Interview de Kevin Roger, directeur de l’animation sur Sifu
Nous le savons, le développement d’un jeu vidéo nécessite la collaboration de nombreux corps de métier afin de donner vie aux univers qui nous passionnent. Du game designer aux animateurs en passant par les scénaristes, tous participent à la création d’un tout cohérent. Bien évidemment, en fonction des productions, l’importance de certains métiers est décuplée. Le travail de Sloclap en est le parfait exemple : l’animation 3D joue un rôle clé dans l’expérience offerte par leurs jeux. C’est donc dans cette optique que nous recevons aujourd’hui Kevin Roger, directeur de l’animation sur Sifu, dans le cadre d’une interview centré sur son métier et son rôle chez Sloclap.
Pour commencer, pourrais-tu tout d’abord te présenter ? Quel est ton parcours professionnel et qu’est ce qui t’as amené vers l’animation 3D ?
Je m’appelle Kevin Roger, je suis né au début des années 90. Actuellement, je vis à Paris, mais mon chemin a commencé dans le sud, à Perpignan. Pour vous expliquer comment je me suis retrouvé dans l’animation 3D, je dois partager une partie de mon histoire. Quand j’étais plus jeune, je ressentais un besoin d’évasion qui a été comblé par les vieux films de famille puis par le jeu vidéo. C’était impressionnant de voir comment ces jeux me transportaient dans un autre univers, et réaliser que des personnes créaient ces mondes de toutes pièces m’a vraiment marqué. Cela m’a donné envie de faire la même chose, de devenir quelqu’un qui crée des mondes pour permettre à d’autres de s’évader un peu. Après avoir suivi des conseils qui, avec du recul, n’étaient pas idéaux, je me suis retrouvé dans l’informatique ce qui ne me convenait pas vraiment. J’ai donc décidé de changer de direction et de m’inscrire dans une école d’art, spécialisée dans la réalisation de films 3D, bien que je n’avais jamais vraiment touché un crayon auparavant, car je n’ai pas grandi dans un contexte artistique.
Suite à ma formation en réalisation de films 3D, j’étais certain d’une chose : je voulais m’orienter vers le jeu vidéo. À ma grande surprise, il m’a été difficile de trouver ma place dans ce secteur, que je ne percevais pourtant pas si éloigné de l’univers du film 3D. Après environ six mois de recherches, le studio Sloclap m’a accordé sa confiance et je suis resté avec eux depuis ; cela fait maintenant huit ans. Aujourd’hui, ils m’accordent une énorme confiance et me permettent de m’exprimer pleinement à travers mon travail. C’est également un studio auquel je suis particulièrement attaché, car j’ai participé à son évolution. Lorsque je les ai rejoints, il y a huit ans, le studio venait tout juste d’être fondé et nous étions en tout et pour tout une quinzaine avec 2 animateurs dont je faisais partie. Aujourd’hui, nous sommes plus d’une centaine de personnes, dont une grosse quinzaine d’animateurs.
C’est donc en 2016 que j’ai commencé à travailler sur Absolver en tant qu’animateur 3D, puis sur Sifu, où j’ai eu l’opportunité d’évoluer en tant que directeur d’animation.
Nous avons remarqué que tu travaillais en parallèle dans un autre studio appelé Arkada. Comment parviens-tu à trouver un équilibre entre ces deux activités ?
Haha! Question délicate. Trouver un équilibre entre mon travail chez Arkada et Sloclap a été, en toute honnêteté, un réel défi, surtout au début. Lorsque j’ai décidé d’aider mon associé avec Arkada, cela coïncidait avec le lancement d’Absolver et les deux projets nécessitaient énormément d’attention. Cela a indéniablement eu un impact sur ma santé et mes relations sociales, et a été une période d’apprentissage intense afin de trouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, un sujet avec lequel, je pense, beaucoup de développeurs luttent. Aujourd’hui, les choses avec Arkada vont beaucoup mieux. Le projet est en marche et mon implication est moins fréquente puisque l’équipe est plus établie. Je n’interviens qu’à des moments critiques, comme lors du lancement de projets, ce qui me permet de me consacrer pleinement à Sloclap, où l’ambition ne cesse de croître et suffit largement pour me challenger sur mon équilibre vie professionnelle/ vie personnelle, particulièrement avec des projets comme Sifu.
Quelles sont les différences entre l’animation 3D et 2D ?
