Jonathan Coryn, créateur de Player Non Player

Bienvenue à toutes et à tous dans le nouveau format Solo Dev ! Dans cette première saison, je vais partir à la rencontre de 7 solo devs français•e•s pour les interroger sur leur façon de travailler, de s’organiser et surtout, vous faire découvrir 7 jeux qui valent clairement le coup d’œil. On commence avec Player Non Player, le premier jeu de Jonathan Coryn.

Après avoir exposé ses œuvres au Centre Pompidou, au MUDAM du Luxembourg et au Musée d’art et d’histoire Paul Eluard de Saint-Denis, Jonathan Coryn dévoile enfin le fruit de six années de travail avec Player Non Player. Ancien élève des Beaux-Arts de Cergy, Jonathan est à la fois artiste et game designer français, salué pour sa création, Player Non Player, qui a reçu le prestigieux Most Amazing Game Award au festival berlinois A Maze en 2023. Dans ce jeu d’exploration narratif, Coryn explore des thèmes émotionnels complexes tels que le deuil et le rapport au corps, tout en fusionnant avec habileté la musique électronique, notamment grâce à la collaboration avec Agar Agar.


Point’n Think : Ton parcours vers le développement de jeux a suivi une voie peu conventionnelle, depuis ton passage aux Beaux-Arts. Peux-tu nous expliquer comment ta formation a influencé ta transition vers le développement de jeux, notamment en ce qui concerne ton approche expérimentale ?

Jonathan Coryn : Mon passage aux Beaux-Arts a été un véritable voyage d’exploration artistique, moins structuré que ce que l’on trouve généralement dans les écoles de jeux vidéo. L’orientation très axée sur l’art contemporain a été marquée par des enseignants qui, pour la plupart, étaient plus enclins à présenter des œuvres artistiques et des concepts novateurs que des principes de conception de jeux vidéo conventionnels. Nous avions même un professeur qui se concentrait davantage sur le code, nous montrant des œuvres artistiques contemporaines plus proches de ce que l’on pourrait voir dans une exposition. Il y avait l’exposition Worldbuilding au Centre Pompidou à Metz l’année dernière. Ces expositions reflétaient souvent des artistes qui utilisaient des moteurs de jeu en temps réel, tels que Unreal Engine ou Unity, pour créer des œuvres d’art expérimentales, bien que la plupart d’entre elles restent souvent au stade de « toy », c’est-à-dire des œuvres ludiques.

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Certains enseignants, cependant, étaient moins familiers avec les jeux vidéo et certains étaient même réticents à leur intégration dans le programme. Cependant, cette mentalité semblait être en train d’évoluer à l’époque où j’étais étudiant. Il est intéressant de noter que, six ans plus tard, les choses semblent avoir évolué dans cette direction, avec les écoles d’art adoptant de plus en plus le jeu vidéo comme un moyen légitime d’expression artistique. Cela dit, mon expérience n’était pas sans ses défis. En première année, j’ai rencontré des résistances à mon exploration exclusive du médium numérique. Certains professeurs estimaient qu’il était nécessaire d’explorer une variété de médiums artistiques pour vendre aux collectionneurs d’art, ce qui incluait des préoccupations quant à la commercialisation des jeux vidéo. Malgré cela, j’ai persisté dans ma voie et cela a fini par porter ses fruits.

PnT : Tu décris Player Non Player comme un projet expérimental qui a évolué sur plusieurs années. Peux-tu nous parler de ton processus itératif et de la manière dont tu abordes le développement de tes idées  ?

Jonathan : Player Non Player est né d’un processus itératif et expérimental, fusionnant mes inspirations artistiques personnelles avec l’univers déjà existant d’Agar Agar. Au départ, je créais des prototypes en explorant divers concepts, en proposant des « toys » à l’équipe d’Agar Agar pour recueillir leurs impressions et réflexions. Rapidement, un thème a émergé, celui d’un mélange entre la violence et la douceur. Mon premier prototype, la villa, mettait en scène une main virtuelle avec une interaction physique, permettant de saisir et de détruire la villa. Ce contraste entre la caresse et la violence était au cœur de l’expérience initiale. Puis, j’ai introduit des personnages jouables, offrant aux joueurs la liberté d’interagir avec eux de manière similaire à GTA, où ils pouvaient interagir, et même tuer les personnages.

