Les peuples face à l’impérialisme
La figure de l’empire est commune à bien des œuvres de fantaisie. De sa naissance à sa destruction, il s’agit d’un levier qui passionne nos imaginaires. Tolkien l’avait bien compris en créant l’univers du Seigneur des Anneaux. Les âges s’y succèdent, avec leur lot d’effondrements et d’affrontements d’empires pour la domination du monde. Des alliances s’y forgent, ainsi que des coalitions au service d’une puissance dominante. Il semble presque inévitable que tout monde imaginé présente une certaine forme de puissance dominante, une autorité centrale exerçant un contrôle sur diverses régions et frontières. Ces dynamiques sont souvent représentées par des races créées spécialement pour le bien du récit. Elles servent de métaphores à l’impérialisme racial. Cela permet à l’auteur d’explorer les thèmes des conflits raciaux sans avoir à supporter le poids du racisme réel.
La saga initiée par Horinobu Sakaguchi n’échappe pas à cet outil narratif. Un empire, c’est pratique à exploiter comme antagoniste, car la connotation négative qui l’entoure permet de mobiliser instantanément le joueur. Il représente la tyrannie, l’oppression, l’assujettissement et la perte de l’individu face à une force qui uniformise les masses. Il n’y a pas mieux pour questionner subtilement son auditoire sur la notion des rapports de forces entre les peuples. Final Fantasy XIV : Stormblood va plus loin que ce qui a pu être fait par ses prédécesseurs. Il ne s’agit pas de dire que le sujet n’était pas traité avec sérieux ou profondeur par le passé, mais que la présence d’un empire, fut-il classique ou corporatiste, servait surtout à peindre la fresque éternelle du bien contre le mal, oubliant le caractère profondément raciste et opprimant de cette structure sociétale. Pourtant, ne nous trompons pas, l’utilisation d’une telle structure antagoniste posera toujours des questions d’ordres raciales et sociales.
Trop rarement nous sommes confrontés à la réalité des populations devant faire face à l’avancée victorieuse d’un empire qui absorbe tout sur son passage. Ce que nous voulons, c’est suivre le chemin belliqueux de ces grands personnages qui portent le poids du monde sur leurs épaules. Il y a pourtant tant à dire sur “ces gens qui ne sont rien”. Ils sont le cœur et l’âme de ces contrées que nous arpentons d’un pas décidé. Ils sont la motivation tacite qui anime notre complexe du sauveur. Je crois que c’est pour cette raison que, à date, Stormblood est mon extension préférée du MMORPG à succès de Square Enix. Stormblood décrit l’impérialisme, son idéologie, les outils de dominations, la résistance, les victimes et les complices avec pertinence et une froideur chirurgicale.
Les cendres de la rébellion
Le théâtre principal des événements de Final Fantasy XIV est le continent d’Éorzea, au sein duquel nous retrouvons quatre grandes cités-états : Gridania, Limsa Lominsa, Ul’dah et Ishgard. Toutes sont en guerre contre l’empire de Garlemald, une puissance militariste et expansionniste qui veut absorber ce vaste territoire. À l’image de ce que les Romains faisaient, la force de Garlemald repose dans sa capacité à acculturer les territoires conquis. Tous les peuples assimilés finissent par se dissoudre dans les us et coutumes du colonisateur. Si à l’heure actuelle, on parle d’américanisation de l’ensemble de la société occidental, dans le monde de Final Fantasy XIV, nous pourrions parler de Garlemaldisation du monde.
L’empire dispose d’une avance technologique considérable qui lui permet de faire ployer le genou à tous ses opposants. Les différentes régions d’Eorzea n’ont donc pas d’autre choix que de s’allier pour repousser l’invasion, mais ce pacte militaire se révèle inefficace. En effet, vingt ans avant les événements du jeu, Garlemald envahit et conquit la cinquième nation éorzéenne, Ala Mhigo. Dès les premières heures de A Realm Reborn, le joueur est amené à faire la découverte d’un camp de réfugiés décrépit appelé la petite Ala Mhigo. Il ne s’agit que d’une grotte vaguement aménagée. Ses habitants, qui ont eu la chance de fuir lors de la chute de leur Terre-Natale, sont rongés par la frustration. Certains rejoignent par hasard l’armée d’Ul’dah, d’autres optent pour des parcours de vie plus ordinaires, quand certains basculent dans le militantisme avec l’espoir, d’un jour, pouvoir de nouveau fouler le sol de leur pays. Alors que nous accomplissons des quêtes d’un intérêt discutable à ce moment de l’aventure, le jeu plante déjà les graines de ce qui fera le sel de Stormblood. Il n’y a qu’à lever les yeux pour observer des dizaines de réfugiés Ala Mhigois qui campent à l’extérieur des murs de la prospère cité-état. L’accès leur est interdit, et les nombreuses demandes d’asile sont ensevelies dans les tréfonds de l’administration. Traités comme des bœufs, les plus aptes finissent par être exploités par des marchands ou des proxénètes avides. Leur situation n’est pas très différente de ce que nous pouvons observer en Europe. En 2021, il était possible de recenser près de 4 000 réfugiés à Berlin occupant des emplois précaires rémunérés à peine plus d’un euro de l’heure.