La première grande différence entre l’animation 2D et 3D s’ancre dans leur histoire. La 2D est apparue à une époque où les ordinateurs faisaient à peine leurs premiers pas, nécessitant alors crayons, papiers et une troupe d’illustrateurs aux fonctions clairement établies. Les méthodes de production, calibrées pour limiter les coûts, ont créé un style unique dans cet art. Puis, la technologie a évolué, appliquant ces mêmes méthodes en 3D et réduisant le besoin d’un grand nombre d’animateurs et de dessinateurs grâce au support informatique. Aujourd’hui, distinguer la 2D de la 3D peut parfois être subtil, d’autant que le digital aide dans les deux styles. Par exemple, utiliser une tablette graphique se trouve être un entre-deux intéressant entre la 2D traditionnelle et le soutien numérique aux animateurs. La 2D exploite parfois les bénéfices de la 3D pour des projets plus pointus, tandis que la 3D s’inspire largement de la 2D. Il arrive même que des productions cinématographiques ou vidéoludiques en 3D cherchent à imiter le rendu 2D spécifique à la technique du dessin, tout en gardant la flexibilité de l’informatique et de la 3D. C’est drôle de voir que des technologies pointues sont élaborées avec cet objectif – ça rappelle le serpent qui se mord la queue. Bien qu’on puisse discuter animation pendant des heures, il est vital de souligner que, quelle que soit la méthode ou la technique – 2D, 3D, stop-motion, etc. – l’animation reste de l’animation. Les principes fondamentaux demeurent assez semblables, même si les processus et les workflows varient selon les animateurs et les techniques. En fin de compte, c’est une belle et grande famille qui évolue constamment !
Quel est le rôle d’un animateur 3D sur un jeu comme Sifu (et par extension Absolver) ? Quelles sont ses missions ?
Même si Absolver et Sifu n’ont pas tout à fait la même forme, ils partagent quand même un tronc commun : leur animation 3D. De plus, ces deux jeux partagent un univers commun : le monde des jeux de combats. Pour ces deux titres, l’animation 3D fait le lien entre le game design et la fantaisie, ici des arts martiaux. Les animateurs, avec un tas d’inspirations sous la main, observent, s’approprient et ajustent les mouvements pour coller à un game design souvent super pointu et exigeant. Pour Absolver, qui est plutôt axé joueur contre joueur, il faut que les intentions et mouvements de l’adversaire soient extrêmement clairs, afin que les joueurs puissent réagir, se défendre et renvoyer la sauce. Les mêmes principes s’appliquent lorsque notre adversaire est une IA, même si les joueurs acceptent davantage les surprises et aiment, pour certains, l’apprentissage des patterns quelquefois vicieux. Sur un jeu de versus il faut éviter la frustration des joueurs et assurer une consistance au sein de l’expérience de combat.
Avec Sifu, l’équipe a vraiment cherché à atteindre un haut niveau d’authenticité, en faisant en sorte de respecter au maximum les arts martiaux qui ont inspiré chaque mouvement des personnages. Par conséquent, l’interprétation du mouvement a dû être faite avec encore plus d’exigence.
Pour résumer grossièrement, l’animateur 3D doit faire passer les contraintes du game designer à travers les mouvements, tout en collant à une direction artistique d’animation. Face à un paquet d’informations techniques et super précises, comme la durée avant l’impact, l’origine du coup, le membre utilisé… , l’animateur doit réfléchir (un vrai casse-tête) à la manière de subtilement camoufler ces exigences dans les mouvements, tout en s’appuyant sur les arts martiaux existants pour garder un côté naturel et fluide. Tout le reste en dehors du combat est assez classique : produire toutes sortes d’animations en respectant une direction artistique et ainsi habiller la caractérisation des personnages.
Quelles sont les techniques employées sur Sifu pour animer les personnages ?
L’intégralité du gameplay de Sifu a été soigneusement animée à la main “Keyframing”, “Handkey”, peu importe comment on l’appelle. Les animateurs définissent les poses des personnages image par image dans un logiciel 3D en se basant sur des images de références. Cela témoigne du savoir-faire de l’équipe animation de Sloclap et qui selon moi donne une identité propre à l’animation de nos projets.
