Ce n’est pas un remake, c’est une suite

Attention, ce texte considère que vous avez terminé Final Fantasy VII et Final Fantasy VII Remake. De plus, il convient de rappeler qu’il a été publié sur Substack avant la sortie de Final Fantasy VII Rebirth, et que la théorie soulevée ici a été renforcée par le récit du dernier titre de Square Enix.

La rédaction de Point’n Think

Les remake, nous les aimons autant que nous les détestons. Toujours désireux de se confronter à plus d’expériences inédites, nous ne sommes jamais avares en critiques incendiaires quand l’ombre d’une rumeur au sujet du retour d’un glorieux titre du passé commence à se répandre sur Internet. Le paradoxe, c’est que lorsque le jeu est révélé, puis commercialisé, nous sortons les billets de notre portefeuille avec une certaine allégresse. Nous sommes contents de pouvoir jouer à quelque chose qui ravive les doux souvenirs d’une époque lointaine. La nostalgie du joueur est un filon inépuisable, car elle permet de faire résonner en chacun des cordes intimistes. Les mémoires et les souvenirs sont stimulés, et, avec ces jeux, c’est toute une partie de notre vie qui est également ramenée à la vie. Le plaisir d’entendre les réorchestrations de certaines mélodies de notre enfance, qui nous rappellent des moments partagés avec un proche, vaut alors toutes les nouveautés.

Toutefois, revivre des aventures qui ont façonné notre manière de voir les choses a aussi ses limites. Se lancer dans la revisite d’un jeu existant est un exercice périlleux. Certains s’en sortent avec brio, à l’image de Capcom avec la licence Resident Evil. L’éditeur japonais a trouvé la recette parfaite pour remettre au goût du jour les titres qui ont fait sa gloire, tout en faisant preuve d’un vrai respect pour l’identité derrière chacune de ses productions. D’autres se contentent de rester dans une forme de confort, en offrant la possibilité de vivre la même aventure, à la virgule près. C’est en effet une magnifique opportunité de former des développeurs juniors sur les outils internes du studio, avant de les faire plonger dans la production d’un titre qui part de zéro. Malgré cela, il est parfois difficile de ne pas voir autre chose que la crainte des dirigeants d’un studio de sortir de leurs petits chaussons douillets. Dans ce cas de figure, The Last of Us Part I incarne cette idée du remake plan par plan, que de nombreuses personnes associent à une simple remasterisation. Au milieu de toutes ces discussions sur ce que doit être la refonte d’une œuvre, une anomalie se produit parfois. Une éclaircie dans cet horizon brumeux qu’il n’est pas toujours évident d’appréhender. Final Fantasy VII Remake est le jeu de l’audace, celui qui nous amène à réfléchir sur la notion de remake, au point que nous pouvons nous demander si c’est bien ce que nous avons entre les mains.

Les théories pullulent sur les internets depuis le mois d’avril 2020 quant à la nature du projet porté par Tetsuya Nomura, Motomu Toriyama et Naoki Hamaguchi. Si le retour de Cloud a bel et bien l’allure d’un remake du monument de la première PlayStation, n’est-il pas plus que cela ? Le déroulé des événements de Midgar est, peu ou prou, identique à celui de l’aventure d’origine, mais de nombreux détails amènent à se questionner sur les intentions derrière cette revisite. Bien avant le dernier arc, qui fait office de coup de pieds dans la fourmilière afin de s’affranchir des oripeaux de la fidélité, le jeu étonne en affichant fièrement avoir conscience qu’il s’inscrit dans la continuité, ou plutôt le parallélisme, d’une histoire qui existe déjà et continue de faire palpiter le cœur de tant de joueurs. Armés des connaissances de tout ce que la Compilation of Final Fantasy VII a pu amener au milieu des années 2000, il suffit de se glisser dans les interstices pour entrevoir la vérité cachée. Si elle peut échapper à celui qui découvre cet univers à l’aide de la version de 2020, l’aventurier chevronné qui à maintes fois arpenté les territoires de la planète Gaïa ne peut ignorer les signes. Une double lecture est possible pour ce dernier. En revenant sur certains passages, iconiques comme faussement anecdotiques, nous tenterons de vous convaincre que Final Fantasy VII Remake n’a de remake que le nom, et qu’il s’agit d’une suite stricte et méta du long-métrage Advent Children, ainsi que du très oubliable Dirge of Cerberus. Enfilez votre pardessus et votre Borsalino, nous partons en enquête.

