Final Fantasy VII Remake : À la croisée des chemins
(Texte publié à l’origine durant la newsletter de février 2024)
Attention, ce texte considère que vous avez terminé Final Fantasy VII et Final Fantasy VII Remake. Ce texte a été rédigé avant la publication de Final Fantasy VII Rebirth.
- Est-ce un rêve ?
Le garçon blond se relève maladroitement. Son corps, déformé par un assemblage de polygones, se contorsionne pour observer l’environnement qui l’entoure. À perte de vue, le néant s’étend, illuminé ici et là par d’infimes volutes évanescentes extirpées de la rivière de la vie, enfermées dans une danse sans fin. Ses mains, qui ne sont que des cubes disgracieux, tentent d’attraper ces manifestations éthérées, sans succès.
- Bien sûr que c’est un rêve, mais pourtant, tout ceci est aussi réel que toi et moi.
La voix qui surgit derrière résonne de manière étrangement familière. Le garçon se retourne et contemple l’auteur de cette réponse. Si l’homme qui se tient devant lui ne lui ressemble pas tout à fait, la vérité n’en demeure pas moins terriblement limpide. Au fond de lui, il sait. Cloud se tient face à lui-même. Séparées par quelques décennies, les deux versions du SOLDAT se jaugent et s’interrogent du regard. Un regard bouillant et rayonnant d’énergie Mako. Tout cela n’a aucun sens, mais pourtant les voilà, face à face, à la fois différents et parfaitement identiques. Le premier, harnaché aux contraintes techniques et esthétiques échappées du passé, si charmant cependant. Le second, drapé de textures en haute résolution et affublé d’une animation voluptueuse. Deux Cloud Strife, deux représentations d’une icône de l’histoire du jeu vidéo, se contemplent pour la première fois.
- Tu es…
- Oui, je suis toi. Une nouvelle version de toi, modernisée, affinée. Pas meilleure, seulement différente. Ton histoire est finie, mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de la raconter une nouvelle fois.
- Une histoire ? Mon histoire ? Tous ces sacrifices, ces gens qui sont morts, la souffrance de mes amis, tu appelles ça une histoire ? Ces destins brisés ne sont pas une histoire ! Ce dont tu parles, c’est ma vie !
- Toutes les vies deviennent, à la fin, des histoires. Ce que tu as accompli restera à jamais intouchable, c’est pourquoi il n’était pas possible de conter ton épopée une nouvelle fois, à l’identique. Il fallait laisser ce diamant brut reposer en paix et trancher les fils du destin.
Quand Final Fantasy VII Remake est annoncé, la surprise et l’excitation s’accompagnent d’une surprenante précision : ce projet sera découpé en trois jeux distincts. Échos des trois disques accueillant la version originale sur PlayStation, ces chapitres sont immédiatement envisagés comme trois expériences individuellement complètes mais néanmoins connectées. Outre les avantages évidents d’une telle décision en termes d’exploitation économique de la licence, une nouvelle justification apparaît une fois l’aventure du premier de ces opus menée à sa conclusion : le jeu ne sera pas un simple remake, mais bel et bien une relecture de l’œuvre originale dont l’existence même est prise en compte par les scénaristes. De ce fait, si Final Fantasy VII Remake peut totalement fonctionner pour un nouveau public, le jeu se pare d’un niveau d’interprétation exclusivement réservé à celles et ceux ayant bouclé l’original paru en 1997.
Une fois ce constat posé, il devient évident que de nombreux problèmes qui n’auraient pas dû exister commencent à émerger. Quid du contenu de chacun des trois jeux ? Qu’en est-il du rythme au sein de ces chapitres ? Comment transformer une histoire pensée et construite dans un format initial en un trio de fragments narratifs autosuffisants mais pourtant imbriqués les uns dans les autres ? Comment satisfaire à la fois les fans assidus et les nouveaux venus ? La réponse à l’ensemble de ces problématiques tient en un seul concept, déjà ardemment étudié tout au long de la saga Final Fantasy, ici portée à des hauteurs inédites : la destinée.