L’animation est importante pour Sloclap. Nous y accordons du temps et nous nous réunissons très souvent entre animateurs pour échanger, se donner des retours et parler d’animation. Bien que l’approche du studio se base sur le handkey sur Maya (logiciel d’animation 3D), nous utilisons également l’outil de la motion capture par moment mais seulement de manière minimale et ciblée. Cette technique a été exploitée, comme une ébauche ou un modèle initial pour les cinématiques ou animatiques aidant ainsi à rapidement confirmer ou rejeter certaines intentions créatives.
De plus, nous avons utilisé la motion capture pour les “finishers” qu’on appelle « takedowns ». Il est crucial de noter que ces animations ont été substantiellement retravaillées à la main, à hauteur d’environ 80% afin d’harmoniser la direction artistique des animations et de maintenir une uniformité avec le reste du gameplay qui, lui, est entièrement animé à la main. En résumé, la motion capture, bien que pratique pour esquisser des scènes complexes, a été méthodiquement remodelée pour en optimiser l’impact et l’attrait cinématographique.
De ton point de vue d’animateur 3D, quels sont les apports liés aux moteurs de jeux très accessibles proposant de nombreux outils tel que Unreal ? Ont-ils profondément changé le rapport à la 3D dans ton métier ?
Les moteurs de jeu, notamment Unreal Engine, sont désormais facilement accessibles et regorgent d’outils géniaux pour les animateurs. Unreal offre par exemple la possibilité de visualiser les animations de Maya en direct dans le moteur de jeu grâce au “livelink”. Il existe également des fonctions améliorant les conditions de travail comme le “control-rig” qui permet aux animateurs d’animer directement dans l’éditeur de jeu, sans passer par des logiciels tiers, comme Maya ou Blender. Bien sûr, ces outils ont des limitations, mais ils évoluent très vite et c’est vraiment génial de pouvoir faire tout ça directement dans le moteur.
De plus, le “séquenceur”, qui se comporte comme un éditeur de vidéo non linéaire à la manière d’un soft de montage, permet de jouer avec tout un tas de choses, notamment de faire des cinématiques ou des petites vidéos avec des mouvements de caméra etc très facilement. Unreal permet même de jouer avec des machines à états pour animer un personnage de jeu avec zéro connaissance poussée en programmation et voir le résultat très rapidement. Cet accès libre laisse plus de place à la créativité, pour perfectionner les animations et les projets, tenter de nouvelles idées, s’améliorer et se faire connaître des studios.
Bien sûr, le web déborde aussi de ressources, ce qui est vraiment formateur pour ceux qui apprennent en solo l’animation 3D et l’utilisation des moteurs de jeu. Enfin, même si Unreal est souvent mis en lumière, n’oublions pas d’autres outils excellents pour la 3D en général, comme Blender, de plus en plus accessible et costaud, et qui offre un super point de départ pour ceux qui débutent dans l’animation 3D. Cependant, il est essentiel de noter que, même si ces outils facilitent et accélèrent drastiquement le processus d’apprentissage, ils ne remplacent pas la complexité du médium ni le besoin de pratique intense. L’animation 3D reste un domaine exigeant qui nécessite un dévouement et une exploration continus pour maîtriser pleinement l’art et la technique.
Avez-vous développé des outils spécifiques en interne pour vous aider sur le développement d’Absolver puis Sifu ? Si oui, comment ont-ils évolué entre ces deux jeux ?
Bien sûr, la personnalisation et le développement d’outils spécifiques sont essentiels dans notre secteur, que ce soit dans le domaine de l’animation ou dans tous les autres corps de métier. Chaque studio, pour chaque projet, doit adapter les outils existants, les modifier et en créer de nouveaux pour répondre à des besoins précis. Bien que je ne puisse pas fournir une liste exhaustive de toutes les adaptations et créations d’outils que nous avons réalisées, l’exemple de notre éditeur de combos est assez évocateur. Cet outil nous permet d’itérer facilement et rapidement en créant des enchaînements de mouvements pour nos personnages directement dans l’éditeur de jeu sous la forme de nœuds connectés les uns aux autres. En ce qui concerne l’animation spécifiquement, nous avons commencé à développer nos propres outils pour faciliter la création et la manipulation des personnages par nos animateurs, afin d’optimiser la productivité, d’éviter les tâches répétitives et de minimiser les erreurs. Ces outils ont évolué tout au long de la production. La phase où ces outils subissent le plus de développement est la préproduction, et à chaque nouveau projet, nous tirons parti de l’expérience acquise pour les améliorer et les ajuster pour nos projets futurs.