Une menace tapie dans l’ombre

L’introduction permettant de découvrir le gigantisme industriel et décadent de Midgar, suivie de l’arrivée en gare du groupe terroriste Avalanche est l’une des entrées en matière les plus cultes de l’histoire du jeu vidéo. Le chef d’œuvre de Squaresoft nous plongeait directement au cœur de l’action, nous épargnant de longues séquences de mise en contexte surchargées de termes inconnus. Nous ne savions rien du monde qui nous était alors proposé, si ce n’est que nous devions faire exploser l’un des réacteurs d’énergie de la ville sous le joug d’une corporation n’ayant que faire du bien-être de la planète. Il est rare d’avoir un jeu qui capte l’attention du joueur avec autant d’efficacité, c’est pour cela qu’il n’est pas surprenant de voir que les développeurs en charge du Remake aient décidé de la conserver quasiment à l’identique. Ce sont les subtiles différences au cœur de cette similarité qui méritent d’être étudiées. Comme le souligne Pierre Lovati, dans son ouvrage consacré à Final Fantasy VII Remake pour Third Editions, la présence inquiétante de Sephiroth pèse de tout son poids sur les premières minutes de l’aventure. D’abord symbolisée par le vol de l’aigle noir, s’approchant doucement de Midgar tel un prédateur qui s’apprête à s’abattre sur sa proie, elle devient palpable lorsque les paroles « Estuans interius, ira vehementi » retentissent.

Ces mots, signifiant « brûlant intérieurement, avec une haine violente », proviennent du thème One Winged Angel qui rythmait le dernier affrontement de Final Fantasy VII. C’est une subtile façon d’annoncer le retour de l’homme aux longs cheveux argentés qui change considérablement l’ambiance de départ. Là où l’original sentait bon l’aventure enchanteresse et épique qui ne permettait pas de deviner le récit tragique latent, la gravité de ce nouveau périple est ici au premier rang. Il est intéressant de constater que le joueur n’est pas le seul à se rendre compte de ce changement d’ambiance, comme en atteste le comportement d’Aerith. En 1997, nous posions nos yeux sur cette femme au visage rassurant. Elle était prostrée dans cette ruelle, faisant communion avec la rivière de la vie via une fuite de Mako au niveau d’une des canalisations de la sinistre mégalopole. L’instant où elle tournait la tête vers la caméra, alors que la musique s’emballait pour nous laisser découvrir la cité en forme de pizza à l’aide d’un travelling aérien des plus élégants, sonnait comme une invitation.

Au moment où nous retrouvons la jeune vendeuse de fleurs dans cette ruelle, le jeu donne un court moment l’illusion que tout ce qui est à venir sera similaire à nos souvenirs. Aerith est là, contemplant la même éruption du flux vital de la planète. La caméra se braque sur son regard apaisant et perçant. Le thème musical, quant à lui, est identique à celui qui a bercé notre imaginaire en 1997. Les mêmes notes, la même mélodie. Tout cela est rapidement balayé par le retour d’une sonorité plus sombre. Un violon inquiétant et lancinant vient supplanter le piano chaleureux. Le comportement de notre héroïne change alors du tout au tout. Alors que les chœurs latins associés à Sephiroth viennent accompagner l’instrument à cordes, Aerith tourne la tête vers les profondeurs de la sombre ruelle. Elle est apeurée et retourne vers la lumière du centre-ville comme si elle cherchait à fuir quelque chose. Il est possible de passer totalement à côté de ces quelques secondes, ou de penser la première fois qu’il ne s’agit que d’un changement anecdotique pour mieux coller à ce qu’évoquent les graphismes époustouflants sur notre écran, mais nous sommes face au premier élément essentiel qui marque la singularité de Final Fantasy VII Remake.