Ce point de scénario, qui ne semblait servir que pour peindre la toile de fond de l’univers chapeauté par Naoki Yoshida, prend une importance capitale dans les derniers instants de Heavensward. Ilberd Feare, un insurgé Ala Mhigois, rallie à sa cause des compatriotes opprimés et marginalisés. La plupart des interactions entre lui et le joueur révèlent un aspect non-interventionniste de la part de notre organisation, les Héritiers de la septième aube. Aucune aide militaire ne sera fournie pour ne pas risquer de froisser le terrible empire. L’injustice est présente, mais les hauts décisionnaires préfèrent se contenter d’afficher leur désaccord timidement plutôt que de prendre les armes. Ce genre d’attitudes n’est pas sans rappeler l’inaction des différentes puissances quant à l’habitude des États-Unis d’Amérique a joué aux gendarmes du monde. Dans FF XIV, tout est fait pour dissuader les réfugiés de prendre les armes et d’opter plutôt pour le dialogue. Bien entendu, négocier une libération avec un colonisateur militairement supérieur sans exercer la moindre pression ne peut fournir de résultat. C’est en tout cas la conclusion des scénaristes de Final Fantasy XIV, qui se reflètent dans le personnage d’Illberd. Puisque Eorzea n’a que faire de leur sort, ils reprendront leur patrie par la force. C’est ainsi qu’ils attaquent le « Mur de Baelsar » qui sert de frontière. L’assaut est un échec, et la quasi-totalité de ceux qui ont pris les armes sont balayés par les forces impériales.
Stormblood porte bien son nom. Le point de départ est une tempête de sang qui éclabousse les héros de l’aventure et les pousse enfin à prendre les armes pour libérer ce peuple opprimé de sa condition. La route qui les attend est longue et les amènera jusqu’aux terres orientales de Kugane, représentation fictive du Japon, victime du même colonialisme que les terres mhigoise qui, quant à elle, évoquent les anciennes colonies africaines des puissances européennes. L’heure n’est plus aux dialogues, mais à la guerre pour repousser le terrible empire. C’est dans ce contexte que le personnage de Lyse fait alors office de figure de proue de l’aventure. Originaire d’Ala Mhigo, elle permet de créer une attache émotionnelle entre le joueur et le nouveau territoire. Telle une Che Guevara du désert, elle mène la charge de l’espoir au cœur de la contrée asservie, comme si le massacre des révoltés avait servi de déclic pour la rappeler à ses origines et faire prendre conscience à Eorzea de la nécessité de porter atteinte à la puissance de son ennemi politique et militaire. Cela peut paraître bête, mais je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles en vieillissant, je préfère passer plus de temps dans des œuvres fictives que dans la réalité. Cela aura pris du temps, mais les gens de bonnes volontés finissent par se dresser contre l’envahisseur, là où, dans notre monde, la communauté internationale continue de rester aveugle face à l’occupation illégale des territoires palestiniens par Israël depuis 1967.
Une ode aux peuples brisés
Ce qui marque quand on découvre les nouvelles zones de jeu d’Ala Mhigo, c’est la façon dont les équipes de Square Enix retranscrivent l’impérialisme et ses effets dans la modélisation de cette région. Pendant de nombreuses heures, nous arpentons une terre désolée et exploitée dont les vestiges font écho à une grandeur passée. Il y a cette idée latente d’un passé glorieux alors que nous observons ces statues saccagées, ces temples profanés et ces peuples privés de leur honneur et de leur culture. Chaque seconde de jeu est là pour nous rappeler que l’impérialisme est une dynamique d’exploitation entre un occupant étranger et un occupant autochtone qui se fait lentement et violemment déposséder de son identité.