Au commencement, dans les entrailles du premier épisode de la célèbre franchise aux lettres jumelles, les personnages principaux étaient appelés les Guerriers de la Lumière, réceptacles d’un poids auquel ils ne pouvaient se soustraire. Ce titre les harnachait à un rôle et un destin déjà gravés dans le marbre, ils étaient condamnés à devenir des héros. Bien des années plus tard, les têtes pensantes de Squaresoft se sont employées à marier la forme et le fond de leurs jeux. Ainsi, Final Fantasy X se pare d’une linéarité évidente, mais celle-ci fait écho au pèlerinage de Yuna, consumée par la dévotion, souhaitant plus que tout mener à bien son périple. De la même manière, la trilogie Final Fantasy XIII adoptait la même démarche, et ce, pour s’accorder aussi bien à des limitations techniques qu’à des orientations narratives. C’est ainsi que l’aventure de Lightning et de ses compagnons d’infortune prenait la forme d’une ruée vers l’avant elle aussi linéaire et haletante, comme un chemin soumis aux caprices d’un destin impossible à fuir (ce qui se retrouvait aussi dans le système de progression des personnages, prédéterminé). La trilogie Final Fantasy XIII développera cette réflexion au fil des opus, dans ce qui reste à ce jour une formidable démonstration des possibilités du média. Final Fantasy VII Remake pousse cette réflexion plus loin, en décidant de déplier un propos métatextuel particulièrement bienvenu quand on sait que toucher à l’épisode original s’avère désormais, pour plusieurs raisons, tout bonnement impossible.
- As-tu des regrets, mon jeune moi ?
- Évidemment, bien que je n’aie jamais voulu me l’avouer. J’ai cherché à les dissimuler, les refouler, jusqu’à ce qu’ils me grignotent de l’intérieur. Puis j’ai compris que je faisais fausse route.
- Comment ça, fausse route ?
- Ma vie est ponctuée de tragédies. Je n’ai pas sauvé les habitants de Nibelheim, ni ceux du Secteur 7, je n’ai pas réussi à sauver Aerith, ni Sephiroth de lui-même. Et si j’en avais la possibilité, je changerais tout ça. Mais j’ai aussi fini par accepter le fait que les regrets font partie de la vie. Certaines choses demeurent inéluctables, inaltérables, et plutôt que de pleurer les pertes et ce qui aurait pu être, je préfère chérir les moments de grâce. Bien sûr que j’aimerais faire en sorte que les événements les plus tristes de ma vie ne se soient jamais produits, mais si cela voulait dire que les rires et les instants de bonheur devaient disparaître aussi, je ne suis pas certain de le vouloir.
Final Fantasy VII Remake ne remplit qu’un seul objectif : permettre à ses personnages de s’affranchir de leur destin. S’engage alors un perpétuel jeu d’équilibriste durant lequel l’histoire doit à la fois rendre hommage à l’œuvre de base, en en reprenant les grandes lignes et le déroulement scénaristique, mais aussi se libérer des chaînes qui la rattachent à un héritage bien lourd à porter. Pour ce faire, les scénaristes organisent une méticuleuse déconstruction du jeu original, articulée autour de ses personnages. Afin de mettre en place cette bascule, ces derniers doivent se libérer des attentes qui pèsent sur eux. Ces attentes sont doubles : il y a en premier lieu celles qui sont induites par le schéma narratif utilisé en 1997, puis viennent celles que les joueurs eux-mêmes plaquent sur ces protagonistes.