Ce n’est pas un hasard si la caméra fixe un point précis dans l’obscurité des profondeurs de la ville. Cet effet de mise en scène est là pour nous faire comprendre qu’une présence parasite est en train de venir gangréner le déroulement attendu de l’œuvre. Ce Sephiroth en approche n’est pas celui de l’œuvre originelle que Cloud et sa bande vont traquer jusqu’au cratère nord de la planète. C’est une matérialisation éthérée de ce qu’il est dans une temporalité postérieure au film Advent Children. La théorie soulevée ici est qu’il y a deux Sephiroth, celui du présent et celui du futur. L’homme dont la conscience a fusionné avec la rivière de la vie, et qui a juré de ne jamais être un souvenir dans le long-métrage de 2005 est de retour pour accomplir ses desseins. Il est le point de départ de ce Remake qui cesse d’en être un dès ses premières secondes pour devenir une fluctuation.

Deux Séphiroth ?

À la lecture de ce titre, certains d’entre vous seront tentés de se demander ce que l’auteur de cet article a pu consommer alors qu’il posait ses quelques mots sur ce papier immatériel. Et pourtant, les deux incarnations de ce même personnage sont facilement identifiables. Il y a le taiseux, celui qui ne décroche presque aucun mot à l’encontre de Cloud ou du joueur. Ses apparitions concordent avec la présence des énigmatiques hommes à la capuche, ces victimes de la volonté de la Shin-Ra d’altérer les corps avec la Mako et les cellules de Jénova. La proximité avec cette calamité tombée du ciel dans les dernières heures coïncide avec la multiplication des apparitions de ce pantin insaisissable. Comme dans l’original, il n’est que la projection mentale de l’influence parasitaire de cet élément alien sur le corps de notre héros. Sa fonction est d’amener Cloud sur les traces de cette « mère » néfaste prête à irradier l’ensemble du globe. C’est le principe de la Réunion, une théorie de Hojo qui est convaincu que tous les porteurs des cellules de Jenova sont inexorablement amenés à se rassembler. Pendant longtemps, il a semblé impossible de savoir qui de la volonté de Séphiroth ou de cette entité venue du ciel prédominait. L’homme à la masamune étant lui-même la victime d’un mensonge dont la folie l’avait poussé à se réfugier dans la croyance en un héritage factice. Le film Advent Children, ainsi que ce Remake, permettent de statuer sur une prise de pouvoir du héros de la guerre contre le Wutai sur ce parasite qui a provoqué la quasi-extinction des Cétras. La nouvelle Lifestream Black, issue du recueil On The Way To The Smile de Kazushige Nojima, permet de comprendre les mécanismes de ce double Sephiroth.

Au bord de la mort, suite à sa dernière passe d’armes avec Cloud, sentant que son être est peu à peu en train de se dissoudre dans le flux vital de la planète, le fou qui a invoqué le Météore dans l’optique de devenir un dieu refuse son destin. Il s’est accroché à sa haine de Cloud pour faire perdurer son individualité au milieu de la conscience collective qui parcourt Gaïa. La seule condition pour qu’il puisse perdurer était alors de s’assurer que son adversaire ne l’oublie jamais et qu’il continue de hanter les souvenirs de celui, qui, fut un temps, le considérait comme un héros. La suite, vous la connaissez, c’est la crise des géostigma et des événements du long-métrage dirigé par Tetsuya Nomura et Takeshi Nozue. Encore une fois, il subit une défaite cuisante, mais avertit l’homme responsable de toutes ses défaites qu’il ne saurait être réduit à un simple souvenir. Cette phrase sonne comme une douce menace. Tant que Cloud existera, Sephiroth perdurera d’une manière ou d’une autre. Sa rancœur profonde contre le monde, sa volonté incommensurable, les cellules de Jénova en lui, et son séjour au sein de la rivière de la vie en ont fait un être omniscient et potentiellement omniprésent. Il est tout et rien à la fois. Il est partout et nulle part.

