Indiana Jones et le fascisme moderne
Disclaimer : Cet article contient des spoils du jeu Indiana Jones et le Cercle Ancien. Je vous conseille de le faire avant de lire ces quelques lignes. Je parle des différents lieux de l’aventure et de certains événements sans pour autant révéler les tenants et aboutissants du jeu.
Cet article n’a pas pour but d’être une critique du jeu Indiana Jones et le Cercle Ancien, mais de vous partager mon ressenti et un point qui a soulevé une interrogation. Il a été, pour moi, amateur des films, une réelle surprise tant l’ambiance est respectée et l’écriture juste. La séquence d’introduction qui reprend les premières minutes des Aventuriers de l’Arche Perdue est un pur shoot de nostalgie dans mes veines de trentenaire. Le titre n’est pas exempt de défauts, mais c’est une proposition solide qui offre une expérience agréable et maîtrisée, ce qui est assez rare pour le notifier. Comme annoncé, je ne suis pas là pour vous conseiller de lancer le jeu. Il y a une chose qui m’a frappé bien plus que le level design, la direction artistique ou le doublage et c’est ça qui m’a donné envie d’écrire ces lignes. D’abord, un peu de contexte, la licence Indiana Jones est connue aussi bien pour le fouet et le chapeau que pour ces nazis qui font office d’antagonistes. Une fois la trame principale lancée, je pars en quête du Vatican au cœur de l’Italie de Mussolini. Les abords de la cité-état sont devenus le domaine, non pas des nazi, mais des fascistes. Normal me direz vous, l’Italie n’a pas été annexée par l’armée d’Hitler, Benito et Adolf étant cul et chemise. Mais tout de même, notre véritable ennemi, Voss, est un fier porteur de la croix gammée. En poursuivant l’aventure, le terme de fasciste est beaucoup plus employé que celui de nazi. Autre fait marquant, contrairement aux films, la course-poursuite incessante entre le professeur américain et l’archéologue allemand ne se fait pas dans un monde où l’occupation est peu visible. Ici chaque lieu exploré grouille de partisans de l’extrême droite, pas obligatoirement allemande, les bien nommés fascistes. Après une session de jeu, je débriefais, avec celle qui partage ma vie, une réflexion qui m’est venu : Et si ces fascistes étaient un parallèle, sans doute involontaire, avec l’actualité peu réjouissante que vit la France depuis quelques années, la gangrène de l’extrême droite qui grignote inexorablement le tissu sain de la société créatrice des Droits de l’Homme et du Citoyen. Je vous propose de suivre cette réflexion avec moi.
Le fascisme en 2025
Il est bon avant d’entrer dans le vif du sujet de faire un petit rappel de ce qu’est le fascisme tant c’est un terme qui est utilisé à tort et à travers de nos jours. C’est un mouvement qui trouve ses racines dans l’après Première Guerre mondiale en Italie. Ce système politique autoritaire qui associe populisme, nationalisme et totalitarisme a permis à Benito Mussolini d’abord, puis Adolf Hitler d’accéder au pouvoir de leur pays respectif. Cette politique d’extrême droite est à l’opposé de la démocratie parlementaire faisant prédominer le groupe (souvent restreint à celui qui se trouve à sa tête) plutôt que l’identité personnelle. Nous y retrouvons notamment un rejet de l’égalité au profit d’idéal national et racial.
Alors que nous fêtons, cette année, les quatre-vingts ans de la victoire sur le nazisme, des événements m’inquiètent. Le rejet des communautés LGBT, l’écart grandissant entre les classes sociales, l’absence d’écoute des revendications populaires, la rigidification des politiques migratoires s’accroît en même temps que les scores de l’extrême droite dans les sondages et les urnes. J’y retrouve bon nombre des caractéristiques qui décrivent le fascisme et qui pourtant sont banalisées, pour ne pas dire légitimées, par bon nombre de médias. J’ai retrouvé cet écho dans le jeu qui nous intéresse aujourd’hui. Je précise de nouveau que c’est une interprétation personnelle que je ne prête à personne d’autre, mais qu’il me semblait pertinent de vous partager.