Cependant, je sentais qu’il manquait quelque chose à cette expérience. Je me suis alors replongé dans un concept que j’avais développé aux Beaux-Arts, un simulateur de caresse. Inspiré par les travaux de Robert Yang, j’ai imaginé un concept plus mélancolique et émotionnellement profond, où le joueur pouvait apporter du réconfort à un personnage triste en le caressant. Ce concept, imprégné d’une esthétique liminale et mélancolique, a été réintroduit dans Player Non Player, enrichissant ainsi l’expérience de jeu avec une dimension émotionnelle unique. Le joueur est invité à combiner des gestes de douceur avec des actes de destruction, offrant ainsi une exploration poignante des thèmes de la compassion et de la violence.

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L’esthétique liminale, marquée par le choix des couleurs saturées et la présence de personnages mélancoliques, joue un rôle crucial dans la création de cette atmosphère émotionnelle. Cette fusion entre la douceur et la destruction a été subtilement intégrée dans le tutoriel du jeu, offrant aux joueurs une introduction immersive et efficace à l’expérience de jeu. En seulement 30 secondes, le joueur est guidé à travers les mécanismes du jeu, invité à explorer ses thèmes complexes et ses interactions uniques.


Robert Yang, un développeur de jeux et professeur adjoint d’arts au Game Center de l’Université de New York, se démarque dans le monde du jeu vidéo par ses créations provocantes et novatrices. Réputé pour ses jeux vidéo homoérotiques explorant les thèmes de la culture gay et de l’intimité, Yang remet en question les normes des espaces virtuels avec son approche innovante. Ses œuvres, telles que The Tearoom, un simulateur de sexe en salle de bain en 3D, et Rinse and Repeat, un simulateur de douche pour hommes, repoussent les limites et suscitent des conversations sur la sexualité et la représentation dans le jeu vidéo. De plus, l’expérience de Yang dans l’architecture et le design de mobilier enrichit son travail, alors qu’il explore l’intersection des environnements virtuels et des structures du monde réel.

Récemment, Yang a dévoilé son dernier projet, une simulation de jardinage en ligne queer intitulée We Dwell in Possibility, créée en collaboration avec la célèbre dessinatrice et illustratrice Eleanor Davis. S’éloignant de son réalisme 3D habituel, cette expérience gratuite jouable dans un navigateur invite les participants à interagir avec des objets et des plantes aux formes suggestives au milieu d’une foule de personnages IA nus simulés. À travers ce projet, Yang continue de remettre en question le statu quo, en se demandant qui est représenté et exclu dans les espaces virtuels tout en explorant les enjeux politiques des architectures numériques.


PnT : L’intégration du son et de la musique dans Player Non Player semble jouer un rôle important dans le renforcement de la résonance émotionnelle de l’expérience de jeu. Peux-tu nous expliquer comment le design sonore et la musique ont été utilisés pour renforcer l’immersion du joueur et sa connexion avec les thèmes du jeu ?

Jonathan : Avec Clara Cappagli et Armand Bultheel, les deux membres d’Agar Agar, nous nous sommes rencontrés à l’École des Beaux-Arts de Cergy. Partageant une même passion pour l’art et l’expérimentation, nous avons décidé de collaborer sur un projet de jeu après notre diplôme en 2018.

Notre intention initiale était de créer un jeu ensemble, avec l’idée naïve qu’il nous faudrait seulement quelques mois pour le réaliser. Cependant, en optant pour une approche totalement expérimentale, le projet a pris une ampleur inattendue, nécessitant six années de développement. Ce processus a été extrêmement itératif. Je présentais à Clara et Armand des mini-scènes de jeu et des prototypes, m’inspirant à la fois de ma propre culture et de l’univers préexistant d’Agar Agar. Par exemple, l’épée présente dans le jeu est la même que celle visible sur la pochette de leur EP, Cardan. Leurs retours sur ces éléments étaient essentiels, car ils apportaient une perspective artistique unique et enrichissante. Nous avons rapidement convenu de travailler sur des thèmes qui évoqueraient à la fois la douceur et la violence, une dualité que l’on retrouve souvent dans leur musique. Leur style musical, mêlant euphorie, plaisir et douceur teintée de désespoir, résonnait avec mon propre travail artistique. Cette synergie entre nos univers respectifs a été un véritable moteur créatif tout au long du développement du jeu, créant ainsi un véritable « match » artistique.