À ce moment de la lecture, vous devez être tentés de demander comment peut-on identifier ce supposé second Sephiroth. La réponse est simple. Il s’agit de celui qui parle, qui apparaît lorsqu’il ne le devrait pas, créant à chaque fois de fortes divergences avec l’original. Provocateur, il prend un malin plaisir à torturer psychologiquement Cloud, tel un chat jouant avec un oiseau aux ailes brisées. À sa première apparition, il l’attire dans les profondeurs d’une ruelle alors que le secteur 8 est en proie à la panique suite à l’explosion du réacteur Mako numéro 8. Il commence à parler des souvenirs qui les relient, de l’incident de Nibelheim et du moment où sa lame a arraché le dernier souffle de la mère de son interlocuteur. Si la structure des paroles peut varier selon la localisation, il insiste cependant sur la notion de passé commun et des événements à venir ici et maintenant. Couplés à sa demande d’aide pour sauver la planète qui se meurt, les premiers questionnements commencent à apparaître. Que fait-il ici ? Que veut-il ? Tel Cloud qui était jusque-là convaincu de la mort de ce dernier, le connaisseur de l’original est déstabilisé, car cet antagoniste n’était qu’un murmure lancinant tout au long des chapitres consacrés à Midgar en 1997. Le doute sur sa nature s’envole dès sa deuxième apparition. Le porteur de l’épée broyeuse et la jeune fille aux fleurs sont sur le point de se rencontrer, mais Sephiroth sort une nouvelle fois de l’ombre, figeant le temps autour de lui et de sa proie. Affichant un sourire sadique alors qu’il pose sa main sur l’épaule d’Aerith, il rappelle à Cloud qu’il est incapable de sauver qui que ce soit. Il ne fait plus aucun doute sur sa nature. Certains y verront peut-être de la surinterprétation, mais tout dans ce dialogue permet de deviner la connaissance qu’à ce personnage du futur.

D’autres éléments uniquement autour de Séphiroth permettent de renforcer la puissance de cette théorie. Ils sont pour la plupart concentrés dans le long affrontement final après qu’il ait invité le joueur à le rejoindre au cœur de la singularité du destin. Le décorum est alors identique à ce qu’il se passe à la fin d’Advent Children. Midgar est en proie au chaos. Les buildings s’envolent à cause de la puissance des combats, et sont découpés avec une facilité déconcertante alors que les deux ennemis de toujours s’assènent de violents coups d’épée. Toute cette séquence peut être perçue comme une énorme tentative de provocation à l’égard de celui qui connaît les tenants et les aboutissants de la Compilation of Final Fantasy VII. Voir Sephiroth arborer son iconique aile noire, qui reste très différente de sa forme divine à une aile à la fin de l’original, est une nouvelle manière pour les équipes de Remake de pointer subtilement la provenance de cette version du  personnage. Cet élément de design est certes devenu indissociable de son iconographie au fur et à mesure des années, mais, dans la diégèse de cet univers, il n’en devient le porteur qu’à la toute fin du film d’animation de 2005.

Alors qu’il jette d’un air amusé l’invocation d’un météore sur ses opposants, sous-entendant une fois de plus que les éléments de l’aventure d’origine sont conscientisés par l’œuvre, comment ne pas avoir l’impression que le jeu entier tente de nous hurler au visage que nos doutes sont bien fondés. Au moment où il accueille Cloud dans cet endroit qu’il appelle Les Confins du Monde, Sephiroth affiche enfin ses ambitions, bien qu’il ne dévoile pas toutes ses cartes. Il cherche à déjouer le destin et semble soucieux de l’avenir de la planète. L’usage des pronoms en japonais vient semer le doute sur la nature du personnage à cet instant dans cet endroit qui semble dans un autre espace-temps. Sephiroth utilise le pronom « Ore » qui indique la première personne sur un ton très amical et qui marque sa masculinité. C’est le pronom qu’il utilisait notamment avant l’incident de Nibelheim, comme s’il souhaitait mettre Cloud en confiance. Cela peut paraître anodin, mais réutiliser ce pronom alors que le Sephiroth atteint de folie utilise le pronom « Watashi », qui est beaucoup plus formel et indique qu’il se voit comme autre chose qu’un homme, ne peut pas être une simple coïncidence linguistique. Cela veut-il dire qu’une rédemption s’amorce pour cet antagoniste iconique ? Rien n’est moins sûr. L’homme à la masamune peut bien vouloir sauver la planète sur laquelle il est né, il restera toujours incompatible avec le groupe de héros hétéroclite qui le traquent, car il est dans l’incapacité de comprendre ce qui fait que la vie est précieuse. Il est d’ailleurs fort probable qu’il cherche juste à empêcher que les événements débouchant sur sa défaite ne se produisent. Au milieu de tout ce déchaînement de références et d’indices quant à la suite, un autre personnage semble avoir autant conscience des enjeux à venir que l’homme à la lame impitoyable.