Le concept de Sifu est pour le moins original : le personnage vieillit au fur et à mesure de ses morts. Est-ce que cela se traduit concrètement en jeu du point de vue de l’animation des personnages ?
Aïe ! Le couteau dans la plaie !! Haha ! Malheureusement, dans la version actuelle de Sifu, le vieillissement du personnage n’influe pas sur les animations.
Bien que l’idée ait été envisagée durant la préproduction et nous ait initialement enthousiasmés, imaginant des mouvements qui évoluent en précision et efficacité avec l’âge et l’expérience du personnage, elle n’a pas été concrétisée. La réalité de la production de jeux vidéo pour un studio de notre envergure, notamment en termes de coûts, a rendu cette ambition irréalisable, surtout lorsque nous la confrontons à la valeur ajoutée et à la perceptibilité de cet élément pour les joueurs.
Les cas de grandes ambitions qui sont, soit réduites soit annulées, arrivent très régulièrement et cela représente parfois plusieurs semaines de travail jeté à la poubelle lorsque l’on n’arrive pas à correctement anticiper tous les défis induits par l’ajout d’une mécanique ou d’un concept. C’est un travail titanesque de prédire ce genre de choses plusieurs années à l’avance. Même avec l’expérience et le temps, c’est toujours compliqué à anticiper car chaque production est différente. Il y a toujours des imprévus, et presque tous les jours, il faut apporter des solutions, faire des arbitrages et prendre des risques au sein d’un projet.
Finalement, une production de jeu est très organique, c’est ce qui fait que c’est amusant à mon sens. On pourrait penser extraire un schéma d’une expérience pour l’appliquer sur la suite. Ceci est possible dans la théorie, pas dans la pratique. On apprend tout de même à être un peu plus réactif et notre jugement s’affine quant aux choix à faire pour conserver le cœur de l’expérience. Bien sûr, lorsque les choix se répercutent en bout de chaîne, souvent auprès des développeurs juniors (les débutants) qui ont mis beaucoup d’énergie et d’amour dans leur travail et s’y sont attachés, cela génère une grosse frustration. Ainsi, du tact et un management humain adapté sont nécessaires afin de préparer les équipes à ce genre d’évènement et leur apprendre à ne pas s’identifier plus que de raison à leur travail dans le but d’éviter les trop grandes frustration et perte de motivation etc.
A titre personnel, mon premier cut était une arme dans Absolver auquel je tenais particulièrement et qui m’a demandé plus de 3 mois de prototypage. Le pire dans tout ça, c’est que c’est moi même qui ait confirmé l’annulation en ayant en tête ce que cela pouvait représenter en termes de temps et d’efforts investis.
De par son concept, la lecture visuelle des animations par le joueur se doit d’être particulièrement précise. Quel est le processus d’animation mis en place pour arriver à cela sans utiliser d’indicateurs visuels (ou en tout cas le moins possible) ? Avez-vous dû faire des concessions entre la lisibilité et l’aspect réaliste/plausible des animations ?
L’animation, surtout en ce qui concerne le mouvement martial, est intrinsèquement subtile et complexe. Chaque animateur peut apporter sa propre nuance, enrichie par ses expériences.
Prenons un mouvement offensif d’attaque : il peut être segmenté en trois parties clés que sont l’anticipation (ou « build-up »), la génération de force menant jusqu’à l’impact, et la « release », qui illustre la consommation de l’énergie engagée dans le mouvement. Chacune de ces phases est vitale pour garantir que le joueur puisse « lire » visuellement les animations :
- l’anticipation, par exemple, signale l’intention du mouvement, donnant des indications cruciales sur la direction et le membre utilisé, tout cela avant que le mouvement ne soit initié,
- l’impact, d’autre part, peut être façonné en tant que vecteur stylistique de l’animation – vif et « Snappy » si l’anticipation est claire et explicite,
- la release, quant à elle, fournit au joueur une fenêtre sur la puissance et l’engagement mis dans le coup, informant de l’impact du mouvement sur le personnage et signalant quand le joueur pourra à nouveau prendre le contrôle.
Éviter la frustration du joueur est crucial, et cela se fait en assurant que les animations reflètent fidèlement les intentions et les actions possibles, dictées par le game design. La sélection minutieuse des mouvements de référence, suivie d’un travail approfondi sur des éléments comme le « build-up », en jouant avec la silhouette et les timings pour mettre en évidence le membre utilisé ou l’origine du coup, est primordiale.