Vatican : au secours de dominants sur le déclin
Comme je le disais dans l’introduction, l’aventure commence véritablement au Vatican. Pour le contexte, le pape est souffrant, sans doute en fin de vie, et, selon la tradition, c’est l’homme en noir qui assure les affaires courantes d’une des religions majeures du monde moderne. Cet homme à qui l’on donne des pouvoirs, quasi-divins, le père Ventura est loin d’être apprécié et la chrétienté est, depuis longtemps, loin de son apogée. Afin d’asseoir son autorité, il conclut un sombre pacte avec le Duce (guide), Benito Mussolini, ouvrant les portes de la sainte cité a des hommes en uniformes installant scène et barbelés afin d’offrir le spectacle du fascisme sous le regard approbateur d’un dirigeant sur la sellette. Ces événements font écho aux accords du Latran, traité diplomatique entre le saint-siège et le royaume d’Italie signé le 11 février 1929. Cet ensemble de trois textes restreint l’autorité apostolique aux frontières du Vatican tout en donnant à la religion catholique le monopole sur l’Italie. Notre pape intérimaire, faute de faire l’unanimité, concède une alliance peu banale plutôt que de perdre le pouvoir auquel il a pris goût. En partant de ce constat, comment ne pas avoir en tête notre cher Manu. À la manière d’un prêtre, il s’est érigé comme le protecteur de notre bon peuple, non pas de Satan, mais du Rassemblement National, s’il y a une différence à faire. Puis, au moment où son pouvoir s’effrite (les élections européennes 2024), comme monsieur Ventura, Macron renforce le lien, pas si ténu, qu’il entretient avec l’extrême droite. Les faits ne manquent pas entre l’invisibilisation du génocide de Gaza, la liberté de parole totale de Pascal Praud, la réduction au silence des opposants (nous y reviendrons), le durcissement de la politique sociale et migratoire, il est clair que le centriste libéral a facilement perdu l’équilibre pour basculer, le sourire aux lèvres, à droite, très à droite. Même si le plus gros tour de force des différents gouvernements macronistes reste celui de voler aux pauvres pour abreuver les plus riches, ils auront également mis en marche le train direction Facholand de peur de chuter de leur piédestal. La France a donc elle aussi ouvert grand sa porte à ses nuisibles comme le fait le curé dans le jeu dont nous parlons aujourd’hui.
Fin du premier chapitre.

Gizeh : se fondre dans le paysage
Notre archéologue au crochet ravageur gravit quelques ruines pour nous offrir une vue imprenable sur les tombeaux pyramidaux, l’Egypte s’ouvre à nous. Nos premiers pas se font dans un camp d’ouvriers, main d’œuvre locale pour les fouilles. Rapidement, le joueur rejoint une bourgade très animée, remplie d’étales et de salon de thé. L’ambiance de l’Afrique du Nord est bien restituée, chaude, chaleureuse et emplie de mystère pour le profane. Puis on se lance à l’assaut du sable et des camps de fouilles. Au milieu des tenues adaptées aux contraintes désertiques, des uniformes rodent dans un silence presque religieux, aucune tension perceptible à l’horizon, du moins pas plus que n’importe quel colonialiste. Plus on avance sur la carte, plus le ratio autochtone – fasciste s’inverse jusqu’au camp nazi en bonne et due forme. Pour autant, la vie locale semble imperturbable, calme. L’heure est à la cohabitation. Pour revenir à la réalité, nous savons, notamment grâce à l’historien Kurt Tauber, que l’Egypte a été une destination de choix pour les nazis en fuite à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour ce qui est de la France actuelle, il devient compliqué de parler de discrétion. Des saluts nazis et symboles SS au stade Gerland aux manifestations au cœur de la capitale, les néo-nazis français crient leur haine en toute impunité. Les médias qui sont détenus par des milliardaires font tout ce qu’ils peuvent pour éviter que l’idéologie de gauche ne mette en péril leur statut, ces mêmes personnes dont la fortune a été décuplée depuis l’arrivée de Macron au plus haut poste de l’Etat. Lorsque l’on voit que cette fameuse extrême droite, qui je le rappelle devait trouver un opposant selon des promesses électorales, voit son nombre de sièges à l’Assemblée nationale atteindre un record depuis la création de la Ve République. De son côté, Jordan Bardella, nous propose un livre pour parler aux Français alors que ses votes et ceux des membres du RN vont systématiquement à l’opposé des besoins de la société sous couvert d’éradiquer la menace migratoire. Tout cela applaudi par un Cyril Hanouna à la tête d’une des émissions télévisuelles les plus regardées. Tout comme dans le Gizeh numérique, tout cohabite dans notre société sans faire sourciller grand monde voir même allant jusqu’à coller l’étiquette d’antisémites à ceux qui tirent la sonnette d’alarme. Étonnant, non ?