Le jeu original s’ouvre sur plusieurs heures consacrées à la visite de la mégalopole de Midgar, un passage qui fait office de long prologue, lequel servait à l’époque trois objectifs majeurs. Premièrement, la visite des différents secteurs et la rencontre avec les personnages principaux permettait, comme dans toute bonne histoire, de poser les fondations de la trame et de l’univers du jeu. La Shinra Electric Power Company était d’emblée présentée comme l’antagoniste majeur, tandis que les protagonistes s’accompagnaient de quelques mystères (les voix qu’entendait Cloud ou les questions entourant Aerith par exemple). L’arc scénaristique de Midgar constituait une fabuleuse introduction, rythmée par sa propre courbe d’événements et affublée d’un climax incarné par l’infiltration de la tour Shinra et la succession de boss clôturant cette partie. Le second objectif était de cloisonner les joueurs, physiquement, par rapport au reste du monde. C’est pour cette raison que les premiers lieux explorés expriment la misère économique et sociale, avant de rejoindre, littéralement, le sommet de la cité (sur le toit du bâtiment Shinra). En optant pour cet enfermement urbain, l’évasion de Midgar qui intervient à la fin de ce prologue exprime la liberté, et permet un dépaysement contrastant avec le béton et les cheminées industrielles. Le dernier objectif du prologue à Midgar servait la construction de la légende entourant Sephiroth. Le meurtre du président Shinra, empalé par la Masamune du SOLDAT, est un retournement de situation extrêmement efficace : non seulement le principal antagoniste est défait à l’issue du prologue du jeu, mais en plus un double danger vient le remplacer. En effet, son fils Rufus prend le relais de la gestion de la corporation de son père, en imposant un régime totalitaire inculquant la peur aux citoyens, et Sephiroth, que l’on pensait mort, est de retour. Ce prologue frôlant la perfection s’achève sur la fuite de Midgar, et la découverte du continent qui s’étend hors des murs de la ville.
À partir de là, Cloud et ses amis vont poursuivre Sephiroth, jusqu’à un final apocalyptique opposant les deux adversaires dans un face-à-face épique. Final Fantasy VII Remake balaie cette construction narrative, et fait intervenir le duel attendu en guise de boss final de ce premier opus de la trilogie. La même imagerie est exploitée, tout comme l’iconique thème du combat signé Nobuo Uematsu. Cette joute finale constitue, avec la présence des Fileurs, le changement le plus évident apporté par le jeu. Avant d’arriver à cet instant charnière, il convient cependant d’étudier la manière avec laquelle le scénario prépare les protagonistes et le public à cet événement.
- Où sommes-nous ?
- Je n’en sais rien, je me suis réveillé ici, au milieu de ce vide qui semble s’étirer à perte de vue, puis tu y es apparu à ton tour. Je me demande si la planète n’essaie pas de nous dire quelque chose. Bien que, de toi à moi, je pense que nous n’aurons aucun souvenir de notre passage ici lorsque nous nous réveillerons. Je dirais que nous sommes juste… Ailleurs.
- Ces filaments d’énergie tout autour, on dirait de la Mako.
- Probablement. On ne peut pas la toucher.
- Mais si la planète, ou quoi que ce soit d’autre, souhaite que nous nous rencontrions, pour quelle raison ?
- Peut-être… Peut-être qu’elle tente de nous faire comprendre que nous ne sommes pas seuls.
- Je n’ai pas besoin d’elle pour ça.
- D’elle non. De tous les autres, de tes amis, oui.