Nous sommes face à un phénomène d’acculturation. C’est ce qui se produit lorsqu’un groupe de personnes adopte la culture d’un autre peuple. C’est un terme issu de l’anthropologie anglo-saxonne du XIXe siècle, même si son utilisation dans le domaine des sciences sociales s’est principalement démocratisé vers 1950. Ce concept est lié à une thématique qui provoque souvent des controverses, car son utilisation amène à intellectualiser la notion des peuples et à se pencher sur les rapports entre nations dominantes et nations dominées. Pour Nathan Wachtel, historien et anthropologue français, le concept d’acculturation s’inscrit avant tout dans une situation coloniale. Il ne faut évidemment pas mettre de côté que, dans un tel cadre, la culture dominante est toujours légèrement influencée par les cultures assimilées, mais, ne nous y trompons pas, le grand dessein civilisationnel met toujours tout en ordre pour broyer celui qui a ployé le genou. C’est pourquoi, pendant de nombreuses années, même les aspects les plus sophistiqués de la culture africaines ont vu leur existence expliquée par la cohabitation des Africains avec les peuples raffinés en provenance d’Europe.
Il s’agit d’un processus qui se fait rarement en douceur. Les populations africaines ont très mal accepté la présence des envahisseurs européens, même après plusieurs années de présence. Les colons étaient, à juste titre, considérés comme des parasites qui volaient les ressources des Africains. Pour faciliter le contrôle de ces nouveaux territoires, les métropoles ont donc imposé leur culture en construisant des écoles, au sein desquelles les jeunes africains apprenaient la langue, la religion et la culture du peuple qui les tenait sous son emprise. C’est pour cela que lors de la Seconde Guerre mondiale, il y avait de forts élans patriotiques au sein des colonies françaises où le désir de servir la France contre l’envahisseur était parfois plus fort qu’au cœur de la métropole. Que ce soit pour les Mhigois ou les Africains, tout a été fait pour déposséder les peuples de leur terre, mais surtout de leur histoire. Lorsque nous sommes dépossédés de notre passé, notre identité est vouée à disparaître.
Au milieu des bâtiments délabrés vit le peuple colonisé qui est le cœur de toute l’écriture de Stormblood qui s’évertue en permanence à faire une place dans son récit à ces destinées brisées. Alors que nous discutons avec eux, la question quant à l’impureté proclamée de leur sang par les autorités Garlemaldaise est alors évoquée. Cela peut sembler anodin, car commun à de multiples œuvres de fantaisie, à l’image des “sang-mêlé” d’une certaine saga littéraire, mais elle permet d’exploiter l’importance de la hiérarchisation des races au sein de l’empire. Nous sommes dans une rhétorique impérialiste qui ne nous est pas étrangère, car elle a accompagné l’histoire de l’humanité. J’y vois personnellement un parallèle avec la controverse de Valladolid qui, en 1550, a été le théâtre de nombreux débats quant aux droits moraux et au traitement des populations amérindiennes par les colonisateurs espagnols. La même logique de pensée était appliquée par l’Église catholique quant à l’esclavage des populations subsaharienne. La proclamation de l’infériorité naturelle de l’autre est le plus vieil argument du monde pour justifier d’une conquête. Encore aujourd’hui, vous pouvez entendre des propos nostalgiques de cette ère coloniale de la part d’individus prêts à toutes les bassesses intellectuelles pour vous persuader du bien-fondé de la colonisation.
De par leur statut de colonisés, les Mhigois sont considérés comme des sous-citoyens de la société à laquelle il contribue ardemment. L’ascenseur social n’existe pas pour eux. Ils ne pourront jamais s’élever malgré les faux espoirs entretenus quant à la possible obtention d’une pleine citoyenneté. Le mieux qu’ils peuvent espérer est d’un jour obtenir un rôle qui leur demandera de reproduire les mêmes mécanismes coloniaux dont ils ont été victimes. Fordola rem Lupis est une figure antagoniste majeure de cette extension. Née en Ala Mhigo, tout est fait pour la rendre détestable au premier abord. Elle et ses hommes martyrisent leurs compatriotes. Ils n’hésitent pas à battre à mort ceux ne respectant pas leurs obligations envers l’empire. Ils sont ceux que nous pourrions qualifier de collaborateurs. Il y a pourtant quelque chose de poignant dans le fait de voir un peuple s’entre-déchirer de la sorte. Fondamentalement, Fordola est juste une victime de la colonisation qui pense que servir son maître, quitte à vendre son âme, lui permettra de faire la grandeur de son peuple en montrant qu’ils peuvent tout autant contribuer à la grandeur de la nation que des garlemaldais pure souche. L’actualité récente en France avec les débats sur la double nationalité montre que le logiciel colonial sera toujours implacable face à ceux qu’elles considèrent comme des pièces rapportées.