Agar Agar, duo d’electropop français formé en 2015 par Clara Cappagli et Armand Bultheel, s’est rapidement imposé sur la scène musicale parisienne. Leur premier single, Prettiest Virgin, sorti en 2016, a marqué le début d’une ascension fulgurante, suivie de près par la sortie de leur premier album, The Dog and the Future, en septembre 2018, et leur performance remarquée à l’Olympia en décembre de la même année. Leur nom de groupe, inspiré par l’agar-agar, découle de l’observation des fourmis par Armand chez lui, reflétant leur approche créative et originale.

Clara et Armand, tous deux issus de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy où ils ont rencontré Jonathan Coryn, ont fusionné leurs talents artistiques pour créer un son unique mêlant synthpop des années 1980 et techno. Leur parcours musical, marqué par des collaborations et des performances remarquables, les a propulsés sur le devant de la scène internationale. Avec des singles comme Fangs Out et Sorry About the Carpet, accompagnés de clips vidéo cinématographiques réalisés par des talents émergents, Agar Agar continue d’explorer de nouvelles avenues sonores tout en restant fidèle à leur esthétique distinctive.


PnT : Nous avons abordé un peu la genèse du projet et tout le travail autour du son dans le jeu. Est-ce que tu pourrais nous expliquer un peu l’histoire de Player Non Player et la manière dont tu as mis au point la narration du jeu ? 

Jonathan : L’histoire de Player Non Player s’est construite progressivement et de manière intuitive. Initialement, le processus de création s’est déroulé de façon assez organique, sans réel plan préétabli. Au départ, il n’y avait que le personnage du nageur, autour duquel j’ai développé les premières idées. J’ai commencé par mettre en place un système de texte, mais j’ai rapidement rencontré un obstacle majeur concernant le thème du consentement. En effet, le personnage du nageur exprimait son désaccord lorsque le joueur tentait d’interagir d’une manière inappropriée, mais le jeu ne reflétait pas cette notion de consentement de manière adéquate. Les playtests ont révélé cette faille, ce qui m’a conduit à reconsidérer entièrement l’approche narrative.

J’ai alors entrepris de répartir les différentes caractéristiques des personnages sur plusieurs entités distinctes. Ce processus a donné naissance à trois protagonistes principaux, chacun représentant une facette différente du thème central du deuil. Progressivement, l’histoire s’est étoffée pour explorer ces thèmes avec profondeur et nuance. Le deuil est devenu un pilier narratif essentiel du jeu, mais ce n’est qu’au fur et à mesure que j’ai avancé dans le développement que j’ai pleinement réalisé la portée de ce message. Cette thématique a émergé de manière organique, s’intégrant naturellement dans le récit sans que j’ai initialement conscience de son importance.

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L’inspiration pour cette exploration thématique découle en partie de mon expérience personnelle, mais aussi de réflexions plus larges sur la condition humaine. Des œuvres comme Shadow of the Colossus, avec leur capacité à aborder le deuil de manière puissante et émouvante, ont influencé ma vision artistique et ont nourri la construction narrative de Player Non Player. La citation d’Odile faisant référence à Freud reflète cette volonté d’explorer les mécanismes psychologiques entourant la perception de la mortalité et le besoin humain de se rassurer face à l’inévitable finitude de la vie.

Dans l’inconscient, chacun de nous est convaincu de son immortalité

Sigmund Freud

Si nous étions tous constamment conscients de notre propre mortalité, de la fin inévitable qui nous attend, cela serait tout simplement accablant. Pour faire face à cette réalité inéluctable, nous développons des mécanismes d’adaptation, des stratégies pour atténuer notre angoisse existentielle. Certaines personnes se tournent vers la religion, cherchant réconfort dans la croyance en une existence après la mort. D’autres adoptent une approche philosophique, se réfugiant dans des idées comme celle d’Epicure, qui affirmait que la mort n’est rien parce que nous ne pouvons pas la percevoir.