Le socle du projet Remake repose sur le respect envers l’histoire telle que racontée en 1997. En ce sens, les événements dépeints dans Final Fantasy VII Remake reprennent la structure érigée par son grand-frère quelques décennies plus tôt. Le jeu s’ouvre sur la même séquence, à savoir l’attentat, et suit scrupuleusement les différents points d’ancrage originaux. Les visites des Secteurs 5 et 7, de Wall Market, du cimetière des trains, tout est là. C’est au sein de cette fidèle structure que les équipes de Square Enix vont placer différents points de rupture, au service de la déconstruction de l’œuvre. L’une des difficultés liées à cette modernisation narrative repose sur la représentation de ce qui à l’époque n’était que suggéré, que ce soit par les dialogues, ou par les limitations techniques. Le réalisme attendu dans un jeu vidéo des années 2020 n’a rien de comparable aux énormes polygones des années 90. Certains éléments ont donc été édulcorés, comme le bordel du Wall Market devenu un cabaret branché, tout en étant paradoxalement approfondis, et ce, afin de non seulement développer le contexte et l’univers du jeu, mais aussi afin d’allonger la durée de vie d’un segment qui serait bien plus court s’il était resté fidèle à 100 %. Conserver la structure narrative originale permet à la fois de satisfaire les fans, en leur permettant de revivre l’aventure à travers une qualité de réalisation contemporaine, tout en se reposant sur une histoire qui a prouvé son efficacité, et donc capable de séduire un nouveau public. Cependant, revivre ces événements à l’identique, outre satisfaire la nostalgie des fans de la première heure, prive ces derniers d’un sens de la découverte et d’un émerveillement impossible à redécouvrir. C’est pour cette raison que de nouveaux développements font leur apparition.
De nombreuses séquences viennent donc émailler le récit et approfondir certains passages de l’original. La plupart de ces ajouts vont apporter de la consistance au monde et aux gens que Avalanche veut protéger. Ainsi, nous allons accomplir de nombreuses requêtes plus ou moins anecdotiques au sein des deux Secteurs principaux (7 et 5), en aidant ses habitants et en partageant les tracas de leur quotidien. Pour incarner ces visages, plusieurs personnages secondaires absents du Final Fantasy VII de 1997 ont été conçus par les équipes de Square Enix. Les Secteurs 7 et 5 ne sont plus constitués d’un seul écran dont la traversée ne prend qu’une poignée de secondes, ils sont animés d’une vie et d’une identité propres. Cet approfondissement rend la chute du pilier d’autant plus dramatique, et favorise l’impact émotionnel de l’histoire. Dans le même ordre d’idées, un nouvel antagoniste affublé du rôle de rival est aussi introduit dans le Remake, en la personne de Roche. Ce soldat humanise un peu plus les mercenaires de la Shinra, tout en offrant des enjeux à la séquence de course-poursuite motorisée, ce qui permet de redynamiser l’utilisation de cette scène iconique du jeu original. On y retrouve donc les deux apports cités précédemment : les anciens fans ont quelque chose à découvrir tout en gardant l’impact de la nostalgie, et ce remaniement permet d’approfondir l’univers du jeu.
Du corps est aussi donné aux personnages secondaires déjà existants, des différents membres d’Avalanche (qui devient d’ailleurs dans le Remake une branche au sein d’un groupe bien plus conséquent) à d’autres noms plus obscurs, tels que Johnny. Il est ainsi possible de rendre visite aux parents de Jessie et de découvrir par la même occasion un quartier résidentiel réservé aux classes sociales plus avantagées. Ce passage permet d’établir un contraste saisissant entre les foyers aisés et les coins les plus défavorisés, tout en plaçant tous les habitants sur un même pied d’égalité face à l’omnipotence de la Shinra. Tous ces ajouts, et bien d’autres, sont cependant décorrélés des plus importants d’entre eux : ceux qui concernent l’objectif assumé du jeu, à savoir s’extirper des griffes du destin. La rupture est mise en place par les Fileurs, lesquels apparaissent très tôt dans le Remake. En effet, la réalité commence à se fissurer dès le second chapitre du jeu, durant lequel Cloud traverse un quartier de la ville défiguré par l’explosion du réacteur Mako. Alors qu’il tente de rejoindre le quartier général de Barret et ses complices, le SOLDAT tombe sur une manifestation de Sephiroth, lequel l’attire dans une ruelle à l’abri des regards. Ce faisant, il éloigne Cloud de l’endroit qui devait marquer sa rencontre avec Aerith. Cependant, pour contrebalancer cet événement, les Fileurs harcèlent la vendeuse de fleurs, ce qui l’empêche de continuer sa route. En la retardant ainsi, ils favorisent ladite rencontre, et permettent au destin de reprendre sa course. Plusieurs exemples équivalents surgiront tout au long de l’aventure, comme lorsqu’ils blessent Jessie afin que Cloud ne prenne sa place durant la seconde mission du groupe.