Sur Absolver, il y avait plus de liberté dans l’interprétation des mouvements de références, tandis qu’avec Sifu, l’authenticité était davantage recherchée. Dans la vraie vie on ne souhaite pas nécessairement « télégraphier » nos coups et révéler nos intentions à l’adversaire. Dans le contexte du jeu vidéo, c’est une nécessité, mais cela doit être fait subtilement pour que le joueur puisse comprendre et savourer chaque mouvement. Ainsi, nous avons consulté un expert en arts martiaux pour nous aider à choisir des mouvements en phase avec les intentions de design, minimisant ainsi l’interprétation dans l’animation, bien que celle-ci reste nécessaire. Ensuite, il n’y a pas de secret : l’itération est fondamentale pour affiner l’équilibre entre authenticité, style d’animation et contraintes de design : chacun des mouvements d’attaque peut être retravaillé des dizaines de fois à tout moment de la production pour atteindre cet équilibre.
Dans Sifu, chaque boss est unique et représente un vrai défi pour le joueur. De ton point de vue, à quel point l’animation de ces personnages apporte-t-elle un caractère unique aux personnages du jeu ?
Dans Sifu, chaque boss illustre un hommage à un style martial distinct, en écho à la pratique du « PakMei » par notre personnage principal. Fajar pratique le Pensak Silat, Sean exerce le Bajishuan, JinFeng maîtrise le Long Fist kung-fu, Kuroki mélange habilement les styles Kobudo d’Okinawa et Kenjutsu, et enfin, Yang, le boss ultime, utilise le même art martial que notre héros.
Ces décisions artistiques sont en partie dictées par leurs backstories et les armes qu’ils manient. En quête d’authenticité, nous avons choisi des mouvements emblématiques de chaque art martial, et la mise en scène, combinée aux dialogues lors des cinématiques et combats, parachève l’identité et l’impact de chaque personnage au sein du jeu.
Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, les “fans” ont une influence sur la création, que ce soit en l’encensant ou par la toxicité de leur comportement. Absolver a malheureusement reçu un accueil mitigé de la part des joueurs. Était-ce un élément qui a servi de pivot pour aller vers un jeu solo avec Sifu ?
C’est intéressant parce que pour nous, l’accueil d’Absolver, a en fait été assez encourageant et suffisamment rassurant pour nous permettre de continuer dans cette voie.
Considérant le contexte d’un studio émergent avec une équipe relativement réduite et junior, couplé avec le projet à la fois complexe et ambitieux qu’était Absolver, nous étions ravis de voir le jeu trouver son public et de voir une communauté se constituer autour de lui. Ainsi, la réception du jeu n’a pas vraiment influencé nos choix futurs. Notre désir de continuer à explorer les arts martiaux venait d’une passion, et nous souhaitions le faire d’une manière un peu plus cinématographique et viscérale, en hommage aux films d’arts martiaux classiques. Nous voulions immerger les joueurs dans cet univers. Le multijoueur nous a semblé superflu pour ce type d’expérience et, honnêtement, en nous épargnant cette complexité technique, nous nous sommes sentis plus à l’aise pour tenter d’offrir une expérience plus profonde et aboutie.
Le système de combat, basé sur les esquives, les timings et les coups spéciaux, nous a beaucoup fait penser à God Hand de Clover Studio. Est-ce que ce Beat’em Up a été une source d’inspiration ?
Belle culture et observation ! God Hand est effectivement un titre chéri par le directeur créatif de Sifu, qui a également été game director sur Absolver. Ce jeu a siégé dans notre tiroir de références depuis Absolver et a constamment été l’une de nos principales inspirations. Pas nécessairement en ce qui concerne la partie animation ou le ton du jeu, mais plutôt en lien avec les mécaniques de gameplay, comme vous l’avez mentionné. God Hand nous a influencés sur certaines manières d’aborder le combat et les interactions dans le jeu, en mettant l’accent sur les esquives, le timing, et les coups spéciaux pour sûr.
Pour faciliter votre travail sur les animations, le visionnage de films d’actions a t-il été nécessaire ? Des films comme John Wick, ou les classiques de Bruce Lee vous ont-ils donné une base de travail ?
Dans le domaine de l’animation, recourir à des références est nécessaire. Cela peut provenir d’observations du quotidien, de reportages, de fictions, de vidéos YouTube, etc. C’est un aspect fondamental du métier d’animateur que d’analyser, d’interpréter, et d’appliquer ces observations à notre art.