Epicure soutenait que puisque nous ne sommes plus conscients après notre mort, cela ne devrait pas nous troubler pendant notre vie. Cependant, malgré ces tentatives pour éviter la pensée de la mort, elle reste omniprésente, un rappel constant de notre condition humaine finie. Cette réflexion sur notre rapport à la mort ajoute une profondeur philosophique à l’expérience de jeu, invitant les joueurs à méditer sur des questions existentielles fondamentales tout en explorant l’univers narratif de Player Non Player.

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PnT : Tes choix architecturaux dans Player Non Player, en particulier l’incorporation d’éléments brutalistes, évoquent un sentiment de grandeur et de solitude qui résonne avec l’exploration thématique du jeu. Peux-tu nous parler de l’importance du brutalisme dans l’élaboration du paysage esthétique et émotionnel du jeu, et de la façon dont il complète les thèmes narratifs du deuil et de l’acceptation ?

Jonathan : L’architecture brutaliste (dont nous avions parler dans un dossier) revêt une importance capitale dans l’univers de Player Non Player, non seulement en termes d’esthétique, mais aussi de narration émotionnelle. Ce choix n’est pas fortuit, mais découle d’une fascination personnelle pour l’esthétique austère et imposante du brutalisme, une esthétique qui semble presque dépourvue d’humanité, rappelant par moments les régimes autoritaires du passé. Cependant, dans le contexte du jeu, cette froideur brutale est habilement nuancée, presque humanisée, par la présence des personnages et leurs récits émotionnels.

Prenons par exemple la Villa, un élément emblématique du jeu, directement inspirée de la Tomba Brion de Carlo Scarpa. Ce lieu, conçu pour incarner un espace de recueillement et de deuil, représente à merveille cette fusion entre la grandeur brute du brutalisme et la profondeur émotionnelle des thèmes explorés dans le jeu. Plus largement, le brutalisme offre une expérience visuelle et émotionnelle unique, jouant sur des formes monolithiques difficiles à appréhender pleinement, ce qui crée un sentiment d’inquiétante étrangeté. Cette ambiance est renforcée par des références subtiles à des jeux rétro, notamment ceux de la PS1 et de la Nintendo 64, évoquant des souvenirs d’enfance et ajoutant ainsi une dimension supplémentaire de mystère et de nostalgie à l’expérience de jeu.

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La tombe Brion, conçue par l’architecte vénitien Carlo Scarpa entre 1968 et 1978, est une œuvre d’art architectural située à San Vito d’Altivole, près de Trévise, en Italie. Commandée par Onorina Tomasin, veuve de Giuseppe Brion, fondateur de la société Brionvega, cette tombe est un mausolée privé pour la famille Brion. Elle se distingue par ses formes futuristes et son importance symbolique, avec deux sarcophages jumelés au centre de l’ensemble. Carlo Scarpa, reconnu pour sa maîtrise du béton et son souci du détail, a donné à cette œuvre une aura de poésie et de mystère, en intégrant des éléments symboliques et des détails ornés.

Le complexe de la tombe Brion, avec ses pavillons de méditation et sa chapelle, est une synthèse des influences qui ont marqué la carrière de Scarpa, de son intérêt pour l’histoire à son admiration pour l’architecture japonaise. Les visiteurs sont guidés à travers un parcours architectural où l’eau, le béton et la végétation se mêlent pour créer une expérience sensorielle unique. L’emplacement central des tombeaux de Giuseppe et Onorina Brion, entourés de symboles et de motifs artistiques, incarne l’affection et le lien indéfectible entre les époux. La tombe Brion est non seulement un hommage à la mémoire des défunts, mais aussi un lieu de contemplation et de réflexion.


PnT : Player Non Player explore également des thèmes liés à la communauté LGBTQ+ et au rapport au corps, ce qui ajoute une autre couche de complexité à la narration. Peux-tu nous faire part de tes réflexions sur la manière dont ces thèmes sont apparus au cours du processus de développement et sur la façon dont ils contribuent à l’expérience globale du jeu ?

Jonathan : Initialement, ces thèmes n’étaient pas au premier plan de la création, mais ils ont émergé naturellement à mesure que le jeu prenait forme, vu que moi-même, je suis membre de la communauté LGBTQ+. Dans un premier temps, je n’avais pas identifié le jeu comme étant explicitement queer. Cependant, lorsque j’ai soumis le jeu à des événements tels que A Maze, j’ai réalisé l’importance de ces thèmes pour distinguer mon jeu des autres. Cette découverte a conduit à une réflexion plus approfondie sur la représentation queer dans le jeu, en tenant compte de la responsabilité de présenter ces thèmes de manière authentique et respectueuse.