- Est-ce que le futur t’effraie ?
- Oui et non. Ce qui me plaît avec ce nouvel avenir, c’est qu’il est, comme tous les futurs, baigné d’incertitude. Tant que le futur ne s’est pas réalisé, tout est encore possible.
- Je comprends. Et à vrai dire, je pense avoir davantage peur du passé que du futur.
- Le passé a ceci de terrifiant qu’il est immuable. La seule alternative consiste à l’accepter. L’avenir est, par définition, fluctuant. Je pense que nous devons faire en sorte qu’il soit le plus heureux possible.
- Je pourrais te raconter ce qui t’attend.
- Je ne suis pas sûr que savoir m’aiderait. Comme nous le disions, je suis certain que notre mémoire sera effacée au sortir de cet entre-deux. Et ensuite, j’aurais l’impression de tricher. Tricher avec le destin, avec moi-même.
Les scénaristes jouent alors avec les attentes des joueurs en faisant de ces entités non pas des agents du chaos qui auraient pour but de chambouler les événements, mais bel et bien des guides, censés faire en sorte que l’histoire ne sorte pas des rails bâtis en 1997. L’exemple le plus évident surgit non loin de l’épilogue, lorsque Barret est assassiné par Sephiroth. Bien vite, les Fileurs interfèrent avec la réalité, et ressuscitent le personnage, qui n’était pas censé mourir. De la même manière, ils exécutent Wedge, qui lui devait bel et bien trépasser lors de la chute du pilier. La fin du jeu oppose donc, en toute logique, l’équipe de héros aux Fileurs, à travers une succession de combats aussi épiques que symboliques. En effet, outre les enjeux narratifs et ceux liés au gameplay (les combats finaux exploitent les différents systèmes de jeu et forcent chaque personnage à participer aux joutes), ces duels constituent une illustration de la volonté des protagonistes à exister en dehors du cadre qui leur est imposé, à se libérer de leurs chaînes. Ce qui est cependant encore plus passionnant reste le parallèle qui peut alors se dresser entre les Fileurs et les fans. Ces derniers ont réclamé un Remake de Final Fantasy VII des années durant, dans le but de redécouvrir le jeu à travers un nouvel écrin, plus moderne. Les Fileurs peuvent ainsi être envisagés comme un reflet de ces fans au sein du Remake, ce qui permet une nouvelle lecture des événements : nous n’avons plus affaire à la lutte qui oppose Cloud au destin, mais bel et bien à celle qui met face-à-face les joueurs (qui contrôlent les personnages) à eux-mêmes (à travers les Fileurs). Final Fantasy VII Remake devient soudain un voyage initiatique dans lequel les fans du monde entier apprennent à accepter la nature changeante des événements, la transformation. Un propos qui résonne étrangement avec les thématiques explorées à l’époque par Sakaguchi quand il nous présentait le concept de la Rivière de la Vie.
Affronter les Fileurs, c’est littéralement détruire un avenir déjà gravé. Pour cette raison, la bataille chimérique venant conclure le Remake se pare de références à l’histoire de 1997. Les noms Fileurs émeraude et Fileur rubis renvoient par exemple aux Armes que déployait la planète pour se protéger dans le jeu original. Si à l’époque ces gigantesques créatures incarnaient la volonté de la planète, il est aisé de voir dans ces nouvelles entités une manifestation de celle du destin. Le parallèle entre la lutte des personnages et le combat du joueur contre lui-même se retrouve d’ailleurs dans le trio de Fileurs qu’affronte Avalanche, chacune de ces créatures reflétant les volontés de Cloud, Tifa et Barret : les Fileurs sont différenciés par leurs accessoires de combat, à savoir une épée et une arme à feu, le dernier se battant à mains nues. Simultanément, le combat rend hommage à la série entière et son héritage, en permettant aux ennemis d’invoquer une figure emblématique de la saga, le dragon Bahamut, présent dès l’épisode fondateur de 1987. Comme si les joueurs affrontaient le concept même de stagnation. Car finalement, cette saga si chère à nos yeux n’est-elle pas l’incarnation même d’un perpétuel renouvellement ?