Fin du chapitre 2
Siam : la violence en réponse à la contestation
Après un passage intense dans une zone bombardée pour rappel que la guerre ce n’est pas seulement une course aux artefacts anciens. Nous faisons un arrêt dans la flore luxuriante du Siam, ancien nom de la Thaïlande. Ici aussi, la cohabitation semble paisible. Devant l’hôtel qui nous sert de point de chute, deux fascistes réparent tranquillement leur jeep. L’hôtelière semble bien occupée et méfiante concernant les nouveaux arrivants. Très vite, on comprend qu’un groupe de résistants a fait du bâtiment son quartier général. La nuit avançant, il est l’heure de rejoindre sa chambre pour trouver un repos bien mérité. Pas le temps de se mettre au lit que l’agitation au rez-de-chaussée nous force à descendre. La panique s’empare de ceux qui semblaient si tranquilles quelques minutes auparavant. Les fascistes tentent de prendre d’assaut l’hôtel pour tuer la résistance dans l’œuf, les obligeant à fuir dans un petit village au bord d’un fleuve. C’est également dans ce lieu perdu que nous apprenons que c’est un dirigeant local qui a ouvert la porte du pays aux fascistes, comme un goût de déjà-vu. Ce qui m’intéresse dans cette partie du jeu, c’est la réponse violente en cas de contestation. Je ne vous ferai pas l’affront de citer les crimes commis par les nazis. La France, pays démocratique, a vu, ces dernières années, bon nombre de violences commises par des représentants de l’Etat. Chaque manifestation d’ampleur a connu son lot de bavures. Les gilets jaunes bien évidemment, le mouvement de Sainte-Soline, les manifestations de 2023 ont été des lieux de défoulement pour certaines personnes en uniforme. En d’autres termes, les désaccords sur la baisse du pouvoir d’achat, sur la mauvaise gestion des ressources en eau et sur la réforme des retraites n’ont trouvé de réponse que dans l’oppression et les gaz lacrymogènes. Nous sommes d’accord qu’un gouvernement ne peut pas gérer chaque agent qu’il envoie sur le terrain, mais tel un Benalla qui se reproduit en masse, l’impunité a été totale. C’est pourtant bien le ministre de l’Intérieur qui commandite ces interventions. Le recours à de tels actes est un aveu de faiblesse sachant que les discussions ne permettront pas au gouvernement d’imposer sa vision des choses. C’est aussi une preuve que nos dirigeants considèrent ceux qui les ont élus comme incapable de faire le bon choix, c’est assez paradoxal. De nouveau, le parallèle entre le titre de Bethesda et notre réalité ne me semble pas si alambiqué que ça.
Fin du chapitre 3
Irak : le déni de responsabilité
L’aventure touche à sa fin. Comme à son habitude, notre cher Indiana n’a pas été d’une grande utilité puisque son antagoniste, Voss, est parvenu à ses fins. Heureusement, comme son prédécesseur face à l’Arche d’alliance, tout ne se passe pas comme prévu. Le plan parfait est surtout le reflet d’un ego démesuré pensant que le monde va se plier à sa volonté. La désillusion n’est pas facile à avaler, c’est alors que le déni et le mensonge s’allient pour une dernière tentative de manipulation désespérée et caduque. Le concept de responsabilité est une vague notion qu’il rejette en bloc, n’importe qui sauf lui doit endosser la culpabilité des conséquences de son projet. Vous devez maintenant me voir venir à des kilomètres, Voss, fou de rage, hurlant que Jones a tout gâché sous un orage d’une rare violence, s’accrochant à un rêve de pouvoir qui ne verra jamais le jour, me fait penser à Emmanuel Macron. Après sa défaite aux élections européennes, il dissout l’Assemblée nationale voulant, si l’on en croit des sources non-officielles, donner une leçon aux Français. Le résultat des élections législatives, qu’il a lui-même provoqué, donnant vainqueur le Nouveau Front Populaire, ne lui convenant pas, il constitue un gouvernement en rompant avec la tradition de nommer un Premier ministre du groupe avec le plus de représentants. Michel Barnier, dès les premiers jours, est allé supplier Marine Lepen de pardonner une “maladresse” d’un de ses ministres. Il a continué à vouloir gouverner suivant les envies de Macron, loin