La même logique se perpétue au cœur de la région de Doma. Nouveau territoire, nouvelle région, mais toujours un peuple fragmenté et inerte. À de nombreuses occasions, le joueur est confronté à la soumission volontaire des Domiens. L’Empire est une entité tellement imposante, dominant la région depuis plus de 20 ans, qu’il semble impossible de pouvoir se dresser contre elle. Souvent, notre troupe de héros subit les remontrances des autochtones qui craignent d’être tenus responsables de nos exactions. Après avoir perdu tant d’êtres aimés, il est délicat de leur en vouloir. C’est un peuple qui a succombé à l’oppression et ne s’attache qu’à une seule chose : survivre, quand bien même cette survie serait vide de sens. Notre périple pour ramener le seigneur Hien au pouvoir de ce japon fictif reprend certaines thèses de Paulo Freire sur la pédagogie des opprimés.
Le gros de l’aventure revient à aider les différentes tribus qui constituent les peuples de Doma et d’Ala Mhigo. Il convient de leur redonner espoir dans les bienfaits de la lutte et de leur faire réaliser que leur situation n’est pas immuable. Le fait de fonder la justification du pouvoir de Garlemald sur la théorie raciale permet de confronter le colonialisme dans ses manifestations les plus flagrantes, et d’utiliser un levier narratif efficace pour accélérer la révolte des peuples avec 25 années d’oppression. L’inclusion d’un soulèvement local, d’un soutien international et d’une guérilla fait de l’effort de libération un effort qui renvoie à de nombreuses révolutions de notre histoire. Les techniques de guérilla employées ressemblent à celles utilisées par le mouvement du 26 juillet de Fidel Castro contre Fulgencio Batista et qui ont ensuite été exportées par le Che Guevara un peu partout en Amérique du Sud.
Nous sommes dans une démarche de conscientisation des opprimés pour leur faire acquérir une pensée révolutionnaire et émancipatrice, tout en apprenant autant d’eux qu’ils en apprennent de nous. C’est un parcours qui se fait main dans la main. Il s’agit de faire de l’oppression et de ses causes un objet de réflexion des opprimés d’où résulte nécessairement un engagement dans une lutte pour la libération, à travers laquelle cette pédagogie s’exerce et se renouvelle en permanence. Il y a une symbiose qui s’opère qui permet la libération successive des deux nations. C’est ce qui permet à Stormblood d’éviter de tomber dans le piège du mythe du sauveur blanc sans qui les peuples opprimés ne pourraient prendre en main leur histoire, même s’il flirte parfois dangereusement avec cette idée. Cette maladresse est plus due à une naïveté présente dans bien des shonens, à savoir que nous sommes plus fort unis contre l’oppresseur que chacun de son côté. Il part du principe que les conquérants peuvent être vaincus. Final Fantasy XIV permet aux joueurs de démanteler cette tyrannie avec une bonne dose de violence justifiée face à un adversaire implacable. Si Zénos est la principale figure antagoniste, remplissant bien son office de conquérant avec son armure aux accents romains et sa longue chevelure blonde qui lui permet d’incarner la figure du Gaijin et donc de faire un parallèle avec la tutelle américaine dont a été victime le Japon au lendemain de la 2nd guerre mondiale, le personnage cristallisant toute la dramaturgie de Stormblood est Yotsuyu.
Yotsuyu, monstre et victime
Yotsuyu goe Brutus est une femme originaire de Doma qui sert l’empire de Garlemald en tant que bras droit du gouverneur de la région. Son nom de famille a une consonance romaine qui évoque Marcus Junius Brutus, sénateur romain, principalement connu pour être l’un des meurtriers de Jules César, est là pour mettre en avant la perfidie qui la caractérise. Si d’autres personnages de l’extension nous amènent des réflexions sur les colonisés qui prennent fait et cause pour leur envahisseur, aucun d’entre eux ne revendique sa trahison avec autant de fierté. Elle a grimpé les échelons de l’empire alors que rien ne la prédestinait à cela uniquement grâce à la force de sa haine contre son propre peuple.
Les parents de Yotsuyu sont morts alors qu’elle était encore une enfant. Son oncle et sa tante ont donc été contraints de l’adopter. Au sein de cette nouvelle famille, elle ne trouva ni amour ni tendresse, uniquement de la haine et du mépris. Ils l’empêchèrent d’aller à l’école afin qu’elle se concentre uniquement sur les tâches domestiques. Ils la maltraitaient physiquement, souvent devant son jeune frère adoptif, Asahi. Afin de bien vous représenter les premières années de sa vie, visualisez ce que donnerait un mélange entre Harry Potter et Cendrillon. Des années plus tard, ils décidèrent de la marier à un homme violent et, après la mort de ce dernier, de la vendre à un bordel pour régler leurs dettes.