La déconstruction de l’œuvre passe aussi par celle de ses personnages, et notamment par la confrontation de leur aura (c’est-à-dire leur image telle que nous la percevons) face à leur intimité (c’est-à-dire ce qu’ils sont réellement). Pour que cette réflexion soit plus concrète, prenons l’exemple des trois figures principales du jeu : Cloud, Aerith et Sephiroth. L’image de Cloud est celle d’un mercenaire taciturne, renfermé sur lui-même, parfois hautain, et souvent mal à l’aise lors des interactions humaines. Le Remake s’emploie à briser cette image, en faisant du SOLDAT un être bien plus ouvert, du moins lors de la seconde moitié du jeu, tout en le “désacralisant”. C’est pour cette raison que des séquences comme le travestissement n’ont pas été éludées, mais au contraire appuyées et assumées, tout comme le scénario n’a pas hésité à montrer Cloud cueillir des fleurs ou se lier d’amitié avec des enfants. Aerith est, de son côté, régulièrement représentée comme une figure innocente, presque sainte, une image déclinée dans les nombreuses productions estampillées Square Enix. Pourtant, l’aventure la montre espiègle et facétieuse. Cette approche la rend moins “intouchable” et permet, finalement, de l’humaniser davantage. Sephiroth, enfin, demeure dans l’inconscient collectif cet antagoniste inaccessible, qui ne se montre qu’en de très rares occasions, chacune d’entre elle s’accompagnant d’une tension insoutenable et marquant les différentes bascules que le jeu délivre. Pourtant, le jeu le fait contre toute attente intervenir dès le second chapitre, au plus près de Cloud ! Bien évidemment, nous sommes conscients que l’image des personnages était bel et bien effritée dans le jeu original, le point consistant ici à appuyer sur la rapidité avec laquelle cet effeuillage est entrepris. À travers cette démarche, les scénaristes renouvellent l’aura de leurs personnages relativement tôt, ce qui favorise l’attachement qu’il est possible d’éprouver à leur égard, tout en s’affranchissant de l’héritage induit par Final Fantasy VII.
La suite, nous la découvrirons le 29 février 2024. Square Enix a manqué une occasion en or de célébrer les 27 ans de son jeu phare en choisissant de ne pas le faire paraître le 31 janvier, une situation quelque peu étonnante quand on sait que Final Fantasy VII Rebirth est actuellement finalisé et testé par les professionnels du milieu. Est-ce là une simple erreur de communication, ou bien un choix bien plus pertinent que de prime abord ? En effet, 2024 accueille une journée supplémentaire dans son calendrier, un trois cent soixante-seizième jour habituellement absent. Un jour marqué d’une symbolique assez forte au regard des thèmes qui jalonnent ce projet colossal. Un jour qui, en temps normal, « n’existe pas ».
- Que va-t-il se passer à présent ?
- Je suppose que nous allons retourner dans nos réalités respectives. Je serais étonné si nous gardions le souvenir de cette rencontre.
- Que vas-tu faire ?
- Et bien, je pars rejoindre les autres, nous allons quitter Midgar. Je ne sais pas si tu es un écho ou si je le suis moi-même. Peut-être le sommes-nous tous les deux. Mais sache que tout ce que tu as accompli a inspiré des millions de personnes. Pendant un instant, tous ont vibré à l’unisson. Tu ne seras jamais oublié.
À travers cette trilogie, Square Enix conjugue sa création au temps de la passion et de l’audace, et offre à ses fans, qu’ils soient nouveaux ou de retour, le plus beau des présents. Nous permettre de plonger, ensemble, dans l’inconnu.
Et de nous retrouver à la Croisée des Chemins.