de la volonté des votants. Ce manque de considération a conduit à une censure obligeant Manu à nous proposer un nouveau casting, qui sent un peu le réchauffé, toujours sans piocher dans les partis de gauche qui pourtant ont le plus de sièges dans l’hémicycle. Après ces échecs en chaîne, sa majesté au trône rutilant nous a gâté d’un discours lunaire que l’on pourrait résumer par un “c’est pas ma faute” enfantin. Il va même plus loin en insistant sur le fait qu’il a fait les bons choix et que ce n’est pas à lui d’assumer les erreurs du peuple, puisque nous ne partageons pas sa vision des choses. S’il n’était pas assis derrière un bureau, j’aurais presque cru à un one-man-show tellement les propos étaient ubuesques. À la place, c’est un profond sentiment d’être pris pour un con tellement le mensonge est grossier. Je vous conseille la vidéo ci-dessous pour voir à quel point cet homme méprise ceux qui l’ont élu. Je ne dis pas que le président français partage les idées de l’antagoniste nazi, mais qu’il utilise une rhétorique d’un homme aux abois, perdant cohérence et sang froid. C’est le dernier rapprochement que je ferais avec Indiana Jones et le Cercle Ancien.
Fin du chapitre 4
Le jeu se termine, comme tous les films sur un happy ending pour notre bourreau des cœurs qui pourtant reste un éternel célibataire. L’idée ici n’est pas de tenter de prouver que les macronistes sont des nazis camouflés, mais plutôt de mettre en lumière des événements et des méthodes que l’on peut rapprocher du fascisme et qui sont transcrits dans le jeu. Je ne suis pas certain que ce soit le cas pour notre pays, voire même pour notre monde. Comme si, les cours d’histoire étant loin, j’avais besoin de cette piqûre de rappel vidéoludique pour me souvenir que la dérive est flagrante et dangereuse. J’ai créé un parallèle avec la situation de la France, mais il est possible de l’étendre à bien d’autres régions du monde : la Russie, Israël, l’Argentine, les Etats-Unis,… Les guerres se multiplient pour satisfaire l’ego de quelques mégalomanes, les droits sociaux reculent pour gonfler les dividendes, les droits des femmes se rapprochent du moyen-âge et tout ça selon la volonté d’une minorité qui s’infiltre dans l’esprit de la masse pour y semer les graines de la peur. Pas la peur des semeurs, mais celle qui n’a pas vraiment de forme et que l’on craint par précaution. Il serait peut-être temps de se dire que la chasse aux reliques est secondaire et que la quête principale est d’empêcher les fascistes de parvenir à leur fin, parvenir au pouvoir en profitant d’une situation de crise mettant les dirigeants dans une situation délicate. Il est peut-être temps d’arrêter de se battre contre les hommes de paille et de commencer à réfléchir à ce qui se passe sous nos yeux. Où que l’on soit sur ce globe, qui se transforme en boule ardente, le fascisme n’est plus le fait divers que l’on observe occasionnellement dans les médias. Il mue pour devenir ce parasite qui crie à la symbiose pendant qu’il se multiplie jusqu’à envahir l’hôte. La pathologie n’est pas incurable, il est encore temps de soigner notre société et de reléguer ces organismes néfastes là où ils ne feront de mal à personnes (minorités comprises). Par exemple, le cordon sanitaire et médiatique, mis en place en Belgique en 1991, qui subit une forte pression aujourd’hui, demande aux personnalités politiques de ne pas se rapprocher des représentants d’extrême droite. Pour conclure, Indiana Jones et le Cercle Ancien, que ce soit volontaire ou non, offre une nouvelle vision du fascisme au travers du regard d’un personnage iconique de la pop culture et cela a ravivé la petite lueur d’espoir qui parfois faiblit mais ne vacille jamais. Sans vouloir dire que l’histoire se répète, des mécanismes qui ont fait leurs preuves par le passé sont de nouveaux à l’œuvre aujourd’hui et il ne tient qu’à nous d’être vigilants et de ne pas les laisser se répandre en toute impunité.
Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour, on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser.
Françoise Giroud (ancienne ministre de la culture)