Luttons ensemble contre le joug du destin

Le cas d’Aerith

Le titre de ce chapitre laisse peu de place au suspens sur l’identité de ce personnage. Il s’agit bel et bien de la douce et protectrice marchande de fleurs. Comme écrit précédemment, l’ajout du thème de Sephiroth dans l’intro, ainsi que la peur perceptible chez Aerith permettent de souligner d’entrée de jeu que la jeune fille a plus de clés de compréhension que les autres personnages. Il convient de rappeler qu’une nouvelle lui est également dédiée dans le recueil de Nojima. Comme pour signaler sa lutte avec l’héritier de Jenova, elle se nomme sobrement Lifestream White. Quand Final Fantasy VII est évoqué, c’est principalement l’opposition entre Cloud et Sephiroth qui attise les discussions. Pourtant, s’il y a bien un antagonisme absolu dans l’œuvre, c’est celui qui lie le héros déchu de la Shinra et la dernière représentante des Cétras. D’un côté, nous avons le destructeur de la vie humaine, celui qui invoque le météore pour faire table rase du passé, de l’autre nous avons celle qui sacrifie sa vie pour entrer en communion avec la planète et contrer l’astre mortel. C’est l’histoire millénaire du jour contre la nuit, du martyr contre le pécheur. La nature de leur relation a toujours été centrale dans l’histoire de Final Fantasy VII, même lorsque le projet n’était encore qu’à un stade embryonnaire. D’abord frère et sœur, puis amants maudits, ils sont devenus les incarnations du bien et du mal dans le script final de 1997. Il n’est donc pas surprenant que le lien qui les unit soit central dans cette trilogie Remake.

La femme finit par découvrir que l’homme, qui répandait la haine dans le monde entier, essayait de se manifester à la surface. Elle se demanda comment il comptait s’y prendre. Rassemblant tout son courage, elle s’approcha de l’esprit de l’homme. Il l’aperçut et la chassa, mais il abandonna bientôt la poursuite. Elle savait que l’homme se moquait d’elle. Tu ne peux rien faire. Cependant, elle avait compris ce qu’il préparait. Il allait apparemment utiliser des entités distinctes pour être ses agents. La femme se demanda si elle pouvait faire de même. Mais elle changea rapidement d’avis. Même si c’était possible, je veux rencontrer Cloud tel qu’il me connaît.

Lifestream White, chapitre 3.

Si cet extrait du dernier chapitre de la nouvelle fait évidemment référence aux futures péripéties du film Advent Children, il permet de prendre connaissance de ce jeu du chat et de la souris post-mortem qui est dans la tête des créatifs de cet univers depuis presque deux décennies. Ainsi, Remake s’amorce sur Aerith qui ressent la perturbation de ce retour contre-nature. En remontant le temps ou en créant une ligne temporelle alternative au sein de laquelle il espère triompher, Sephiroth crée une boucle qui le remet face à face avec la dernière Cétra vivante. L’esprit peu attentif sera tenté de penser que sa première apparition devant Cloud n’est là que pour faire du fan service ou accentuer son opposition, mais lorsque l’on recoupe avec ce qu’il se passe juste après, l’objectif initial de Sephiroth devient alors limpide : il souhaitait empêcher la rencontre entre Aerith et celui qui lui assène toujours le dernier coup d’estoc. La première apparition des fileurs, ces gardiens du destin ayant pour mission de préserver l’intégrité scénaristique de Final Fantasy VII, nous permet de les voir retenir Aerith. Elle ne doit pas quitter le quartier du théâtre tant qu’elle n’a pas rencontré celui qui lui fera quitter l’enceinte de Midgar pour parcourir le monde de Gaïa. Sans cette rencontre, rien ne saurait contrecarrer les plans de Sephiroth. Malheureusement pour ce dernier, il n’est pas chose aisée de briser la roue du destin.

