, qui annonce des films heureux et des jeux radieux. Tant pis pour moi, ça fait bien longtemps que je ne rêve plus d’un énième univers cross-média hégémonique. J’aurais quand même le plaisir de te retrouver, et le regret de ne plus t’imaginer.
Jül