À l’aide de sa beauté et d’un mental dur comme l’acier, elle devint rapidement la courtisane la plus en vue de son établissement, avant d’être recrutée par le prince héritier de l’empire garlemaldais après une tentative ratée de séduction pour les forces de résistance domiennes. Au premier abord, elle peut paraître caricaturale. C’est un personnage cruel qui prend plaisir à faire du mal à ses opposants. Son charadesign lui-même transpire la méchanceté et son passé de femme fatale. Ses ornements, ses épaules dénudés, sa longue robe fendue, tout est fait pour cocher les cases du fantasme de la femme orientale et l’enfermer dans une vision très masculiniste de la femme diablesse.
C’est dans le dernier arc de l’aventure, qui tente de lui offrir une rédemption que le personnage nous révèle sa complexité. Elle apporte une nuance à un récit qui pourrait sembler un brin manichéen, car elle est une compatriote qui se retourne contre son propre peuple à cause de toutes les horreurs qu’ils lui ont fait subir. En effet, la vie de Yotsuyu ne donne pas une image favorable des Domiens, car ils l’ont autant bafoué que l’empire qu’ils s’évertuent à pointer du doigt comme étant à l’origine de tous leurs maux. Cela contribue à dépeindre Doma comme un pays imparfait qui, malgré ses défauts, mérite toujours d’être libéré. Je reviens donc à mon bref parallèle sur le conflit israélo-palestinien, car il n’est pas rare de voir depuis les attentats du 7 octobre des individus tourner en ridicule les membres de la communauté LGBTQ+ qui prennent fait et cause pour la libération de la Palestine, sous prétexte que le peuple palestinien bafouerait leurs droits élémentaires. Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les peuples ont le droit à disposer d’eux même.
Le surnom Tsuyu qui lui est donné par Gosetsu, ce vieil homme bourru qui lui tend la main malgré tout le mal qu’elle a causé, symbolise ce qu’elle aurait pu devenir si elle avait été élevée dans un environnement sain et aimant. Malheureusement, les péchés de son passé ne peuvent être oubliés, pas plus que la cruauté dont elle a été victime toute sa vie. Ce que nous vivons dans ces derniers moments n’est pas une tentative de justification ou de réhabilitation, mais une simple démonstration de ce qu’elle aurait pu être dans d’autres circonstances. Bien qu’elle ait lutté toute sa vie pour prendre le contrôle de son existence en faisant souffrir son peuple, elle ne parvient finalement jamais à passer outre son statut de sujet colonial. Bien qu’elle ait tout donné aux oppresseurs de son peuple, sa longue agonie existentielle ne connaît de fin que dans la mort après un combat âpre contre le joueur. D’une certaine manière, le titre de Square Enix cherche à nous faire comprendre qu’un sujet colonial ne pourra jamais atteindre la véritable liberté par l’assimilation.
En ces temps troublés, Final Fantasy XIV : Stormblood est une œuvre qui fait du bien et nourrit nos aspirations révolutionnaires. L’impérialisme, qu’il soit colonial ou culturel, peut être combattu et défait par les peuples. Il invite à ce que nous gardions en tête que tous les peuples ont un droit à disposer d’eux même et que nul ne saurait leur imposer sa volonté. Grâce à son récit mondialisé qui nous place en tant qu’acteur de deux mouvements de libération, il évite de tomber dans une forme de nationalisme exacerbée. C’est quelque chose qui aurait pu être particulièrement tentant pour les scénaristes de Square Enix si l’extension ne parlait que de Doma, qui était la pierre angulaire du marketing grâce à l’attrait des occidentaux pour l’orientalisme. Nous aurions pu avoir une énième transposition des névroses japonaises vis à vis de ce que l’occident leur a fait subir suite aux bombes de Hiroshima et de Nagasaki. À la place, nous avons un rappel de l’importance de la coopération entre les peuples. Nous ne devons pas nous refermer sur nous-même, car nous irons toujours plus loin en essayant de tirer ensemble dans la même direction sans renier ce qui nous caractérise. C’est parfois confondant de naïveté, et cela peut nous amener à nous demander si les territoires libérés ne troquent pas un impérialisme brutal contre un impérialisme plus insidieux, mais cette ballade révolutionnaire mettant les peuples au centre de tout fait du bien dans le paysage vidéoludique.
Sources
https://www.clionautes.org/limaginaire-et-les-empires.html
https://www.lepoint.fr/monde/des-jobs-a-1-euro-font-debat-en-allemagne-16-05-2016-2039743_24.php
Le trauma colonial de Karima Lazali