Cloud et Aerith retenus par les gardiens du destin

À la fin des années 90, même si le doute était parfois entretenu par les scénaristes quant au lien amoureux unissant Cloud et Aerith, elle a toujours incarné une figure maternelle. D’abord pour Cloud, qu’elle contribue à rendre plus sociable et chaleureux, puis pour le groupe tout entier. Elle fut un phare dans la nuit pour nos aventuriers qui ont lutté de toutes leurs forces pour arrêter la marche d’un monstre à la puissance quasi-divine. Sa positivité et son amour de la vie ont permis à ces personnes de bonnes volontés de surpasser toutes les difficultés, même après sa mort. Son altruisme total, qui l’a poussé à donner sa vie pour arrêter Sephiroth, a entériné sa figure de mère pour l’ensemble du monde. Son aura, sa générosité et son amour ont englobé la terre entière alors que l’armageddon semblait inéluctable. Son visage bienveillant apparaissait une ultime fois dans les dernières secondes de l’aventure, symbolisant la victoire de la rivière de la vie sur cette mort venue du ciel. En quelque sorte, elle incarne la pureté. Elle représente la vie dans sa forme la plus absolue. Telle une déesse protectrice, elle s’interpose une nouvelle fois face à celui que nous pourrions assimiler à Satan, cet ange déchu qui se fourvoie dans sa cause.

De façon plus prononcée que dans l’original, elle guide subtilement ceux qui devront croiser le fer avec Sephiroth. Sa connaissance des événements se ressent tout autant que chez ce dernier. Les indices à ce sujet sont particulièrement nombreux. Lorsqu’elle rencontre Cloud et qu’elle lui offre cette fameuse fleur comme à l’époque de l’original, elle s’attarde plus que de raison sur le fait que cette variété symbolise les retrouvailles. Or, pour se retrouver, encore faut-il s’être trouvé et perdu de vue. Pourtant, à ce moment de l’histoire, les deux personnages sont de parfaits étrangers l’un pour l’autre. La jeune femme n’évoque rien chez le mercenaire au regard perçant imprégné de Mako. Elle, de son côté, est heureuse de retrouver cet individu qui a tant compté dans un autre espace-temps. Bien qu’empreinte d’incertitudes, elle semble toujours avoir un coup d’avance sur ses compagnons.

Final Fantasy VII Remake suite

Les sous-entendus font partie intégrante de la mise en scène du personnage. Elle arbore une moue soucieuse quand Cloud lui confie avoir le sentiment que Sephiroth est toujours en vie. Lorsque Tifa a besoin d’être rassurée quant au fait que la Shinra n’oserait jamais faire s’effondrer la plaque sur les taudis du secteur 7, Aerith ne peut cacher son inquiétude quant aux événements à venir. Au cœur de la lutte pour la protection du pilier, elle sait, avant même que Tifa ne le lui demande, qu’elle doit aller sauver une jeune fille nommée Marlène dans le bar du septième ciel. Peu avant le début de l’ascension vers la tour Shinra pour la libérer, un dialogue optionnel entre elle et Cloud peut se déclencher. Elle se matérialise sous la forme d’une illusion, consciente que la mort l’attend au bout du chemin, et avertissant Cloud de ne pas se laisser avoir par un faux sentiment amoureux à son égard, confirmant au passage qu’elle sait déjà que son sauveur s’est approprié une partie de la psyché de Zack, ce premier amour dont elle a attendu le retour si longtemps avant de se résigner à accepter son sort.

Tout le monde doit mourir un jour. C’est pour cela que, tant qu’on le peut, il faut profiter pleinement de chaque instant. Chaque minute, chaque petit moment de notre vie. J’étais tellement contente d’être avec toi, mais Cloud, s’il te plaît, ne tombe pas amoureux de moi. Même si tu y crois, ce n’est qu’une illusion.