Dans le jeu, le personnage du nageur, par exemple, est gay, et cela se manifeste à travers ses interactions avec les autres personnages. Les choix narratifs et les mécaniques de jeu permettent aux joueurs d’explorer des aspects complexes des relations et de l’identité LGBTQ+, tout en offrant une perspective unique sur le rapport au corps et à la sexualité.

Le fait d’être moi-même gay me permet d’oser des choix narratifs et des interactions qui pourraient être considérés comme subversifs, mais qui contribuent à enrichir l’expérience de jeu en offrant une représentation authentique et nuancée de la diversité humaine.

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La culture queer est de plus en plus présente également dans la réappropriation des outils numériques pour exprimer et revendiquer le pouvoir sur les corps. Des artistes comme Arca, qui inventent des personnages chimériques dotés de prothèses physiques ou numériques, illustrent cette capacité à se réinventer et à se réapproprier son corps de manière artistique et politique. Dans le domaine du jeu vidéo, des développeurs comme Robert Yang explorent les interactions queer de manière subversive, offrant aux joueurs la possibilité d’expérimenter et de s’identifier autrement. Cette approche permet non seulement de représenter la diversité de manière inclusive, mais aussi de remettre en question les normes sociales et de favoriser une plus grande compréhension et acceptation des identités LGBTQ+.

PnT : Lorsque tu as présenté Player Non Player à A Maze à Berlin en 2023, tu as mentionné que c’était un festival que tu avais repéré dès le départ. Peux-tu nous parler un peu de ton expérience avec ce festival et de son importance pour les développeurs indépendants comme toi ?

Jonathan : Ma participation à A Maze a été une expérience marquante pour moi. Dès le début du développement de Player Non Player, A Maze était un festival que j’avais spécifiquement ciblé pour présenter mon travail. Bien que ce festival puisse sembler relativement confidentiel pour ceux qui ne sont pas directement impliqués dans le monde du jeu indépendant, il occupe une place importante pour des développeurs comme moi. Je suis particulièrement impressionné par la diversité de sélections à chaque édition, allant des jeux triple III aux projets plus expérimentaux hébergés sur des plateformes comme itch.io. Cette variété reflète la richesse et la créativité de l’industrie du jeu indépendant, et A Maze offre une plateforme précieuse pour mettre en avant des projets innovants et originaux.

La sélection de Player Non Player a été une surprise pour moi, merci à mon syndrome de l’imposteur. Cependant, être sélectionné pour le festival a été une validation significative de mon travail et de ma vision créative. De plus, remporter le Most amazing Award a été une expérience inattendue mais gratifiante, surtout face à des jeux de renom comme Signalis. En termes d’impact sur mon jeu lui-même, ma participation à A Maze a été un catalyseur pour son développement. Bien que le jeu soit déjà en phase de démo à ce stade, la reconnaissance obtenue lors du festival a renforcé ma détermination à perfectionner mon œuvre. Le retour positif reçu lors de l’événement a également alimenté ma motivation à affiner certains aspects du jeu, notamment les cinématiques interactives, ce qui a finalement contribué à enrichir l’expérience globale du joueur.

PnT : Tu as mentionné que ta participation à A Maze t’a permis de gagner en visibilité et d’attirer l’attention de l’industrie. Comment cette reconnaissance a-t-elle influencé le développement de Player Non Player et ta carrière en général ?

Jonathan : Je dois admettre que les résultats ont été mitigés. Sur le plan de la visibilité et de l’attention de l’industrie, participer à A Maze m’a permis de gagner en reconnaissance. Cela m’a ouvert des portes et m’a offert la possibilité de rencontrer certains acteurs de l’industrie. J’ai même réussi à obtenir des rendez-vous avec des éditeurs, une opportunité que je n’aurais peut-être pas eue autrement.