Nous avons évidemment visionné un large éventail de films pour nous enrichir :
- Drunken Master et Police Story avec Jackie Chan,
- Fureur du Dragon et Le Jeu de la Mort avec Bruce Lee,
- Il était une fois en Chine et Le Baiser Mortel du Dragon avec Jet Li,
- Ip Man, d’Iko Uwais et The Raid avec Donnie Yen,
- Ong Bak, Kill Bill, La 36ème Chambre de Shaolin avec Tony Jaa,
- des films d’action plus récents comme John Wick.
Ces œuvres ont toutes été des sources d’inspiration pour Sifu. Nous avons également puisé dans des vidéos de concours martial de Wushu ou des cours d’arts martiaux en ligne. Les éléments que nous cherchons dans ces références varient : nous pouvons chercher à comprendre la mécanique corporelle, percevoir les subtilités propres à chaque pratique dans une recherche d’authenticité, comprendre les applications de certaines techniques, apprécier l’esthétique de la chorégraphie, sentir la viscéralité du combat, percevoir l’aspect cinématographique et la mise en valeur du mouvement, et plus encore.
Nous remercions une nouvelle fois Kevin pour sa disponibilité et sa confiance.
3 Commentaires
Participez à la discussion et donnez-nous votre avis.
Haaaa l’interview du cœur pour un jeu du cœur ! Je l’attendais beaucoup après le « leak » involontaire de l’autre soir 🤩
J’ai une histoire particulière avec cette pépite, que je ne peux m’empêcher de narrer. Par ailleurs, le PS Récap a été proposé il y a peu, Sifu est en tête de liste avec… 183h au compteur 😮 (environ 50 pour l’histoire dont 5 pour le mode Maitre, le reste pour les arènes)
Mais d’abord, un incommensurable GG à SloClap, je ne reviendrai pas sur ses innombrables qualités, quoiqu’un peu : une DA magnifique, une histoire prenante (non manichéenne, laissant place à l’interrogation) quand on s’y intéresse en profondeur, une bande-son incroyable (Howie Lee et l’équipe de sound-design, grand bravo), pour être raccord les animations sont ultra-quali (qui demande à un certain stade une véritable analyse/apprentissage de celles-ci = on n’apprend pas un pattern « classique » mais chaque animation qui est un pattern à elle toute seule, notamment en Maitre), et ce gameplay aux petits oignons qui lui donne sa propre identité 🤤🤩😍
De plus, ça transpire la passion à tous les étages, en témoigne ceux du Musée, qui est une ode à l’art et à la créativité. En bref, une générosité, un amour des développeurs qui nous transportent dans cet univers m’ayant beaucoup rappelé Hotline Miami pour mon plus grand plaisir (les couleurs, la bande-son, le die & retry, le côté surréaliste).
Au reveal, « tiens, du Batou Old Boy à mettre des tatanes, c’est pour moi! ». J’ai attendu patiemment, regarder quelques vidéos de gameplay histoire de me faire une idée mais pas trop pour garder pureté. Les tests/retours dithyrambiques, pas de doute je signe.
Je l’ai fait sur le tard (courant de l’été 2023), j’ai énormément accroché pour les qualités citées ci-dessus, en ayant « simplement » comme objectifs de terminer le jeu (100% de l’histoire + quelques défis pas trop contraignants et chopper le platine), puis faire la 1ère salve des arènes (au moins à 1 médaille chacune).
J’en ai bien profité, fait le « max » selon mes capacités du moment, et je ne cache pas qu’il m’a fait ressortir de vieux démons vidéoludiques que j’avais enterré depuis belle lurette : me prendre autant de tatanes, me faire écraser par le jeu (pester de mauvaise foi que j’aimerai bien voir les dev’ y jouer 😄), je me suis surpris à être énervé alors que très rarement je ne m’agace (pourtant je fais toujours mes jeux en haute difficulté dès que je le peux). Il faut dire que le jeu « excite » beaucoup, qu’il épuise sous bien des aspects, nous pousse dans nos retranchements (quel plaisir coupable).