Aerith à Cloud, Final Fantasy VII Remake

Quand tout le groupe est de nouveau réuni dans la pièce qui a vu Aerith grandir, elle nous fournit un début d’explication sur le rôle des fileurs, assisté par Red XIII qui confie avoir compris leur nature au moment où la jeune femme a posé ses mains sur lui. Ce détail sur l’illumination atteinte par notre compagnon à quatre pattes grâce au toucher conforte un peu plus l’omniscience de la Cétra. Un début d’explication sur l’insistance des fileurs à poursuivre Aerith est même fourni. C’est très subtil, mais elle confie avoir l’impression de perdre une partie d’elle-même à chaque fois qu’ils la touchent, comme si elle oubliait peu à peu la marche à suivre. Quoi de plus logique ? La connaissance du futur est le meilleur moyen pour essayer de le changer, même de façon inconsciente. C’est au bout de l’autoroute de Midgar, qui symbolise la fin d’un chemin et le début d’un autre, qu’elle endosse pleinement son rôle de guide. Elle sait tout de Sephiroth et de ses errements, soulignant que si sa cause peut être juste, il se trompe dans les moyens mis en place. Ce dernier la fixe du regard, lui rappelant que son émotivité est un frein pour comprendre la marche à suivre. Alors que nous sommes à la croisée des destins, elle explique qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible. En suivant l’homme en noir par-delà le voile de la fatalité, ils plongeront dans l’inconnu. Cette pensée la terrifie, car elle représente un grand saut dans l’inconnu. Libérés des rails de la destinée, tout peut leur arriver. Cette révolte contre l’inexorable l’amène hors de toute zone de contrôle, car rien ne garantit que ce qui doit arriver arrivera.

Final Fantasy VII Remake suite

La conclusion de la Compilation

Le traitement de l’information vidéoludique au milieu des années 2000 était très chaotique. Il n’était pas rare de voir des rumeurs relayées comme des faits, ou d’avoir des narratifs entiers issus d’une mauvaise traduction. La plus connue étant l’arrivée de versions retravaillées des trois Final Fantasy de la première PlayStation sur la seconde machine du constructeur japonais. Il ne s’agissait en fait que de rumeurs quant à la sortie d’une compilation exclusive au Japon. Au milieu de tout cela, un autre bruit de couloir, plus obscur et dont l’authenticité ne pourra jamais être prouvée. Il fut un temps, certaines sources évoquaient l’arrivée sur PS3 d’un Action-RPG qui aurait pour mission de clôturer définitivement l’arc narratif de la Compilation. La démo technique de la PS3 à l’E3 2005 présentant l’arrivée en gare de Cloud, ainsi que le cliffhanger à la fin de Dirge of Cerberus qui nous laissait sur le retour de Genesis, un personnage intimement lié à Sephiroth et star de Crisis Core, ont grandement contribué à cette effervescence.

Cette conclusion, qui devait s’intituler Ever Crisis selon certains échos dont je crois me souvenir (Était-ce Everless Crisis ?), ne verra jamais le jour. Elle n’a peut-être jamais existé. Malgré des ajouts parfois intéressants pour le lore de l’univers de Final Fantasy VII, la compilation n’a pas su séduire le public. Pire, elle a entraîné des moqueries à cause de certaines loufoqueries. Si nous ajoutons à cela le chantier chaotique autour de la Fabula Nova Crystallis, il n’est donc pas surprenant que la volonté d’apporter la pierre finale à l’édifice ait été mise de côté pendant plusieurs années. Il a fallu attendre 2015 pour se rendre compte que les velléités autour du septième opus n’avaient pas quitté les esprits des têtes pensantes de Square Enix. Ceux en charge du projet n’ont pas ployé le genou face aux critiques à l’encontre de l’univers étendu de Final Fantasy VII. Ils auraient pu faire table rase en mettant Genesis et le Deepground sous le tapis, mais il n’en est rien. Tout au long de l’aventure, nous avons des réminiscences de toutes les productions cross média qui ont enrichi l’aventure de 1997. L’emphase sur l’orphelinat et le lien entre Cloud et les enfants permet d’amorcer sa future vocation de protecteur des orphelins dans Advent Children.