Cependant, en termes de retombées directes sur le jeu lui-même, je dois avouer que les résultats n’ont pas été aussi spectaculaires que je l’avais espéré. Malgré l’attention portée à Player Non Player lors du festival, la communication autour du jeu n’a pas vraiment décollé. J’ai constaté une augmentation modeste du nombre de wishlists sur Steam, mais rien de comparable à d’autres jeux avec des scopes plus modestes. Cela m’a laissé perplexe quant à la réception du jeu par le public. Je me suis demandé si le problème venait du jeu lui-même ou de ma capacité à le promouvoir efficacement. Peut-être que Player Non Player ne correspondait pas aux tendances actuelles ou aux attentes du marché, ce qui a rendu sa promotion plus difficile.

PnT : Comment s’est passé le travail en temps que solo dev ? As-tu cherché à grossir et devenir une équipe à partir d’un certain moment ?

Jonathan : Travailler en tant que solo dev a été à la fois une expérience gratifiante et un défi de taille. Pendant les premières années de développement de Player Non Player, j’ai géré tous les aspects du jeu moi-même, du design au développement en passant par les graphismes et le marketing. C’était une période intense et épuisante, mais j’ai appris énormément de choses et j’ai pu expérimenter différents aspects du processus de création de jeux. Cependant, il y a eu un moment décisif où Agar Agar a changé de maison de disques et a débloqué un budget pour la communication autour du jeu. Cela m’a permis de faire appel à une agence de communication qui m’a apporté un soutien précieux. Cette collaboration m’a donné un nouvel élan et m’a aidé à atteindre une visibilité que je n’aurais peut-être pas pu obtenir seul.

Malgré ces efforts, trouver des publishers intéressés par le jeu s’est avéré être un défi de taille. Les retours que j’ai reçus étaient souvent similaires, avec l’idée que Player Non Player était un jeu trop singulier pour trouver son public ou qu’il devrait être rendu gratuit pour attirer l’attention. Cependant, je reste convaincu que le jeu aurait pu connaître un plus grand succès médiatique avec une stratégie de communication plus efficace. En regardant des exemples comme The Wreck, je réalise que le succès d’un jeu dépend souvent autant de sa visibilité que de sa qualité intrinsèque.

PnT : En étant en solo sur autant d’aspects de la création d’un jeu, tu as surement dû beaucoup apprendre en essayant. Le jeu est fait sur Unity c’est bien ça ?

Jonathan : Player Non Player a été développé sur Unity, mais j’ai rencontré certains défis avec cette plateforme. Initialement, j’ai utilisé Bolt, qui a ensuite été racheté par Unity et renommé « Unity Visual Scripting », qui promettait de générer du code en C Sharp, mais malheureusement, cette fonctionnalité a été abandonnée après le rachat par Unity, ce qui a compliqué le développement du jeu. Malgré ces difficultés, j’ai pu apprendre beaucoup de choses sur le tas, notamment en ce qui concerne la programmation. Ayant suivi une formation en arts et littérature, mes compétences en mathématiques étaient limitées, mais j’ai rapidement compris que la programmation n’était pas aussi intimidante qu’elle en avait l’air. En comprenant que la programmation consistait essentiellement en une suite de 0 et de 1 à interpréter visuellement comme des blancs et des noirs, j’ai pu surmonter les premières difficultés et m’améliorer progressivement.

En ce qui concerne le shader et le level design, j’ai dû également apprendre beaucoup par moi-même. Les shaders, en particulier, ont été un défi au début, mais une fois que j’ai saisi les concepts de base et que j’ai compris qu’il s’agissait essentiellement de manipuler des valeurs de noir et de blanc, j’ai pu progresser rapidement. De même, pour le level design, j’ai expérimenté différentes approches et j’ai appris en cours de route ce qui fonctionnait le mieux pour mon jeu.

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PnT : Et avec ton prochain jeu, tu vas maintenant passer sur Unreal ?

Jonathan : Passer de Unity à Unreal Engine a été une décision importante pour moi, motivée par plusieurs facteurs. Tout d’abord, j’ai été impressionné par les capacités technologiques d’Unreal Engine, notamment en termes de graphismes et de performances. De plus, la stabilité d’Epic Games en tant qu’entreprise m’a donné plus de confiance dans le choix de cette plateforme pour mon projet. J’ai dû réapprendre de nombreux aspects du développement de jeux, notamment en ce qui concerne la programmation, le design et l’optimisation des performances. De plus, l’interface et les outils d’Unreal Engine étaient nouveaux pour moi, ce qui a demandé un temps d’adaptation. Quant au choix d’Unreal Engine plutôt que d’autres moteurs comme Godot, cela s’explique par plusieurs raisons. Godot m’a semblé moins adapté à mes besoins, avec une courbe d’apprentissage plus ardue et des fonctionnalités qui ne correspondaient pas entièrement à ce que je recherchais. Unreal Engine offre des fonctionnalités avancées telles que la technologie de rendu Lumen et les systèmes d’éclairage avancés, qui étaient essentiels pour mon projet.