Estimant avoir fait le tour, quelques jours plus tard ça me tique : j’ai encore envie d’y jouer (et ça tombe bien la nouvelle MaJ arrive bientôt avec la 2ème salve d’arène). Mais j’ai la flemme de faire les médailles restantes (qui vont me demander de m’entrainer), je n’ai pas comme objectif de try-hard. Et pourtant. et pourtant…
J’y reviens, je termine quelques objectifs (liés au score, ne pas se faire toucher, etc) du mode histoire, je retourne sur les arènes : au moins une médaille partout du 2ème pack (excepté dans les toutes dernières arènes qui étaient vraiment costaudes). Une fois atteintes, dans la douleur, « plus jamais je n’y retourne, c’est trop dur, c’est rageant, j’en ai terminé, j’ai fait le tour ». Puis le lendemain matin, « ce soir je joue à Sifu », et le soir, rebelotte « plus jamais », et ça pendant 2 mois !!! 2 mois de haine et d’amour, à relancer le jeu chaque jour, à le maudire tout en l’adulant, à me jurer que je n’y toucherai plus jamais.
Je n’ai pas pu décrocher, tel un drogué, il me fallait ma dose quotidienne, à me ré-entrainer encore et encore sur des objectifs qui me paraissaient inatteignables, hors de portée, alors je n’avais pas pour objectif de valider toutes ces médailles, d’y passer autant de temps, tout en me disant paradoxalement que j’avais atteint ma limite!
Arrivé à un moment, je me fait la réflexion « mais je l’aime vraiment énormément en fait ce jeu, tu le détestes le soir, t’y reviens le lendemain, rends toi à l’évidence, tu es amoureux de ce jeu ». Je n’ai pas compris pourquoi immédiatement, mais un beau jour, ça tombait sous le sens : outre ce gameplay addictif (IA est très bien calibrée au passage = des combats très souvent différents), c’est bien la sensation de progresser implicitement, d’atteindre, de grignoter un peu plus son objectif, de le toucher au bout des doigts, de voir qu’on est presque capable. Sentir s’automatiser ses pensées, ses anticipations, son comportement, ses placements, pour devenir des réflexes, laissant place à une véritable maitrise du combat.
C’est là où je dis un énorme GG à l’équipe. Par le passé, pour les quelques interviews que j’avais vu/lu, j’ai cru comprendre qu’ils avaient à cœur de retransmettre cette notion d’apprentissage du kung-fu, et c’est bel et bien ce que j’ai ressenti, plusieurs fois, par plusieurs vagues, par plusieurs stades, parfois explicitement, puis implicitement (après une centaine d’heures passées je pense). Transmettre cela par le gameplay, c’est tout simplement génial, surtout avec ce système que l’équipe a concocté, complexe et profond, ayant une vraie singularité, un vrai renouveau, une vraie identité.
J’ai décroché par la force des choses, contraire à ma volonté (trop de taff depuis quelques semaines, j’ai plus le temps de me poser pour jouer), mais j’en avais encore très envie, j’en ai encore très envie actuellement. Dès qu’on parle de ce jeu, je sens de la dopamine qui me donne envie de le lancer.
J’encourage vivement le studio a continuer d’avoir cette identité propre, que ce soit avec du fight ou tout autre style, j’ai vraiment apprécié qu’ils essayent de faire du sang neuf, quelque chose qu’on a jamais vu, jamais expérimenté. Ils ont pondu un jeu unique, et c’est dorénavant avec une grande attention que je vais suivre cette équipe très talentueuse, quelque soit sa proposition.
De la passion, de l’ingéniosité, qu’ils y mettent leurs tripes et tout leur sens artistique, qu’ils s’expriment selon leur volonté, c’est tout ce que j’oserai leur demander.
Bon, maintenant que j’ai reçu Riot Civil Unrest (après avoir lu votre article sur la politique), j’aimerai m’y mettre, quand j’aurai le temps. Mais Sifu me guette, j’y pense, j’ai encore besoin de mes doses, j’ai peur de recraquer au détriment des nouveaux jeux qui m’attendent 😆 Une chose est sûr, j’y reviendrai, il me reste quelques médailles d’or à obtenir.
C’était ma lettre d’amour à Sifu, fallait que ça sorte.
Je faisais le tour des commentaires et je viens de voir ta magnifique lettre d’amour. Ça fait plaisir de lire autant de passion.
Et où avait-je la tête, grand merci pour l’article et à l’interviewé. N’étant pas du tout du milieu, j’ai appris pas mal de petits détails bien appréciables d’un coulisse d’un développement (tout en ayant une esquisse de l’animation).
Force à vous Pointer & Penser 💪