Final Fantasy VII Remake suite
Aurons nous une conclusion pour Genesis ?

D’autres éléments plus anecdotiques, comme la présence des personnages de Leslie et de Kyrie, permettent d’ancrer le récit des nouvelles de Nojima dans la diégèse complète de cette relecture du mythe. Toutefois, là où l’œuvre surprend, c’est lorsqu’elle ne rechigne pas à remettre en lumière les éléments les plus critiqués, notamment les ajouts d’histoire postérieurs à la sortie du titre de 1997. Lorsque nous entendons Hojo parler des SOLDATS de type S et G, nous savons alors que les récits d’Angeal et de ses camarades sont pris en compte et qu’ils seront, sans aucun doute, exploités dans la trilogie. Les derniers sceptiques du fond de la salle ont très certainement été balayés par l’apparition de Néro et Weiss à la fin de l’extension solo centrée sur Yuffie. La présence des deux leaders du Deepground redonne ainsi une forme de légitimité à Dirge of Cerberus. La destruction du destin annule certainement les exactions qu’ils auraient dû mener suite à la crise du météore, mais nous restons encore dans une temporalité où ils ont sauvé Genesis en le ramenant dans les profondeurs de Midgar, pour Dieu sait quelle raison.

L’élément qui est le plus significatif réside dans la dernière ligne droite de l’aventure. Alors que le joueur doit défier une ultime fois les gardiens du destin, l’affrontement contre les fileurs Rubis, Émeraude et Ambre résonne intensément avec Advent Children. Dans le long-métrage de 2005, nos héros devaient faire face à Kadaj, Loz et Yazoo, trois jeunes frères, qui étaient en réalité des émanations de Sephiroth, dont la raison d’être était de permettre son retour à la vie. En effet, les trois fileurs chargés de protéger le Héraut de la destinée ressemblent curieusement aux antagonistes du film. La ressemblance se ressent dans les silhouettes et dans la manière de se mouvoir, mais surtout au niveau des armes. Rubis utilise une épée comme Kadaj, Émeraude manie une arme de poing à l’instar de Loz, et Ambre attaque avec deux armes à feu, tout comme Yazoo. Si l’on active la compétence Analyse sur l’un de ces adversaires, le jeu nous confirme que nous affrontons trois entités se battant pour protéger l’avenir qui leur a donné forme. Quand on se remémore que Hamaguchi a déclaré que Final Fantasy VII Rebirth dresserait un pont avec Advent Children, qui a été rediffusé en salle dans certains pays, l’intention des scénaristes semble plus claire que jamais. Cette trilogie est un remake, un best of et une suite. Le mélange de ces trois natures donne une œuvre peu commune et fascinante à observer.

Final Fantasy VII était un jeu brumeux, sur lequel il fallait se pencher pour le comprendre dans son entièreté. C’était une œuvre volontairement cryptique par endroit qui a engendré de nombreuses discussions. Ces échanges ont permis de s’approcher de la vérité du monde de Gaïa, afin de comprendre véritablement les tenants et aboutissants des dizaines d’heures que nous avions passé à arpenter ses vertes contrées. Cet aspect énigmatique ne manquait pas d’une certaine logique vu que le projet initial consistait à nous faire suivre les tribulations d’un enquêteur dans un New York fantasmé. Remake porte en lui cette essence de jeu qui veut pousser le joueur à enquêter pour comprendre véritablement ce qu’il vient de vivre. Il s’amuse à nous attirer dans une direction pour mieux nous prendre au dépourvu, espérant ainsi que nous ne relèverons pas tous les indices qu’il nous a laissé dans ce jeu de piste méta. Rebirth sort dans quelques jours, et il balayera peut-être la quasi-totalité des lignes que vous venez de lire. Une chose demeure, Remake s’est fait un malin plaisir de jouer avec sa mythologie pour nourrir nos discussions et nos réflexions. C’est un plaisir partagé qui a permis l’élaboration de cette « enquête » en votre compagnie.

Final Fantasy VII Remake suite

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