PnT : Tu as mentionné l’utilisation d’outils comme Notion pour la gestion de projet et Task Timer pour suivre ton temps de travail. Comment ces outils t’ont-ils aidé dans ton processus de développement et comment parviens-tu à maintenir une organisation efficace tout en jonglant avec ton travail à mi-temps et le développement de jeux ?

Jonathan : Notion m’a permis de créer une roadmap détaillée, de suivre mes progrès et de planifier mes tâches de manière efficace. Grâce à ses fonctionnalités flexibles, j’ai pu organiser mes idées, décomposer les objectifs en étapes plus petites et hiérarchiser les priorités. Cela m’a donné une vision claire de ce qui devait être accompli et m’a aidé à rester concentré sur les tâches à accomplir. Task Timer a été un allié précieux pour la gestion du temps. En fixant des limites de temps pour chaque tâche et en suivant mes progrès de manière précise, j’ai pu maximiser mon efficacité et éviter de me laisser distraire. Cela m’a également permis de mieux estimer la durée nécessaire pour chaque tâche, ce qui m’a aidé à planifier mes journées de manière réaliste.

En jonglant entre mon travail à mi-temps et le développement de jeux, maintenir une organisation efficace est essentiel. J’ai développé des stratégies personnelles basées sur la discipline et la gestion proactive du temps. Je me fixe des objectifs clairs et réalistes pour chaque semaine, en tenant compte des contraintes de mon emploi du temps. En priorisant les tâches en fonction de leur importance et de leur urgence, j’essaie de consacrer du temps aux aspects les plus critiques du développement de mon jeu. Mon statut d’intermittent du spectacle a également joué un rôle important dans ma capacité à concilier travail et développement de jeux. Avec une sécurité d’emploi relative grâce à mon travail à mi-temps, j’ai pu consacrer du temps et de l’énergie au développement de mes projets sans craindre des pressions financières excessives. Cela m’a donné la flexibilité nécessaire pour ajuster mon emploi du temps en fonction des besoins de mon projet de jeu.

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PnT : Comment vois-tu ce concept de jeu d’auteur dans l’industrie du jeu vidéo, notamment en comparaison avec d’autres formes d’art comme le cinéma ?

Jonathan : Reconnaître le rôle créatif et la vision individuelle des développeurs derrière chaque jeu est essentiel. Cette reconnaissance est souvent plus prononcée dans d’autres formes d’art comme le cinéma, où les réalisateurs et scénaristes sont largement reconnus comme des auteurs à part entière. Dans l’industrie du jeu vidéo, il y a une communauté croissante de développeurs qui revendiquent leur identité en tant qu’auteurs de leurs jeux. Cependant, cette reconnaissance peut aussi être atténuée par l’accent mis sur les studios de développement plutôt que sur les individus qui travaillent au sein de ces studios.

Je considère personnellement le jeu d’auteur comme un aspect fondamental de mon travail. Sur mes plateformes et dans mes communications, je mets en avant ma propre identité en tant que créateur de jeux vidéo, plutôt que de mettre en avant un nom de studio. Cette décision découle de ma conviction que chaque jeu que je crée est le résultat de mon propre travail créatif et de ma vision artistique unique. En ce qui concerne l’aspect financier et juridique, il est souvent plus avantageux d’avoir un statut d’artiste auteur, surtout lorsqu’on travaille de manière indépendante. Toutefois, cela peut poser des défis, notamment en termes de financement et de reconnaissance institutionnelle. Par exemple, obtenir des financements pour des projets individuels peut être plus difficile que pour des projets portés par des studios établis. Sur la scène internationale, le concept de jeu d’auteur est également sujet à des variations culturelles et industrielles. En France, par exemple, il semble y avoir une volonté croissante de promouvoir des jeux d’auteurs, en parallèle avec des initiatives similaires dans d’autres domaines artistiques comme le fait le CNC avec le cinéma.

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